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MER/2083

Conférence sur la biodiversité marine: le chapitre « Ressources génétiques marines » suscite des avis variés

Les délégations chargées d’élaborer un instrument juridique sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine ont poursuivi, aujourd’hui, l’examen du point intitulé « Ressources génétiques marines, y compris les questions relatives au partage des avantages », en réfléchissant notamment au champ d’application territorial des dispositions du futur instrument.

Ce texte devra régir en principe la biodiversité marine des « zones ne relevant pas de la juridiction nationale », c’est-à-dire les zones les plus éloignées de la côte.  Cela exclut précisément les zones relevant de la juridiction nationale et, aux dires des intervenants, les zones économiques exclusives de chaque pays.

Il faut, en outre, déterminer d’où proviennent les ressources qui seront visées par le texte.  Pour cela, les participants ont fait la distinction entre deux sections différentes des zones ne relevant pas de la juridiction nationale: la zone internationale des fonds marins, appelée « la Zone »; et la haute mer, qui se situe géographiquement au-dessus de « la Zone ».

Concrètement, plusieurs délégations, dont l’Inde, ont préconisé que l’instrument couvre les ressources à la fois de « la Zone » et de la haute mer, tandis que la Fédération de Russie et les États-Unis ont proposé un champ plus restrictif: l’instrument serait cantonné à « la Zone ».  La délégation russe a argué que les ressources génétiques marines en haute mer doivent rester libres d’exploitation et de recherche.

Le représentant du Togo s’est montré inquiet des divergences de vues et a prévenu qu’il faudrait un minimum d’accord pour que le futur instrument soit contraignant.  Le Canada a renchéri: « les grandes déclarations ne suffiront pas; il faut arriver à un texte qui aille au-delà ». 

Le groupe de travail chargé de la question des ressources génétiques avait entamé ses travaux hier après-midi.  Il les a achevés après avoir aussi discuté de la nature des ressources visées: les poissons à usage commercial et ceux destinés à la recherche scientifique?  Les ressources génétiques marines recueillies in situ, ex situ et in silico?  Certains, comme le Mexique et le Japon, ont demandé d’inclure les produits dérivés.

Outre les droits de propriété intellectuelle, ce sont les questions de l’accès et du partage des avantages qui ont suscité le plus d’échanges.  Certains ont souhaité que l’accès aux ressources soit réglementé et, surtout, qu’il soit juste et équitable.  Mais d’autres, comme le Japon et les États-Unis, ont avancé que toute nouvelle règlementation entraverait la recherche scientifique.

La Conférence intergouvernementale poursuivra ses travaux demain, jeudi 13 septembre, à partir de 10 heures.

CONFÉRENCE INTERGOUVERNEMENTALE SUR UN INSTRUMENT INTERNATIONAL JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANT SE RAPPORTANT À LA CONVENTION DES NATIONS UNIES SUR LE DROIT DE LA MER ET PORTANT SUR LA CONSERVATION ET L’UTILISATION DURABLE DE LA BIODIVERSITÉ MARINE DES ZONES NE RELEVANT PAS DE LA JURIDICTION NATIONALE

Groupe de travail sur les ressources génétiques marines, y compris les questions relatives au partage des avantages

Les délégations ont, ce matin, poursuivi l’examen du point intitulé « Ressources génétiques marines (RGM), y compris les questions relatives au partage des avantages », en commençant par réfléchir au champ d’application territorial des dispositions du futur instrument.

Avant toute chose, l’Uruguay et le Viet Nam ont appelé à respecter les droits de l’État côtier d’exploitation des ressources naturelles et des activités économiques dans les zones relevant de leur juridiction nationale, y compris la zone économique exclusive et le plateau continental jusqu’à 200 milles marins et au-delà.  Le nouvel instrument ne devra donc pas couvrir les zones relevant de la juridiction nationale et les zones économiques exclusives, en a déduit le Maroc, qui a insisté sur la liberté de navigation: elle doit être garantie par l’instrument. 

L’Uruguay a aussi rappelé que la zone internationale des fonds marins, « la Zone », relève du patrimoine commun de l’humanité, ce dont il faut tenir compte.  C’est également ce qu’a relevé El Salvador en invitant à établir une relation équilibrée entre les deux sphères.  Rappelons que « la Zone » est la tranche inférieure de la région marine dont la tranche supérieure est appelée « haute mer ».

