DSG/SM/1058-SC/12820-DH/5361

La Vice-Secrétaire générale appelle à accorder des réparations aux victimes de violence sexuelle en période de conflit, affirmant qu’« il ne suffit pas de ramener nos filles »

On trouvera, ci-après, l’allocution de la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Mme Amina J. Mohammed, prononcée, aujourd’hui, à l’occasion du débat thématique du Conseil de sécurité consacré aux femmes et la paix et la sécurité: la violence sexuelle en période de conflit:

Je voudrais tout d’abord féliciter l’Uruguay et, en particulier, le Vice-Ministre des affaires étrangères, d’avoir organisé cet évènement important.  Je salue aussi le Conseil de sécurité de l’action qu’il mène pour lutter contre la violence sexuelle en période de conflit, notamment par l’adoption dernièrement de la résolution 2331 (2016), qui souligne le lien entre la violence sexuelle liée au conflit, la traite en période de conflit et l’extrémisme violent. 

Je voudrais aussi saluer Mme Mina Jaf qui vient d’Iraq, et lui souhaiter la bienvenue aujourd’hui parmi nous, pour faire entendre la voix de la société civile, partenaire clef et élément cardinal de notre travail à l’ONU.

Le débat d’aujourd’hui a lieu à un moment critique.  D’une part, le grand silence qui entoure d’habitude les crimes de violence sexuelle est enfin rompu.  Il y a davantage de visibilité, une plus grande volonté politique et une dynamique plus forte. 

La compréhension de ce fléau au niveau mondial est en train de gagner du terrain.  La violence sexuelle en période de conflit n’est plus perçue comme un problème de femmes ou un moindre mal dans la fausse hiérarchie des violations des droits de l’homme.  Elle est vue à juste titre comme une menace véritable à la sécurité et à la paix durable, qui exige des mesures opérationnelles en termes de sécurité et de justice, en plus de la fourniture de services multidimensionnels aux survivants de ces crimes.

Le Secrétaire général, M. António Guterres, a fait de la prévention une priorité.  Le mandat de lutte contre la violence sexuelle en période conflit – grâce au rôle de chef de file stratégique joué par les représentantes spéciales successives, l’engagement des États Membres et les partenariats entre le système des Nations Unies et la société civile – montre combien l’analyse et une information fiable communiquée en temps voulu peuvent être utiles pour la prévention.

Une cadre législatif robuste existe à présent, notamment une série de résolutions spécifiques du Conseil de sécurité qui nous offrent de nouveaux instruments pour opérer un changement et pour progresser. 

Nous commençons à voir que le principe de responsabilité est appliqué aux niveaux international et national.  On passe progressivement d’une réalité où il ne coûte rien de violer une femme, un enfant ou un homme en période de conflit à une autre où quiconque commet, ordonne ou tolère un tel crime doit en subir les conséquences. 

Nous assistons à une prise en main, à un leadership et à une responsabilisation croissants au niveau national.  Les gouvernements sont de plus en plus nombreux à s’engager solennellement à agir.  Les organisations régionales œuvrent de concert avec l’ONU pour compléter cet effort.  Ce sont là autant de bonnes nouvelles, dont on avait grand besoin.

Mais la vérité est que nous devons nous attaquer aux causes profondes des violences sexuelles liées au conflit, qui sont fondamentalement les inégalités et la discrimination à l’égard des femmes dans tous les contextes.  De trop nombreuses femmes vivent quotidiennement sous la menace de la violence, dans leur foyer et au sein de leur famille.  Les conflits armés ne font qu’amplifier cette situation.  Ces conditions ont créé un terreau fertile pour une propagation généralisée et systématique de la violence sexuelle dans les situations de conflit à travers le monde, notamment au Soudan du Sud, où elle est utilisée comme arme de choix et comme tactique de guerre pour terroriser et persécuter les populations.

Comme le Secrétaire général l’indique clairement dans son rapport (S/2017/249), nous faisons aussi face à des défis nouveaux.  La violence sexuelle est de plus en plus utilisée comme tactique de terrorisme par les groupes extrémistes dans des endroits comme l’Iraq, le Yémen, la Syrie, la Somalie, le Nigéria et le Mali pour arriver à leurs fins militaires, économiques et idéologiques. 

La même litanie d’horreurs émaille les récits faits par les femmes yézidies captives de Daech, les écolières nigérianes qui ont fui Boko Haram et les Somaliennes libérées des mains des Chabab, ainsi que les descriptions faites des conditions dans lesquelles vivent les femmes dans le nord du Mali sous l’emprise du groupe extrémiste Ansar Eddine. 

Ces groupes utilisent la violence sexuelle à des fins stratégiques.  Ils encouragent de façon obscène le recrutement de jeunes hommes en leur promettant femmes et esclaves sexuelles.  Ils tirent de façon éhontée leurs revenus de la vente, de la traite et du trafic des femmes et des filles. 

C’est pourquoi il est indispensable de considérer la protection et l’autonomisation des femmes et des filles comme une pièce maîtresse de notre dispositif antiterroriste et de lutte contre l’extrémisme violent.

