Soixante-douzième session,
Débat de haut niveau - matin & après-midi
AG/12017

Assemblée générale: 15 ans après l’adoption de la Convention de l’ONU contre la corruption, « nous sommes sur la bonne voie »

Il est difficile d’imaginer qu’il y a encore 15 ans, aucun instrument international n’existait pour faire face à la corruption et restituer les avoirs volés, s’est exclamé le Directeur exécutif de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), à l’ouverture du débat de haut niveau organisé aujourd’hui par l’Assemblée générale pour célébrer l’adoption, en 2003, de la Convention des Nations Unies contre la corruption et le fait que « nous sommes sur la bonne voie », selon le Président de l’Assemblée. 

Depuis 2003, la majorité des pays, à commencer par les 184 États parties à la Convention, s’est dotée d’une législation sanctionnant les délits de corruption, a salué M. Yury Fedotov dans la salle du Conseil de tutelle, où se sont déroulés le débat et les deux tables rondes.  Également présent à l’ouverture, le Secrétaire général de l’ONU a noté que la réunion d’aujourd’hui tombe à point nommé pour réfléchir à la façon de mettre en œuvre l’objectif 16 du Programme de développement durable à l’horizon 2030, qui vise à lutter contre la corruption, assurer la recherche et la restitution des avoirs volés et promouvoir des institutions efficaces, ouvertes et transparentes.  Les États font leur part, a reconnu M. António Guterres, mais nous n’arriverons pas à un impact durable sans l’engagement et l’appui du monde des entreprises et des finances. 

C’est dans leur intérêt, a ajouté le Président de l’Assemblée générale, d’autant que la corruption est mauvaise pour les affaires et dissuade l’investissement.  Elle est aussi mauvaise, a poursuivi M. Miroslav Lajčák, pour les gouvernements, car elle sape les liens de confiance entre eux et leurs peuples; pour la sécurité, car elle permet aux réseaux criminels et terroristes de prospérer; et pour le développement, car les fonds qu’elle détourne sont 10 fois supérieurs à l’aide publique au développement (APD).  En effet, a noté Mme Arely Gomez, Ministre de la fonction publique du Mexique, lors du débat de haut niveau, ce fléau « ponctionne » les sociétés de 2 mille milliards de dollars par an.

Pour mettre fin au phénomène, plusieurs États ont salué le Chapitre 5 de la Convention sur le recouvrement des avoirs volés, l’un des outils clefs de la lutte contre la corruption, a souligné Mme Helena Mesquita Ribeiro, Vice-Ministre de la justice du Portugal.  Les mécanismes de recouvrement des avoirs volés qu’ils préconisent ont effectivement permis aux États-Unis de geler ou de récupérer quelque 3,5 milliards de dollars d’actifs provenant d’activités criminelles depuis 2015, s’est félicité M. James Walsh, Sous-secrétaire adjoint du « Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs ».  En Ukraine, c’est l’équivalent de 1,5 milliard de dollars détournés par la mafia que le recouvrement des avoirs volés a permis de récupérer, s’est enorgueilli, à son tour, M. Yuriy Lutsenko, Procureur général du pays.  La Suisse a restitué l’année dernière, 3,5 millions d’euros à la Tunisie et signé un accord avec le Gouvernement nigérian pour restituer 321 millions de dollars. 

Les fortes disparités entre États sont toutefois problématiques, a mis en garde M. Andrey Avestisyan, Ambassadeur extraordinaire russe pour les affaires de coopération internationale dans la lutte contre la corruption.  Il a plaidé pour l’adoption d’un instrument intergouvernemental dédié spécifiquement au recouvrement des actifs.  La confiscation des biens corrompus devrait en effet être mieux encadrée, a dit M. Francesco Viganó, juge à la Cour constitutionnelle d’Italie, ne serait-ce que pour garantir la protection des droits des personnes concernées.

Dans l’ensemble, les participants ont souligné combien la Convention a comblé un vide juridique.  Avant elle, le droit pénal chinois ne reconnaissait pas le versement de pots-de-vin comme une infraction, a déclaré Mme Guo Xiaomei, Directrice générale adjointe du Département des traités du Ministère chinois des affaires étrangères.  « On ne pouvait même pas parler de corruption », a ajouté M. Akere Muna, membre du Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique de la Commission économique pour l’Afrique (CEA).

