8504e séance – matin
CS/13770

Conseil de sécurité: pour le Haut-Commissaire pour les réfugiés, la crise des migrations forcées résulte de la multiplication des foyers de conflit

À l’invitation de l’Allemagne, qui préside les travaux du Conseil de sécurité en avril, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, M. Filippo Grandi, a dressé un bilan alarmant de la crise mondiale des migrations forcées, laquelle ne serait toutefois pas « ingérable » selon lui.

Bien souvent, a-t-il dit, elle est la conséquence directe des situations de conflit qui se sont multipliées à travers le monde ces dernières années.  C’est la raison pour laquelle l’organe chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales a un rôle à jouer pour y remédier, a analysé le haut fonctionnaire en s’adressant au Conseil de sécurité.  Il a cité comme exemple le regain de tensions en Libye, qui exige une action unifiée du Conseil « pour mettre fin à l’escalade », sous peine de voir de nouveaux réfugiés s’aventurer en Méditerranée, où les garde-côtes libyens sont déjà dépassés.

De plus, la situation exige de se montrer « stratégique » aussi bien dans le pays d’origine, en se penchant sur les causes profondes des déplacements de population, que dans le pays d’accueil, où doivent être mis en place des « systèmes d’accueil basés sur la solidarité », a préconisé le haut fonctionnaire.  S’il s’est d’ailleurs félicité des approches « pertinentes » privilégiées par l’Éthiopie, l’Ouganda, le Kenya ou encore le Niger, en partenariat avec les pays donateurs, les organismes de développement et le secteur privé, M. Grandi a toutefois plaidé en faveur d’une coopération internationale renforcée qui ne néglige pas la dimension « extérieure » des crises migratoires.

Il en a voulu pour preuve les évènements au Venezuela, auxquels le Conseil de sécurité consacrera une séance demain.  L’accent est généralement mis sur la situation à l’intérieur du pays, alors que la crise a provoqué le déplacement de 3,4 millions de personnes en Colombie, au Pérou, en Équateur et au Brésil.  « La solidarité de l’Amérique latine est impressionnante.  Mais l’assistance doit être redoublée, au niveau bilatéral, au travers de l’appel de l’ONU –qui est insuffisamment financé– et, plus important encore, au travers des institutions financières internationales. »  Sans quoi, les gouvernements concernés se retrouvent en difficulté et les réfugiés démunis, a mis en garde M. Grandi.

« Suggérer » aux voisins du Venezuela que la situation ne menace pas la sécurité et la stabilité de la région est dans ce cadre erroné, ont estimé les États-Unis, en tirant « la sonnette d’alarme » sur une « situation désastreuse », à la résolution de laquelle le Gouvernement américain aurait œuvrée sans relâche, mais « en vain », depuis plus d’un an.   La Fédération de Russie a, pour sa part, indiqué que les crises migratoires en général résulteraient d’une « ingérence inacceptable » de certains États Membres dans les affaires internes de pays en difficulté, comme la Libye, longuement évoquée aujourd’hui.

La question du retour des réfugiés dans leur pays d’origine a été largement discutée au cours de la séance, en particulier s’agissant des Syriens et des Rohingya du Myanmar qui souhaitent –ou non– prendre le chemin du retour.  Ces réfugiés sont aujourd’hui « sous pression » pour rentrer chez eux, a affirmé M. Grandi.  « Contrairement aux idées reçues, le HCR ne bloque jamais les retours.  Le retour est un droit, comme celui de rester sur place, et les choix libres et informés des réfugiés doivent être respectés.  Les rapatriements doivent se faire dans la dignité, l’objectif étant d’éliminer les obstacles qui se posent à ces retours », a argué le Haut-Commissaire.

L’exemple le plus évident, à cet égard, est la Syrie, a-t-il poursuivi, en expliquant que la majorité des réfugiés aspirent à revenir dans leur pays, « mais pas tout de suite ».  Il est donc important, selon lui, de voir la chose depuis la perspective des réfugiés, préoccupés par les questions du logement et de la sécurité, mais aussi par les aspects juridiques et administratifs d’un tel retour.  La Fédération de Russie a, elle aussi, jugé que le processus de retour doit être « volontaire et librement consenti », avant d’accuser les organismes internationaux de vouloir maintenir « sous perfusion humanitaire » les résidents du camp de Roukban, près de la frontière jordanienne, et de « politiser » l’aide. Les États-Unis ont demandé à M. Grandi de favoriser « une vision non politisée des options actuelles pour les résidents du camp de Roukban ». 

