Dix-septième session,
5e & 6e séances – matin & après-midi
DH/5389

L’Instance permanente contemple le tableau « sombre et insoutenable » des défenseurs des droits autochtones

Les organisations autochtones ont peint, aujourd’hui, en couleurs sombres le tableau des défenseurs de leurs droits de l’homme, profitant de la troisième journée de travaux de l’Instance permanente sur les questions autochtones pour tirer la sonnette d’alarme.

L’Instance, qui a choisi pour thème cette année « Les droits collectifs des peuples autochtones sur leurs terres, leurs territoires et leurs ressources », a structuré la séance d’aujourd’hui autour d’un dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes autochtones, Mme Victoria Tauli-Corpuz, et le Président du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, M. Albert Barume.

Situation « insoutenable » des Touaregs au Maroc et en Algérie, violences subies par les militants de Standing Rock ou incarcération des défenseurs des droits de l’homme au Guatemala n’ont cessé d’être décriées au cours des débats.

« Dans notre région, personne n’a le courage de dénoncer les actes de représailles par peur d’en devenir victime », a indiqué l’Ogaden Youth and Students Union qui a attiré l’attention sur les « cas terribles » d’intimidation par des pays comme l’Éthiopie, même ici dans l’enceinte de l’ONU.  Les participants au débat se sont émus du harcèlement subi par la Rapporteuse spéciale qui a avoué ne pas avoir été préparée à être elle-même accusée de terrorisme par son gouvernement.

Le Sous-Secrétaire général aux droits de l'homme, M. Andrew Gilmour, a confirmé la tendance « alarmante » des gouvernements à traiter les défenseurs des droits autochtones comme des terroristes.  People of Long House a averti que chaque nouvelle loi sur la lutte contre le terrorisme adoptée au Canada réduit toujours plus la capacité des autochtones à protéger leurs terres et territoires.

« Les États ont beaucoup d’imagination quand il s’agit de trouver des excuses à leurs actions », a ironisé Mme Lourdes Tiban Guala, membre de l’Instance.  Les organisations autochtones ont dénoncé le mépris pour leur sort que constituent les mégaprojets hydroélectriques, ferroviaires ou encore l’ouverture à l’extraction minière, par l’Administration Trump, de dizaines de milliers d’hectares de terres sacrées qui avaient été réservées, par le Président Obama, au Monument national de Bears Ears, dans l’Utah.

Mme Tauli-Corpuz, membre de l’Instance, a aussi estimé que le financement climatique est une arme à double tranchant pour les peuples autochtones, car il peut menacer leurs droits, comme en témoigne la construction des barrages hydroélectriques pour la production d’énergies renouvelables.

Le meurtre, au Honduras, de Berta Cáceres, qui militait contre la construction d’un barrage, a permis à la Rapporteuse spéciale de mettre en lumière les liens directs entre la corruption, collusion entre l’État et les multinationales et violations « les plus atroces » des droits des peuples autochtones.  Elle s’est alarmée de voir de plus en plus d’agents de sécurité, employés par ces multinationales, jouer les policiers.

Ces agents de sécurité sont restés bien vissés au banc des accusés.  Le Président-Rapporteur du Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires, M. Gabor Rona, a dénoncé leurs « coups, torture, viols, arrestations arbitraires et meurtres » qui alimentent la peur parmi les populations autochtones et nourrit la méfiance entre ces derniers et leur gouvernement.

Le Conseiller spécial sur le génocide a jugé plus que jamais urgent d’avoir une discussion objective sur la collusion entre gouvernements et multinationales, notant que le problème découle aussi du fléau de la corruption.  Le Président du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, M. Albert Barume, a fixé un rendez-vous du 9 au 13 juillet, à Genève, exhortant les jeunes à « poursuivre la lutte de leurs ainés ».

L’Instance poursuivra ses travaux demain, jeudi 19 avril, à partir de 10 heures.

INSTANCE PERMANENTE SUR LES QUESTIONS AUTOCHTONES

Dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur les droits des peuples autochtones et le Président du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones

Mme VICTORIA TAULI-CORPUZ, Rapporteuse spéciale sur les droits des peuples autochtones, a averti que les menaces contre les défenseurs des droits des personnes autochtones sont en hausse, la militarisation des terres ancestrales se poursuit et les autochtones continuent d’être dépossédés de leurs terres, sans oublier les cas systématiques de violations et de déni des droits.