La situation a aussi évolué grâce aux technologies de l’information et de la communication modernes, a estimé Mme Laura Alonso, Secrétaire d’État à l’éthique publique de l’Argentine: « un papier, on peut le cacher, le mettre en haut de la pile ».  Quand on a adopté la Convention, il n’y avait ni Twitter ni iPhone, a souligné, à son tour, M. Klaus Moosmayer, Chef de la conformité chez Siemens AG.  Aujourd’hui, a-t-il dit, des milliers de tweets postés au quotidien ont pour hashtag #corruption, ce qui permet de soulever plus d’affaires.  « Mais attention au revers de la médaille », a prévenu le représentant du secteur privé, mettant en garde contre la multiplication des délits de diffamation. 

Le Président de l’Assemblée générale a salué la richesse du débat, dont il a retenu la nécessité de s’adapter à la nature changeante de la corruption, de mieux analyser ses effets et de multiplier les parties prenantes à la lutte contre la corruption.  « Nous n’avons pas encore atteint nos objectifs », a déclaré M. Lajčák.  « Mais nous sommes sur la bonne voie. »

RÉUNION DE HAUT NIVEAU POUR MARQUER LE QUINZIÈME ANNIVERSAIRE DE LA CONVENTION DES NATIONS UNIES CONTRE LA CORRUPTION

Déclarations liminaires

Malheureusement, la corruption fait toujours partie de ce monde, s’est lamenté le Président de l’Assemblée générale, M. MIROSLAV LAJČÁK.  Elle est dans les pays pauvres comme dans les pays riches.  Elle est dans chaque type d’institution et elle peut toucher n’importe qui.  Le Président a voulu aller « derrière la terminologie », car on parle beaucoup de la corruption, en utilisant des mots comme transparence, régulation, responsabilité ou gouvernance.  Mais, a-t-il estimé, ces mots ne suffisent pas à traduire la réalité, celle où la corruption détruit tout sur son passage, ralentit la croissance et est tout simplement mauvaise pour tous.

La corruption, a insisté le Président, est mauvaise pour les gouvernements: elle sape les liens de confiance entre eux et le peuple, met les institutions sur les genoux et fait que les décisions et les politiques ne sont pas toujours mises en œuvre.

La corruption est mauvaise pour les affaires: plus de corruption, ça veut dire moins d’investissements.  Pourquoi, a fait observer le Président, une entreprise investirait-elle dans un pays quand les risques sont grands?  Comment peut-elle savoir si un contrat sera honoré, si les règles seront respectées, si les solutions seront là quand les choses tourneront mal?

La corruption est mauvaise pour le développement: elle détourne les fonds des gens qui en ont le plus besoin.  Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a dit le Président, a conclu que dans les pays en développement, les fonds perdus dans la corruption sont 10 fois plus élevés que le montant total de l’aide publique au développement (APD)

La corruption est mauvaise pour l’environnement: les « deals entre amis » sont derrière les plus grandes catastrophes écologiques.

La corruption est mauvaise pour la sécurité: elle permet l’épanouissement des réseaux criminels et agit comme une transfusion sanguine pour le terrorisme international.

La corruption est mauvaise pour les peuples: quand ils sont rackettés aux barrages routiers, quand un bus n’arrive pas, quand une clinique n’ouvre pas, quand les budgets sont mal gérés, quand les gens perdent leur épargne parce qu’ils ont été extorqués et quand les violations qu’ils subissent peuvent être couvertes à coup de pots-de-vin ou de faveurs.

Mais, la pire des choses, a estimé le Président, c’est peut-être le pouvoir de la corruption: son risque de contagion est immense.  Une petite infection peut gangréner un corps.

Le Président a fait le lien avec le Programme de développement durable à l’horizon 2030 dont l’objectif 16 traite spécifiquement de la lutte contre la corruption.  Mais elle n’est pas seulement liée à cet objectif.  Elle est liée à tout le Programme dont la réalisation exige des mesures concrètes.  Le Président a rappelé que c’est en 2003 que l’Assemblée générale a adopté la Convention des Nations Unies contre la corruption, « colonne vertébrale » de l’appareil onusien.  L’Assemblée a aussi décidé de commémorer la Journée internationale de la lutte contre la corruption, chaque année, en décembre. 

