Article de fond
Assemblée Générale des Nations UniesLes saisies de drogues, les raids de police et les opérations ciblées font les gros titres, mais la prévention, le traitement et la réadaptation contribuent non moins à réduire la gravité du problème des drogues. «L'offre et la demande sont des maux d'égale ampleur, auxquels il faut s'attaquer simultanément et avec une vigueur et une conviction identiques», déclare Pino Arlacchi, directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID). «Il est essentiel de réussir à réduire la demande si nous voulons obtenir un succès permanent dans la lutte contre les drogues.»
Le mouvement en faveur d'une politique équilibrée qui s'en prenne tant à la demande qu'à l'offre s'affirme de plus en plus. En février 1998, le Président des Etats-Unis, Bill Clinton, a fixé pour objectif de réduire de moitié la demande nationale de drogues d'ici à l'année 2007. Dans le monde entier, on s'accorde de plus en plus à reconnaître qu'il faudrait faire davantage pour comprendre les causes de la demande croissante de drogues et la réduire.
Dans le monde en développement, les pays producteurs prennent conscience d'un abus croissant des drogues sur leur propre territoire. La consommation d'héroïne augmente en Afghanistan et au Myanmar, les deux plus importants producteurs mondiaux d'opium. En Europe de l'Est et dans l'ex-Union soviétique, où l'abus des drogues était presque inexistant durant la période communiste, il constitue désormais un problème de gravité croissante. Selon certaines enquêtes, le nombre de consommateurs réguliers de drogues en Fédération de Russie serait de 2 millions environ. En Ukraine, le nombre de toxicomanes recensés est passé de 8 000 en 1992 à 65 000 en 1996, selon l'Organe international de contrôle des stupéfiants. Et les pays consommateurs du monde industrialisé s'inquiètent de la menace supplémentaire que représentent de nouvelles drogues synthétiques, comme la métamphétamine.
La réduction de la demande est l'un des six problèmes clefs qu'examinera la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies consacrée au problème mondial de la drogue, qui se tiendra du 8 au 10 juin à New York.
Atteindre les jeunes
La plupart des campagnes de prévention sont axées sur la jeunesse, parce que plus l'initiation aux drogues peut être retardée, moins elle a de chance de survenir, ou, si elle survient, de se transformer en une habitude irrésistible. Les femmes, les membres de minorités, les enfants des rues, les travailleurs et les détenus, qui tous ont des besoins et préoccupations spéciaux, constituent d'autres groupes cibles.
«Quand vous commencez d'appliquer une stratégie éducative, vous ne pouvez obtenir de résultats en un an ou deux», dit M. Arlacchi. «Vous devez comprendre que les résultats viennent après des années d'efforts persévérants. Mais ce sont des résultats permanents.»
Au niveau mondial, les activités menées dans le milieu scolaire, surtout dans les écoles secondaires, sont la forme la plus répandue de prévention d'abus des drogues.
Les programmes les plus efficaces sont des programmes à long terme, approfondis et inscrits dans les programmes scolaires existants. Bien entendu, il est aussi nécessaire de cibler les jeunes qui ne fréquentent pas l'école. Les efforts menés pour les atteindre dans la rue sont souvent utiles.
On note que dans l'ensemble les simples messages «antidrogues» cèdent la place aux campagnes «pour la santé». Des activités récréatives, sportives et culturelles sont offertes en tant que substitut préférable à la consommation de drogues. Loin de se borner à impartir des connaissances, cette nouvelle orientation vise à inspirer l'estime de soi et à enseigner l'aptitude à résoudre des problèmes et à communiquer. Cette évolution traduit une prise de conscience des limitations des campagnes passées, qui n'ont pas été très efficaces, surtout dans les salles de classe.
Pour de nombreux éducateurs, les enfants des écoles constituaient un public captif qu'ils pouvaient saturer d'informations. Si des informations exactes sont certainement nécessaires, la nouvelle approche substitue aux exposés la participation des étudiants, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités. «Cette formation aide les jeunes à acquérir des aptitudes qui leur permettent d'affronter des situations éprouvantes et la pression de leurs compagnons d'âge, qui s'exerce généralement au sujet de certaines conduites à risque, comme les rapports sexuels sans protection, les grossesses d'adolescentes, l'abus des drogues et les comportements criminels», dit un représentant du PNUCID. «La question n'est pas tant de fournir des informations sur les drogues que de doter les jeunes de la capacité de faire face à des situations qui peuvent déboucher sur l'abus des drogues.»
Ces programmes, basés sur la théorie de l'apprentissage social, enseignent aux enfants à reconnaître les pressions qui les poussent à fumer, à boire et à user de drogues et leur indiquent le moyen de résister à ces pressions. Ces programmes ont un impact beaucoup plus fort quand la prévention mobilise les familles, les médias et la communauté dans un vaste effort pour décourager l'abus des drogues.
