REPUBLIQUE
ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE
PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE
INTERVENTION DE
Son Excellence Abdelaziz BOUTEFLIKA
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ALGERIENNE
DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE
A LA CONFERENCE MONDIALE CONTRE LE RACISME, LA DISCRIMINATION RACIALE, LA
XENOPHOBIE ET L'INTOLERANCE QUI Y EST ASSOCIEE
DURBAN, 31 août - 7 septembre 2001
Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Jamais, sans doute, une réunion organisée sous l'égide
des Nations Unies n'aura revêtu une portée aussi considérable,
et jamais choix du lieu ne fut autant symbolique. En effet, où, mieux
que sur cette terre d'Afrique du Sud, où il y a deux décennies
à peine sévissait une forme odieuse de ségrégation,
l'apartheid, consécration institutionnelle d'une « harmonie naturelle
» odieusement prétendue et théorisée, où,
mieux que sur cette terre, pouvions-nous marquer notre engagement collectif
en faveur de la défense et de l'illustration de l'unicité fondamentale
du genre humain ?
Une portée considérable s'attache à notre conférence
parce que le rassemblement unanime des peuples de la planète, à
travers leurs représentants, en vue de rejeter définitivement
dans les profondeurs de l'Histoire le racisme, la discrimination raciale,
la xénophobie _ et l'intolérance, est de nature à inspirer
les élans nécessaires pour esquisser les contours d'un nouvel
humanisme. Un humanisme dû troisième millénaire où
la rencontre des esprits et des coeurs tracerait le cadre d'une régénération
des droits de l'Homme qui, bien au-delà des perspectives de la Déclaration
du siècle dernier, viendrait réellement, viendrait concrètement
répondre à toutes les exigences que comporte la sauvegarde de
la dignité de la personne humaine. Et cela, par la convergence des
actions des hommes, par l'équité, la justice et leur solidarité.
Ce départ d'une ère nouvelle de la fraternité humaine
ne viendrait-il pas en prolongement naturel de la déclaration intitulée
: « Tolérance et diversité : une vision pour l'avenir
» que le Secrétaire général de l'ONU M Kofi Anane,
ce digne fils de l'Afrique, et Mme Mary Robinson, qui incarne avec tant de
compétence et de distinction la défense des droits de l'Homme,
ont proposé à la souscription des dirigeants du monde entier
? Ce texte, d'une remarquable élévation de vues, est un admirable
plaidoyer pour la fin des préjugés et pour le dépassement
des égoïsmes étroits.
C'est à cette démarche que nous songions mes amis africains
et moi-même quand, en 1974, alors que je présidais l'Assemblée
générale des Nations Unies, nous avons pu, en dépit des
résistances et des hostilités, exclure de la communauté
des Nations l'Afrique du Sud de l'apartheid. Cette exclusion, loin de représenter
une mesure de revanche stérile et haineuse, comme cela avait pu être
soutenu à l'époque, devait, pour nous, préluder les temps
où il n'y aurait plus, en cette partie du continent, ni bastion blanc
ni réserves noires, et où triompherait le principe d'égalité
et de fusion harmonieuse défendus alors, par Alan Paton, Alex La Gruna,
Block Modisane, Peter Abrahams, parmi ceux que l'on nommait les Cafres, et
Breyton Brettenbach, André Brink, Nadine Gordimer, parmi les Blancs.
Ces militants du rapprochement fraternel regardaient vers un avenir où,
la réconciliation gagnant les curs et les âmes, les espérances
communes et le développement partagé fourniraient les bases
du respect réciproque bien compris. Alors l'histoire en mouvement ne
connaîtra plus ni acteurs ni sujets, ni dominants ni dominés,
mais uniquement des acteurs à part entière.
Monsieur le Président,
Cet avenir reste encore à conquérir à l'échelle
de la planète. Les dérives infamantes des siècles écoulés,
les crimes contre la conscience humaine et contre l'humanité que furent
l'esclavage, la traite des noirs et le colonialisme, ont laissé des
séquelles qui pèsent lourdement, aujourd'hui encore, dans l'inconscient
collectif comme dans les conditions matérielles de l'existence de centaines
de millions d'êtres humains, cependant que persistent, à l'état
actif ou latent, des idéologies fondées sur la volonté
de domination et l'infériorisation de l'autre.
Nous nous proposons, au cours de cette conférence, de donner à
l'humanité de nouveaux repères pour « élargir les
consciences à l'échelle du monde » selon la formule de
Wole Soyinka. Nous pouvons donner à la communauté humaine
de nouveaux moyens pour triompher à tout jamais des démons qui
ont endeuillé son histoire.
Pour cela, le devoir de mémoire est essentiel, parce que le passé
nous obsède, parce qu'il nous marque encore cruellement de ses stigmates,
et parce qu'il importe de tourner au plus vite ces pages douloureuses qu'on
ne peut malheureusement pas déchirer. Mémoire, aussi, pour confirmer
notre rejet absolu et définitif des pratiques abjectes et de toutes
ces idées qui ont déshonoré l'humanité. Mémoire
enfin pour décourager, à l'avenir, toutes les tentatives de
réanimation de la bête immonde qui pourrait encore sommeiller
dans l'inconscient des hommes.