Elle a souligné que la relation que les autochtones entretiennent avec leurs terres est ce qui les distingue des autres segments de la société.  Le fait qu’ils soient déplacés provoque une souffrance physique, mentale et spirituelle, raison pour laquelle la question du respect des droits à leurs terres figure au cœur de la lutte des communautés autochtones.  Elle a également souligné qu’un défi notable découle du fait que la majorité des systèmes juridiques et administratifs ne reconnaît que les droits individuels et pas les droits collectifs.

La Rapporteuse a ensuite parlé de l’impact des changements climatiques sur les communautés autochtones, évoquant une situation alarmante qui mérite, selon elle, une plus grande attention, qu’il s’agisse de la fonte des glaciers chez les Inuits de l’Arctique ou de la montée du niveau des océans dans les îles du Pacifique.  La survie de ces peuples dépend des écosystèmes qui les entourent et ils sont donc moins résilients à l’impacts des changements climatiques.  Il n’en demeure pas moins, a-t-elle ajouté, que le savoir traditionnel est essentiel à la lutte contre ce phénomène, un fait d’ailleurs reconnu par l’Accord de Paris.  Elle a recommandé la création d’une plateforme pour l’échange des pratiques optimales en matière d’atténuation de l’impact des changements climatiques.

Mme Tauli-Corpuz a aussi averti que le financement climatique est une arme à double tranchant pour les peuples autochtones.  S’il est effectivement porteur de potentiel pour les aider à s’adapter, il peut aussi menacer leurs droits, a-t-elle indiqué, pointant notamment la construction des barrages hydroélectriques pour la production d’énergies renouvelables.  Il est essentiel d’examiner de plus près ces projets, a-t-elle souligné.

Elle a dit s’être rendue au Mexique, à l’invitation du Gouvernement, et a affirmé qu’en dépit des progrès, il y a toujours un schéma « grave » d’exclusion des autochtones qui demeurent surreprésentés parmi les plus pauvres.  Au titre des bonnes pratiques, elle a cité l’article 2 de la Constitution mexicaine qui reconnaît les droits des peuples autochtones et le fait qu’ils peuvent participer pleinement à la vie du pays, citant notamment leur présence sur les listes électorales.  Elle a ensuite annoncé qu’elle se rendra prochainement au Guatemala, avant d’appeler les États d’Afrique et d’Asie à l’inviter également.  Elle s’est aussi inquiétée de ce que certaines de ses lettres relayant les préoccupations sur la situation des peuples autochtones dans certains pays soient restées sans réponse.

Au cours de cette année, la Rapporteuse a annoncé qu’elle soulèvera le problème qui consiste à qualifier de criminels les défenseurs des droits de l’homme.  Elle a avoué ne pas avoir été préparée à être elle-même accusée de terrorisme par son gouvernement et a indiqué qu’elle utilisera sa propre expérience pour tirer la sonnette d’alarme.  Elle a aussi fait observer qu’accuser les dirigeants autochtones spirituels ou traditionnels d’être des criminels peut avoir un impact notable sur l’ensemble de la communauté.

M. ADAMA DIENG, Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention du génocide, s’est dit conscient de la vulnérabilité des peuples autochtones, soulignant que la prévention du génocide est pertinente lorsque l’on parle de la situation des autochtones dans le monde.

Il a exhorté tous les États Membres à respecter leurs obligations au titre du droit international, évoquant notamment la Convention 169 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et la Déclaration universelle sur les droits des peuples autochtones de 2007.  Il a aussi appelé à la pleine mise en œuvre du principe de consentement libre et éclairé.  La protection des peuples autochtones est une responsabilité fondamentale des États, a-t-il dit.

Le Conseiller a ensuite souligné que prévenir les incitations à la violence est au cœur de la responsabilité de protéger et de la lutte des autochtones pour la défense de leurs droits.  Il a appelé à des politiques et mécanismes contre les menaces et a encouragé les États à se montrer « dynamiques » dans l’élaboration ou le renforcement des mécanismes de protection des droits des autochtones.  Les États doivent aussi mener une évaluation régulière des risques et élaborer des mécanismes de réponses adaptées lorsque les risques sont identifiés.

