Article de fond

Assemblée Générale des Nations Unies
Session extraordinaire consacrée au
PROBLEME MONDIAL DE LA DROGUE
8-10 juin 1998

Traduire les trafiquants de drogues en justice

Nécessité d'une coopération mondiale

En décembre 1992, 63 boîtes contenant 11 millions de tablettes de la drogue hallucinogène «extase» (ecstasy), dont la vente au détail représente environ 500 millions de deutsche mark (360 millions de dollars E.-U.), ont été saisies à l'aéroport de Francfort. La cargaison, venue de Riga, dans l'Etat balte de Lettonie, était en transit vers les Pays-Bas et le Népal. Quelques semaines plus tôt, les autorités allemandes avaient été alertées par une société allemande de produits chimiques, qui leur avait signalé la demande suspecte d'une tonne de benzylcyanide, substance utilisée pour produire cette drogue.

Une enquête menée par des services allemand, belge, néerlandais et slovaque a permis de découvrir une bande criminelle de Hollandais et de Slovaques qui avaient acheté le directeur, le directeur adjoint et le chef du service chimique d'une société pharmaceutique de Riga pour qu'ils fabriquent l'extase et d'autres drogues synthétiques.

La plupart des organisateurs ont été arrêtés et traduits en justice dans leurs pays respectifs. Mais en raison de divergences dans les systèmes juridiques de la Belgique et des Pays-Bas et du retard enregistré dans la présentation de preuves par l'entremise de demandes officielles d'entraide judiciaire, Il fallut mettre en liberté le chef de bande, un Hollandais qui résidait en Belgique.

La coopération internationale est essentielle dans les affaires de drogues, mais les incompatibilités entre systèmes judiciaires, même s'il s'agit de deux pays ayant des liens aussi étroits que la Belgique et les Pays-Bas, permettent souvent aux criminels de recouvrer leur liberté.

Pour lutter contre ce problème et d'autres, l'Assemblée générale des Nations Unies tiendra du  8 au 10 juin, à New York, une session extraordinaire sur le problème mondial des drogues. On espère que les gouvernements s'accorderont pour resserrer la coopération judiciaire, afin qu'un plus grand nombre de trafiquants de drogues puissent être traduits en justice.

«Les trafiquants de drogues pensent à l'échelle mondiale; c'est ce que nous devons faire aussi», déclare Pino Arlacchi, directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID). «L'Organisation des Nations Unies doit relever ce défi de front.»

Des systèmes judiciaires différents, des langues différentes

Les divergences entre les trois principaux systèmes judiciaires du monde : droit coutumier, droit civil et droit islamique, causent des problèmes réels à la police et aux juges qui s'efforcent de poursuivre les trafiquants de drogues. Dans une affaire, la demande d'entraide judiciaire signée par le Procureur général d'un pays de droit coutumier a été refusée par un pays de droit civil pour le seul motif que la personne qui présentait la demande n'était pas un juge. Pour résoudre le problème, l'Etat demandeur a adopté une loi conférant au Procureur général la qualité de juge.

Dans les pays à droit civil, la dernière phase d'une enquête est placée sous la supervision d'un magistrat, tandis qu'en régime de droit coutumier les magistrats n'interviennent pas avant l'ouverture officielle des poursuites. Une différence aussi fondamentale dans la procédure de deux grands systèmes judiciaires peut causer de graves problèmes. Par exemple, une demande tendant à obtenir des preuves de témoins devant le tribunal, présentée par un pays de droit coutumier à un pays de droit civil, peut être refusée par celui-ci parce que l'affaire en question n'en est encore qu'au stade de l'instruction policière dans l'Etat requérant.