Le Canada a rappelé que, en effet, l’instrument ne doit pas couvrir les zones relevant de la juridiction nationale, avant de souligner la complexité de la question du champ d’application territorial.  Les grandes déclarations ne suffiront pas et il faut arriver à un texte qui aille au-delà, après l’examen des propositions émises, a-t-il préconisé.  Le Canada a insisté sur l’importance de privilégier la cohérence des dispositions en ce qui concerne les RGM recueillies in situ et in silico.

Concrètement, l’Inde, la Norvège, les États fédérés de Micronésie, le Mexique, l’Afrique du Sud, par exemple, ont estimé que le champ d’application territorial de l’instrument devrait couvrir les activités dans « la Zone » comme celles menées en haute mer.  Les Fidji y ont ajouté les zones relevant de la juridiction nationale y compris la zone économique exclusive et le plateau continental jusqu’à 200 milles marins et au-delà, tout en précisant que l’instrument ne doit pas hypothéquer la souveraineté des États. 

Plus restrictive, la Fédération de Russie a proposé de cantonner l’instrument à « la Zone », souhaitant que les RGM en haute mer soient libres d’exploitation et de recherche: il faut « seulement » respecter les accords et les conventions existants. 

La détermination du champ d’application doit prendre en considération les zones de chevauchement des RGM, a fait remarquer l’Islande pour qui l’instrument s’appliquera aux RGM recueillies in situ.

Les délégués ont aussi énuméré les ressources qui, à leur avis, devraient être incluses dans le futur traité.  Pour l’Inde et l’Indonésie, le futur instrument doit couvrir toutes les formes de ressources marines.

Le Bangladesh, l’Équateur, la Norvège et l’Islande, et aussi l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ont toutefois recommandé de faire la distinction entre les poissons à usage commercial et ceux destinés à la recherche scientifique, la délégation islandaise précisant que les poissons comme RGM devraient être inclus dans le nouvel instrument.  Autrement dit, il faut faire une distinction entre les poissons sur la base de l’utilisation des RGM et non sur leur valeur économique, a résumé l’Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles (IUCN). 

Pour le Viet Nam, les poissons à usage commercial ne devraient pas relever de l’instrument.  À ce propos, le Chili ne veut pas que les RGM soient traitées comme un produit commercial. 

La Suisse, elle, a été d’avis que l’instrument ne devrait pas couvrir les produits dérivés et les RGM recueillies in silico.

De son côté, le Japon a plaidé pour que les produits dérivés soient couverts par le nouvel instrument.  Mais attention, selon lui, la commercialisation des RGM est difficile et couteuse: il faut par exemple entre 9 et 17 ans pour fabriquer des médicaments à partir des RGM.  Il est donc impossible, en a-t-il déduit, de définir les RGM sur la base de leur valeur économique.  « Aucune entreprise japonaise n’envisage de se lancer dans ce domaine contrairement aux rumeurs », a-t-il tenu à préciser.

Les États-Unis ont exprimé le même avis que le Japon sur le bénéfice supposé de l’exploitation commerciale des RGM.  Le champ d’application du nouvel instrument devra se limiter aux RGM se trouvant dans « la Zone », a ajouté le représentant américain.  Pour lui, ce nouvel instrument doit porter sur la protection des ressources durables marines et ne doit pas avoir un effet rétroactif.  Les produits dérivés ne doivent pas par ailleurs figurer dans cet instrument, a-t-il demandé.

À ce stade de la discussion, le Togo a demandé, compte tenu des divergences, si l’instrument qui sera établi à la fin de la Conférence pourra être véritablement contraignant.  Le Togo estime qu’il faut un minimum d’accord pour que l’instrument soit contraignant.  Son champ d’application doit en tout cas couvrir toutes les questions à l’étude.

C’est un « régime juste et équitable pour les toutes RGM » qu’a demandé la Norvège: « Nous devons rédiger un accord tourné vers l’avenir et ne reflétant pas uniquement les préoccupations actuelles. »  Pour ce qui est des produits dérivés et des données numériques, « faudra-t-il créer un nouveau régime juridique compte tenu des divergences »?