En 15 ans, nous avons appris une chose: la bataille contre la corruption ne se gagne pas seul.  Certes le premier rôle revient aux gouvernements et les journalistes, le secteur privé, la société civile et le milieu universitaire jouent tous leur rôle.  Mais, a prévenu le Président, la corruption ne se cantonne pas sagement à l’intérieur de ses frontières.  Les flux financiers illicites voyagent avec leurs effets destructeurs.  La lutte contre ce fléau exige donc des partenariats plus forts.  Nous avons dans nos mains le pouvoir, celui de créer une nouvelle réalité, a conclu le Président.

Le Secrétaire général de l’ONU, M. ANTÓNIO GUTERRES, a estimé que la réunion d’aujourd’hui tombe à point nommé pour réfléchir à la façon de mettre en œuvre l’objectif 16 du Programme 2030, consistant à lutter contre la corruption, assurer la recherche et la restitution des avoirs volés et promouvoir des institutions efficaces, ouvertes et transparentes.  L’ONU a un rôle crucial à jouer, a estimé le Secrétaire général.  Elle peut promouvoir les bonnes pratiques, en soutenant les commissions nationales de lutte contre la corruption, telles que la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG).

Depuis son adoption, la Convention des Nations Unies compte 184 États parties et, pendant 15 ans, elle a été le cadre international de la coopération pour renforcer la prévention et l’atténuation des risques de corruption.  Elle a contribué à empêcher le blanchiment d’argent et à stopper les flux financiers illicites.  Elle a conduit les banques étrangères à restituer les avoirs volés et elle a fait de la société civile et du secteur privé des partenaires essentiels.

Les États font leur part, a reconnu le Secrétaire général, mais nous n’arriverons pas à un impact durable sans le plein engagement et l’appui du monde des entreprises et des finances.  Il faut aussi que la société civile, la presse libre et les jeunes gens continuent à demander des comptes aux individus, aux entreprises et aux gouvernements. 

Le Secrétaire général a demandé aux États d’utiliser la Convention comme une plateforme pour mobiliser l’appui politique et populaire à la lutte contre la corruption.  Les pays africains, a-t-il affirmé, ont pris les manettes de cet agenda.  Il a donné l’exemple des efforts contre le blanchiment d’argent au Nigéria et en Tunisie.  Les gouvernements doivent joindre le geste à la parole, a-t-il insisté, leur rappelant que cette année, des millions d’électeurs se rendront aux urnes avec la lutte contre la corruption en tête.  Je lance un appel urgent pour que le leadership mondial adopte une position morale et instaure une culture d’intégrité de haut en bas, a conclu le Secrétaire général.

Il est difficile de s’imaginer, qu’il y a 15 ans, aucun instrument international n’existait contre la corruption et pour la restitution des avoirs volés, a rappelé M. YURY FEDOTOV, Directeur exécutif de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).  Aujourd’hui, presque tous les pays ont prévu des délits de corruption dans leur législation.  Ils coopèrent et se donnent une assistance juridique mutuelle.

La Convention contre la corruption, a poursuivi le Directeur exécutif, complète à juste titre celle contre la criminalité transnationale organisée et ses Protocoles ainsi que les Conventions contre la drogue et le terrorisme.  Sa mise en œuvre effective peut booster l’ensemble du Programme 2030, en particulier l’objectif 16.  La Convention est aussi appuyée par un mécanisme d’examen par les pairs qui a établi des critères et identifié les priorités et les besoins d’assistance.  Lors de son premier cycle sur la criminalisation et la coopération internationale, 181 États se sont prêtés à l’examen par les pairs.  Le second cycle sur la prévention et la restitution des avoirs est en cours.

L’examen par les pairs a fait que 89% des États parties ont adopté de nouvelles lois ou amendé celles qu’ils avaient et que 60% d’entre eux ont amélioré leur structure institutionnelle et 60% ont fait état d’une amélioration dans la coopération internationale. 

Grâce à la Conférence des États parties et à leur Groupe de travail sur le recouvrement d’avoirs, ainsi qu’à l’Initiative conjointe ONUDC-Banque mondiale, la Suisse a restitué l’année dernière, 3,5 millions d’euros à la Tunisie et signé un accord avec le Gouvernement nigérian pour restituer 321 millions de dollars. 