Dans ce cadre, une nouvelle lecture de notre histoire commune s'impose. Pour
exorciser le passé et rendre justice au présent, il est nécessaire
d'évaluer dans les dommages immédiats et les effets durables
ce qui a été subi par les uns et infligé par les autres,
sans céder à la tentation de la rancune, ni aux simplifications
péremptoires de la confrontation. II faudra aussi savoir dépasser
les visions timorées ou réductrices et s'élever au-dessus
des égoïsmes étriqués.
Coïncidence opportune, monsieur le Président : il y a à
peine une semaine était célébrée à l'Unesco,
comme chaque année depuis 1993, la mémoire des esclaves de la
traite transatlantique afin, comme l'a rappelé le directeur exécutif
M. Koichiro Matsuura, que « cette tragédie oubliée et
méconnue occupe la place qui doit être la sienne dans l'histoire
de l'humanité »
A la mémoire des esclaves déracinés et de leurs descendants,
s'ajoute, comme dans une filiation de l'abominable, la mémoire de toutes
les victimes du colonialisme, du nazisme, de l'apartheid sous toutes ses formes,
de
l'oppression et de l'occupation étrangère dont le martyrologe,
hélas, n'est toujours pas clos : les souffrances vécues au Moyen
Orient et, en particulier, la tragédie du peuple palestinien interpellent
quotidiennement la conscience humaine.
Cette conférence est le lieu et l'occasion pour nous de procéder
à ces évocations douloureuses, qui nous invitent au recueillement
et à la déférence : toutes ces victimes sont pour la
conscience humaine, les rappels constants de ces dérives par lesquelles
des hommes ont tenté de dépersonnaliser et de réifier
d'autres hommes, condamnant à l'opprobre l'intelligence humaine.
Justice donc pour ces damnés de la terre dont Frantz Fanon, descendant
antillais d'esclaves africains, se fit le témoin analyste dans cette
Algérie colonisée en lutte pour sa libération et qui
devint sa patrie définitive. Mais justice, aussi, pour tous ceux qui
s'élevèrent contre les excès de leurs dirigeants et de
leurs concitoyens, fustigeant les dénis d'humanité et proclamant
hautement l'égalité de tous les hommes et leur droit imprescriptible
à la liberté et à la dignité.
Monsieur le Président,
Comment ne pas,saluer, avec admiration et déférence, les gestes
de repentance de Sa Sainteté le pape Jean Paul II pour dénoncer
la bulle Inter Caetera et toutes les dérives enregistrées par
l'Eglise au cours de l'histoire. Nous souhaitons ardemment que cet exemple
soit suivi, afin que le pardon demandé et accepté par les victimes
pour les horreurs des siècles passés puisse prévenir,
à tout jamais, toute résurgence et pour qu'il ouvre de nouvelles
frontières à une aventure humaine plus riche de la fraternité
retrouvée.
Mesdames et Messieurs,
Les leçons douloureuses du passé ne devraient-elles pas nous
persuader, aussi, que les déséquilibres économiques et
les inégalités qu'ils perpétuent sont à la source
de frustrations, qu'ils sont cause de xénophobie et qu'ils nourrissent
l'hostilité entre les hommes et entre les sociétés humaines.
Or, que valent les acquis de l'humanité et les droits de l'Homme sans
la paix qui assure leur plénitude et sans la sécurité
qui garantit leur pérennité ? Montesquieu n'écrivait-il
pas que « la sécurité est la forme première de
la liberté » ?
A cet égard, comment pourrions-nous imaginer que l'opulence et la quiétude
des uns pourraient indéfiniment et impunément s'accommoder de
la détresse des autres ? Comment ne pas redouter l'exploitation des
humiliations et des désespoirs et leur
déchaînement en violences que l'abolition des distances et la
sophistication sans cesse accrue des moyens de terreur et de destruction ne
permettraient plus de circonscrire ?
A l'heure de la globalisation et de prodigieuses avancées de la technologie,
et alors que nous nous apprêtons . à réaffirmer solennellement
et unanimement les droits sacrés de tous les hommes, le moment n'est-il
pas venu d'exprimer nettement dans notre Déclaration et dans le Programme
d'action, que les formes extrêmes de la misère ne sont pas fatales,
et que l'humanité ne saurait plus admettre les malheurs immérités
qui frappent des communautés entières, victimes, hier, des débordements
monstrueux de l'histoire, et maintenues, aujourd'hui, par un ordre inéquitable,
en marge du progrès.
Le temps doit venir de la réparation des injustices du passé
et, avec lui, celui de la
correction des dysfonctionnements et des déséquilibres d'un
système de relations qui voue implacablement les plus puissants à
toujours plus de richesse et les plus faibles au malheur sans fin.
Car le racisme ne sera pas réellement vaincu tant que subsisteront aces immenses ghettos de la misère qui constituent, à tellement d'égards, les plaies toujours ouvertes des abominations que l'homme est capable d'infliger à l'homme.
Que la mondialisation, depuis l'aube de l'histoire, qui porte dans son principe,
les aspirations humaines les plus nobles ne soit pas détournée
de ses objectifs et de ses aspirations et, qu'entre les hommes, elle ne laisse
pas substituer aux frontières qu'elle veut effacer celles de l'indifférence
et du mépris, celles de l'injustice et de la haine.
Je vous remercie.