Article de fond
Assemblée Générale des Nations UniesDavantage de gens abusent des stimulants de type amphétamine que de la cocaïne et de l'héroïne combinés. Agissant sur les centres affectifs du cerveau, ces drogues synthétiques, dont «speed» et «ecstasy», sont faciles à produire, bon marché et difficiles à contrôler. Elles peuvent être plus puissantes que la cocaïne et ont un effet généralement plus durable. Fumées, prises sous forme de pilule, absorbées par inhalation ou injection, elles attirent particulièrement les jeunes parce qu'elles les pénètrent d'une énergie débordante, relâchent les inhibitions sociales et engendrent un sentiment de supériorité, de compétence et de puissance.
Ces drogues au rabais sont aujourd'hui consommées pratiquement dans toutes les régions du monde, constituant un grave problème en Amérique du Nord, en Europe et dans l'Asie du Sud-Est. Et les experts croient que leur usage pourrait se répandre. «A notre avis, elles pourraient devenir l'un des problèmes de drogue les plus universels dans le prochain siècle», déclare Pino Arlacchi, directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID). «Nous avons la preuve que, durant les années 90, le rythme de croissance de la production et du trafic illicites, ainsi que de diffusion de l'abus, a été plus élevé pour les stimulants de type amphétamine que pour l'héroïne et la cocaïne.»
L'impact le plus déplorable d'un abus prolongé de ces drogues réside dans le dommage causé à leurs usagers, qui ont cherché dans des produits chimiques une solution à leurs problèmes, trouver un meilleur emploi, avoir l'air plus heureux, réduire leur temps de sommeil ou perdre rapidement du poids, avec le seul résultat d'être écrasés par des sentiments d'anxiété, d'hyperstimulation et de paranoïa.
Du 8 au 10 juin 1998, à New York, l'Assemblée générale des Nations Unies tiendra une session extraordinaire consacrée au problème mondial de la drogue. A cette réunion, il est prévu que les gouvernements se mettront d'accord sur une série de dates auxquelles mener des actions concrètes pour réduire la demande et l'offre de drogues illicites, dont les stimulants de type amphétamine.
Aperçu général du problèmeLes stimulants de type amphétamine ne sont pas des créations récentes. Beaucoup d'entre eux étaient produits par synthèse dès le début du siècle à des fins médicales. Durant la seconde guerre mondiale, les amphétamines ont été prescrites aux pilotes de chasse et à tous ceux qui devaient rester éveillés et en pleine possession de leurs moyens. Le problème a commencé avec le détournement de l'usage de ces drogues ou leur prescription excessive, au-delà des applications médicales licites. Fait exception l'ecstasy, ou MDMA, qui n'a jamais été commercialisé comme produit pharmaceutique, bien que certains psychiatres l'utilisent pour traiter diverses conditions.
Aujourd'hui, les stimulants de type amphétamine ne sont pas fréquemment utilisés à des fins médicales; mais, si le marché licite s'est rétréci, le marché noir prospère.
La métamphétamine, dont les usagers deviennent vite esclaves, s'avère l'une des drogues les plus inquiétantes. Selon l'Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), organisme indépendant qui, depuis Vienne, surveille la situation mondiale en matière de contrôle des drogues, l'abus de l'amphétamine est en voie d'augmentation en Amérique centrale, en Asie du Sud-Est, en Europe, aux Etats-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Aux Etats-Unis, l'abus de l'amphétamine semble s'aggraver malgré l'introduction d'une stratégie globale de répression, de traitement et de prévention. Une étude menée en juin 1997 par l'Office of National Drug Control Policy de la Maison-Blanche a indiqué que beaucoup d'usagers du crack passaient à la métamphétamine. Aux Philippines, c'est la drogue dont l'abus est le plus répandu. Au Japon, en Thaïlande, à Taiwan, en Malaisie et en République de Corée, sa consommation augmente.
Abus de la métamphétamine
- Aux Etats-Unis, on a enregistré de 1991 à 1995 plus de 2 400 décès liés à la consommation de métamphétamine (dont 90 % environ étaient consécutifs à l'usage de plusieurs drogues).
- Au Japon, près de 90 % de toutes les violations de la législation antidrogue concernent la métamphétamine.
- Aux Philippines, la métamphétamine est la drogue la plus courante depuis le début des années 90.
- En République de Corée et en Australie, la métamphétamine est la drogue la plus consommée après le cannabis.
- Au Royaume-Uni, les saisies d'amphétamine ont quadruplé depuis 1987.