Ces exemples ne sont qu’une toute petite fraction des fonds perdus dans la corruption, des fonds qui auraient pu être utilisés pour construire des routes et des hôpitaux, éduquer les enfants et créer des opportunités. 

Le Directeur exécutif a conclu en demandant un appui financier au mécanisme d’examen par les pairs et un meilleur partage des données nationales sur la lutte contre la corruption.

Débat de haut niveau

Le débat a donné l’occasion aux États d’expliquer comment la Convention des Nations Unies contre la corruption a contribué aux efforts nationaux de lutte contre ce fléau mais aussi d’expliciter les difficultés liées à sa mise en œuvre.  La Fédération de Russie a par exemple jugé utile de compléter la Convention par un nouvel instrument intergouvernemental sur le recouvrement des actifs volés.

Nous traversons en ce moment une phase difficile, marquée par la méfiance des citoyens envers leurs institutions, a noté Mme ARELY GOMEZ, Ministre de la fonction publique du Mexique.  Elle a estimé que la Convention est un outil fondamental pour tenter de rétablir la confiance, à commencer par son Chapitre 2 sur la prévention de la corruption, une priorité pour lutter contre ce fléau qui « ponctionne » les sociétés de quelque 2 milliards de milliards de dollars par an.  L’une des mesures phares du Mexique a été l’amélioration de l’accès des citoyens à l’information, de sorte que le pays figure désormais en tête du classement du « Global Right to Information Rating ».  Le Mexique est également le premier pays d’Amérique latine s’agissant de l’accès aux données publiques.  L’autre mesure phare a été l’adoption d’un cadre législatif et de bonne conduite pour l’accès aux marchés publics.  Ainsi, a-t-elle précisé, le nouvel aéroport international de Mexico City a reçu plus de 400 appels d’offre.

Ces mesures nationales doivent être complétées au plan international, a estimé Mme ZOU JIAYE, membre de la Commission nationale de surveillance de la Chine.  Les États parties à la Convention doivent « resserrer les mailles du filet » car les criminels profitent trop souvent des différences, voire des incohérences, entre les systèmes juridiques et politiques d’un pays à l’autre.  Il faut donc harmoniser les règles, a-t-elle préconisé.  S’agissant de son pays, Mme Zou a estimé que tout passe par la bonne gouvernance du Comité central du Parti communiste chinois.  Ce dernier, a-t-elle affirmé, se livre à une lutte « sans précédent » contre la corruption, comme en témoignent les poursuites judiciaires contre 440 fonctionnaires entre 2012 et 2017.

C’est également par une lutte sans compromis que mon pays est passé en quelques années du statut d’État ex-soviétique corrompu à celui de « pays le plus respectueux des règles en Europe de l’Est et en Asie centrale », s’est enorgueillie Mme KHATUNA TOTLADZE, Vice-Ministre des affaires étrangères de la Géorgie. Une telle évolution a été rendue possible, a-t-elle expliquée, par l’instauration d’un conseil de coordination interinstitutions de lutte contre la corruption, la réduction des délais dans la prestation de services et le renforcement de l’efficacité des services publics.  La création de centres de services publics à guichet unique dans les grande villes, couvrant chacun jusqu’à 400 prestations différentes, ainsi que la protection des lanceurs d’alerte ont été deux facteurs importants du succès des réformes.

N’oublions pas le Chapitre 5 de la Convention sur le recouvrement des avoirs volés, a prévenu Mme HELENA MESQUITA RIBEIRO, Vice-Ministre de la justice du Portugal.  Cette disposition est selon elle l’un des outils clefs de la lutte contre la corruption, outil que son gouvernement s’efforce de promouvoir dans le cadre de son appui aux magistrats et aux procureurs spécialisés dans les pays lusophones africains et au Timor-Leste, pour aider ces derniers à mener les réformes institutionnelles nécessaires.

Les mécanismes de recouvrement des avoirs volés ont effectivement permis aux États-Unis de geler ou de récupérer quelque 3,5 milliards de dollars d’actifs générés par des activités criminelles depuis 2015, s’est félicité M. JAMES WALSH, Sous-Secrétaire adjoint du « Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs » des États-Unis.  Cette lutte contre les pots-de-vin, qui sapent la compétitivité internationale des entreprises, s’est doublée d’un effort juridique pour traduire en justice les responsables, de sorte qu’en 2017, s’est félicité M. Walsh, les États-Unis étaient le pays au monde où le plus de personnes ont été condamnées dans des affaires de corruption.