En plus du pouvoir exécutif, a-t-il enchaîné, toutes les institutions nationales peuvent agir pour identifier et réduire les risques, notamment les parlements, les organismes de défense des droits et les citoyens.  Les parlements peuvent notamment réfléchir à des stratégies d’élimination ou d’atténuation des risques.  La mise en place de mécanismes efficaces d’alerte précoce nécessite une analyse approfondie des facteurs de risques.  Mon Bureau, a dit le Conseiller, a déjà élaboré un guide pour l’identification des risques de génocide. 

M. Dieng a aussi indiqué que son Bureau avait examiné de manière approfondie la situation dans les Amériques, grâce à un questionnaire pour identifier les principaux défis et les pratiques optimales en matière de protection des droits des personnes autochtones.  Les résultats permettront de mieux cibler l’assistance technique et de créer des systèmes d’appui bilatéral, a-t-il expliqué, soulignant que les cadres normatifs et les discours ne sauraient suffire.  « Ce qui compte c’est l’action. »

M. ANDREW GILMOUR, Sous-Secrétaire général aux droits de l'homme, s’est inquiété des lacunes constatées dans la mise en œuvre de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones.  Il a voulu que l’on se penche sur la situation de ces peuples dont la vie risque d’être dévastée par des projets mal conçus.  Il faut veiller au bien-être de la société tout entière et non aux profits récoltés par certains individus.  Les défenseurs des droits autochtones sont souvent en première ligne de ce conflit, a-t-il fait observer.

Il a dénoncé la multiplication les actes de représailles et d’intimidation contre les peuples autochtones et a appelé les victimes à saisir son Bureau reprisals@ohchr.org.  Il a plaidé pour que la situation des autochtones victimes de violations figure dans le rapport du Secrétaire général sur les représailles.

La Rapporteuse spéciale a elle-même été honteusement vilipendée par son propre gouvernement, a-t-il dénoncé, s’inquiétant du fait que son cas illustre une tendance « alarmante » des gouvernements.  C’est une logique « tordue » qui fait penser au roman 1984 de George Orwell.  Il faut se mobiliser contre ce phénomène, a-t-il tonné.

Dialogue interactif

Au cours de ce dialogue avec les panélistes, les organisations autochtones ont dressé un sombre tableau de la situation des défenseurs des droits de l’homme, à l’instar du Congrès mondial amazigh qui a décrit une situation « insoutenable », où « l’impunité est la règle ».  Au Maroc, une personne a été broyée par une benne à ordures, plus de 300 militants sont incarcérés sans que l’on sache quoi que ce soit de leur sort et les leaders du Mouvement du Rif ont été condamnés à de lourdes peines.  La situation n’est pas meilleure en Algérie, a indiqué le Congrès qui a parlé de persécutions et de harcèlements, de refus d’octroyer passeports ou documents administratifs.  Les actes racistes contre les Amazighs se multiplient, même dans les institutions publiques.  Quarante-cinq Touaregs ont été tués l’an dernier tout simplement parce qu’ils étaient des Touaregs et de nombreux autres sont accusés de terrorisme.

« Dans notre région, personne n’a le courage de dénoncer les actes de représailles par peur d’en devenir victime », a indiqué, à son tour, l’Ogaden Youth and Students Union qui a attiré l’attention sur les « cas terribles » d’intimidation commis par des pays comme l’Éthiopie et parlé de villages entiers détruits et du harcèlement des autochtones dans l’enceinte même de l’ONU.

Les participants au débat se sont également émue du harcèlement subi par la Rapporteuse spéciale elle-même qui a avoué qu’elle n’était qu’une parmi les nombreux autochtones accusés de tels crimes.  Elle est revenue, pour la dénoncer, à la tendance à traiter les défenseurs des droits autochtones comme des terroristes.  Ce problème sera abordé dans mon prochain rapport, a-t-elle confirmé, avant que People of Long House ne dénonce, à son tour, les actes de représailles que fait subir le Canada aux défenseurs des droits autochtones, s’alarmant de ce que chaque nouvelle loi de lutte contre le terrorisme réduit encore plus leurs capacités à protéger leurs terres et territoires.