Toute personne ayant une connaissance élémentaire de la chimie peut «cuire» de la métamphétamine en deux à quatre heures. On peut se procurer les recettes sur Internet, en même temps qu'une liste des prix de ses ingrédients.
Liens avec le crime organisé
Le PNUCID signale qu'il existe un lien bien clair entre le crime organisé et le trafic des stimulants de type amphétamine et de leurs précurseurs chimiques. On a des preuves que certains groupes de trafiquants commencent à diversifier leurs opérations, ajoutant les drogues synthétiques aux drogues classiques. Dans l'Asie du Sud-Est, par exemple, le PNUCID signale que certains des groupes qui s'occupaient du trafic d'héroïne abordent maintenant celui de la métamphétamine ou de l'amphétamine. Le 19 avril 1998, le New York Times signalait que les tribus des hautes terres du Myanmar, près de la frontière chinoise, tirent maintenant plus de profits de la métamphétamine que de l'héroïne et raffinent elles-mêmes les deux drogues à l'aide de produits chimiques passés en contrebande, surtout depuis la Chine.
La mafia mexicaine joue aussi un rôle majeur. «Le Mexique a un rôle de premier plan tant dans la production de métamphétamine, passée en contrebande aux Etats-Unis, que comme source des produits chimiques précurseurs utilisés dans les laboratoires clandestins de métamphétamine aux Etats-Unis», déclare Harold D. Wankel, ancien chef du Service d'intervention (Chief of Operations) de la Drug Enforcement Administration (DEA) des Etats-Unis. Témoignant devant le Congrès américain, M. Wankel a déclaré : «La plus grande partie de la métamphétamine disponible aux Etats-Unis est contrôlée par des trafiquants du Mexique qui la produisent au Mexique, ou dans de grands laboratoires situés en Californie et dans le sud-ouest.»
Encore plus inquiétante que l'existence d'envois transfrontaliers est la tendance à produire les stimulants de type amphétamine dans la zone même ou le pays même où ils sont vendus. Avec la disparition des itinéraires du trafic à longue distance, il devient beaucoup plus difficile d'exercer une action répressive.
Les laboratoiresLes stimulants de type amphétamine vendus au marché noir sont produits clandestinement dans des laboratoires qui peuvent être situés n'importe où, depuis la cuisine ou le garage du voisin jusqu'à un entrepôt ou même dans les murs d'une société pharmaceutique.
En Australie, plus de 60 laboratoires découverts en 1995 et 1996 fabriquaient clandestinement de l'amphétamine ou de la métamphétamine, selon l'Organe international de contrôle des stupéfiants. Les produits chimiques utilisés provenaient généralement du pays même.
Aux Etats-Unis, en 1996, la métamphétamine a représenté 98 % de toutes les saisies opérées dans des laboratoires clandestins. De janvier 1994 à juillet 1996, la DEA a perquisitionné dans 1 015 laboratoires d'amphétamine aux Etats-Unis et les organes répressifs des Etats dans des centaines d'autres. Dans la plupart de ces laboratoires, l'éphédrine et la pseudoéphédrine étaient les matériaux précurseurs utilisés.
Comme le Gouvernement américain contrôle désormais strictement l'éphédrine, de nombreux producteurs de drogues utilisent la pseudoéphédrine, que l'on peut se procurer auprès d'entreprises de vente par correspondance ou dans les drugstores, en y achetant des médicaments disponibles sans prescription qui contiennent cet ingrédient.
La DEA signale que de grands producteurs de drogues du Mexique, qui utilisaient autrefois l'éphédrine, ont trouvé d'autres sources d'approvisionnement dans des pays comme la Chine, l'Inde et la République tchèque.
Quand les produits chimiques deviennent difficiles à obtenir, les producteurs de drogues font appel à de nouveaux ingrédients ou recettes. La phenylpropanolamine est un produit chimique désormais utilisé pour fabriquer la métamphétamine.
Après avoir décelé un laboratoire, il faut le démanteler. Cela exige des connaissances techniques, afin de protéger la santé publique et l'environnement, et de l'argent. Selon Luke Galant, du Ministère américain de la justice, le coût moyen du nettoyage d'un laboratoire de métamphétamine en Californie, par exemple, est de 3 100 dollars, mais ce coût peut atteindre 150 000 dollars.
Effets sur la santéEcstasy
On ne sait presque rien des effets à long terme de l'ecstasy. Agissant simultanément comme stimulant et hallucinogène, il prive le cerveau d'un très important produit chimique, la sérotonine, qui influe sur l'humeur, le sommeil et l'alimentation, les processus de la pensée, l'agressivité, la fonction sexuelle et la sensibilité à la douleur. Des études faites sur des rats et des singes montrent que la consommation d'ecstasy peut réduire le volume de sérotonine normalement présent dans le cerveau de 90 % pour deux semaines au moins.