Dans le même ordre d’idées, la création en Ukraine d’un Bureau du Procureur spécialisé dans le recouvrement des avoirs volés a permis, selon M. YURIY LUTSENKO, Procureur général de l’Ukraine, de récupérer 1,5 milliard de dollars détournés par la mafia.  C’était d’autant plus important, a-t-il insisté, que la corruption permet de financer la guerre et le terrorisme sur le territoire ukrainien.  En outre, environ 1 700 fonctionnaires ont été traduits en justice et condamnés pour des faits de corruption au cours des dernières années.  Malheureusement, a regretté M. Lutsenko, la lenteur des transferts d’informations entre pays et entre agences profite aux criminels qui, en conséquence, ont toujours un temps d’avance, sans compter qu’ils se sont convertis dans les cryptomonnaies.  « La confiscation reste la meilleure réponse à la corruption », a-t-il affirmé.

Les fortes disparités entre les pays s’agissant des normes de recouvrement et de confiscation des actifs est problématique, a acquiescé M. ANDREY AVESTISYAN, Ambassadeur extraordinaire pour les affaires de coopération internationale dans la lutte contre la corruption de la Fédération de Russie.  Pour résoudre ces divergences, voire ces vides juridiques, il a plaidé pour un instrument intergouvernemental dédié au recouvrement des actifs.  Il a rappelé que son pays a accueilli, en 2015, à Saint-Pétersbourg, la Conférence des États parties à la Convention, dont il a vanté le mécanisme d’examen par les pairs, « si efficace et si pratique » qu’il devrait inspirer la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée.

La confiscation des biens corrompus devrait aussi être encadrée pour garantir la protection des droits des personnes concernées, a ajouté M. FRANCESCO VIGANÓ, juge à la Cour constitutionnelle d’Italie.  De manière générale, en tant que juge constitutionnel, M. Viganó a estimé que toute politique de lutte contre la corruption doit en premier lieu se garder de porter atteinte aux droits de l’homme.  Compte tenu de ce prérequis, il a indiqué que la criminalisation des pots-de-vin dans le secteur privé avait fait « des merveilles » en Italie, de même que la promulgation d’un nouveau Code de conduite pour les marchés publics, dans le cadre de la loi sur la transparence de la vie publique. 

À l’inverse, a déclaré M. FERNANDO CARRILLO, Ministre de la justice de la Colombie, l’Amérique latine ne parvient toujours pas à lutter efficacement contre la pandémie des pots-de-vin et de la corruption dans les marchés publics, qui privent chaque année les États de la région d’environ 5% de leur produit intérieur brut (PIB).  « La corruption est le pire ennemi de la démocratie », a-t-il déclaré, regrettant le manque de résultats de la coopération judiciaire dans la région.  Le secteur privé doit aussi s’impliquer dans cette lutte, qui doit faire bon usage des technologies de l’information et de la communication.  Or, face à une corruption « moderne et numérique », a-t-il dit, nous en sommes encore « à l’âge de pierre » dans l’échange d’informations et de preuves.

En tant que Présidente du Mécanisme de suivi de la mise en œuvre de la Convention interaméricaine contre la corruption, l’Argentine s’engage à tenter d’éliminer les doublons et les incohérences entre les pays de la région, a déclaré Mme LAURA ALONSO, Secrétaire d’État à l’éthique publique de l’Argentine.   C’est d’autant plus important que, lorsqu’elle fonctionne, la lutte contre la corruption engendre des retombées économiques énormes.  Mme Alonso a ainsi estimé que la mise en place, en Argentine, d’une nouvelle législation intégrée pour réduire la corruption avait permis au pays d’économiser 1,2 milliard de dollars ces dernières années.  Elle a souligné que le pays s’apprêtait à formuler son premier plan national de lutte contre la corruption pour les cinq prochaines années. 

