DSG/SM/1042-SC/12745

La lutte contre Boko Haram exige de dépasser le prisme de la sécurité pour répondre aux griefs économiques, sociaux, politiques, culturels et religieux des peuples concernés

On trouvera ci-après le texte de la déclaration faite, aujourd’hui, par la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Mme Amina J. Mohammed, à la séance sur la mission du Conseil de sécurité dans le bassin du lac Tchad: 

Je voudrais remercier les membres du Conseil de sécurité de l’accueil très chaleureux qui m’a été réservé aujourd’hui; j’en suis véritablement honorée.  Je voudrais également féliciter le Royaume-Uni de son accession à la présidence du Conseil de sécurité pour le mois de mars.

En tant que Vice-Secrétaire générale, en tant qu’Africaine et en tant que Nigériane, je me félicite vivement de la visite que le Conseil a effectuée au bassin du lac Tchad en vue d’observer de première main les répercussions de l’insurrection de Boko Haram, d’autant plus parce qu’enfant, j’ai grandi à Maiduguri et je sais qu’on ne naît pas terroriste, mais qu’on le devient en raison d’un ensemble de circonstances.

Les visites sur le terrain que réalise le Conseil de sécurité de par le monde ont contribué à mettre en évidence les liens qui existent entre la paix, le développement et les droits de l’homme, un point qui a été reconnu dans les remarques faites ce matin.

Je remercie le Conseil d’avoir accordé à cette région troublée l’attention dont elle a tant besoin.

La crise du lac Tchad illustre très clairement la complexité des défis multidimensionnels auxquels est confronté notre monde moderne.  Si nous voulons les relever avec succès, nous devons mobiliser toutes nos ressources en vue de mettre en œuvre le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et de réaliser les objectifs de développement durable.

L’ONU se concentre sur six grands piliers d’engagement: la dimension politique; l’aide humanitaire; les droits de l’homme; le relèvement et le développement; la justice, l’application des lois et le financement du terrorisme; et l’appui technique à la Force multinationale mixte régionale. 

Trois autres dimensions viennent s’y ajouter: l’égalité des sexes; les défections et les arrestations de militants de Boko Haram, qui posent leurs propres difficultés au regard du nombre de jeunes filles et garçons qui se trouvent dans ses rangs; et l’appui aux États Membres afin d’élaborer un plan régional d’action pour la prévention de l’extrémisme violent.

Il est essentiel que nous traitions la crise provoquée par Boko Haram de manière globale.  Cela signifie qu’il faut regarder au-delà du prisme de la sécurité et s’attaquer aux causes profondes, notamment les inégalités, l’exclusion et l’éventail complet des griefs économiques, sociaux, politiques, culturels et religieux. 

À cette fin, l’ONU continue, grâce aux efforts de M. Fall et M. Chambas, les Représentants spéciaux du Secrétaire général pour l’Afrique centrale et pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel respectivement, à encourager les États Membres et les dirigeants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale à convoquer un sommet conjoint sur Boko Haram.

Tout comme le Conseil, nous sommes tout à fait conscients de la détérioration de la situation humanitaire et des droits de l’homme, qui a provoqué le déplacement de millions de personnes dans la région.  Environ 10,7 millions de personnes dans le bassin du lac Tchad ont aujourd’hui besoin d’une aide humanitaire.  Plus de 7 millions ont besoin d’une aide alimentaire, dont 515 000 enfants qui souffrent de malnutrition aiguë sévère.  La sécheresse est inévitable et le risque de famine est réel, mais il peut être évité si nous prenons immédiatement les mesures urgentes qui s’imposent.

Le Programme alimentaire mondial aide plus d’un million de personnes dans le nord-est du Nigéria, et il est en train d’accroître ses efforts.  L’UNICEF fournit des soins de santé de base et de l’eau potable à 4 millions de personnes.  Cependant, malgré l’importante contribution de la récente conférence des donateurs qui s’est tenue à Oslo, la demande est largement supérieure aux ressources.

Je demande instamment aux États Membres de veiller à ce que l’appel humanitaire de 1,5 milliard de dollars pour la région des Grands Lacs soit pleinement financé, et j’implore les gouvernements concernés de garantir un accès libre, sûr et sans entrave à toutes les zones et populations touchées.  Dans le même temps, nous devons nous pencher sur la nécessité de mieux coordonner notre action et veiller à ce que les ressources soient utilisées de la manière la plus efficace possible.  Nous devons également combler le fossé entre l’assistance humanitaire et les interventions de développement.

Un relèvement durable suppose de financer la reconstruction des écoles et des centres de santé et de réhabiliter les infrastructures essentielles, notamment l’agriculture et l’approvisionnement en eau, dont dépendent les moyens de subsistance.  Une prévention efficace de la radicalisation et de la violence futures suppose également de mener des interventions globales au profit de tous les membres de la société, en particulier les communautés marginalisées et les jeunes.

Il y a tout juste trois semaines, j’étais à Bama, où se trouve un des camps les plus importants, et la vue d’enfants s’épanouissant grâce à l’éducation, même si ce n’est pas dans des conditions idéales, mais qui montre néanmoins le changement que l’UNICEF est parvenu à apporter, est incontestablement un signe d’espoir, et cela prouve que nous devons investir dans le renforcement du relèvement et des initiatives nécessaires.

La situation dans les quatre pays touchés par Boko Haram reste marquée par de graves violations des droits de l’homme, commises par Boko Haram mais aussi dans le contexte des opérations antiterroristes.