« Nous devons éviter la tentation de faire pression prématurément pour obtenir le retour d’individus dans des pays ou des régions qu’ils ont fuis », a déclaré la délégation américaine.  « En Syrie ou en Birmanie », il est clair que les conditions définies par le Haut-Commissaire ne sont « absolument pas remplies », a renchéri la France.  En Syrie par exemple, la plupart des réfugiés ne seraient pas prêts à rentrer, en raison d’une incertitude quant à leur sûreté, a fait valoir la délégation américaine.  M. Grandi a demandé au Conseil de sécurité de promouvoir la présence du HCR pour que l’agence veille au retour dans les meilleures conditions possibles.

Face aux 68,5 millions de personnes dans le monde qui ont été contraintes de quitter leur foyer, le Pacte mondial sur les réfugiés a été invoqué plusieurs fois.  L’Indonésie a estimé qu’il devrait servir de guide dans la mise en œuvre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et ses protocoles, en invitant les États à l’« embrasser » afin de montrer que « nous ne nous fermons pas aux réfugiés ayant besoin de notre soutien collectif ».

En conclusion, le Haut-Commissaire a adressé une mise en garde au Conseil, en expliquant qu’en plus de 30 ans de carrière comme fonctionnaire international, jamais il n’avait été témoin d’un tel degré de « toxicité » dans la rhétorique « politique », « sur les réseaux sociaux, et dans les conversations de tous les jours ».  Or, ce discours prend souvent pour cible les réfugiés, les migrants et les étrangers, ce qui devrait être une source de préoccupation pour tous.  « Ce que nous avons vu à Christchurch est le fruit de ces discours délétères.  Nous devons réagir collectivement et réaffirmer le principe selon lequel nos sociétés ne seront pas prospères si elles ne sont inclusives », a-t-il ajouté.

EXPOSÉ DU HAUT-COMMISSAIRE DES NATIONS UNIES POUR LES RÉFUGIÉS

Déclarations

M. FILIPPO GRANDI, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a commencé par rejeter les accusations selon lesquelles le nombre sans précédent de réfugiés et de migrants à travers le monde constituerait une crise ingérable.  Selon lui, avec la volonté politique nécessaire et des réponses améliorées, comme celles qui figurent dans le Pacte mondial sur les réfugiés, adopté par l’Assemblée générale en décembre, il est possible d’y remédier.  Le Conseil de sécurité a, à cet égard, un rôle crucial à jouer, a-t-il lancé.  En effet, la plupart des 70 millions de personnes déplacées à travers le monde le sont en raison de conflits que le Conseil doit s’efforcer de résoudre.  La situation en Libye est emblématique des défis posés par les nombreux conflits qui font rage aujourd’hui, a-t-il fait remarquer.  Le plus urgent, dans ce cas précis, consiste pour le Conseil à faire preuve d’unité pour mettre fin à l’escalade, a préconisé le Haut-Commissaire, tout en soulignant que le même esprit de consensus doit présider à la recherche de solutions aux causes profondes.  Les garde-côtes libyens ne peuvent assumer seuls la situation actuelle et, les ONG étant empêchées d’intervenir en mer, le taux de mortalité est en hausse, s’est alarmé le haut fonctionnaire.  Par ailleurs, la détention de réfugiés et de migrants, qu’il a qualifiée d’« horrible » et d’« inacceptable », doit prendre fin.  Enfin, la situation exige de se montrer « stratégique » aussi bien dans le pays où se déroule la crise en question, en se penchant sur les causes profondes, et, en Europe, pour mettre en place des systèmes d’accueil basés sur la solidarité. 

En effet, a ajouté M. Grandi, il faut soutenir les pays hôtes, et ne pas tenir pour acquise leur hospitalité.  Certains ont adopté des approches pertinentes, en partenariat avec les pays donateurs, les organismes de développement et le secteur privé, comme par exemple l’Éthiopie, l’Ouganda, le Kenya et le Niger, a-t-il indiqué.  Mais plus souvent qu’à l’accoutumée, ce soutien est insuffisant.  Ainsi, au Venezuela, l’accent est mis sur la situation à l’intérieur du pays et, demain, le Coordonnateur des secours d’urgence l’évoquera en détail.  Mais la communauté internationale, a dit le Haut-Commissaire, oublie la « dimension externe » de cette crise, qui a provoqué le déplacement de 3,4 millions de personnes en Colombie, au Pérou, en Équateur et au Brésil.  « La solidarité de l’Amérique latine est impressionnante.  Mais l’assistance aux pays d’accueil doit être redoublée, au niveau bilatéral, au travers de l’appel de l’ONU –qui est insuffisamment financé– et, plus important encore, au travers des institutions financières internationales, sous peine de laisser les gouvernements concernés en difficulté et les réfugiés démunis », a mis en garde M. Grandi. 