En la matière, l’Argentine pourrait s’inspirer du plan d’action national adopté par le Honduras pour une gouvernance ouverte et transparente, plan qui, selon Mme MARIA DEL CARMEN NASSER SELMAN, Vice-Ministre des affaires étrangères, a été salué partout dans le monde comme un modèle à imiter.  Fort de ses 47 objectifs, le plan a permis de renforcer l’efficacité et l’intégrité des services publics, au moyen d’une plateforme interinstitutions de promotion de la transparence et de lutte contre la corruption dans tous les secteurs.  En janvier 2016, a-t-elle ajouté, le Gouvernement a approuvé la mise sur pied d’une Mission de l’Organisation des États américains (OEA) pour l’appui à la lutte contre la corruption et l’impunité au Honduras (MACCIH).

Le cycle des examens par les pairs est également un instrument clef de lutte contre la corruption, a estimé M. KAMRAN ALIYEV Aliyev, Vice-Procureur général de l’Azerbaïdjan.  En tant que l’un des 35 premiers pays à avoir ratifié la Convention en 2005, l’Azerbaïdjan vient de participer à l’examen des Chapitres 2 et 5.  Le pays, a affirmé, M. Aliyev, a radicalement modernisé son cadre juridique de lutte contre la corruption et créé une commission de lutte contre ce fléau auprès du Procureur général.

Effectivement, l’examen par les pairs a permis à mon pays de mieux mettre en conformité sa législation avec la Convention, a reconnu M. KHALID ABDULMOHSEN ALMEHAISEN, Président de la Commission anticorruption de l’Arabie saoudite, qui a signé l’instrument en 2004.  Depuis lors, le pays s’est doté d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption en 2007 ainsi que d’une autorité nationale, garante du succès de la stratégie sur le terrain.  À l’heure actuelle, a précisé le représentant, l’Arabie saoudite s’attache à mettre en œuvre toutes les recommandations formulées dans le cadre de son examen par les pairs.

Au Sri Lanka, l’ONUDC a vérifié le travail anticorruption à deux reprises, a indiqué M. SARATH JAYMANNE, Directeur général de la Commission srilankaise chargé d’enquêter sur les cas de corruption.  Il a évoqué l’arrestation de deux responsables du Gouvernement pour souligner l’indépendance et l’efficacité du travail de la Commission.  Un sommet anticorruption sera tenu en juillet avec le PNUD et « Transparency International », une nouvelle loi est aussi attendue en juillet, de même qu’une autre sur la déclaration des actifs et des avoirs.  La coopération internationale est cruciale, a conclu le Directeur général, en ajoutant, « retroussons nos manches pour arriver à nos fins ».

Au Qatar, on récompense tous les ans, à l’occasion de la Journée internationale de la lutte contre la corruption, les institutions ou les individus qui se sont distingués, a indiqué M. IBRAHIM ALI ABEL, Directeur du Département de la transparence de l’Autorité qatarie de la transparence et du contrôle administratif.  Il a insisté sur la formation des fonctionnaires et l’assistance internationale et a mis en avant la stratégie nationale pour la transparence et l’intégrité qui est en tous points conforme au Programme 2030.  Le Qatar est très bien classé dans la lutte anticorruption, a affirmé le Directeur général.

Il en va de même pour le Bahreïn, selon M. MOHAMED JASIM MOHAMED ALI ALKHEDRI qui a parlé de la politique nationale fondée sur des piliers comme la crédibilité et la transparence.  Nous voulons aussi former correctement le personnel adéquat et aller plus loin dans la conformité des textes avec la Convention.

Le lien entre la Convention et le Programme 2030 a été souligné, une nouvelle fois, par M. RUBÉN ARMANDO ESCALANTE HASBÚN (El Salvador) dont le pays est, depuis 1999, État partie à la Convention américaine contre la corruption et, depuis 2004, à la Convention des Nations Unies.  Le Salvador, a-t-il expliqué, a modifié le fonctionnement de son Parquet général, de sa Cour des comptes et des autres organes pertinents de son appareil juridique.  Une « loi d’accès à l’information publique » a aussi été votée en 2011, laquelle est un outil important pour la transparence.  Aussi plus de 35 273 demandes d’informations ont-elles été enregistrées entre 2016 et 2017.  Une « loi relative au recouvrement » a aussi été adoptée.