Les demandes d'extradition font aussi l'objet de complications transfrontalières. Si un pays refuse l'extradition, par exemple, pour le motif que la personne recherchée est l'un de ses ressortissants, il est légalement tenu de soumettre l'affaire à l'un de ses propres procureurs qui décidera s'il y a lieu ou non d'ouvrir des poursuites. Pour qu'il en soit ainsi, le procureur doit obtenir les preuves voulues du pays qui demande l'extradition. Mais cela est coûteux et les témoins doivent être envoyés d'un pays à un autre.

Un autre problème, de caractère fort pratique, tient aux différences linguistiques. Les problèmes juridiques sont difficiles à comprendre, car ils sont exprimés dans une langue particulière. Traduire les preuves et les accusations dans une langue étrangère est une complication supplémentaire, qui coûte cher et prend du temps.

Le principal obstacle aux initiatives multilatérales dans les domaines délicats de la justice et du respect des lois est la crainte de compromettre ouvertement la souveraineté nationale. Selon le PNUCID, toutefois, les gouvernements prennent de plus en plus en considération, parallèlement au souci de la souveraineté nationale, le danger que les cartels de drogues font peser sur l'intégrité des institutions.

Coopération régionale

Au cours des cinq dernières années, le PNUCID a mis en place un réseau de mémorandums d'accord pour renforcer la coopération intergouvernementale afin de lutter contre le problème des drogues. Des plans d'action régionale fournissent également un cadre de coopération dans ce domaine. Par exemple, en mai 1996, le PNUCID a convoqué dans les Caraïbes une réunion régionale sur la coopération en matière de lutte contre les drogues. A la suite de cette initiative, 29 pays et organisations intergouvernementales, non gouvernementales et régionales ont adopté le Plan d'action de la Barbade, qui contient 87 recommandations destinées à améliorer l'efficacité des conseils nationaux de lutte contre la drogue, la législation en matière de lutte contre la drogue, les organes chargés d'assurer le respect des lois, la coopération maritime et les efforts de réduction de la demande.

Mémorandums d'accord

Un mémorandum d'accord est un accord non contraignant qui permet d'agir de concert aux gouvernements, aux services tels que ceux de douane ou de police, et à des organisations commerciales telles que les compagnies aériennes. Dans l'idéal, cette forme de coopération s'élargit et s'approfondit avec le temps. Le PNUCID a facilité la conclusion de mémorandums d'accord en de nombreuses régions du monde, ce qui a permis une coopération dans le recueil de renseignements, une harmonisation des cadres juridiques et institutionnels, des activités communes de caractère coercitif ou tendant à réduire la demande.

Mémorandums d'accord signés avec le PNUCID dans le domaine de la lutte contre la drogue :

1993 : Chine, Laos, Myanmar, Thaïlande (le Cambodge et le Viet Nam s'y sont associés en 1995)
1993 : Myanmar et Inde
1994 : Myanmar et Bangladesh
1994 : Iran et Pakistan (il est prévu que l'Afghanistan pourra s'y associer à une date ultérieure)
1995 : Pologne, République tchèque, Slovénie, Hongrie et République slovaque
1996 : Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan
1996 : Argentine, Bolivie, Chili, Pérou et Uruguay
1996 : Mexique et Républiques d'Amérique centrale

Le Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues a également signé des mémorandums d'accord avec plusieurs organisations régionales ou sous-régionales, à savoir : l'Organisation de l'unité africaine (OUA), la Communauté économique des Etats d'Afrique centrale (CEEAC), la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), l'Organisation de coopération économique (qui comprend l'Iran, l'Afghanistan, le Pakistan, la Turquie, l'Azerbaïdjan, le Tadjikistan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan et le Kazakhstan) et l'Association d'Asie du Sud pour la coopération régionale (SARC).

Traités d'entraide judiciaire

Les traités d'entraide judiciaire servent à écarter les obstacles qui s'opposent au recueil de preuves au niveau international et à harmoniser les procédures pénales. L'un des exemples les plus réussis en est le traité signé en 1977 entre les Etats-Unis et la Suisse, qui a fourni des informations inappréciables concernant le trafic des drogues et le blanchiment de l'argent. La Suisse a fourni des preuves recevables devant les tribunaux américains et a accepté de rendre l'entraide obligatoire dans les affaires relevant de la criminalité organisée.

