CONFEDERATION SUISSE

Intervention

de

Madame Claudia Kaufmann
Secrétaire générale du Département fédéral de l'intérieur, Secrétaire d'Etat, cheffe de la délégation suisse

Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée

Durban, Afrique du Sud
31 Août – 7 septembre 2001 2001

Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies
Monsieur le Président de la République d'Afrique du Sud
Madame la Présidente de la Conférence mondiale
Monsieur le Président de l'Assemblée générale des Nations Unies
Madame le Haut-Commissaire aux droits de l'homme et Secrétaire générale de la Conférence mondiale
Vos Excellences
Mesdames et Messieurs les chefs de délégation
Chers délégués

Des représentantes et des représentants des Etats du monde entier se réunissent en Afrique du Sud pour faire front contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. La délégation suisse remercie le Président de la République sud-africaine et le Haut-Commissaire aux droits de l'homme de leur invitation à cette importante rencontre et de l'immense travail accompli pour la préparer.

Nous sommes à Durban, un lieu hautement symbolique, car l'Afrique du Sud a souffert du racisme sous une forme particulièrement perfide, celle de la séparation des races/apartheid mise en œuvre par l'Etat. L'Afrique du Sud a démantelé ce système avilissant pour emprunter la voie de l'égalité et la démocratie! Cet acte suscite en nous des sentiments de profond respect, mais aussi de modestie. Car aucun Etat n'a encore réussi à éliminer complètement le racisme, la discrimination et la xénophobie.

Le racisme est une agression perpétrée contre l'Etat de droit et contre nous tous. Il s'agit en effet de se regarder bien en face et d'affronter nos préjugés et nos zones d'ombre en tant que pays et comme individus. Cela signifie reconnaître que l'Etat peut devenir l'auteur d'actes racistes et que, même dans un Etat démocratique, certaines personnes sont victimes de discriminations douloureuses. Les victimes de la violence et de l'exclusion veulent être entendues et reconnues. Seule cette reconnaissance peut permettre aussi bien aux auteurs qu'aux victimes de se libérer de leurs rôles et d'aborder ensemble l'avenir. C'est ce qu'a montré de façon exemplaire la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud.

Cette conférence mondiale doit être l'occasion de faire un bilan et, surtout, de prendre conscience des obligations qui nous incombent à nous tous. Les Etats seront jugés sur le sérieux avec lequel ils s'engageront, après Durban, dans la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. Les générations futures ne manqueront pas de porter un regard critique sur nos actes présents et futurs pour en évaluer la crédibilité et la cohérence.
Cette attente ambitieuse, mais justifiée, placée dans la conférence exige beaucoup de nous, qui y participons. Nous ne pouvons relâcher notre engagement jusqu'à ce que les documents finaux soient adoptés. Des documents qui devraient, dans le mesure du possible, contenir des déclarations impératives qui nous contraignent à mettre en œuvre des mesures durablement efficaces. En discutant de ces documents, nous ne manquerons pas d'avoir toujours à l'esprit la concrétisation des mesures dans nos propres pays.

Notre engagement doit toujours impliquer à la fois l'Etat, la société et les individus et s'appuyer sur les synergies entre ces trois niveaux. La vigilance et le courage civil de chacun nous protègent autant contre le racisme que les mesures ciblées de l'Etat. La société est mise au défi dans le domaine du droit privé, lorsqu'il s'agit, par exemple, d'accès au travail ou de conditions de logement. Ce n'est que si nous avons recours à ces trois niveaux ensemble que le racisme et la discrimination pourront être vaincus.

Nous tenons tout particulièrement à oeuvrer avec les organisations non gouvernementales dans un esprit de partenariat. Ces organisations nous observent des près, nous les représentants des Etats. C'est bien là leur rôle et nous pouvons nous en féliciter. Elles disposent en effet de vastes connaissances de base qui complètent les nôtres parfaitement en privilégiant souvent des approches très imaginatives. Une collaboration étroite avec ces organisations est souhaitable. Toutefois, il ne faut pas instrumentaliser les ONG et encore moins les charger de résoudre les problèmes auxquels l'Etat doit s'attaquer.

Que cela signifie-t-il concrètement? Je citerai quelques exemples pour illustrer notre vision des choses.

