Treizième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale,
11e & 12e séances plénières – matin & après-midi
SOC/CP/365

Congrès pour la prévention du crime: divergence de vues sur l’utilité d’autres conventions internationales pour combattre les formes nouvelles de criminalité, dont celle sur Internet

DOHA, QATAR, 17 avril - Le débat que le treizième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale a tenu aujourd’hui, à Doha, sur les « approches globales et équilibrées contre les formes nouvelles et émergentes de criminalité organisée » s’est résumé à une question: les conventions des Nations Unies suffisent-elles pour triompher de la cybercriminalité, du trafic de biens culturels et d’espèces sauvages, ou de la contrefaçon?

Les interventions de l’Inde et du Japon ont illustré à elles seules la divergence des points de vue.  Peut-on vraiment combattre une cybercriminalité en constante mutation avec des instruments datant d’il y a plus de 10 ans? a douté le représentant indien.  La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, dite Convention de Palerme, et celle contre la cybercriminalité, dite Convention de Budapest, ont été adoptées respectivement en 2000 et en 2001.  Le défi n’est pas l’absence d’instrument juridique mais bien les lacunes des législations et des procédures pénales, au niveau national, a tranché le représentant japonais. 

Ces 10 dernières années, la situation a évolué*: la cybercriminalité comprend, par exemple, les infractions dans lesquelles les données informatiques sont l’objet de l’infraction-même mais aussi celles dans lesquelles ils ne sont que les moyens par lesquels elle est commise.  La criminalité environnementale quant à elle couvre à la fois le braconnage et des infractions nouvelles, comme celles liées à l’échange des droits d’émission de carbone et à la gestion de l’eau.  L’Internet se prêtant bien à une coordination plus large entre individus d’une zone géographique très étendue, un nombre beaucoup plus important de groupes criminels organisés ont émergé. 

Faut-il de nouvelles conventions?  Non, a répondu la représentante de la Norvège.  Les conventions contre les stupéfiants, contre la criminalité transnationale organisée et contre la corruption couvrent déjà toutes les formes de crimes.  Leur potentiel doit être pleinement exploité pour les formes anciennes et nouvelles des crimes.  Il ne sert à rien, a insisté la représentante, de développer de nouveaux instruments, conventions et protocoles, alors que nous ne mettons en œuvre ni ne respectons ceux dont nous disposons.  Les organisations criminelles sont efficaces, créatives et modernes.  Utilisons les mêmes armes: efficacité, suffisance des ressources et outils technologiques, a encouragé la représentante.  Parlant en particulier de la cybercriminalité, son homologue du Japon a estimé que le défi n’est pas l’absence d’instrument juridique mais bien les lacunes dans les législations nationales qui ne couvrent toujours pas la cybercriminalité et dans les procédures pénales qui limitent le travail de la police, des procureurs et des autorités judiciaires compétentes et ne facilitent pas non plus la coopération entre États.  Identifions les besoins et renforçons « concrètement» l’assistance technique souhaitée par les instruments existants.

Il faut en effet, a reconnu la représentante de la Suisse, doter les tribunaux et les autorités de poursuite pénale et de contrôle des moyens nécessaires pour leur permettre de réagir avec la même flexibilité que les groupes criminels.  Au niveau international, des procédures simples et accélérées sont nécessaires pour que la police puisse échanger des informations avec des États partenaires et réagir en temps utile à des signalements en provenance de l’étranger.  « Une législation efficace, une prévention ciblée, des autorités de poursuite pénale efficaces, bien formées et équipées, et une coopération non bureaucratique entre les différentes autorités et institutions, telle est la combinaison qui peut nous permettre de faire face de manière adéquate et rapide aux formes de criminalité les plus diverses », a tranché la représentante. 

La déléguée suisse n’a pas caché que pour son pays, la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée n’offre qu’une base juridique « limitée » pour poursuivre les nouvelles formes de criminalité.  Il n’est pas judicieux, a-t-elle jugé, de rattacher ces nouvelles formes à l’élément constitutif de la criminalité organisée.  Un nouveau cadre juridique multilatéral devient donc « crucial », en a conclu le représentant du Brésil, soutenu par son homologue de la Chine.  La réponse juridique doit se concentrer sur les outils de la coopération internationale car « les moyens traditionnelles de cette coopération ont montré leurs limites ».  Compte tenu du lien entre cybercriminalité et terrorisme, il devient de plus en difficile de voir l’efficacité des instruments existants, a ajouté le représentant de l’Iraq.  « La cybercriminalité profite de l’absence d’un instrument international efficace, a prévenu, à son tour, celui de la Tunisie.  Les anciens criminels s’étant modernisés, nous devons nous montrer plus intelligents qu’eux, a alerté le représentant du Maroc.  Peut-on vraiment combattre une criminalité en constante mutation avec des instruments de plus de 10 ans? a douté son homologue de l’Inde.  Non, il en faut de nouveaux, a répondu le représentant du Pakistan, soutenu par son homologue de l’Afrique du Sud, au nom du Groupe des États d’Afrique.  Envisageons au moins une révision, a suggéré celui de l’Iran.