Si les études faites sur les animaux donnent à penser qu'une consommation prolongée d'ecstasy pourrait endommager le cerveau, on n'a pas de preuve certaine qu'il en aille de même pour les êtres humains. «Nous devons mener de nouvelles recherches et il faut faire preuve de prudence», déclare M. Arlacchi. «Nous disposons de suffisamment d'indices pour affirmer qu'il faut être prudent avec ces drogues.»
Métamphétamine
La métamphétamine libère des volumes importants de dopamine, ce qui stimule les cellules cérébrales et cause un état d'exaltation et d'agitation fébrile.
Mais une consommation prolongée de métamphétamine amoindrit la capacité du cerveau de produire de la dopamine, substance essentielle au sentiment de plaisir et au déroulement normal des états psychologiques.
«Cet effet peut persister pendant une année entière après le moment où le sujet a cessé de prendre la drogue», déclare le docteur Alan Leshner, directeur de l'Institut national de l'abus des drogues (Etats-Unis). «La vérité est qu'une consommation prolongée de métamphétamine modifie le rythme des ondes cérébrales. C'est là une conséquence dangereuse, dont le public doit être pleinement informé.»
Au début, de petites doses de métamphétamine améliorent la capacité de concentration. Mais cette drogue crée rapidement une accoutumance et les usagers peuvent s'y habituer très vite, ayant ainsi besoin de doses de plus en plus fortes pour atteindre l'euphorie et se droguant pendant des périodes de plus en plus longues. Certains usagers peuvent ainsi rester constamment éveillés de trois à 15 jours.
Les symptômes psychologiques d'une consommation prolongée de métamphétamine peuvent ressembler à ceux de la schizophrénie. L'un des effets les mieux connus de la consommation prolongée de métamphétamine est la «psychose d'amphétamine», qui est associée à la paranoïa. Elle peut aussi déboucher sur un comportement violent. Par exemple, en Californie, un homme a, sous son influence, volé un blindé de la Garde nationale et écrasé des voitures sur une autoroute de San Diego jusqu'au moment où la police l'a tué.
Réduire la demandeL'expérience a montré que, pour être efficaces, les activités de prévention doivent porter sur la situation d'ensemble, être conçues en fonction de la culture ambiante et viser des drogues, groupes de populations et sites spécifiques. Pour enrayer l'abus croissant de métamphétamine aux Etats-Unis, le Partnership for a Drug-Free America monte actuellement une campagne nationale à l'aide de messages publics qui exposent les dangers de la drogue.
Le traitement des victimes de la métamphétamine pose des problèmes spéciaux. «Nous devons reconnaître le fait que nous avons affaire à des personnes dont le cerveau a été modifié par les drogues et qui se trouvent littéralement dans un état cérébral différent», explique le docteur Leshner. «Les agents de la force publique, au niveau de la rue, comprennent ce problème par expérience, mais nous devons tous le comprendre si nous voulons être capables de le résoudre.»
Les traitements efficaces font face aux aspects biologique, environnemental et social de la consommation de drogues, ainsi qu'à ceux liés au comportement. Le problème, selon le docteur Leshner, est qu'il n'existe pratiquement pas de traitement biologique applicable au cas de la métamphétamine. «L'absence de médicaments pour traiter les drogues stimulantes est probablement la cause profonde de notre incapacité d'aborder ce problème», déclare-t-il. Selon lui, la mise au point de tels médicaments est une priorité absolue.
Les experts s'accordent à penser que toute stratégie tendant à réduire la demande de stimulants du type amphétamine doit être complétée par des mesures visant à limiter l'offre.
La conclusion la plus importante à tirer, selon M. Arlacchi, est «que vous n'aboutirez jamais à rien si vous vous efforcez exclusivement de contrôler l'offre de substances ou exclusivement de faire face à la demande. Il faut faire l'un et l'autre en même temps.» C'est la conclusion sur laquelle le PNUCID fonde pratiquement toutes ses politiques.
