Soixante et unième session,
10e séance – matin
FEM/2112

Commission de la condition de la femme: de l’intérêt à disposer de données et de statistiques ventilées par sexe pour accélérer le développement

Ce matin, les membres de la Commission de la condition de la femme et des représentants d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales ont contribué à la réflexion mondiale en cours sur les moyens de faire avancer la mise en œuvre des objectifs de développement durable relatifs à l’égalité hommes-femmes, en utilisant les meilleurs outils statistiques et les données les plus pertinentes possibles.

Notre tâche est triple, a expliqué l’animateur de la réunion-débat, M. Andreas Glossner, de l’Allemagne: évaluer les leçons apprises pour améliorer la production, l’analyse et la dissémination de données dans le contexte de la mise en œuvre accélérée du Programme d’action de Beijing et du Programme de développement durable à l’horizon 2030; identifier les besoins en données des organes politiques nationaux en matière d’égalité des sexes et d’autonomisation des femmes et des filles; examiner comment renforcer les liens entre les producteurs et les utilisateurs de données pour le suivi effectif de ces objectifs.

Il a rappelé que le Groupe d’experts des Nations Unies et de l’extérieur chargé des indicateurs relatifs aux objectifs de développement durable avait élaboré, en mars 2016, un total de 230 indicateurs, dont un quart traitent de manière explicite ou de façon indirecte de l’égalité des sexes.  Il n’en reste pas moins des difficultés, a-t-il avancé, en indiquant par exemple que les données ne sont disponibles que pour moins d’un quart des indicateurs prévus pour le suivi des objectifs relatifs au genre.  De plus, pour plus de 80% des indicateurs élaborés pour vérifier les progrès vers l’objectif 5 (égalité des sexes et autonomisation des femmes), il n’y a pas encore de consensus international sur la façon de les évaluer.

De même, beaucoup d’indicateurs relatifs au genre mais liés aux autres objectifs que le cinquième, ne sont pas assortis de méthodologies comparables pour permettre une évaluation périodique.  Ces indicateurs ont pourtant trait à des domaines importants pour les femmes, comme la dimension féminine de la pauvreté, les écarts de salaire hommes-femmes, la sous-représentation des femmes au sein des gouvernements locaux, la violence et l’exploitation, l’accès à la justice ou encore l’environnement.

Pour élaborer les meilleures politiques possibles en faveur de l’égalité des sexes, il faut arriver à produire plus de données qui soient disponibles et faciles d’accès, ainsi que des statistiques sur le genre, a affirmé M. Glossner avant de donner la parole aux experts.

La première intervenante, Mme Lina Laura Sabbadini, Chef de l’Institut national des statistiques de l’Italie (Istat), a plaidé en faveur d’une « révolution des données », en constatant que dans certains pays, les décideurs politiques et la société civile ont beaucoup de difficultés à analyser les données.  Elle a aussi souhaité que les objectifs en matière d’égalité entre les sexes deviennent une priorité pour les instituts de statistique nationaux.  À titre d’exemple, elle a cité l’enquête menée par son pays sur le cycle de la violence psychologique, sexuelle et physique contre les femmes, fruit d’une collaboration étroite et intersectorielle entre les ministères, les instituts de statistique, les organisations non gouvernementales, les agences européennes et internationales. 

Un autre exemple de ce qui peut être fait avec la coopération de différents acteurs a été donné par Mme Lucia Scuro, Chargée des affaires sociales à la Division du genre de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC). Elle a expliqué comment la Stratégie de Montevideo sur la mise en œuvre de l’Agenda régional pour l’égalité des sexes dans le cadre du développement durable à l’horizon 2030 avait prévu la production de données statistiques en vue d’atteindre cet objectif.  Nous essayons de faire le lien avec les travaux de la Conférence des Amériques sur les statistiques, a-t-elle ajouté.  Ainsi, grâce à un classement des activités non rémunérées, 19 pays de la région disposent aujourd’hui d’au moins une mesure sur le travail domestique de soins.  Elle a aussi mentionné un travail effectué en lien avec ONU-Femmes pour mieux comprendre les inégalités entre les sexes et la division sexuelle du travail.