Le Haut-Commissaire a indiqué que 85% des réfugiés dans le monde se trouvent dans des pays pauvres ou à revenu intermédiaire.  Il a insisté sur la nécessité de soutenir les pays concernés.  Il a relevé que les réfugiés sont aujourd’hui sous pression pour prendre le chemin du retour.  « Contrairement aux idées reçues, le HCR ne bloque jamais les retours.  Le retour est un droit, comme le contraire, et les choix libres et informés des réfugiés doivent être respectés.  Les rapatriements doivent se faire dans la dignité, l’objectif étant d’éliminer les obstacles qui se posent sur le chemin du retour ».  L’exemple évident à cet égard est la Syrie, a déclaré le Haut-Commissaire, qui a expliqué que la majorité des réfugiés ont le désir de rentrer, mais pas tout de suite.  Il est donc important selon lui de voir la chose depuis la perspective des réfugiés, qui ont pour principales préoccupations les matériaux servant à la construction d’abris et à la prestation de services, la sécurité et les aspects juridiques et administratifs.  Si le dialogue avec le Gouvernement syrien s’est avéré constructif, avec le soutien de la Fédération de Russie, il faut cependant agir plus rapidement, a estimé le haut fonctionnaire en demandant notamment un accès plus rapide aux réfugiés pour le Haut-Commissariat et de façon générale pour tout le système des Nations Unies. 

Au Myanmar, la mise en œuvre du mémorandum d’accord est lente, s’est inquiété M. Grandi, en rappelant que l’accès à la citoyenneté, à la documentation et à l’égalité devant la loi devaient prévaloir.  En guise de conclusion, il a rappelé qu’en 30 ans de service comme fonctionnaire international, jamais il n’avait été témoin d’une telle « toxicité » dans la rhétorique « politique », sur les réseaux sociaux, et dans les conversations de tous les jours.  Or, elle prend souvent pour cible les réfugiés, les migrants et les étrangers, ce qui devrait être une source de préoccupation pour tous.  « Cela devrait nous préoccuper », a-t-il insisté.  « Ce que nous avons vu à Christchurch est le fruit de ces discours délétères.  Nous devons réagir collectivement et réaffirmer le principe selon lequel nos sociétés ne seront pas prospères si elles ne sont inclusives », a-t-il recommandé.

M. ANATOLIO NDONG MBA (Guinée équatoriale), intervenant au nom de A3, a appelé à répondre aux causes structurelles des conflits avant de faire observer que le continent africain est lui aussi touché par un niveau « massif » de déplacements forcés, qui, a-t-il précisé, représentent un tiers de la population de déplacés au monde.  Il a ensuite passé en revue les diverses mesures mises sur pied par l’Union africaine pour faire face au phénomène, citant notamment l’adoption, en 2016, de la Position africaine commune pour renforcer l’action humanitaire à l’échelle du continent.  Il a aussi indiqué que 2019 avait été consacrée par l’Union africaine « Année des réfugiés, des rapatriés et des déplacés internes », et que le Président Équato-Guinéen en avait été désigné le garant.  Le représentant a aussi rappelé l’adoption du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, ainsi que la célébration, cette année, du cinquantième anniversaire de l’adoption de la Convention de l’unité africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique.

M. DIAN TRIANSYAH DJANI (Indonésie) a mis l’accent sur trois points: les conflits émergents détériorant les crises humanitaires existantes; les solutions durables mal mises en œuvre; et le manque de fonds.  Le HCR nécessite par exemple 8,7 milliards de dollars en 2019, dont seulement 1,685 milliard sont disponibles.  Le représentant a fait remarquer que cette triste situation crée un fardeau pour les pays de transit, la plupart, des pays en développement.  Ainsi, l’Indonésie accueille actuellement 14 000 réfugiés et demandeurs d’asile de 47 pays différents, qui sont en attente d’un lieu de réinstallation ou d’un retour volontaire dans leur pays d’origine. 

L’Indonésie n’est pas partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, mais le pays a tout de même pris des mesures pour atténuer leurs souffrances, a poursuivi le représentant en évoquant le décret présidentiel de 2016 sur l’assistance aux réfugiés et les efforts d’assistance aux demandeurs d’asile.  Malgré une collaboration avec le HCR et l’OIM, le nombre de réfugiés présents en Indonésie qui sont relocalisés est passé de 1 271 en 2016 à seulement 508 en 2018, a déploré le délégué en précisant que la réinstallation ne représente pourtant pas de danger pour les sociétés. 

