DSG/SM/1146-SC/13261

Devant le Conseil de sécurité, la Vice-Secrétaire générale énumère les mesures pour mettre fin à la crise dans le bassin du lac Tchad

On trouvera, ci-après, l’allocution de la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Mme Amina J. Mohammed, prononcée lors de la séance du Conseil de sécurité de ce jour sur la paix et la sécurité en Afrique:

Je tiens tout d’abord à remercier la Mission permanente des Pays-Bas et l’Ambassadeur Van Oosterom d’avoir convoqué la présente séance d’information, et je les félicite de leur présidence dynamique du Conseil de sécurité ce mois. 

Qu’il me soit également permis de féliciter le Conseil de sécurité parce que, si je suis à Monrovia aujourd’hui, c’est à l’occasion de la clôture demain de la Mission des Nations Unies au Libéria.  Nous vivons un moment vraiment passionnant, bien qu’il y ait de nombreuses inquiétudes autour de la manière dont nous entendons continuer de développer les acquis de la paix et veiller à ce que le pays connaisse un développement durable.  Mais le Gouvernement et le Président libériens sont vraiment très reconnaissants de l’appui que leur ont apporté les Nations Unies, et ils m’ont demandé d’en informer le Conseil.

Je me félicite de cette occasion de présenter au Conseil un exposé sur la situation dans le bassin du lac Tchad.  Depuis la dernière séance d’information sur le sujet, qui s’est tenue en septembre 2017, des progrès considérables ont été faits dans la lutte contre Boko Haram.  Les opérations de la Force multinationale mixte ont contribué à libérer des otages et permis de reconquérir de nombreux territoires.  Le Secrétaire général félicite les gouvernements de la région de leurs efforts soutenus et de leur coordination accrue, qui ont joué un rôle décisif.  Il est impératif, à présent, que nous stabilisions les zones reprises et que nous en profitions pour promouvoir effectivement un développement durable.

Malheureusement, Boko Haram continue de procéder à des attaques surprise, des enlèvements et des attentats-suicides, comme on l’a vu le mois dernier avec l’enlèvement monstrueux de 110 écolières de l’État de Yobe, dans le nord-est du Nigéria.  Aujourd’hui, cependant, nous sommes très heureux et soulagés que 105 de ces filles, la grande majorité d’entre elles, aient été rendues à leurs familles.  L’ONU aide actuellement l’Union africaine et la Commission du bassin du lac Tchad à élaborer une stratégie de stabilisation, relèvement et résilience pour la région, conformément à la résolution 2349 (2017).  La stratégie sera, on l’espère, lancée le mois prochain à N’Djamena. 

En parallèle, les Représentants spéciaux du Secrétaire général pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest et le Sahel poursuivent leurs efforts, en partenariat étroit avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) et la Commission du bassin du lac Tchad, en vue de remédier aux causes profondes de la crise.

Les violations des droits de l’homme continuent d’alimenter l’insécurité dans le bassin du lac Tchad.  Des investissements et des mécanismes de justice communautaire renforcés seront essentiels pour promouvoir la réconciliation, établir les responsabilités et instaurer durablement la paix.  Il est essentiel aussi que la question des droits de l’homme et la problématique hommes-femmes soient intégrées dans les activités antiterroristes et les initiatives visant à prévenir l’extrémisme violent. 

Nous nous félicitons du recrutement de trois spécialistes des droits de l’homme de l’Union africaine et de la Commission du bassin du Lac Tchad dans la composante civile de la Force multinationale mixte.  La désignation rapide d’un conseiller pour la problématique hommes-femmes dans la Force est toutefois nécessaire pour renforcer la protection des femmes et des filles et assurer leur participation aux processus de paix et de développement.

De trop nombreuses femmes et filles continuent d’être victimes de la violence sexuelle et sexiste et d’autres violations de leurs droits dans toute la région.  Boko Haram a enlevé plus de 4 000 femmes et filles, et celles qui ont pu retourner dans leurs communautés sont souvent victimes de stigmatisation.  Ces dernières années, l’utilisation de femmes et de filles par le groupe dans des attentats-suicides s’est accrue considérablement.  L’une des raisons pourrait être l’absence dans le secteur de la sécurité de femmes pouvant procéder à la fouille d’autres femmes aux points de contrôle.  Il est clair que la participation des femmes aux efforts de promotion de l’égalité femme-hommes est un élément essentiel de notre réponse.

Il est malheureux et horrible que Boko Haram ait utilisé des enfants dans 135 attentats-suicides en 2017, soit cinq fois plus qu’en 2016.  La communauté internationale doit faire davantage pour remédier au sort des enfants touchés par les troubles dans la région, notamment en venant en aide aux enfants qui retournent dans leurs communautés et en déployant des efforts plus concertés pour leurs réintégration et réinsertion.