La coopération est essentielle entre toutes les institutions et au sein même de la communauté des statistiques, a confirmé à son tour Mme Aija Žigure, Présidente du Bureau central des statistiques de la Lettonie et Rapporteur du Bureau de la Commission de statistique des Nations Unies.  Elle a ainsi invité les différentes institutions, comme les organes de maintien de l’ordre ou ceux qui s’occupent des personnes handicapées, à communiquer des documents officiels sur les informations qu’elles recueillent.  En Lettonie, a-t-elle précisé, le Gouvernement s’efforce de communiquer les données recueillies de façon transparente et avec des plateformes faciles d’accès.  En ce qui concerne les violences faites aux femmes, elle a recommandé de mener des études supplémentaires car les données sont globalement insuffisantes. 

Sur cette question de violence faite aux femmes, Mme Sian Philips, du Département des affaires étrangères et du commerce de l’Australie, a fait part de ce qu’a réalisé son pays, en collaboration avec le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP): 12 études ont été menées dans la région Pacifique où une femme sur trois subit des violences, souvent de la part de son partenaire.  Elle a assuré que son pays investissait dans les données dans trois domaines: genre et pauvreté, violence contre les femmes et handicaps.  Même s’il est difficile de révéler les inégalités énormes qui existent au sein des ménages, il faut essayer d’en avoir une idée précise pour relever le défi de n’abandonner personne, a-t-elle expliqué.  La représentante a aussi préconisé l’inclusion des statistiques sur les handicaps.

Mme Imelda Musana, Vice-Directrice exécutive du Bureau des statistiques de l’Ouganda, a ensuite pris la parole pour présenter son plan national lié à l’objectif de développement durable 5 et les moyens mis en place pour accélérer la production de données sur le genre.  L’Ouganda, qui fait partie des 17 pays du continent ayant ratifié la Charte africaine des statistique, a élaboré, avec ONU-Femmes, une centaine d’indicateurs prioritaires sur l’égalité entre les sexes, en se fondant sur le recensement démographique de 2014, sur des sondages réalisés sur la fertilité, le marché du travail ou la dynamique de la pauvreté.  Mais, a-t-elle souligné, on a besoin de données mises à jour, notamment en ce qui concerne les données administratives.

Comme beaucoup de participants à la discussion, la représentante du Maroc a souligné l’importance des statistiques ventilées par sexe pour dresser un état des lieux précis de la situation des femmes partout dans le monde.  « La qualité des données est tout aussi importante que leur quantité », a-t-elle ajouté, en demandant de renforcer les capacités statistiques des pays en développement.  La production d’indicateurs est en effet un défi pour les pays en développement, a enchaîné le représentant de l’Égypte.  Son pays vient d’adopter une nouvelle stratégie pour l’égalité entre les sexes, tandis que le Conseil de la femme a créé un observatoire pour les statistiques sexospécifiques.

En Iran, une coopération intersectorielle assure la mise en place d’indicateurs par genre dans les analyses statistiques.  Le Ministère des femmes a créé une base de données en ligne qui invite les femmes à s’enregistrer volontairement pour témoigner de leur parcours et éclairer ainsi les décisions à prendre.  

« La violence domestique est l’un de nos plus graves problèmes », a révélé la représentante de l’Angola, en demandant des conseils aux expertes sur les moyens de renforcer l’aide apportée aux femmes qui en sont victimes.  « Nous avons un problème similaire en Italie où un grand nombre de femmes ne reconnaissent pas les violences qui leur sont faites par leur partenaire », a répondu Mme Sabbadini.  Pour faire face à cette situation, elle a conseillé de mener des campagnes qui prennent en compte cet aspect culturel.  D’ailleurs, en Éthiopie et au Pakistan, les recensements menés en 2016 ont inclus des repères sur le genre et notamment sur les violences faites aux femmes et les violences domestiques.

Attirant l’attention sur une question qui touche particulièrement son pays, la représentante de l’Iraq a estimé qu’« ONU-Femmes devrait accorder une attention particulière aux pays qui souffrent du terrorisme ».  Le Gouvernement iraquien rencontre de grandes difficultés pour documenter les cas de violences sexuelles, d’enlèvement et de persécution des femmes et des filles dans les zones dominées par Daech.  