- Nous voulons garantir la protection des victimes du racisme. Adhérer à une convention internationale ne suffit pas. Il faut aussi créer des lois pertinentes et les faire appliquer. Il faut aménager et entretenir des lieux d'accueil et le faire savoir, mettre à disposition des fonds pour les financer et former des spécialistes. La Suisse a fait de bonnes expériences en matière de poursuite d'office des actes racistes. Les témoins et les organisations intéressées peuvent dénoncer de tels actes auprès des autorités qui sont alors contraintes d'agir. Le gouvernement suisse a en outre récemment décidé de faire la déclaration prévue à l'art. 14 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui reconnaît la compétence du Comité de l'ONU pour recevoir et examiner des communications. Il entend ainsi renforcer, au niveau de la procédure, les droits des personnes touchées.

- Il faut combattre toute pratique discriminatoire au sein de l'organisation judicaire contre les personnes d'ethnie, d'origine, de religion ou de couleur de peau différentes. A cet effet, des directives claires sur le comportement à adopter doivent être édictées à l'intention de tous ceux qui oeuvrent dans la police et dans le domaine de l'exécution des peines. Tout acte répréhensible doit également être condamné par les supérieurs politiques. Enfin, un travail d'information approfondi et à long terme est indispensable pour former toutes les personnes concernées.

- Nous voulons mettre fin à la diffusion de messages racistes. Dans ce domaine, les acteurs du monde politique, mais aussi les médias ont une grande responsabilité. Il ne faut pas que l'on abuse de la liberté d'expression et de la liberté des médias aux dépens des autres droits de l'homme. Il est possible, avec le concours des organisations professionnelles et des organisations non gouvernementales, de développer des instruments efficaces dans ce sens. C'est ainsi que, dans notre pays, l'instance de recours des journalistes suisses a édicté des recommandations sur la non-publication des lettres de lecteurs à teneur raciste et antisémite.

- Nous nous engageons à protéger plus efficacement les femmes contre les multiples formes de discrimination dont elles sont victimes. Cela signifie, en premier lieu, de donner aux femmes la possibilité de se faire entendre, pour que les Etats les écoutent et tiennent compte de leurs revendications. Cela veut dire aussi qu'il faut ouvrir les yeux sur les exclusions et les actes qui sont à la fois racistes et avilissants pour les femmes.

- Tous les enfants et les adultes doivent avoir le même accès à l'éducation et à la formation. Nous devons résister à la tendance qui consiste à considérer les immigrés comme une charge pour l'école et à leur refuser l'égalité des chances dans l'éducation et dans l'emploi. Nous avons tout à gagner en garantissant à tous l'accès égal à la formation. En effet, faire bénéficier chacun, en toute égalité, d'une formation commune et mettre en valeur ses facultés individuelles nous permettra de construire une société forte.

- Seul celui qui affronte encore et toujours l'histoire sans tenter de la nier peut aller de l'avant.

Cette expérience peut être douloureuse, mais elle est indispensable, comme nous avons pu le voir récemment en Suisse, lorsque nous avons dû nous confronter à l'histoire de notre pays durant la Seconde guerre mondiale.

Nous avons appris à quel point il est important de parler de l'Holocauste/de la Shoa et de garder en mémoire le souvenir de leurs victimes, Juives et Juifs, Sinti, Roma et tous ceux que le régime nazi avait jugés indignes d'exister. Se souvenir, c'est prendre ses responsabilités. Voilà pourquoi nous devons, dans cet esprit, nous confronter d'une manière critique avec les injustices commises à l'époque du colonialisme et de l'esclavage.

- Enfin, dans un tout autre domaine, Internet nous place devant de nouveaux défis. Comment pouvons-nous arrêter la propagation des sites racistes sur Internet par des conventions internationales? Il existe un vide juridique dans ce domaine et la Toile ne doit pas rester un espace dans lequel des actes racistes peuvent être commis en toute impunité.

Mesdames, Messieurs, nous le voyons bien: Les tâches sont nombreuses. L'importance de cette conférence est fondamentale. La lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance touche aux valeurs et aux biens qui nous sont les plus précieux, l'humanité et la dignité humaine. Ce que nous ferons de cette conférence - notre conférence à tous - est donc capital!

Je suis heureuse de terminer par ces mots de Mary Robinson prononcés à Strasbourg en octobre 2000: "Je souhaite que nous regardions tous en face les origines du racisme et de la discrimination, que nous affrontions l'héritage de l'histoire - celui de l'esclavage, des pogroms, de la brutalité du colonialisme et du génocide. J'espère aussi qu'un accent particulier sera mis sur les thèmes du genre et du racisme. Et je voudrais que la conférence nous permette de refaçonner notre identité dans le monde moderne conçu comme une communauté intégrative, multiculturelle et multiethnique où tous les hommes et toutes les femmes seront traités sur un pied d'égalité."

Les attentes sont clairement formulées. Unissons donc toutes nos forces pour les réaliser.