Les programmes de prévention visant particulièrement l'un ou l'autre sexe sont un nouveau domaine d'action; ces programmes mettent l'accent sur les difficultés que bien des femmes ou jeunes filles rencontrent quand elles recherchent des avis, des informations et un traitement. Au Congo, par exemple, une «fondation de la mère et de l'enfant» a été instituée pour aider les jeunes filles qui abusent de drogues, tandis qu'au Zaïre les médias adressent aux femmes des messages hebdomadaires de mise en garde. Une initiative du PNUCID portant sur huit pays africains intègre un élément de prévention de l'abus des drogues dans un projet préexistant de recherche et d'intervention concernant la santé féminine.
Campagnes de médias
Si elles sont largement utilisées, les campagnes d'information publique se sont montrées peu efficaces à changer les comportements. Souvent, ces campagnes ne sont pas ciblées avec précision. On peut toutefois les utiliser pour faire prendre conscience non seulement des dangers de l'abus des drogues, mais aussi des dangers de certaines pratiques, comme l'injection de drogues. Une campagne brésilienne de télévision, qui a été montée pour freiner la hausse des taux d'infection par le VIH dû aux injections intraveineuses de drogue et aux rapports sexuels non protégés, met à profit avec succès le Carnaval pour promouvoir l'usage des préservatifs. La promotion de cet usage, qui fait l'objet d'une campagne du Ministère brésilien de la santé, est un aspect des fêtes du Carnaval.
Il n'est pas facile de concevoir un message efficace de prévention de l'abus des drogues. Mais les experts qui ont travaillé dans ce domaine constatent que les messages paternalistes, excessifs et inspirés par un sentiment d'outrage échouent immanquablement. «Le simple message 'Ne prenez pas de drogues' n'est pas particulièrement utile, parce que les jeunes risquent de soupçonner qu'il vient de ces adultes mêmes qu'ils entendent défier», dit Jukka Sailas, du Programme contre l'abus des substances psychotropes (OMS).
Les conseillers et autres experts s'inquiètent particulièrement du fait que les jeunes sont de plus en plus entourés par des messages qui tolèrent et même encouragent l'usage des drogues. Les drogues sont souvent montrées sous une couleur séduisante dans les chansons populaires, les films et même la publicité, comme en a récemment témoigné la mode du «chic héroïne». Avec l'audience mondiale des médias, ces messages atteignent les jeunes de tous les pays, tendance qui inquiète l'Organe international de contrôle des stupéfiants, chargé de surveiller la situation des drogues au niveau mondial. Dans son rapport de 1997, l'Organe a invité les gouvernements à ouvrir un dialogue avec les vedettes de la musique et des sports pour étudier les moyens de contribuer à l'apparition d'une culture populaire hostile à l'abus des drogues.
Des messages contradictoires, dont certains rendent l'usage des drogues séduisant tandis que d'autres le condamnent, troublent les jeunes. «Il importe de dire les choses telles qu'elles sont et d'accepter ensuite que les jeunes fassent leurs propres choix», dit un représentant du PNUCID. «La meilleure chose est de veiller à ce que les informations soient fiables et matériellement exactes et d'offrir aux jeunes d'autres modes de comportement plus sains.»
Un mouvement se dessine aux fins d'établir un lien entre les campagnes de médias et les services communautaires de prévention et de traitement, dans le but de réduire efficacement la demande de drogues. Dans cette optique, une série télévisée en cinq parties sur la toxicomanie aux Etats-Unis, diffusée en 1998, était associée à une campagne nationale de vulgarisation tendant à informer le public et à faire participer chacun à l'adoption de mesures au niveau de la famille, de l'école, du lieu de travail et de la communauté.
Prévention sur le lieu de travail
L'abus des drogues et de l'alcool retentit sur la santé et la productivité des travailleurs, ainsi que sur les profits des sociétés. L'abus est parfois exacerbé par les conditions de travail.
Le taux d'absentéisme est de deux à trois fois plus élevé chez les toxicomanes et les alcooliques que dans le reste du personnel.
Les accidents de travail liés aux drogues et à l'alcool représentent de 15 à 30 % de leur nombre total.
Les salariés qui connaissent des problèmes liés à la consommation de drogues et d'alcool peuvent demander des prestations maladie jusqu'à trois fois plus élevées et remplir jusqu'à cinq fois plus de formulaires de demande d'indemnisation que le reste du personnel.