Pour résoudre la question des déplacements de population, l’Indonésie suggère de régler la question des causes profondes des crises humanitaires, en établissant, entre autres, le lien entre paix, sécurité et développement, tout en assurant la cohérence du système onusien.  Ensuite, le pays propose un processus inclusif et multiacteurs, avec une synergie plus forte entre l’ONU et les entités régionales et nationales, y compris les acteurs humanitaires, pour renforcer l’efficacité des opérations humanitaires.  Le représentant a aussi plaidé pour un mode de financement plus innovant et pour l’identification de domaines potentiels de collaboration avec le secteur privé et les ONG pour régler la question du manque de fonds.  Enfin, l’Indonésie estime que le Pacte mondial sur les réfugiés devrait servir de guide dans la mise en œuvre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et ses protocoles.  M. Djani a donc invité les États à « embrasser » le Pacte afin de donner le bon signal sur le fait que « nous ne nous fermons pas aux réfugiés qui ont besoin de nos soutiens collectifs ». 

M. SHAOJUN YAO (Chine) a estimé que la prolifération des guerres et conflits armés était le principal moteur de la crise actuelle des réfugiés dans le monde.  Il a déploré, dans le même temps, la baisse généralisée de l’aide aux personnes déplacées et la montée des sentiments xénophobes.  Le délégué chinois a toutefois jugé que l’adoption, l’an dernier, du Pacte mondial sur les réfugiés constituait une avancée positive pour remédier à la situation actuelle.  Tout en appuyant l’action du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), il a appelé la communauté internationale à s’attaquer de manière collective aux causes profondes des déplacements, notamment en s’efforçant de réduire les conflits armés, et de mettre fin à la pauvreté, au moyen de la promotion de l’essor économique.  Ce n’est que de cette manière que nous serons en mesure de trouver des solutions, a-t-il estimé, exhortant le Conseil à redoubler d’efforts en ce sens. 

Parallèlement, le représentant a appelé à respecter « l’objectivité, la neutralité et la non politisation » de l’aide aux réfugiés.  À ses yeux, il convient en effet de s’abstenir de toute ingérence dans les affaires intérieures des pays concernés, afin d’éviter une « politisation » de la cause des réfugiés.

 « Aujourd’hui, les images de personnes déplacées, de souffrance humaine, de rêves brisés, de mères suppliant de rentrer chez elles, de pères aspirant à travailler de nouveau et d’enfants rêvant de vivre leur enfance ne manquent pas », a déploré M. TRULLOLS (République dominicaine), citant le sort des réfugiés en provenance de Syrie, d’Afghanistan, du Soudan du Sud, du Myanmar et de la Somalie.  Pour le représentant, la tragédie humaine « sans précédent » des 68 millions de personnes dans le monde ayant été contraintes de quitter leur foyer génère un niveau d’anxiété élevé à l’échelle de la planète.  Il a par conséquent appelé à trouver des solutions collectives à cette crise.  Cela suppose, selon lui, de trouver un juste milieu entre l’action humanitaire et les initiatives de développement, notamment afin de remédier aux causes profondes des conflits.  Il a aussi recommandé de trouver des solutions durables pour permettre le retour des personnes déplacées, notamment en augmentant la résilience des communautés affectées.

Outre les cinq principaux pays concernés par la crise des réfugiés, le représentant a mentionné la situation de 3,4 millions de Vénézuéliens contraints de quitter leur pays à la recherche de nourriture, de soins de santé et de meilleures conditions de vie.  Il a appelé à trouver des solutions communes pour les accueillir, sans oublier de préparer leur retour futur, sur une base volontaire et en toute sécurité.  À cette fin, le représentant a jugé primordial de « travailler sans relâche » en faveur de la paix et de la stabilité du Venezuela. 

Mme KAREN PIERCE (Royaume-Uni) a commencé par dire que son pays était l’un des plus importants contributeurs au financement du HCR.  Elle a considéré que les rapatriements font partie de la solution à plus long terme, tout en observant qu’ils ne sont pas toujours envisageables.  Dans certains cas en effet, les réfugiés sont encouragés à prendre le chemin du retour dans des conditions « douteuses ».  Quelles mesures immédiates pourraient être envisagées pour venir en aide aux réfugiés en Libye? a-t-elle ensuite demandé au Haut-Commissaire.  Consciente de la situation au Myanmar et au Bangladesh, la représentante a indiqué que les chiffres communiqués par M. Grandi sur le Venezuela seront pris en compte dans le cadre du débat qui se tiendra demain au Conseil de sécurité sur cette situation de crise.  Elle s’est déclarée, en conclusion, frappée par les propos tenus par le Haut-Commissaire sur la « rhétorique toxique », soulignant la nécessité de « rappeler à chacun » les principes humanitaires. 