« Les États ont beaucoup d’imagination quand il s’agit de trouver des excuses à leurs actions et de les justifier », a ironisé, Mme Lourdes Tiban Guala, membre de l’Instance.  Après le terrorisme, nous sommes maintenant accusés d’association illégale car, visiblement, même nos modes d’organisation sociale sont une menace pour un État qui perçoit la réunion de quelque quatre ou cinq personnes comme un danger.

L’International Indian Treaty Council a d’ailleurs attiré l’attention sur le cas d’un militant qui a reçu une balle en plein visage à Standing Rock.  Il s’est aussi attardé sur le cas de Leonard Peltier, un des 30 000 autochtones actuellement incarcérés aux États-Unis, à qui on aurait refusé l’accès à un traitement médical.  Leonard Peltier a plaidé la clémence mais il n’y a pas de mécanisme pour examiner les demandes de clémence des défenseurs des droits de l’homme.  « Insinuer qu’une personne peut être incarcérée à cause de ses origines est tout simplement faux », se sont indignés les États-Unis qui ont rappelé que Leonard Peltier est incarcéré pour le meurtre de deux agents du FBI, et que ses demandes de clémence ont été rejetées par les Présidents Bush et Obama.

La Rapporteuse spéciale a raconté le meurtre, au Honduras, de Berta Cáceres, qui militait contre la construction d’un barrage.  Les rapports sur cette affaire ont permis de faire la lumière sur les liens directs entre la corruption, collusion entre l’État et les entreprises et violations « les plus atroces » des droits des peuples autochtones.  Les rapports ont aussi établi que ce sont bien les agents de sécurité de l’entreprise concernés qui ont assassiné la militante.  Elle s’est alarmée de voir de plus en plus d’agents de sécurité jouer les policiers après leur travail, ce qui engendre de nombreuses violations du droit international.

Le Conseiller spécial sur le génocide s’est lui aussi inquiété des nombreux cas d’exécution sommaire d’autochtones et a jugé plus que jamais essentiel d’avoir une discussion objective sur la collusion entre gouvernements et entreprises, notant que le problème découle aussi du fléau de la corruption.  Souvent ces meurtres sont liés non pas au fait qu’un gouvernement cherche à saisir des terres, mais qu’un représentant ou élu local, en complicité avec une entreprise, a des vues sur des terres.  Il a aussi prédit que la mainmise des multinationales sur les terres autochtones deviendra le problème de l’avenir.

Illustrant ces propres, le Peuple isolé Univata, a rappelé le massacre, l’an dernier, de la tribu des « archers » commis par des mineurs illégaux.  Quelque 5 000 mineurs viennent d’envahir les terres d’un autre groupe et des cas similaires se multiplient avec l’appui des élus locaux.  Il a d’ailleurs appelé l’Instance à répondre à la grande vulnérabilité des 114 peuples autochtones isolés volontairement Brésil, d’autant plus que le Gouvernement brésilien a affaibli l’organe chargé de leur protection.

La question de la dépossession et la spoliation des terres et territoires autochtones a été soulevée à plusieurs reprises au cours du dialogue avec la Rapporteuse spéciale.  La Coordinacion y Convergencia Maya a accusé le Gouvernement guatémaltèque de cherche à « oublier » la Convention 169 de l’OIT, qui met l’accent sur des consultations de bonne foi avant de donner le go aux activités extractives.  « On ne peut prétendre qu’il y a eu dialogue quand la décision a déjà été prise », s’est-il indigné.  La Bolivie aussi a été accusée de ne pas respecter le principe de consentement libre et éclairé par la Mancomunidad de Comunidades Rio Beni, Quiquibey y Tuichi qui a dénoncé les mégaprojets hydroélectriques prévus dans l’Amazonie risquant d’inonder 48 communautés autochtones et paysannes et de détruire des zones protégées.

L’Organisation des jeunes samis de Finlande a invité la Rapporteuse spéciale à se rendre dans la région polaire pour se rendre compte de l’impact néfaste d’un projet de construction de ligne de chemin de fer qui risque de couper en deux les terres de chasse et de pâturage des Samis.  Le Gouvernement finlandais ne nous a pas consultés et aucun avantage économique ne découlera de ce projet, a estimé l’organisation qui a averti que ceux qui perdraient l’accès à leur terre risquent de se suicider.  Enfin, l’Utah Diné Bikéyah a averti que des dizaines de milliers d’hectares de terres sacrées sont menacées de destruction et de contamination aux États-Unis depuis que l’Administration Trump a réduit de 85% les 1,35 million d’hectares que le Président Obama avait réservés pour la création du Monument national de Bears Ears, dans l’Utah.