En réaction, l’ONU est en train de déployer davantage de spécialistes des droits de l’homme pour collecter des informations sur les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire.  L’ONU aide également les pays touchés à faire en sorte que leurs efforts de lutte contre le terrorisme soient pleinement conformes au droit international des droits de l’homme, au droit humanitaire et au droit des réfugiés.

Il est nécessaire de renforcer les mécanismes de justice et de respecter les garanties de procédure pour les déserteurs et les terroristes présumés.

Au Niger et au Tchad, l’ONU a facilité la libération de dizaines d’enfants soupçonnés d’être des combattants de Boko Haram, qui ont été remis à des responsables de la protection de l’enfance.  Au Nigéria, l’ONU a pu se rendre dans des centres de détention à Maiduguri pour surveiller les conditions de détention des femmes et des enfants capturés durant les opérations militaires.  Le Cameroun a également manifesté sa volonté de coopérer avec l’ONU dans ce domaine.

Le sort des femmes et des filles associées à Boko Haram ou victimes de celui-ci est une source de préoccupation particulière.  L’ONU et ses partenaires fournissent des soins et un appui à environ 6 000 femmes et filles qui ont été associées à Boko Haram ou capturées par ce groupe, mais elles sont encore plus nombreuses dans les camps de déplacés, à être détenues par les autorités ou à lutter pour se réinsérer dans leurs communautés, où un grand nombre d’entre elles sont victimes de stigmatisation et de discrimination.  Beaucoup ont été victimes de violences, d’exploitation et de sévices sexuels.  Elles ont besoin d’une aide globale. 

Nous devons également accroître les efforts pour garantir l’accès à la santé sexuelle et procréative, à un soutien psychosocial et à des moyens de subsistance pour les foyers dirigés par des femmes.  Nous devons veiller à ce que les femmes jouent un rôle clef dans la mobilisation – de la distribution de vivres à la gestion des camps, en passant par tous les efforts pour combattre l’extrémisme violent, rétablir l’autorité de l’État et consolider la paix.

C’est ce mois-ci le mois de la femme –notre mois de la femme.

Il est approprié que le Royaume-Uni, qui défend la cause des femmes et de la paix et de la sécurité au Conseil depuis de nombreuses années, assure la présidence du Conseil.  Mais je tiens également à saluer le Conseil dans son ensemble.

Au cours des deux derniers mois, les membres ont entendu un exposé d’une dirigeante de la société civile nigériane, Mme Fatima Askira, membre de la Borno Women Development Initiative; des experts du Conseil ont rencontré de hauts responsables de l’ONU dans la région dans le cadre d’une réunion consacrée à la question des femmes et la paix et la sécurité dans la région du bassin du lac Tchad; et dans le cadre de la mission du Conseil qui s’est déroulée la semaine dernière, les membres ont rencontré des femmes parlementaires, des dirigeantes de la société civile et des déplacées.

Il est indispensable de s’attaquer aux causes profondes de cette crise pour rétablir une paix durable dans la région.  Il convient de noter que cela permettra également de ralentir le phénomène des migrations massives vers l’Europe de personnes qui estiment n’avoir d’autre choix que de partir à la recherche d’un avenir meilleur loin de leur terre natale.

Le système des Nations Unies pour le développement travaille à des initiatives nationales et transfrontières pour contribuer à la réduction de la pauvreté, au développement des capacités, à une gouvernance efficace, à la gestion des ressources naturelles, au relèvement rapide, à la réduction des risques de catastrophe, à la cohésion sociale, à la consolidation de la paix et à la résilience.

Une priorité doit être la régénération du lac Tchad.  Le lac et ses zones humides ont perdu 90% de leur eau du fait de la gestion non durable des ressources en eau et des changements climatiques.

Je félicite les pays du bassin du lac Tchad de leur engagement en faveur de la régénération du lac, mais l’appui de la communauté internationale sera essentiel.  Je tiens également à saluer à ce stade l’appui fourni par le Gouvernement chinois à travers plusieurs études de faisabilité qui s’avéraient nécessaires pour évaluer les possibilités et les moyens de financement de cette entreprise.

La récente visite du Conseil dans la région du lac Tchad a souligné l’urgence et la complexité de la crise à laquelle est confrontée la population de la région ainsi que la menace qu’elle pose à la paix et à la sécurité internationales.

Mon message aujourd’hui est clair: la solution réside dans une réflexion globale.  Le Programme 2030 représente une feuille de route et un moyen d’améliorer l’avenir de la population du bassin du lac Tchad.

La solidarité et le partenariat sont un facteur de réussite essentiel dans cette région et dans le reste du monde –un partenariat mondial pour le développement durable, en particulier dans les contextes les plus fragiles lorsque les populations ont le plus besoin de notre solidarité et de notre appui pour exercer leur droit de vivre une vie digne.

À cette fin, je félicite la Banque mondiale du travail qu’elle accomplit dans le bassin du lac Tchad, ainsi qu’en Somalie, au Yémen et au Soudan du Sud.  Je salue par ailleurs l’attachement de l’Union africaine et des organisations régionales africaines à la paix, à la sécurité et à une mise en œuvre intégrée du Programme 2030 et de l’Agenda 2063 de l’Union africaine.

J’espère sincèrement que la visite du Conseil aura stimulé la création de partenariats et donné un espoir ô combien nécessaire aux populations de la région, et qu’elle va également créé un élan au sein du système des Nations Unies afin que nous mobilisions tous les moyens à notre disposition et les utilisions plus efficacement dans l’intérêt de ceux qui sont en droit d’attendre beaucoup plus d’attention que nous n’avons été en mesure de leur accorder récemment.

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.