Revenant aux mesures prises pour améliorer les systèmes de collecte et d’analyse des données pour le suivi des progrès en matière d’égalité et d’autonomisation, la représentante de la Suisse a signalé que son pays disposait, depuis 2003, d’un système global de suivi du développement durable.  Elle a cependant regretté le manque de données de référence sur la proportion de femmes dans les gouvernements locaux.

Du côté de Cuba, le Bureau national des statistiques, avec la Fédération cubaine des femmes, collecte depuis les années 90 des données ventilées par sexe, qui sont constamment affinées.  De même, le Mexique dispose d’un centre d’excellence de production de données de base incluant la problématique l’égalité entre les sexes.

Au Sénégal, le Gouvernement expérimente avec ONU-Femmes une nouvelle méthodologie qui permet de mesurer la discrimination à l’égard des femmes.  Il mène cette année une « revue annuelle conjointe » pour évaluer les efforts accomplis en matière de données sexospécifiques.  Les Philippines se voient quant à elles dans l’obligation, au regard de la Magna Carta des femmes, de fournir des statistiques sexospécifiques ventilées.  Quant à l’Indonésie, le Ministère de la protection des enfants et de l’autonomisation des femmes, en coopération avec le Bureau des statistiques, a lancé trois publications sur le profil des femmes indonésiennes.

Y a-t-il des statistiques sur les relations entre la situation économique des femmes et la réduction de la violence domestique, pour montrer que plus les femmes se développent sur le plan économique, moins il y a de violence dans leur vie privée?  a ensuite demandé le représentant du Brésil.  Nous ne disposons pas de telles statistiques, a regretté l’experte de la CEPALC, mais nous travaillons avec la Commission de statistique de l’ONU pour harmoniser la classification des activités.  

Pour mesurer au mieux le niveau d’autonomisation économique des femmes, la représentante de l’organisation non gouvernementale WIGO a souligné l’importance de recueillir des données selon de nouveaux critères, afin de refléter la situation complète des femmes, notamment pour celles qui occupent un emploi dans le secteur informel. « La moitié des femmes du monde sont leur propre employeur, mais nous n’avons aucune statistique sur elles », a-t-elle déploré.

L’accès au financement est un autre élément qui devrait être considéré sur le plan des statistiques pour mesurer l’autonomisation des femmes.  À ce sujet, la représentante de l’organisation non gouvernementale (ONG) Fondation Microfinancia a indiqué promouvoir, grâce à des prêts, l’autonomisation économique de femmes latino-américaines en situation d’extrême pauvreté.

D’autres représentantes de la société civile ont pris la parole pour attirer l’attention sur l’importance des données sur les femmes en situation de grande vulnérabilité.  Celle de Plan International, par exemple, s’est intéressée à la réalité des adolescentes dont la voix n’est jamais entendue et dont la présence est invisible.  Les besoins spécifiques des jeunes filles ne doivent pas être oubliés à l’heure de la mise en œuvre des objectifs de développement durable, a renchéri la déléguée de l’Association mondiale des filles scouts éclaireuses.

De l’avis de l’Organisation des veuves pour l’appel à la démocratie, il faudrait aussi tenir compte du « statut marital » dans les données sur les femmes, car les veuves font très souvent l’objet de stigmatisations et de violences, notamment en milieu rural.  La représentante de l’association suédoise du caucus des LGBT a insisté, pour sa part, sur la catégorie des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT), des femmes qui restent parmi les plus vulnérables face aux exclusions, a-t-elle souligné.  Celles qui prennent des risques avec des avortements non sûrs doivent également être prises en compte dans les statistiques, car leur nombre risque d’augmenter, a averti à son tour la représentante de l’organisation IPAS en recommandant que l’ONU utilise mieux ses données sur la santé maternelle pour appuyer les objectifs de développement durable.

Résumant les appels lancés par de nombreux membres de la Commission ce matin, la représentante d’Human Rights Advocates a plaidé en faveur de statistiques ventilées et améliorées, de manière à bien tenir compte de la perspective des femmes pour remédier aux inégalités.  L’organisation Soroptimist international a recommandé aux gouvernements de reconnaître la valeur des statistiques collectées par la société civile. 

La Commission, qui entamait aujourd’hui la deuxième semaine de travaux de sa session annuelle, se réunira à nouveau en séance officielle mercredi 22 mars, à partir de 10 heures, pour examiner des projets de résolution.

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