Mais en quoi la Convention de Budapest sur la cybercriminalité aurait-elle perdu de sa légitimité? s’est interrogé le représentant de l’Allemagne.  Face à « la démocratisation de la cybercriminalité et la délinquance sans frontière », cette Convention est la clef, a estimé son homologue de la France.  Ratifiée par 45 États dont un nombre important de non-membres du Conseil de l’Europe, c’est l’instrument de référence qui permet l’entraide judiciaire.  Élaborer une nouvelle convention, a poursuivi son homologue de l’Allemagne, exigerait un processus de plusieurs années et des ressources énormes, sans rien à apporter de nouveau.  Concentrons-nous plutôt sur une meilleure application de la Convention, en offrant, par exemple, aux personnels concernés une bonne formation et en renforçant la coopération internationale.  Si l’on peut toujours améliorer cette coopération, a commenté la représentante de l’Australie, il faut reconnaître que l’instrument actuel s’est révélé efficace, à la fois pour criminaliser les délits dans le cyberspace et plus important encore, pour faciliter une coopération rapide entre les forces de l’ordre.   La Convention serait encore plus efficace si tous les États y adhéraient, a souligné la représentante. 

Pour renforcer la coopération internationale, a commenté, à son tour, la représentante du Canada, il faut veiller à l’harmonisation des différentes législations et à la fourniture aux pays en développement des capacités juridiques et techniques nécessaires.  Le représentant du Conseil de l’Europe a insisté sur les programmes d’assistance mis en œuvre par son organisation.  Mais le problème, a estimé le représentant de la  Fédération de Russie, est que la Convention a oublié de consacrer « le droit souverain des États » à mener leurs propres enquêtes.  Le problème est aussi que son article 37 dispose que « le Comité des ministres du Conseil de l’Europe peut, après avoir consulté les États contractants à la Convention et en avoir obtenu l’assentiment unanime, inviter tout État non membre du Conseil à adhérer à la Convention.  La décision est prise à l’unanimité des représentants des États contractants ».  C’est donc que la Convention n’a pas vocation à être universelle et que les restrictions à son universalisation prouvent la nécessité d’un autre traité, a argué le représentant du Conseil des ministres de l’intérieur des pays arabes.

La vision du Congrès doit être de promouvoir un Internet libre, ouvert et sûr, a estimé le représentant des Pays-Bas, s’opposant, à son tour, à la négociation d’un nouvel instrument qui retarderait, a-t-il prévenu, la réponse de la communauté internationale à la nécessité « immédiate » de renforcer les formes existantes de coopération et l’adoption des nouvelles législations nationales dont les pays discutent en ce moment.  Il a appelé les gouvernements à ouvrir la lutte contre la cybercriminalité au secteur privé, à la communauté technologique, au monde universitaire et à la société civile.  Le représentant est revenu sur le futur « Forum mondial de la cyberexpertise », une initiative pour le renforcement des capacités, qui facilitera le partage des expériences, des évaluations et des meilleures pratiques, identifiera les lacunes dans les capacités et mobilisera des ressources et des expertises additionnelles.  Le forum sera pragmatique, orienté vers l’action, flexible et fondé sur une participation volontaire.  Le représentant de la Tunisie a confirmé la nécessité d’une aide au renforcement des capacités. 

Le trafic des biens culturels n’a pas été oublié au cours des discussions, le problème le plus « cuisant » étant en Syrie et en Iraq, comme l’a souligné le représentant de l’Allemagne.  Il faut, a-t-il dit, travailler ensemble pour sensibiliser à ce problème qui est devenu le troisième crime mondial après le trafic de drogues et d’armes et qui alimente le terrorisme.  Nous devons renforcer la coopération entre Interpol, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et les autres organisations internationales pertinentes, a ajouté le représentant allemand avant que son homologue de l’Égypte ne fasse part de la demande des États africains pour un nouvel instrument sur la protection du patrimoine culturel ou au moins un protocole additionnel à la Convention contre la criminalité transnationale organisée.