La Rapporteuse spéciale a jugé cette évolution d’autant plus déplorable que selon le projet de l’Administration Obama, les communautés autochtones devaient être les cogestionnaires de cette zone. Cette bonne nouvelle aura été de bien courte durée, a-t-elle regretté, avant d’appeler l’Administration actuelle à protéger ces territoires de l’extraction minière. « On considère le consentement libre et éclairé comme un droit à part alors qu’il est lié à la manière dont sont rédigées les lois sur les droits des autochtones », a-t-elle souligné, insistant sur l’importance, pour les communautés autochtones, d’avoir leur propre protocole de développement pour rendre le travail plus efficace.

Elle a aussi indiqué qu’elle compte, parmi ses prochains projets, attirer l’attention sur le fait qu’outre la spoliation, certaines terres autochtones sont tout simplement déclarées illégales, rendant leur culture impossible, un problème auquel s’ajoute la prétendue illégalité de certaines pratiques coutumières.  La Commission nationale des droits de l’homme des Philippines a soutenu la Rapporteuse spéciale, précisant que le Président philippin a mis un terme aux activités de certaines entreprises minières qui avaient eu un impact néfaste sur les communautés autochtones.  Les États-Unis ont en revanche rejeté plusieurs recommandations que la Rapporteuse spéciale leur a faites. 

Après avoir demandé à cette dernière de suivre l’évolution du différend qui oppose les communautés autochtones de l’Équateur à l’entreprise Chevron, le Grand Chief Wilton Littlechild a soulevé une question culturelle, au nom de la Coalition des peuples autochtones.  Il a indiqué que la Commission vérité et réconciliation du Canada avait conclu que la politique des écoles était un acte de « génocide culturel ».  Face au refus du pape François de commenter cette question, il a voulu savoir si le Conseiller spécial pourrait envisager d’étudier ce thème.  Ce type de problèmes, a commenté pour sa part Te karu a Te Ika Voyaging Trust, découle de la doctrine de la découverte qui consacre le contrôle sur la vie et les biens des autochtones.  Il faut arrêter de célébrer les invasions coloniales car il s’agit en réalité de la mainmise d’un peuple sur un autre.  Il faut, s’est-il emporté, déboulonner toutes les statues édifiées pour honorer les colons.  People of Long House a d’ailleurs réclamé une étude sur l’impact du colonialisme sur les peuples autochtones du Canada, évoquant les problèmes liés aux espèces envahissantes découlant par exemple de la production du sirop d’érable.

Le Caucus Amazigh a voulu que l’on multiplie les visites sur le terrain.  Elle a noté que le consentement préalable des États est une violation du droit à l’autodétermination des peuples autochtones.  Nous travaillons à titre volontaire, a dit la Rapporteuse spéciale, en parlant de ses collègues du système des droits de l’homme de l’ONU.  Nous dépendons donc des invitations officielles des gouvernements.  À l’instar de Mme Lourdes Tiban Guala, membre de l’Instance, la Rapporteuse spéciale a en revanche appelé l’Instance permanente à envisager la création d’un fonds pour le défraiement des frais de voyage des représentants de communautés autochtones.  Ces déplacements sont actuellement financés par les gouvernements ce qui peut engendrer une certaine influence voire des pressions.

Parmi les États Membres, le Canada a reconnu la nécessité de transformer les structures gouvernementales pour mieux protéger les défenseurs des droits autochtones.  La Fédération de Russie a affirmé que ses communautés autochtones du nord ont acquis de nouvelles protections qui ont permis d’améliorer leur niveau de vie.  Aujourd’hui, 23% est consacré aux activités économiques traditionnelles.  Le Chili s’est enorgueilli de ce que 280 000 hectares ont été restitués aux communautés autochtones, se dit fier également du projet de loi sur la création d’un conseil des peuples autochtones et d’une commission chargée de régler la situation en Araucanie.