Un autre exemple en est la coopération bilatérale entre les Etats-Unis et l'Italie, qui a contribué au démantèlement, dans les années 80, du réseau de stupéfiants «Pizza Connection», que les mafias américaine et sicilienne avaient mis en place. Les services de police de nombreux pays (Allemagne, Brésil, Canada, Espagne, Etats-Unis, France, Italie et Suisse) ont collaboré de longues années, ce qui a permis d'arrêter plus d'une centaine d'individus.

Livraisons surveillées

Les «livraisons surveillées» sont l'un des moyens qu'utilisent les Etats pour collaborer dans la lutte contre les drogues. Au lieu d'arrêter les trafiquants et de saisir les drogues, les autorités les laissent parfois poursuivre leur voyage et remettre leur cargaison sans savoir que leurs mouvements sont étroitement surveillés. Cette technique vise à capturer les organisateurs et à saisir de plus grandes quantités de drogues, au lieu d'arrêter simplement un courrier et de confisquer une seule cargaison.

Quand une livraison surveillée traverse plusieurs frontières, les autorités de chaque pays doivent collaborer pour maintenir une surveillance continue.

Les problèmes commencent quand la loi d'un pays donné stipule que les drogues doivent être confisquées dès leur découverte. Même quand les lois appropriées sont en place, il reste difficile de coordonner le contrôle des frontières, la police nationale, la police des Etats dans les pays à structure f édérale et les gardes côtiers de chaque pays pour assurer une surveillance continue. D'autres sujets de préoccupation existent : manque de capacité technique des services de police, doutes quant à la destruction effective des drogues saisies, risques de corruption, problèmes de rivalité entre services ou entre nations, car le fait de retarder une confiscation signifie que la «gloire» en va aux autorités du lieu de destination final.

Amélioration des communications

Les restrictions désormais moins sévères imposées au commerce international et le volume croissant des échanges rendent plus difficiles de détecter les cargaisons illicites à moins de posséder des renseignements au préalable. En outre, l'ouverture des frontières offre de nouvelles voies au trafic des drogues. Le partage d'informations entre les pays est donc plus important que jamais.

A la frontière entre l'Iran et le Pakistan, où de vastes quantités d'opiats passent en contrebande sur la route de l'Europe, le PNUCID a fourni du matériel de télécommunications et assuré une formation pour améliorer la coopération entre contrôles frontaliers. Des douzaines de stations-relais à très haute fréquence équipées de tours de 30 mètres permettent d'établir des communications entre le personnel de 27 postes --frontière du côté iranien et de 15 postes -- frontière du côté pakistanais, ainsi qu'entre les capitales régionales de Zahedan et Quetta. Les responsables des deux pays se réunissent pour examiner leurs activités de lutte contre la drogue et des tonnes de haschich, d'héroïne et d'opium ont été saisies grâce au projet.

De plus en plus, les gouvernements améliorent les capacités de communication et mettent en commun des informations auparavant restreintes afin de mieux comprendre les tendances du trafic des drogues et d'améliorer le ciblage des personnes et des marchandises suspectes. Interpol, l'organisation internationale de police criminelle, joue ici un rôle fondamental. Son système de télécommunications X.400 est relié à la presque totalité des 177 pays membres. Chaque semaine, la Sous-Division des drogues d'Interpol transmet un message au bureau central de chaque pays membre afin de communiquer aux services spécialisés dans la lutte contre la drogue des informations à jour sur l'évolution de la situation dans le monde entier.

Le système, récemment modernisé en Europe centrale, dans le Moyen-Orient et en Afrique, constitue un réseau mondial qui a la capacité de mettre en commun les informations policières dans les meilleures conditions de rapidité et de sécurité.