M. MARIUSZ LEWICKI (Pologne) s’est préoccupé du fait que le monde compte actuellement 68,5 millions de personnes déplacées, « le niveau le plus élevé jamais recensé ».  Consciente de la relation directe entre les conflits et les déplacements dans le monde, il a appelé à mettre l’accent sur la prévention, insistant sur le rôle critique que joue le Conseil de sécurité en la matière.  Il a aussi souligné qu’il importe de comprendre les causes sous-jacentes des déplacements afin de progresser sur la voie du développement à long terme et de renforcer les liens entre sécurité et développement.

Il est également nécessaire, a-t-il ajouté, d’exhorter les États à respecter sans équivoque le droit international humanitaire.  Le représentant a en outre appelé à accorder une attention particulière aux enfants de moins de 18 ans, « qui représentent la moitié de la population de réfugiés ».  De même pour les personnes handicapées, à cause des obstacles qui les empêchent d’obtenir de l’aide.

M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a indiqué que la crise des migrants est la conséquence d’une « ingérence inacceptable » dans les affaires internes des pays en crise, comme la Libye.  La Fédération de Russie, a-t-il assuré, participe au « régime international de protection » des réfugiés, notamment en apportant une aide aux réfugiés ukrainiens.  En outre, en Syrie, on compte environ 1 000 personnes chaque jour qui rentrent dans le pays en provenance de la Jordanie et du Liban, a affirmé le représentant.  Encourageant le HCR à faciliter ces retours, il a déclaré que son pays s’efforce pour sa part à réhabiliter les infrastructures syriennes.  Le processus de retour doit être « volontaire et librement consenti », a poursuivi le délégué, qui a accusé des organismes internationaux de vouloir maintenir « sous perfusion humanitaire » les résidents du camp de Roukban et de « politiser » l’aide.  Pour sa part, Moscou a l’intention de continuer à soutenir les activités du HCR, qui sont vitales pour des milliers de foyers à travers le monde, a ajouté le représentant.

M. GUSTAVO MEZA-CUADRA (Pérou) s’est dit préoccupé par la situation alarmante dans laquelle se trouvent près de 25 millions de réfugiés dans le monde, une situation qui affecte selon lui au premier chef les pays en développement.  Face au nombre de réfugiés en augmentation constante, le représentant a salué l’adoption, en décembre 2018, du Pacte mondial sur les réfugiés, qui constitue à ses yeux une base légale solide pour instaurer des mécanismes migratoires « plus justes et équitables », ainsi que pour lutter contre la « xénophobie et la discrimination ».  Il a invité le Conseil à traiter la question des réfugiés comme un thème prioritaire, faisant observer d’ailleurs que 57% des réfugiés dans le monde provenaient de pays à l’ordre du jour du Conseil, à savoir le Soudan du Sud, l’Afghanistan, la Syrie et les Rohingya au Bengladesh. 

« Nous devons souligner l’esprit de solidarité et les ressources mobilisées par les pays d’accueil de ces réfugiés, en dépit des difficultés qu’une telle mobilisation peut générer », a déclaré le représentant, appelant à remédier en commun aux causes profondes de ces déplacements, comme les changements climatiques, la désertification, la montée des inégalités, la corruption, la prolifération des armes ou encore l’extrémisme violent.  Il a recommandé au Conseil d’adopter une approche « plus systématique », basée sur des analyses de risques et plans de gestion que le Secrétaire général et l’ONU doivent être en mesure de produire.

M. MANSOUR AYYAD SH. A. ALOTAIBI (Koweït) s’est félicité des relations entre son pays et le HCR, alors que la région du Moyen-Orient souffre tout particulièrement de la crise des réfugiés dans le monde.  « Il existe une relation claire entre le Conseil de sécurité et le HCR », a affirmé le représentant.  Selon lui, en effet, lorsque le Conseil ne parvient pas à contenir ou à gérer un conflit, cela complique fortement le travail du HCR et des autres agences spécialisées du système onusien.  L’incapacité à prévenir ces conflits a un coût politique et financier énorme qui déstabilise des régions tout entières, a-t-il poursuivi, dénonçant le « cercle vicieux des conflits et des déplacements ».