Après que le représentant de la Chine eut appuyé cette proposition, la représentante du Canada a prôné, au contraire, une application plus efficace des instruments existants dont « Les Principes directeurs internationaux sur les mesures de prévention du crime et de justice pénale relatives au trafic de biens culturels et d’autres infractions connexes », adoptés l’an dernier par l’Assemblée générale de l’ONU.  Le cadre international actuel est largement suffisant, a acquiescé le représentant de la France, en rappelant les dispositions de la Convention contre la criminalité transnationale organisée et celle de l’UNESCO de 1970 concernant « les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels ».  Mettons l’accent sur l’évaluation de la mise en œuvre, l’échange des bonnes pratiques, l’assistance technique et la coopération douanière, a encouragé le représentant français, soutenu par son homologue de l’Italie laquelle aide l’ONUDC à préparer un outil technique.

Son homologue du Viet Nam a annoncé l’organisation en 2016, dans son pays, de la troisième Conférence sur le commerce illicite des espèces sauvages.  Dans ce cadre, le représentant de l’Indonésie a voulu que la pêche illégale, qui génère 23 milliards de dollars, soit reconnue comme une forme émergente de criminalité transnationale pour, a-t-il dit, renforcer la prévention et la lutte contre ce fléau.  Il faut faire le lien, a renchéri le représentant du Pérou, entre exploitation illégale des ressources naturelles, corruption et blanchiment d’argent.  Il faut des normes internationales « spécifiques » pour traiter de ces problèmes de manière « globale et équilibrée », a-t-il dit, soutenu par le représentant de la Fédération de Russie.  Ici aussi, la représentante du Canada a rappelé qu’il existe déjà une série d’instruments et de processus internationaux dont l’incontournable Convention contre la criminalité organisée et les nombreux autres accords multilatéraux négociés sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).  Il y a aussi la Convention sur le droit de la mer, a ajouté le représentant de l’Espagne.  Évitons les doubles emplois et concentrons-nous sur les mécanismes qui existent déjà et sur lesquels des experts travaillent, a insisté le représentant, s’opposant à son homologue de l’Équateur qui a insisté sur l’élaboration d’un quatrième protocole à la Convention de Palerme.

Les crimes environnementaux, a plaidé la représentante d’« Environmental Investigation Agency (EIA) » sont traités, en ce moment, dans une myriade de cadres juridiques.  C’est leur diversité qui est un des principaux obstacles à une réponse mondiale cohérente.  Elle a encouragé les États à discuter des différentes options possibles avec des juristes et des experts des services de police, de la conservation et d’autres secteurs, y compris les ministères de l’intérieur et de la justice, et à réfléchir aux instruments spécifiques qui devraient être créés.

Le représentant de l’Inde est intervenu sur la question des contrefaçons.  Il s’est étonné que l’ONUDC soit en train d’élaborer des dispositions législatives types contre le trafic illicite de médicaments frauduleux, alors que cette question relèverait naturellement de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).  Médicaments frauduleux, contrefaits ou falsifiés?  De quoi parle-t-on? s’est impatienté le représentant devant une question « aussi sensible ».  Son homologue de la France l‘a renvoyé à la « Déclaration politique »** adoptée au premier jour du Congrès, et qui parle de la détermination des États à s’attaquer à la « contrefaçon de marchandises de marque ».  Son homologue de l’Italie a d’ailleurs regretté ce libellé, arguant que la « contrefaçon de marchandises de marque » ne représente qu’une infime partie du phénomène.  Il a alerté sur la faiblesse de l’entraide judiciaire et remercié, comme son homologue français, l’ONUDC qui s’efforce de mettre en œuvre la résolution 20/6 de la Commission pour la prévention du crime établissant le lien entre « médicaments frauduleux et trafic transnational organisé ». 

Beaucoup de pays, dont l'Australie, ont longuement parlé de leur lutte contre le terrorisme, classé également dans les formes nouvelles et émergentes de criminalité.  Le représentant l’Organisation de la coopération islamique (OCI) a réclamé une définition internationale de ce fléau.  On ne peut, a-t-il plaidé, combattre cette criminalité sans en connaître les contours, sans parler des causes.  Le terrorisme est devenu un crime organisé et collectif, faisant naître des menaces « complexes et extrêmement dangereuses », avec un recours aux technologies modernes et à des armes meurtrières.  « La coopération internationale devient inévitable. » 

Haïti, la Tunisie, la Thaïlande, le Pérou, l’Équateur, El Salvador, Oman, le Koweït, le Qatar et les États-Unis ont aussi pris la parole.  Le représentant américain s’est opposé à tout nouvel instrument juridique international, tout comme son homologue de l’Union européenne.

Le Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale poursuivra ses travaux, demain samedi 18 avril, à partir de 10 heures.

*A/CONF.222/8

 ** A/CONF.222/L.6

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