Le système international de contrôle
La Convention de 1971 sur les substances psychotropes établit un contrôle sur plus de 100 hallucinogènes, amphétamines, barbituriques, sédatifs et tranquillisants. Entre 1971 et 1995, le nombre de stimulants de type amphétamine placés sous contrôle international a presque quintuplé. La Convention de 1971 divise les drogues en quatre catégories ou listes. Les drogues de la première liste, qui constituent la catégorie la plus sévèrement contrôlée, sont celles qui ont le moins d'applications médicales et posent le plus grave risque pour la santé publique, tandis que celles de la quatrième liste sont très utilisées à des fins médicales et semblent poser le moins de risque pour la santé publique. Les deuxième et troisième listes se situent dans l'intervalle.
Ecstasy et les drogues connexes figurent dans la première liste de la Convention de 1971, parce qu'elles n'ont pratiquement aucune application médicale, tandis que l'amphétamine et la métamphétamine figurent dans la liste 2, parce qu'elles ont d'abord été utilisées à des fins médicales. Mais, même si elles figurent dans ces listes, le système ne fonctionne pas réellement pour ces drogues dont la production est illégale.
L'une des principales limitations du système de contrôle est que la Convention sur les substances psychotropes n'était pas conçue pour contrôler les marchés illicites. Elle a été conçue pour contrôler et réglementer les marchés de produits pharmaceutiques licites afin de prévenir leur détournement sur des marchés illicites.
Il a été proposé d'améliorer le système de contrôle en rendant plus souple l'inscription sur les listes prévues par la Convention de 1971. Les experts reconnaissent que l'approche «par substance» ne peut vraisemblablement suffire face à la capacité permanente d'innovation des marchés illicites. Une autre proposition porte sur la modification des traités visant à contrôler les drogues afin de les mettre mieux en accord avec la situation actuelle.
Action internationale
Le Gouvernement américain agit de concert avec une chaîne de drugstores En avril 1997, la DEA des Etats-Unis et la chaîne de vente au détail Wal-Mart ont annoncé qu'ils agiraient de concert pour rendre plus difficiles à obtenir certains médicaments en vente libre qui servent à la fabrication illégale de métamphétamine. Dans tous les Wal-Mart, soit environ 2 300 dans l'ensemble du pays, les caisses ont été programmées pour limiter au nombre de trois à six unités les ventes de certains produits contre les allergies, le rhume et l'embonpoint qui contiennent de l'éphédrine ou de la pseudoéphédrine. Des affiches ont été placées dans tous les magasins informant la clientèle de la coopération entre Wal-Mart et la DEA. La politique de cette chaîne est même plus stricte que les règlements fédéraux découlant du Methamphetamine Control Act de 1996, entré en vigueur en octobre 1997. Quand cette initiative commune fut annoncée, l'Administrateur de la DEA, Thomas A. Constantine, a dit : «Wal-Mart ouvre des perspectives nouvelles et nous espérons que d'autres détaillants suivront son exemple.»
Le problème des stimulants de type amphétamine est inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies sur le problème mondial de la drogue, qui se tiendra du 8 au 10 juin à New York. Un plan d'action élaboré pour la session invite les gouvernements à réduire la demande au moyen de programmes ciblés de prévention et de traitement, à diffuser des informations précises sur les stimulants de type amphétamine et leurs effets et à améliorer les mécanismes permettant d'en contrôler la production et la distribution. Le plan d'action doit être exécuté d'ici à 2003 afin de produire des résultats concrets avant 10 ans.
Une initiative locale préfère le traitement à l'incarcération Jackson County (Missouri) est devenu un modèle aux Etats-Unis pour sa stratégie d'éradication de la métamphétamine. Les électeurs ont approuvé une taxe-drogue applicable dans le comté (équivalant à une augmentation de 0,25 % de la TVA), la première de ce genre aux Etats-Unis, afin de traiter le problème. Cette taxe spéciale collecte environ 13 millions de dollars par an au profit de budgets liés au problème de la drogue (poursuites, peines de prison, prévention, traitement) et d'un programme appelé Tribunal de la drogue (Drug Court), qui donne aux délinquants non violents la possibilité de suivre un traitement au lieu d'être incarcérés à la prison du comté. Ceux qui suivent jusqu'au terme un programme de traitement de 12 à 18 mois sont acquittés au pénal. La proportion des inculpés faisant ce choix irait de 50 à 70 %.
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Ann Marie Erb, tél. : (212) 963-5851, ou
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Courrier électronique : vasic@un.org
Web site de l'ONU : http://www.un.org
Sandro Tucci, porte-parole du Programme des Nations Unies pour le contrôle international des
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Centre international de Vienne, bureau E 1448
Boîte postale 500
A-1400 Vienne (Autriche)
Tél. : (431) 21345-5629
Fax : (431) 21345-5931
Publié par le Département de l'information de l'ONU - DPI/1985 - Mai 1998