Pour battre en brèche cette dynamique, il a invité l’ONU et le Conseil à redoubler d’efforts en matière de prévention des conflits.  Il a également appelé le HCR à tirer pleinement profit du Pacte mondial sur les réfugiés afin d’améliorer leur sort.  Il a en outre jugé nécessaire de garantir la fourniture d’une aide humanitaire « sans entrave » aux réfugiés.  Cependant, le représentant a constaté qu’il fallait parfois attendre plusieurs mois avant que cette aide ne soit distribuée aux personnes dans le besoin.  Il a ainsi demandé à M. Grandi quelles mesures le Conseil de sécurité pouvait prendre pour améliorer l’accès humanitaire.  Apportant un élément de réponse à sa propre question, le représentant a proposé de mettre fin à l’utilisation du droit de veto par des membres du Conseil dans le but d’empêcher que l’aide ne parvienne à des réfugiés.

Par ailleurs, abordant la question du Mémorandum d’accord entre le HCR et le Gouvernement du Myanmar, le représentant a insisté sur l’importance du retour « digne et volontaire » des Rohingya.  Le délégué koweitien a rappelé que ni le Myanmar ni le Bangladesh ne s’opposent actuellement au retour des Rohingya.  Or, nous savons bien que les conditions de ce retour ne sont pas réunies sur le terrain, a-t-il affirmé.  Dans ce contexte, le représentant a demandé au Haut-Commissaire comment le Conseil pouvait faire en sorte que le retour des Rohingya ne soit pas prématuré?

M. FRANÇOIS DELATTRE (France) a rappelé que, selon le Haut-Commissaire, « 2019 est l’année d’un record sombre », avec 70 millions de personnes qui ont été contraintes à l’exil et sont réfugiées.  Il a insisté sur trois priorités: le partage des responsabilités, la réponse aux causes profondes des déplacements et le respect de principes pour le retour des réfugiés.  L’accueil des réfugiés est certes une obligation internationale mais c’est également un devoir moral, a-t-il tout d’abord souligné en rappelant la responsabilité des États de protéger sur leur territoire les ressortissants étrangers qui ont fui leur pays à cause de persécutions.  « Nous devons assurer des voies sûres et légales pour ces personnes qui s’exilent trop souvent au péril de leur vie.  Nous devons aussi tout faire pour soutenir les pays qui sont en première ligne face aux déplacements de grande ampleur.  Nous devons en outre accroître nos efforts pour lutter contre les trafiquants et les passeurs. »  C’est dans cet esprit que le Pacte mondial sur les réfugiés a été élaboré et nous l’avons adopté, a rappelé M. Delattre en invitant à redoubler d’efforts pour entrer désormais dans la phase de mise en œuvre de ce Pacte. 

Le représentant a ensuite fait remarquer que l’insécurité et les violations massives des droits de l’homme sont les premières causes de déplacements, ce qui oblige à les prévenir et à les réprimer.  Il revient également au Conseil de sécurité de créer les conditions d’un règlement durable des crises.  Enfin, M. Delattre a appelé les États à veiller au caractère volontaire des retours de réfugiés dans leur pays d’origine, tout en assurant des conditions de retour sûres et dignes, avec accès à l’information concernant le lieu envisagé pour le retour.  « En Syrie ou en Birmanie », de telles conditions ne sont absolument pas remplies, a estimé le représentant qui a ajouté pour terminer: seule une approche globale et collective, responsable et solidaire, permettra de répondre efficacement et durablement au défi posé par l’augmentation du nombre de réfugiés.  « La France est déterminée à y œuvrer. »

M. JONATHAN R. COHEN (États-Unis) a rappelé que son pays demeurait le principal donateur d’aide humanitaire dans le monde.  Notre objectif est de fournir une assistance aussi près que possible du domicile des réfugiés pour les aider jusqu’à ce qu’ils puissent rentrer chez eux en toute sécurité, volontairement et dans la dignité, a-t-il précisé.  Cependant, il a reconnu que les besoins humanitaires dépassaient largement les capacités d’un seul donateur.  « Nous encourageons les autres États, ainsi que les acteurs du développement et le secteur privé, à accroître leurs contributions humanitaires dans le monde entier », a-t-il appelé.

S’agissant du Pacte mondial sur les réfugiés, M. Cohen y a vu une base solide pour un meilleur partage des responsabilités entre États Membres.  « Nous encourageons les pays n’accueillant pas de réfugiés et les pays ne fournissant pas d’assistance humanitaire à en faire davantage », a-t-il notamment déclaré, tout en appelant à réduire la pression sur les pays d’accueil, y compris par le biais de pays tiers ou de mesures de réinstallation innovantes.  Le représentant a également soutenu les efforts visant à améliorer les conditions dans les pays d’origine, afin de permettre des retours « sûrs et volontaires ».