En 1997, le PNUCID, l'Organisation mondiale de la santé et l'Organisation mondiale du Travail ont achevé un programme commun étalé sur cinq ans et d'un coût de 2,6 millions de dollars, qui visait à prévenir et réduire l'abus de substances psychotropes parmi les travailleurs et les membres de leurs familles. Des programmes types, axés sur la détection précoce et l'intervention plutôt que sur la gestion des crises, ont été mis au point pour 58 sociétés des pays suivants : Égypte, Mexique, Namibie, Pologne et Sri Lanka. Du fait de son succès, ce projet a été étendu à l'Europe du Centre et de l'Est, au Brésil et à la Jamaïque. Un manuel de formation a été publié à l'intention des gérants d'entreprise désireux d'adopter ces programmes types pour leur propre compte.
Traitement et réadaptation
«Sur le fond et en son essence, la toxicomanie est une maladie du cerveau», déclare le docteur Alan Leshner, directeur de l'Institut national de l'abus des drogues (Etats-Unis). Cette maladie est trop complexe pour être soignée par une potion magique, poursuit-il.
Une technologie avancée qui nous permet de voir comment le cerveau est affecté par les drogues a amélioré notre compréhension de la toxicomanie. «Il s'agit d'un désordre chronique et qui comporte des rechutes», dit le docteur Leshner. «Ce n'est pas la même chose que de se casser un os. C'est plutôt comme le diabète et l'hypertension chronique, pour lesquels il existe ou existera un risque élevé de rechutes occasionnelles.»
En fait, un problème majeur lié à toute prise en charge des toxicomanes est que les prestataires de services sont souvent trop optimistes. Divers examens du taux de succès des traitements montrent qu'en Europe et en Amérique du Nord une proportion substantielle de toxicomanes récidivent moins de trois mois après avoir suivi jusqu'au terme un programme de traitement. Toutefois, les experts avertissent que la récidive ne doit pas être considérée comme un échec, mais plutôt comme une étape vers la réadaptation.
«Une recherche attentive et systématique sur l'efficacité du traitement applicable à diverses substances psychoactives a montré que le traitement est en effet efficace et rentable, bien que ce ne soit pas l'opinion générale», dit Jukka Sailas. «Des traitements tant pharmacologiques que non pharmacologiques ont été évalués et leur efficacité a été démontrée. Les taux de morbidité et de mortalité consécutives à l'abus de substances psychoactives peuvent être réduits par l'adoption de stratégies qui ne sont pas centrées en premier lieu sur l'interruption de l'abus, mais sur la réduction du dommage qu'entraîne l'usage des drogues.»
Bien qu'il existe encore des communautés qui dispensent un traitement thérapeutique, la tendance est de diminuer la durée des séjours en milieu hospitalier, d'élever le niveau de qualification des prestataires de soins, d'individualiser la thérapie et de se préoccuper davantage d'aider les patients à se préparer à mener une vie indépendante à l'issue du traitement. Les programmes de substitution ou d'entretien, comme l'administration de méthadone pour les héroïnomanes, existent dans un certain nombre de pays. Il n'existe pas encore de thérapie par drogue de substitution permettant de traiter les consommateurs de cocaïne ou d'amphétamine. L'expérience a montré que les programmes de substitution ne sont guère possibles à long terme dans les pays en développement en raison de leurs coûts élevés.
Le meilleur traitement est celui qui encouragera les toxicomanes à se présenter et à chercher de l'aide. Dans l'idéal, le traitement des toxicomanes devrait comprendre la délivrance de conseils, une prise en charge motivante, un traitement médical, une réadaptation et une réintégration dans la société. Les programmes de traitement doivent être individualisés et conçus en fonction de la situation et des problèmes personnels du patient. S'il y a lieu, les membres de sa famille doivent être invités à participer. Des institutions «de passage» où les anciens toxicomanes peuvent être habitués à mener un mode de vie approprié devraient être ouvertes. Les mouvements de jeunes, les clubs sportifs et les organisations religieuses peuvent les aider à rester dans des environnements affranchis de la drogue.
Les toxicomanes sont très nombreux dans les prisons. Toutefois, l'incarcération ne résout pas le problème. Tout effort sérieux pour réduire la demande de drogues, ainsi que la diffusion du VIH/sida, suppose un traitement efficace et des services de réadaptation. Les partisans du traitement des toxicomanes en prison pensent aussi que la fourniture de ces services aidera à briser le cercle vicieux des drogues, du crime et de l'emprisonnement.
Dans la majorité des pays en développement, le traitement de la toxicomanie est concentré dans les villes les plus importantes, tandis que même les services médicaux les plus élémentaires peuvent souffrir gravement du manque de ressources. La sagesse indigène et les pratiques autochtones de guérison sont souvent l'unique source de traitement. Les méthodes traditionnelles de guérison sont particulièrement répandues en Asie et en Afrique. Les procédures rituelles et symboliques comportent des incantations, des invocations et diverses formes de purification spirituelle et physique; parfois des scénarios de mort/seconde naissance sont mis en scène. Des mélanges d'herbes vomitives et de laxatifs sont utilisés pour purger le corps des substances dangereuses, puis le patient absorbe des liquides consacrés ou s'y baigne et subit des séances de massage et de physiothérapie. Divers rites religieux - confession, engagement et sacrifice - sont accomplis pour signifier que l'individu est affranchi du fléau de la toxicomanie.