La situation humanitaire dans le bassin du lac Tchad reste complexe et difficile, avec 10,7 millions de personnes ayant besoin d’une assistance vitale et 2,3 millions d’autres, dont 1,5 million d’enfants, déplacés de force de leurs foyers.  Nous remercions les Gouvernements camerounais et nigérian de continuer de coopérer avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés dans le cadre de l’Accord tripartite, et nous encourageons tous les États touchés à mettre intégralement en œuvre la Déclaration d’action d’Abuja de 2016.

L’aide humanitaire s’est considérablement intensifiée et atteint plus de 6 millions de personnes en 2017.  Mais ces progrès restent très fragiles.  À ce jour, 4,5 millions de personnes sont exposées à une insécurité alimentaire aiguë dans le bassin du lac Tchad, et on s’attend à ce que ce nombre atteigne 5,8 millions en juin.

L’intensification de l’aide a eu lieu dans un environnement extrêmement explosif.  Le 1er mars, trois travailleurs humanitaires ont été tués dans la ville de Rann, dans l’État de Borno, dans une attaque menée vraisemblablement par des insurgés de Boko Haram.  Trois autres agents humanitaires sont toujours portés disparus, et l’aide humanitaire a été temporairement suspendue.  Il faut environ 1,6 milliard de dollars pour venir en aide à 7,8 millions de personnes dans quatre pays.  Je demande aux États Membres de faire en sorte que l’appel humanitaire soit suffisamment financé et que les montants promis soient versés rapidement.  L’appel précédent a été une expérience fructueuse.  Il a été vivement apprécié, il est venu à temps, et il a été bien financé.

Je voudrais aussi souligner qu’il importe de renforcer l’Initiative pour des écoles sûres ainsi que l’infrastructure de communications afin que les gens puissent appeler au secours si besoin est.  Cela a fait considérablement défaut lors de l’enlèvement récente de 110 filles dans l’État de Yobe. 

La crise a entraîné une destruction massive d’infrastructures de base, d’établissements sanitaires et scolaires, de bâtiments commerciaux, de logements privés et de biens agricoles.  Outre les effets de l’extrémisme violent, le sous-développement, le déplacement de populations et les changements climatiques, nous sommes face à autre exemple puissant de crise multidimensionnelle, qui requiert l’adoption d’une approche intégrée pour relever les défis humanitaires et de développement, dont est tributaire la paix durable.

Les Nations Unies continuent d’aider les gouvernements affectés à créer les moyens de subsistance, à renforcer les institutions, à renforcer la résilience des communautés et à prendre d’autres mesures pour remédier aux causes profondes.  Les organisations non gouvernementales nationales et locales et les associations religieuses ont toujours un rôle inestimable à jouer dans les efforts de prévention et de réintégration.

La restauration de l’écosystème du lac Tchad va s’avérer essentielle.  Elle améliorerait les conditions de vie de millions de personnes, réduirait les tensions locales et favoriserait l’intégration régionale et le développement.  La conférence internationale sur le lac Tchad du mois dernier à Abuja a été couronnée de succès, et l’adoption de la déclaration d’Abuja a réaffirmé la volonté de la région d’accroître la coopération en vue d’atténuer les retombées socioéconomiques du changement climatique et de l’instabilité dans le Sahel, en Afrique de l’Ouest et dans la région du lac Tchad.

Enfin, on ne saurait sous-estimer les résultats de la visite effectuée par le Conseil de sécurité dans la région il y a un peu plus d’une année, et l’adoption de la résolution 2349 (2017) a vraiment créé une dynamique qui doit être maintenue.  La visite effectuée par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine en juillet 2017 a aussi permis de mettre en exergue les difficultés rencontrées par la Force multinationale mixte.  Un appui financier et technique international soutenu à la Force reste crucial pour préserver les progrès fragiles enregistrés dans la lutte contre Boko Haram.  Le sommet CEEAC-CEDEAO sur Boko Haram, le premier à avoir lieu durant la première moitié de 2018, sera une autre initiative importante.  Nous devons continuer de relever ces défis complexes, en coopération étroite avec les pays touchés et toutes les organisations sous-régionales pertinentes, conformément à la résolution 2349 (2017).

Nous devons aussi reconnaître que les mesures de sécurité et les opérations militaires ont montré leurs limites.  Il ne saurait y avoir de paix durable sans développement durable, et les gains du développement pourront toujours être remis en cause faute de paix durable. 

J’espère que nous pourrons œuvrer de concert pour mettre fin à cette crise, qui a infligé d’immenses souffrances et qui continue d’avoir des conséquences graves bien au-delà des frontières.

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