Par ailleurs, M. Cohen a salué les mesures admirables prises par plusieurs pays pour protéger les réfugiés.  L’Éthiopie élargit notamment l’accès des réfugiés à l’emploi, à l’éducation et à d’autres services de base.  La Jordanie s’est engagée à permettre à tous les enfants d’accéder à l’éducation publique.  En Turquie, a-t-il ajouté, près de quatre millions de réfugiés ont accès à des soins de santé, à un travail et à une éducation gratuite.  Quant à la Thaïlande, M. Cohen a souligné qu’elle avait donné la nationalité à plus de 30 000 apatrides, cependant que le Pakistan a lancé un débat national sur l’octroi de la citoyenneté aux réfugiés qui y sont nés.

« Nous devons éviter la tentation de faire pression prématurément pour obtenir le retour d’individus dans des pays ou des régions qu’ils ont fuis », a insisté le représentant.  Selon lui, en Syrie par exemple, la plupart des réfugiés ne sont pas prêts à rentrer car les conditions dans de nombreux lieux ne sont pas sûres.  M. Cohen s’est toutefois dit préoccupé par les rapports faisant état de retours involontaires dans certains contextes.  Il a appelé les États à se conformer aux règles du droit international et à respecter le principe de non-refoulement.  Au Haut-Commissaire, il a demandé d’avoir « une vision non politisée des options actuelles pour les résidents du camp de Roukban ».  Le représentant a par ailleurs encouragé les États à s’abstenir de prendre des mesures qui exacerbent les déplacements. 

S’agissant du Venezuela, M. Cohen a dit chercher « en vain », depuis plus d’un an, à résoudre le problème à l’origine de la crise humanitaire actuelle.  Suggérer aux voisins du Venezuela, qui accueillent plus de trois millions de réfugiés, que la situation ne menace pas la sécurité et la stabilité de la région est dans ce cadre erroné, a-t-il estimé.  « Nous continuerons à tirer la sonnette d’alarme sur la situation désastreuse du peuple vénézuélien », a déclaré le représentant.

M. MARC PECSTEEN DE BUYTSWERVE (Belgique) a indiqué que le nombre « incroyable » de 68,5 millions de déplacés amène à parler de trois points qui sont: l’importance d’une capacité de réaction rapide; la centralité de la protection; et la contribution vitale de la coopération internationale à travers le Pacte mondial sur les réfugiés.  Pour la Belgique, la forte augmentation des déplacements forcés ne peut pas devenir le baromètre du déclin de notre capacité à prévenir, contenir et résoudre les conflits.  L’apparition de flux de réfugiés ou de déplacés internes est dans beaucoup de cas un « indicateur d’alerte précoce ».  Ces flux devraient, comme tels, figurer dans les analyses et les rapports soumis au Conseil de sécurité afin d’améliorer sa capacité de réaction.

La Belgique soutient la « centralité de la protection » à travers un partenariat fort avec le HCR, a poursuivi le représentant en faisant valoir les 20 millions d’euros mobilisés à cette fin en 2019, dont 8 millions de contribution aux ressources générales.  Compte tenu de la vulnérabilité supplémentaire des femmes et des enfants aux risques de violations, y compris les violences sexuelles, la Belgique appelle l’ONU et les autres partenaires humanitaires à accorder une attention particulière à leurs besoins spécifiques et à mettre à disposition des victimes de violences sexuelles des services médicaux et psychosociaux spécialisés.  La Belgique appelle également tous les États Membres à respecter le principe de non-refoulement.  Le retour et la réintégration doivent en outre faire partie intégrante des processus de paix, avec des garanties données par les parties au conflit pour que les réfugiés puissent rentrer de manière sûre, volontaire, digne, bien informée et durable.  De même, des mesures d’accompagnement doivent être mises sur pied, dans le sens d’une réconciliation durable et d’une justice transitionnelle. 

Le représentant a également invité à s’interroger sur la coopération internationale en matière de réfugiés.  Il a espéré que l’adoption du Pacte mondial sur les réfugiés donnera un nouveau souffle à cette coopération.  Le Pacte donne la priorité au soutien aux pays d’accueil, au partage des responsabilités, aux charges et à la recherche de solutions durables, a-t-il salué en faisant remarquer que 10 pays à eux seuls accueillent presque 60% des réfugiés, et que 85% des réfugiés se trouvent dans des pays en développement.  M. de Buytswerve a dit que cette approche permet d’éviter des « générations perdues », surtout dans des situations de crises prolongées en raison du manque de soins de santé, d’éducation et de soutien psychosocial.  S’adressant enfin au Haut-Commissaire, le représentant a voulu savoir comment le HCR gère la question du retour, par exemple pour le cas de la République arabe syrienne. 