Des praticiens occidentaux ont adopté le yoga et d'autres méthodes traditionnelles, comme la médecine homéopathique, l'acupuncture et la méditation transcendantale. Parfois, pratiques orientales et occidentales sont combinées, comme à Hong Kong, où la méthadone est administrée à court terme tandis qu'un traitement traditionnel est offert dans les temples bouddhistes. Les moines dispensent des herbes médicinales, assurent une direction spirituelle et encouragent la méditation et la prise de vœux religieux d'abstinence.
Si la question n'a donné lieu qu'à peu de recherches scientifiques, on croit généralement que les pratiques traditionnelles et spirituelles sont tout aussi efficaces que les méthodes médicales les plus courantes en Occident. La plupart des experts reconnaissent que tel ou tel traitement réussit ou non selon le patient.
Au total, le succès ou l'échec des programmes de traitement des toxicomanes dépend de nombreux facteurs, propres au patient ou indépendants de lui. Pour certains, l'abstinence totale est la solution la plus recommandable. Pour d'autres, une lente réduction du dosage accompagnée d'une psychothérapie d'appoint est préférable. Certains ont besoin de se sentir menacés en permanence d'un châtiment; pour d'autres, la perspective d'une vie familiale plus stable constitue une motivation suffisante.
Plus durable est le soutien dont bénéficie un toxicomane, meilleures sont ses chances de guérison. Une enquête menée à Hong Kong sur une période de trois ans a montré que les toxicomanes qui participent à des groupes d'auto-assistance s'abstenaient de la drogue beaucoup plus longtemps après la fin du traitement et se remettaient de leur première rechute plus vite que les toxicomanes qui n'avaient aucun appui extérieur.
Le rôle de l'Organisation des Nations Unies
Alors que la Décennie des Nations Unies contre la drogue, qui couvre les années 90, approche de son terme, l'Assemblée générale des Nations Unies tiendra, du 8 au 10 juin à New York, une session extraordinaire sur le problème mondial de la drogue. Elle adoptera une déclaration politique qui engage les gouvernements à établir d'ici à 2003 des programmes nouveaux ou renforcés de réduction de la demande et à «obtenir des résultats sensibles et mesurables» d'ici à l'an 2008. Une déclaration énonce les principes qui guideront les gouvernements dans la mise en place de programmes efficaces de prévention, de traitement et de réadaptation et demande la fourniture de ressources adéquates pour ces programmes.
«C'est la première fois que les pays du monde entier mettent l'accent avec autant de force sur la demande que sur l'offre», dit M. Arlacchi.
En collaboration avec l'OMS, l'OIT, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, le Programme des Nations Unies pour le développement et le Fonds des Nations Unies pour la population, le PNUCID, dont le siège est à Vienne, collecte des informations sur l'efficacité des différentes méthodes de prévention, de traitement et de réadaptation et analyse laquelle donne les meilleurs résultats dans des contextes déterminés. Il identifie les diverses approches possibles qui s'avèrent efficaces dans différents contextes sociaux et culturels. Par l'intermédiaire de ses 22 bureaux de pays dans le monde entier, le PNUCID fournit une assistance technique aux experts d'organisations gouvernementales et non gouvernementales et met en commun ses informations avec eux.
Afin d'élaborer des activités efficaces de réduction de la demande, le Programme procède à une évaluation rapide tendant à déterminer la nature et l'ampleur du problème de l'abus des drogues dans un pays ou une région donnés. Un projet de manuel d'évaluation rapide a été élaboré. Le PNUCID coordonne également le Système international d'évaluation de l'abus des drogues, qui est un centre mondial d'échange d'informations sur l'abus des drogues.
S'adresser à :
Département de l'information (ONU)
Bill Hass, tél. : (212) 963-0353
Ann Marie Erb, tél. : (212) 963-5851, ou
Tim Wall, tél. : (212) 963-1887
Fax : (212) 963-1186
Courrier électronique : vasic@un.org
Web site de l'ONU : http://www.un.org
Sandro Tucci, porte-parole du Programme des Nations Unies pour le contrôle international des
drogues
Centre international de Vienne, bureau E 1448
Boîte postale 500
A-1400 Vienne (Autriche)
Tél. : (431) 21345-5629
Fax : (431) 21345-5931
Publié par le Département de l'information de l'ONU - DPI/1986 - Mai 1998