La mise en œuvre au niveau national de la Convention est plus importante que jamais, a insisté M. JORGE SKINNER-KLEÉ ARENALES (Guatemala) dont le pays a beaucoup bénéficié de l’assistance internationale pour lutter contre la corruption, le blanchiment d’argent, le trafic de drogue et la criminalité organisée.  Un cadre international comme la Convention est un bon outil pour améliorer la gouvernance mondiale, a acquiescé Mme PATRICIA ANN TORSNEY, Observateur permanent de l’Union interparlementaire (UIP).  Les parlements, a-t-il voulu, doivent user de leur pouvoir pour promouvoir la transparence et le principe de responsabilité.  « Nous continuerons à agir pour renforcer notre union interparlementaire car les parlements doivent être les parangons de la lutte anticorruption. »

Table ronde: « 15 ans de mise en œuvre de la Convention des Nations Unies contre la corruption: tendances, succès et défis »

La Convention des Nations Unies contre la corruption a contribué à battre en brèche l’omerta qui régnait jusqu’ici autour de cette question, s’est félicité M. JOHN BRANDOLINO, Modérateur et Directeur de la Division des questions liées aux traités de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), avant d’inviter les panélistes à dégager les principaux succès et défis rencontrés dans la lutte contre la corruption.

Lorsque mon pays a ratifié la Convention en 2004, a déclaré Mme LAURA CODRUTA KOVESI, Procureur en chef de la Direction nationale de lutte contre la corruption de la Roumanie, la corruption était devenue un problème endémique.  Aujourd’hui, a-t-elle poursuivi, la Roumanie est devenue un modèle et ce succès n’a pu être obtenu que grâce à une législation nationale en harmonie avec les principes de la Convention, à l’indépendance de la justice et à la nomination d’un procureur chargé exclusivement de la lutte contre la corruption.

Quelque chose de très similaire s’est produit en Chine, où la Convention est venue combler les lacunes du droit pénal, a déclaré Mme GUO XIAOMEI, Directrice générale adjointe du Département des traités et du droit du Ministère des affaires étrangères de la Chine.  Avant que la Chine ne devienne partie à la Convention, le droit chinois ne reconnaissait pas le versement de pots-de-vin comme une infraction. 

« Autrefois on ne pouvait même pas parler de corruption », a ajouté M. AKERE MUNA, membre du Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique de la Commission économique pour l’Afrique (CEA).  Aujourd’hui, l’un des plus grands défis dans la mise en œuvre de la Convention est de bien utiliser les actifs recouvrés, ce qui est « essentiel » pour le continent africain.

« L’indifférence est le plus grand problème dans la lutte contre la corruption », a souligné Mme HUGUETTE LABELLO, membre du Conseil d’administration de l’ONG « Transparency International ».  Cette indifférence, a-t-elle ajouté, fait que les criminels parviennent à cacher les revenus de leurs crimes, puis à les réinjecter dans l’économie formelle, à tel point que dans certaines villes, les habitants ne peuvent même plus devenir propriétaires, car l’intégralité des biens immeubles a été rachetée pour blanchir des fonds illicites. S’il existe bien des cadres législatifs pour lutter contre cette corruption, Mme Labello s’est néanmoins inquiétée du rétrécissement de la marge de manœuvre de la société civile et de la presse, « instruments clefs » s’il en est de la lutte contre la corruption.  Nous risquons de « reculer » a prévenu la représentante.

Table ronde: « Édifier des sociétés ouvertes en prévenant et combattant la corruption »

Le thème de la table ronde a rendu les États Membres prolixes. Plusieurs points ont été soulevés dont les progrès technologiques réalisés en 15 ans, tantôt dénoncés comme facteurs de corruption, tantôt loués pour leur impact sur la révélation des scandales financiers.  Le numérique serait même, selon certains, un gage de transparence alors que les systèmes bureaucratiques basés sur le papier seraient « les meilleurs amis de la corruption ».  Un papier, on peut le cacher, le mettre en haut de la pile, a ironisé Mme LAURA ALONSO, Secrétaire d’État à l’éthique publique, à la transparence et à la lutte contre la corruption de l’Argentine.  La numérisation des systèmes serait donc un gage de probité.