M. CHRISTOPH HEUSGEN (Allemagne) a rappelé que son pays avait été en 2018 le deuxième bailleur de fonds du HCR.  Il s’est dit convaincu de l’importance du Pacte mondial sur les réfugiés, notamment pour parvenir à un « partage équitable des responsabilités » entre pays à l’échelle mondiale.  Concernant les pays d’accueil, le représentant a salué l’action des pays voisins de la Syrie, mais également celle du Bangladesh, concernant la situation au Myanmar, ainsi que ce que font le Pérou et l’Équateur s’agissant du Venezuela.  Il a en effet estimé que la capacité des réfugiés à retourner chez eux dépendait en grande partie de la générosité des pays limitrophes.  Lorsque les réfugiés sont trop loin de leur pays d’origine, a-t-il ajouté, les possibilités de retour s’amenuisent.  Le représentant a aussi insisté sur le retour dans la dignité et en toute sécurité des réfugiés. 

Le représentant a appelé le HCR et la Fédération de Russie à travailler de concert pour garantir que les réfugiés du camp de Roukban, à la frontière entre la Syrie et la Jordanie, ne soient pas enrôlés de force.  Concernant la Libye, le représentant a estimé que la question des réfugiés femmes et enfants revêtait une importance toute particulière.  De manière générale, il a appelé à tenir compte de ces réfugiés particulièrement vulnérables.  Pour ce qui est du Myanmar, le représentant a demandé à M. Grandi s’il pouvait en dire davantage sur les 34 projets mentionnés par le Haut-Commissaire.  Tout en rendant hommage au Bangladesh, « qui n’est pas un pays très riche », le représentant s’est également inquiété du sort des réfugiés dans le pays, suite notamment à des rumeurs concernant leur possible transfert sur une île.  Ces réfugiés sont-ils en danger, a demandé le représentant allemand.

Reprenant la parole, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a commencé par répondre à la « complexe » question des réfugiés retournant dans leur pays d’origine.  Aux yeux du HCR, ces retours doivent se faire dans la sécurité, la sûreté et la dignité, a-t-il souligné, avant de prévenir que l’absence de viabilité peut être source de nouveaux conflits.  Les personnes qui souhaitent rentrer dans leur pays malgré des conditions difficiles, comme c’est le cas en Syrie, auront besoin d’un appui humanitaire, a expliqué M. Grandi.  Par ailleurs, dans des situations comme celle du Myanmar, le HCR doit être présent dans les zones où s’effectuent les retours, une « présence neutre et impartiale », a-t-il assuré.

S’agissant de la Syrie, le Haut-Commissaire a dit avoir beaucoup parlé avec le Gouvernement et avoir signé un protocole d’accord avec lui, mais reconnu qu’il fallait encore faire des progrès.  Dans le camp de Roukban, une « population mixte » a été privée d’assistance humanitaire pendant longtemps, et nous partons du principe que la situation va se compliquer.  « Si ces personnes rentrent chez elles, nous devrons être présents pour leur prêter assistance dans le cadre des retours », a recommandé le haut fonctionnaire, avant de demander au Conseil de promouvoir la présence du HCR pour qu’il veille au retour dans les meilleures conditions possibles.  « Il est vrai que les réfugiés ont le droit de ne pas rentrer chez eux », a-t-il noté par ailleurs, en citant l’exemple des Somaliens réfugiés depuis des dizaines d’années au Kenya ou en Éthiopie.  « Mais que faire pour les pays qui les accueillent depuis des décennies? »  Il a déclaré que le Pacte mondial sur les migrations prévoyait un certain nombre de pistes de réflexion. 

M. Grandi s’est fait l’écho de l’appel lancé par les États-Unis, « notre bailleur de fonds le plus important et de loin », qui a préconisé d’élargir l’éventail des bailleurs de fonds du HCR.  Le Haut-Commissaire s’est par ailleurs déclaré fasciné par l’intérêt que les Chinois accordent aux activités de l’agence onusienne.  Répondant ensuite à la question du Royaume-Uni, il a estimé que la priorité en Libye est de mettre un terme à l’escalade des hostilités.  « Je me joins au Secrétaire général pour vous encourager à faire entendre votre voix. »  Par ailleurs, a-t-il dit, si rien n’est fait pour atténuer les violences et les menaces qui les visent, les Rohingya ne prendront pas le chemin du retour pour le Myanmar, a prévenu M. Grandi.  En conclusion, il a recommandé de renforcer le partenariat avec l’Union africaine. 

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