Dialogue avec le Président du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones

M. ALBERT K. BARUME, Président du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, a rappelé que le Mécanisme a tenu sa dixième session à Genève en juillet 2017 avec la participation de 50 États Membres et près de 150 représentants des peuples autochtones, d’organisations de la société civile, d’institutions des droits de l’homme et d’universités.  Deux rapports ont été adoptés, a-t-il indiqué, l’un sur les pratiques optimales et les défis rencontrés par les peuples autochtones pour créer des entreprises et obtenir les financements, et l’autre sur les 10 ans de mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones.

Le premier rapport est parti du postulat que les peuples autochtones avaient une économie et un commerce viables bien avant la colonisation et l’occupation de leurs terres.  L’autonomie économique, réclamée aujourd’hui par les peuples autochtones, n’est pas un objectif en soi mais un moyen de vivre dignement.  Le Président du Mécanisme s’est élevé contre « les préjugés » sur des peuples autochtones qui ne sauraient rien de la gestion des affaires, soupçonnant une volonté de les priver de financements.  Il faut espérer, a dit le Président, que le rapport inspirera et guidera États et autorités publiques pour soutenir les peuples autochtones et, partant, rétablir leur droit à la prise de décisions et pour mettre en place des stratégies et programmes économiques.  

Quant au second rapport, a-t-il poursuivi, il a pour objectif d’éclairer sur la mise en œuvre de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones.  Il a également évoqué différentes missions que le Mécanisme a effectuées dans des pays tels que la Finlande, le Kenya ou le Mexique.  Cette approche « constructive » menée sur le terrain pour donner des conseils techniques et faire de la médiation entre les communautés autochtones et les États a été rendue possible grâce au nouveau mandat du Mécanisme, s’est félicité le Président qui a fixé un rendez-vous aux participants à la prochaine session prévue du 9 au 13 juillet à Genève.  Le Président a conclu par un message aux jeunes présents ici dans cette salle ou à travers les réseaux sociaux.  « Ils doivent poursuivent la lutte de leurs ainés. »

M. GABOR RONA, Président-Rapporteur du Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, a indiqué que son Groupe de travail a évalué le rôle des entreprises de l’industrie extractive et son impact sur les droits de l’homme, y compris le droit à l'autodétermination des autochtones.  Très souvent, a-t-il dit, les multinationales opèrent dans les pays les moins avancés ou dans des régions où le pouvoir de l’État est faible et la corruption endémique.  L’appât des ressources naturelles y demeure un facteur majeur de déclenchement, d’escalade ou de maintien des conflits.  Le recours par les multinationales de sociétés paramilitaires et de sécurité privées alimente souvent l’insécurité et porte atteinte au droit à l’autodétermination des populations locales.

La présence de ces forces peut en effet exacerber le déséquilibre dans les relations entre le pouvoir et les populations locales et faire obstacle à la réalisation des droits collectifs des peuples autochtones sur leurs terres et leurs ressources.  Le Groupe s’est alarmé des violations répétées des droits de l’homme commises par ces sociétés paramilitaires.  Il a dénoncé le recours injustifiable et excessif à la force, les privations de liberté et les menaces qui sont utilisées comme mesures de représailles contre les locaux quand ils revendiquent leurs droits de parole et d’association pour s’opposer aux projets et défendre leurs terres et leurs ressources.  Le Président du Groupe de travail a accusé ces personnels de « coups, torture, viols, arrestations arbitraires et meurtres ».  L’impunité dont il jouit alimente la peur au sein des populations locales.  Des efforts ont été faits pour identifier les obligations légales et les bonnes pratiques mais le Groupe a appelé à une réglementation internationale « solide ».  Certes, a reconnu le Président, nous n’obtiendrons pas systématiquement réparation mais au moins notre action aura le mérite d’alerter le monde.

M. BINOTA DHAMAI, Président du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les peuples autochtones du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, a déclaré qu’au cours de ces 33 dernières années, le Fonds avait appuyé la participation de plus de 2 000 femmes, hommes, jeunes, aînés issus des communauté autochtones aux mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies et a contribué à une évolution importante sur les questions autochtones.  Le Fonds a alloué des ressources pour renforcer les capacités des peuples autochtones de contribuer aux réunions.  Cependant, a-t-il averti, l’incertitude entourant les futures contributions risque d’avoir une incidence sur l’exécution du mandat du Fonds.  L’élargissement de ce mandat a créé de nouvelles opportunités pour les peuples autochtones mais il a aussi entraîné une demande croissante de soutien.  Le Président a donc lancé un appel aux États Membres pour qu’ils « nous soutiennent dans notre action » d’aide aux peuples autochtones.