«Par exemple, si quelqu'un à Hong Kong a besoin de recevoir des informations de quelqu'un au Brésil pour une affaire sur laquelle l'un et l'autre travaillent, la liaison peut être établie par l'intermédiaire de nos bureaux centraux dans chaque pays», dit un représentant d'Interpol. «Nous en avons fini avec la paperasserie dans les pays qui ont accepté le principe de la mise en commun des informations policières et nous avons fait ce qu'il fallait faire pour mener des enquêtes criminelles actives.»

L'Organisation mondiale des douanes (OMD) est un autre partenaire essentiel. Le PNUCID et l'OMD ont plusieurs projets communs en cours qui tendent à créer des bureaux régionaux de renseignements en Afrique, en Amérique latine et dans les Caraïbes, en Asie et dans le Pacifique, en Europe de l'Est et en Europe centrale.

Le PNUCID finance également des systèmes de renseignements informatisés qui permettent aux services de police de partager des informations sur des cargaisons suspectes et de mener des opérations conjointes, par exemple pour garder trace de livraisons surveillées.

Collaborant avec Interpol, l'OMD et les services policiers nationaux et régionaux, le PNUCID analyse les caractéristiques des courriers, les modes de transport, les quantités de drogues sur lesquelles porte le trafic et les routes du trafic des drogues, qui changent constamment. Appelée «profilage», cette information sur la nature et les schémas du trafic aide les gouvernements à élaborer et appliquer des stratégies nationales et régionales.

Pour promouvoir le respect d'un droit maritime commun, le PNUCID a établi un nouveau guide de formation destiné aux services nationaux.

Plan d'action international

La session extraordinaire de l'Assemblée générale qui se tiendra en juin vise à mobiliser la volonté politique des gouvernements afin de mener une action commune plus efficace dans la lutte mondiale contre les drogues. Un moyen concret d'y parvenir est de renforcer, harmoniser et simplifier les procédures judiciaires propres à resserrer la coopération internationale.

Il est prévu qu'à cette réunion les gouvernements adopteront des mesures dans les domaines de l'extradition, de l'entraide judiciaire, du transfert des poursuites, des livraisons surveillées et de la lutte contre le trafic illicite des drogues par mer; ces mesures devraient être exécutées d'ici à 2003.

Sur un front plus large, plusieurs appels ont été lancés à la mise en place d'une juridiction universelle ayant compétence pour poursuivre les trafiquants de drogues.

«Les trafiquants de drogues jouissent d'une liberté de mouvement qui fait défaut aux services de police parce que la police et les procureurs sont soumis à des autorités différentes», déclare Pino Arlacchi, directeur exécutif du PNUCID. «Nous devons commencer sérieusement à proposer, à introduire des fragments d'une juridiction universelle qui permettra aux services de police et aux enquêteurs de jouir de la même liberté de mouvement que les trafiquants.»

La juridiction universelle dont parle M. Arlacchi pourrait comporter l'institution d'une cour criminelle mondiale ayant compétence pour poursuivre les trafiquants de drogues. La question sera abordée une semaine après la session extraordinaire de l'Assemblée générale, quand un traité visant à instituer la première cour criminelle internationale sera mis au point et adopté à Rome. Si certains pays souhaiteraient que la cour poursuive les trafiquants de drogues, la majorité préfèrent en limiter la compétence à des délits tels que le génocide et les crimes de guerre. La décision finale sur l'étendue de la compétence de la cour sera prise lors de la conférence diplomatique de plénipotentiaires sur la création d'une cour criminelle internationale, qui se tiendra du 15 juin au 17 juillet à Rome.

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Sandro Tucci, porte-parole du Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues
Centre international de Vienne, bureau E 1448
Boîte postale 500
A-1400 Vienne (Autriche)
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Fax : (431) 21345-5931

Publié par le Département de l'information de l'ONU - DPI/1983 - Mai 1998