Adhérer à la Convention, c’est, selon les États parties, souscrire à des engagements variés, à savoir développer des institutions efficaces, adopter des mesures de prévention, mettre en place des systèmes de justice équitables ou encore recouvrer les avoirs volés, a rappelé Mme SIMONE MONASEBIAN, Directrice de la liaison newyorkaise d’ONUDC et Modératrice de la table ronde.

Il n’est pas nécessaire « d’avoir le type mafieux » pour devenir un maillon de la corruption rampante, a fait remarquer M. RAFFAELE PICCIRILLO, Directeur du Département des affaires judiciaires au Ministère italien de la justice.  Le spécialiste s’est concentré sur la corrélation entre criminalité organisée et corruption, en rappelant que le mal concerne aussi les fonctionnaires les plus ordinaires.  Les organisations mafieuses, a-t-il prévenu, ont infiltré le monde des entreprises, les institutions.  En Italie, les groupes criminels sont sophistiqués et le pouvoir qu’ils ont conquis grâce à la peur qu’ils génèrent se nourrit lui-même du consensus social.  Les mafias offrent en effet des emplois à la population.  Elles infiltrent la fonction publique, font élire leurs représentants dans les communautés locales et bloquent les réformes.

Le problème de l’obstruction bureaucratique a été soulevé par J.C. WELIAMUNA, Directeur de l’Équipe de travail présidentiel sur le recouvrement de biens au Sri Lanka.  La seule manière de forcer ce verrou c’est de se doter d’un « leadership courageux ».  M. Weliamuna a mis en lumière le décalage, dans de nombreux pays où l’on voit des lois archaïques datant du XIXe siècle et inefficaces dans un monde interconnecté. « Parfois, le monde judiciaire ne comprend même pas le crime financier qu’il doit combattre », a-t-il avoué.

L’innovation technologique a d’ailleurs été le thème de l’intervention de M. KLAUS MOOSMAYER, Directeur de la vérification de la conformité à Siemens AG et Chef de l’Organisme de conformité et de déontologie à Global Siemens.  M. Moosmayer a rappelé qu’à l’époque de l’adoption de la Convention, ni twitter ni l’Iphone n’existait.  « Aujourd’hui, deux milliards de personnes échangent des messages instantanés ».  Des milliers de tweets par jour ont pour hashtag la corruption, ce qui peut donner une impression de corruption foisonnante car, en effet, plus d’affaires sont démasquées.  Mais attention au revers de la médaille: la multiplication des délits de diffamation. 

Multinationale employant plus de 380 000 personnes presque partout dans le monde, Siemens a elle-même été touchée par un énorme scandale de corruption il y a plus de 10 ans.  « Est-ce qu’on est parfait chez Siemens?  Non, a répondu M. Moosmayer.  Est-ce qu’on peut l’être?  Non mais je pense, a-t-il affirmé, qu’on peut devenir une référence en mettant en place un nouveau système, en travaillant avec la société civile, en instaurant le dialogue et en récompensant les entreprises qui détectent la corruption.  « Le monde des affaires est prêt à devenir un partenaire », s’est réjoui le Président de l’Assemblée générale, MIROSLAV LAJČÁK dans ses remarques de clôture.

Dans le même sens, la représentante de la Belgique a annoncé la publication par son pays d’un guide exhaustif contre la corruption, à destination des entreprises belges installées à l’étranger.  Mais, on doit se poser la question, a nuancé la Secrétaire d’État à la lutte contre la corruption de l’Argentine.  Pourquoi, malgré tous les efforts de la société civile pour freiner la corruption, les gouvernements continuent de perdre leur crédibilité?  Comme d’ailleurs d’autres secteurs: la presse, le monde des entreprises, les syndicats.  C’est un obstacle, a-t-elle souligné.  C’en est un mais certains fonctionnaires ou élus « pensent trop souvent que l’argent public est à prendre », a rappelé M. FERNANDO CARRILLO, Inspecteur général en Colombie.

La corruption, a-t-il insisté, c’est aussi grave que le trafic de drogue ou les guérillas.  La Colombie a d’ailleurs adopté un code de recouvrement des biens inspiré de la lutte contre le trafic de drogue. 

Renforcer les lois, a-t-il poursuivi, c’est nécessaire mais ce n’est suffisant.  Il faut surtout renforcer les institutions: une justice autonome face au pouvoir traditionnel, une presse véritablement libre, des témoins bien protégés et une coopération judiciaire renforcée.

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