Les États fédérés de Micronésie ont plaidé pour que l’instrument s’applique aux RGM collectées in situ, ex situ et in silico.  Ils ont souhaité des dispositions claires garantissant la traçabilité des RGM.  L’instrument devra aussi s’appliquer aux produits dérivés et prévoir, de même, leur traçabilité.  Les Fidji, qui ont aussi souligné l’importance de la traçabilité des RGM, ont proposé que l’instrument s’applique aux RGM collectées in situ, ex situ, in silico ainsi que les données numériques afférentes.  Il est important d’inclure les ressources ex situ, et les produits dérivés, a renchéri le Mexique.

Au nom du Groupe des États d’Afrique, l’Algérie s’est dite surprise de la proposition d’exclure les RGM des zones ne relevant pas de la juridiction nationale.  Pour ce qui est des produits dérivés, il ne faut pas miner les accords existants notamment le Protocole de Nagoya, a-t-il mis en garde.

L’Afrique du Sud a abordé la question du partage des avantages, rappelant que c’est un élément relevant du patrimoine mondial de l’humanité.  Le partage doit avoir pour but de contribuer à sortir les pays en développement de la pauvreté, a-t-il souligné.  Nauru a précisé qu’il ne voulait pas rendre obligatoire le partage des avantages monétaires des RGM. 

Les groupes de pays ont ensuite fait des déclarations sur la question de l’« Accès aux ressources et partage des avantages ».  Au nom du Groupe des 77 et la Chine, l’Égypte a vu dans les principes du Protocole de Nagoya une source d’inspiration s’agissant des connaissances autochtones sur la question.  Il a souligné que la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine contribuent à la sécurité alimentaire et au développement économique.  « L’utilisation des RGM doit se faire de façon pacifique et sans appropriation illégale. »  Le Groupe est ouvert aux discussions sur les avantages monétaires devant être partagés de façon équitable.

Au nom du Groupe des États d’Afrique, l’Algérie a plaidé pour que l’accès aux ressources soit réglementé, le nouvel instrument devant être transparent sur la question.  La meilleure façon de réglementer l’accès est un système de notification numérique ouvert et préalable qui n’hypothèque pas la recherche sur la biodiversité marine.  « Les deux tiers de cette salle ne veulent pas d’un accès non réglementé », a noté le délégué.  S’agissant du partage des avantages monétaires, il faut se fonder sur l’expérience du système multilatéral de partage des avantages.  Le nouvel instrument doit aussi couvrir le droit de propriété intellectuelle.  Il faut créer un système unique sui generis répondant aux besoins des scientifiques et conforme aux réglementations en vigueur. 

Les RGM relevant du patrimoine de l’humanité, le partage de leurs avantages doit clairement être mentionné dans l’instrument, a plaidé l’Alliance des petits États insulaires, par la voix des Maldives qui préconisent de s’inspirer des principes de Nagoya.  Ces avantages doivent être utilisés pour le renforcement des capacités et la promotion de la recherche marine.  Les RGM ne devraient pas faire l’objet de brevet, a prévenu le représentant.

L’Union européenne estime que l’accès aux ressources doit être gratuit et réglementé.  S’agissant du partage des avantages, il faut une approche générale et commencer à faire émerger un consensus sur le partage d’avantages non monétaires qui serait l’option la plus facile à mettre en place.  Tout partage des avantages doit être conforme à la Convention sur le droit de la mer et contribuer à la recherche marine, au renforcement des capacités et au transfert des techniques marines.

Au nom de la CARICOM, la Barbade estime qu’un système de notification est utile s’agissant de l’accès aux ressources.  Toutefois, ce système ne doit pas être utilisé pour promouvoir la recherche marine.  Pour ce qui est du partage des avantages, il doit être conforme à la Convention sur le droit de la mer.  L’instrument doit avoir une liste non exhaustive des avantages.

Dans l’après-midi, les délégations ont poursuivi l’examen des volets suivants: le champ d’application, l’accès aux ressources et le partage des avantages, et la surveillance de l’utilisation des ressources génétiques marines des zones ne relevant pas de la juridiction.

Au nom de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS), Nauru a dit que l’accès aux ressources doit être accordé par des licences non exclusives et il doit être réglementé.  Un mécanisme de partage des avantages doit tenir compte des besoins de l’AOSIS, a plaidé la délégation en se basant sur le principe de l’équité et sur celui de la compatibilité avec les droits des États côtiers adjacents.  En outre, à son avis, une liste des avantages devrait figurer dans l’instrument.  Les avantages monétaires doivent être gérés par un fonds qui financera notamment le renforcement de capacités, a-t-il ajouté.