Dialogue interactif

Au nom des pays nordiques, la Finlande a reconnu que les défenseurs des communautés autochtones sont particulièrement vulnérables à la violence.  Elle s’est dite préoccupée par les menaces contre la Rapporteuse spéciale, lui réaffirmant « son appui sans faille ainsi qu’aux autres mécanismes ».  Indigenous people du Queesnland a aussi exprimé sa solidarité avec la Rapporteuse spéciale, s’alarmant de la voir figurer sur « la liste noire » aux Philippines.  La Rapporteuse spéciale n’est pas inscrite sur la liste en sa qualité de Rapporteuse, ont expliqué les Philippines, mais parce qu’elle fait partie du « Parti communiste philippin-Nouvelle armée populaire » qui est une organisation terroriste, selon

les lois en vigueur.  La Rapporteuse a tout le loisir de saisir les tribunaux ou de présenter les preuves de son non-appartenance au « Parti communiste ».  D’un point de vue juridique, ce n’est pas à elle de prouver son innocence mais au Gouvernement d’étayer ses accusations, a rappelé le Président du Mécanisme d’experts, appuyé par la Rapporteuse spéciale qui a ajouté qu’il s’agit de « sécurité, de la mienne et de celle de mes homologues ».

C’est l’insécurité qui prévaut à la frontière entre la Colombie et son territoire qui a plutôt préoccupé l’Équateur, craignant pour ses communautés autochtones.  Il a proposé à l’Instance de dépêcher dans les plus brefs délais une mission dans la province d’Esmeralda pour constater de visu les menaces qui pèsent sur ces communautés.  Le Mexique s’est d’ailleurs félicité de la visite que vient d’effectuer le Mécanisme d’expert, prenant l’engagement de renforcer le cadre institutionnel pour consolider le principe de consentement libre, préalable et éclairé.  Une initiative qui manifestement n’a pas cours au Botswana.  First People of the Kalahari a dénoncé la décision des autorités de changer le nom de leur territoire, y voyant la tentative « d’effacer la mémoire autochtone ».  L’UNESCO doit se pencher sur cette question à l’occasion de l’Année internationale des langues autochtones en 2019, a estimé M. Jens Dahl, membre de l’Instance.  

Alors que la Fédération de Russie se vantait de ses bonnes pratiques et de la nomination d’un « défenseur des peuples autochtones », l’Ukraine cédait la parole à un autochtone tatar qui a attiré l’attention sur la situation de sa communauté en Crimée depuis l’invasion russe en 2014.  Il a appelé l’instance à se saisir de cette question.  Abondant dans le même sens, Crimean Tatar Youth Center a dénoncé la répression systématique de son peuple et décrié l’impunité des autorités russes qui ont détruit « notre patrimoine et notre culture » et contribué à la grave détérioration de l’environnement.  C’est l’exploitation des ressources naturelles qu’Asia Indigenous People pact a fustigé, ajoutant que les grands projets d’infrastructures, l’expansion des routes et la construction des parcs nationaux ont causé conflits, attaques et déplacements.  Il n’a pas oublié de montrer du doigt les législations inopérantes et à « effet doublon » et la réduction de l’espace démocratique.

Les législations doivent être respectées, a martelé le Japon, dont celle sur l’application de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, lui a rappelé le Grand Chef Wilton Littlechild.  Le Congrès Mondial Amazigh est revenu sur les « graves » problèmes rencontrés par les Amazighs Touareg au Mali et en Libye où les Gouvernements mettent en péril la paix et la sécurité, en armant des milices pour alimenter la guerre civile.  C’est une « machination machiavélique » que de recourir à des mercenaires pour attenter à la vie des hommes femmes et des enfants.  Le Congrès a d’ailleurs déploré l’absence des autochtones libyens parce qu’ils ont été inscrits sur « la liste » du Gouvernement américain alors qu’ils sont eux-mêmes les premières victimes du terrorisme islamiste.

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