Un certain nombre de défis majeurs nous attendent.  Veiller à ce que les acteurs armés non étatiques s’engagent à respecter le droit international en est un.  Le Secrétaire général s’efforce en particulier d’obtenir des parties inscrites sur la liste figurant en annexe de ses rapports annuels sur la violence sexuelle et le sort des enfants en période de conflit armé, qu’elles s’engagent concrètement à fournir une protection. 

Bien entendu, nous sommes face à des défis politiques et opérationnels sans précédent qui nécessitent un effort concerté et l’appui des États Membres et de l’ensemble du système des Nations Unies.  La crise des migrants et les déplacements massifs de population dus aux conflits prolongés dans le monde ont accru les risques de violence sexuelle.  Nous voyons l’extrême vulnérabilité des réfugiés et des personnes déplacées non seulement dans les camps ou les zones d’installation, mais à chaque étape du déplacement, et comment la violence sexuelle peut constituer un facteur important chassant les plus vulnérables de leurs foyers et communautés.

Reconnaissons aussi que la réaction de l’ONU est compromise par des allégations et des cas inacceptables de violence et d’exploitation sexuelles dus à des soldats de la paix.  Le Secrétaire général et tous parmi nous sont déterminés à nous attaquer de front à ce défi, comme il apparaît dans le récent rapport sur les dispositions spéciales visant à prévenir l’exploitation et les atteintes sexuelles (A/71/818), qui dessine les grandes lignes d’une stratégie visant à faire de la tolérance zéro une réalité.

La violence sexuelle est un crime qui déchire le cœur plus que tout autre parce que les victimes, et non les auteurs, sont souvent ceux qui subissent la stigmatisation.  Les auteurs de ces crimes odieux échappent souvent à la justice.  Parallèlement, leurs victimes sont souvent contraintes de vivre avec la honte d’avoir été violées et rejetées par leur famille et leur communauté.  Pire encore, beaucoup d’enfants naissent du viol et sont condamnés à une vie marquée par la discrimination, l’exclusion et la stigmatisation. 

Des problèmes de santé mentale tels que la dépression, les flash-backs, les difficultés faisant obstacle à la reprise de relations intimes, enfin la peur sont quelques-unes des conséquences à long terme résultant de ce crime.  La grossesse et les maladies sexuellement transmissibles, notamment le VIH/sida, ainsi que d’autres problèmes de santé, surviennent fréquemment et les rescapées se trouvent ainsi doublement victimisées.

La semaine dernière, je me suis réjouie avec le peuple nigérian et le monde entier à la nouvelle de la libération de 82 filles retenues prisonnières par Boko Haram depuis trois ans.  Ces filles faisaient partie d’un groupe de 270 élèves kidnappées à Chibok en avril 2014. 

Mais des milliers de personnes sont encore portées disparues dans le monde entier et nous devons continuer d’insister sans relâche pour leur retour.  Il ne suffit pas de ramener nos filles.  Nous devons les ramener dans la dignité et le respect en leur assurant soutien, égalité et perspectives d’avenir, et veiller à ce qu’elles reçoivent le soutien psychosocial, les soins de santé procréative d’urgence et les autres formes d’assistance cruciales qui les aident à se réinsérer dans leurs familles et leurs sociétés.

Les victimes de la violence sexuelle en période de conflit ont aussi droit à de complètes réparations.  C’est un aspect critique de la justice due aux rescapés, ainsi qu’une voie essentielle de leur relèvement. 

La réinsertion économique et sociale s’impose et doit devenir partie intégrante de nos activités de reconstruction, de la justice transitionnelle et du développement après le conflit.  C’est aussi l’un des engagements fondamentaux énoncés dans nos objectifs de développement durable: autonomiser les femmes et les filles et éliminer toutes les formes de violence à leur encontre.

Le Conseil a joué un rôle charnière s’agissant de nous orienter vers la responsabilisation et la prévention de la violence sexuelle, mais il reste davantage à faire si nous voulons éradiquer ce crime une fois pour toutes. 

Le Secrétaire général présente dans son rapport des recommandations détaillées, notamment en ce qui concerne l’appui du Conseil à une ouverture aux parties à un conflit en vue d’obtenir l’engagement d’une protection concrète et le déploiement accéléré d’un personnel spécialisé, comme les conseillers pour la protection des femmes, ce qui devrait catalyser l’application de ce programme sur le terrain, où cela importe le plus.

Nous avons la responsabilité solennelle de convertir une culture séculaire d’impunité en une culture de responsabilisation et de dissuasion.  Nous ne pouvons nous permettre de nous contenter de peu ou de nous laisser distraire de notre objectif.  Nous devons triompher de ces nouveaux défis et maintenir l’attention de la communauté internationale fixée sur ce crime, resté traditionnellement dans l’ombre.  

Toutes nos paroles, lois et résolutions ne signifieront absolument rien si les violations ne sont pas punies dans la pratique et si nous manquons à notre devoir sacré de prendre soin des victimes.

En paroles et en actes, engageons-nous à faire preuve de solidarité avec les survivants et les communautés vulnérables, et à substituer l’espérance à l’horreur.  C’est la pierre de touche de notre engagement et de notre responsabilité de protéger les groupes de population les plus vulnérables contre les violations les plus criantes des droits fondamentaux.

 

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