Le Mexique estime que tout le monde doit avoir accès aux ressources, mais qu’il faut réglementer l’accès aux RGM dans le cadre de l’exploitation commerciale.  Un avis préalable à l’accès est important pour les projets industriels et commerciaux. 

Toutes les ressources génétiques doivent être mises à la disposition de tous les États, a également exigé l’Argentine qui veut un accès juste et équitable aux ressources, avec un partage juste et équitable des avantages.

L’accès libre aux ressources n’a cependant pas recueilli l’accord du Japon qui estime que cela pourrait perturber le travail des chercheurs.  La Fédération de Russie rappelle que le régime actuel garantit la liberté d’accès aux ressources génétiques marines et aux autres ressources halieutiques et ressources vivantes.  Ce régime n’a pas de limitation.   

De même, les États-Unis rappellent que l’accès aux ressources et aux avantages doit rester ouvert à tous.  Il faut examiner comment faciliter cet accès pour tous afin de parvenir à un partage équitable des avantages.  Toute nouvelle règlementation de l’accès entraverait la recherche scientifique.  Il faut donc maintenir le régime actuel d’accès aux ressources, ont conclu les États-Unis.

Pour Singapour, l’accès aux ressources doit être libre et ouvert en ce qui concerne la bio-prospection.  La République de Corée a dit que l’accès aux ressources doit respecter la liberté d’accès en haute mer. 

Pour faciliter l’accès aux ressources, le Saint-Siège est favorable à la création d’un registre en ligne, peu onéreux, sécurisé, facile d’utilisation.  Il faut encourager un accès plus large en distribuant des licences non exclusives.  De son côté, la Chine a suggéré la création d’un code de conduite pour l’accès aux ressources génétiques marines. 

À propos du « partage des avantages », le Brésil a dit que cela doit aider les pays en développement à acquérir les outils nécessaires aux recherches.  Une liste exhaustive doit en être dressée.  « Nous sommes en faveur de l’établissement d’un mécanisme monétaire de partage des avantages qui serait géré par un fonds global. »  Ce fonds pourrait être financé par une taxe de 1% des recettes provenant de l’utilisation commerciale des ressources génétiques marines, a proposé le Brésil.  La Papouasie-Nouvelle-Guinée a plaidé, elle, pour un mécanisme robuste de partage des avantages tant monétaires que non monétaires.

Mais, selon la Chine, le partage des avantages monétaires ne devrait pas être mis en place jusqu’à ce qu’un marché à grande échelle pour les RGM existe.  Cette délégation a en outre proposé d’établir une liste indicative des avantages.  Pour sa part, le Japon n’est pas en faveur du partage des avantages monétaires dans la mesure où ce partage n’encouragerait pas le travail des experts.

La délégation de Singapour a simplement posé des questions: « Quels sont ces avantages exactement?  Quels sont les avantages monétaires et non monétaires? »

Le Pérou suggère que le partage des avantages réponde au principe de patrimoine mondial de l’humanité et à celui de la durabilité.  En outre, il faut s’inspirer des mécanismes de partage des avantages déjà existants, a-t-il prôné.

Les États-Unis estiment que les nouvelles règles de partage des avantages devraient aider les pays en développement.  La Norvège a rappelé que l’objectif global de l’instrument est que les pays en développement puissent utiliser à bon escient les ressources de « la Zone » et la haute mer.  C’est pourquoi les États fédérés de Micronésie ont dit que l’accès sans partage aux avantages n’est pas envisageable.  Le partage des avantages doit tenir compte des besoins des pays en développement et du coût élevé du nettoyage en mer, a précisé cette délégation.

Le Saint-Siège a proposé un cadre de partage des avantages en fonction de l’utilité et des valeurs réelles et potentielles des ressources.   

S’agissant du droit de propriété intellectuelle, les États-Unis croient que les rapports des pays sur cette question n’ont pas à être publiés dans l’instrument, surtout ceux relevant de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).  La Fédération de Russie a dit que le droit de propriété intellectuelle est déjà discuté dans des instances spécialisées.  Il ne faut pas faire un doublon au sein du nouvel instrument, a-t-elle demandé.

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