Troisième session,
43e séance – matin
MER/2113

Biodiversité marine: le champ d’application du futur instrument juridiquement contraignant au centre des négociations intergouvernementales

Les délégations qui prennent part à la troisième session de la Conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine ont progressé aujourd’hui sur les négociations du futur « instrument international juridiquement contraignant se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale ».

Alors que la première semaine de travaux s’est achevée aujourd’hui, les délibérations ont eu lieu au sein du Groupe de travail officieux sur « les ressources génétiques marines, y compris les questions liées au partage des avantages ».  Les échanges ont porté sur les articles 7 et 8 du futur instrument, le second délimitant le champ d’application que beaucoup ont situé, sur le plan temporel, au moment de l’entrée en vigueur du futur accord.  Le Groupe des États d’Afrique a toutefois envisagé que le futur instrument puisse avoir un effet rétroactif.

Concernant le champ d’application ratione materiae, il semble que les délégations soient d’accord pour exclure la pêche de poissons pêchés comme produits de base, tel que cela est prévu dans l’avant-projet d’accord.

Les travaux ont commencé par des commentaires sur l’article 7, intitulé « Objectifs », qui se décline en cinq alinéas.

Le premier alinéa -a)- comprend la liste de groupes de pays, futurs États parties, qui nécessitent de renforcer leurs capacités afin de tirer parti des ressources génétiques marines des zones ne relevant pas de la juridiction nationale: les États en développement, en particulier les pays les moins avancés, les pays en développement sans littoral, les États géographiquement désavantagés, les petits États insulaires en développement, les États côtiers d’Afrique et les pays en développement à revenu intermédiaire.

L’Iran a dit être d’accord pour voir figurer dans cette liste le groupe des pays à revenu intermédiaire, tandis que les États-Unis s’y sont opposés.  Sri Lanka a rappelé qu’il allait bientôt passer dans cette catégorie mais prévenu qu’il n’avait pas à lui seul les capacités de gestion des ressources génétiques marines.  De plus, 73% de la population mondiale vit dans les pays à revenu intermédiaire, a argué la délégation pour appuyer leur mention dans le texte.  La Palestine, parlant au nom du Groupe des 77 et la Chine (G77) a, sans ambages, déclaré qu’il ne souscrirait pas au retrait du groupe des pays à revenu intermédiaire de la liste, alors que l’Indonésie a demandé d’ajouter la catégorie des États qui sont formés d’archipels.  Pour l’Australie, il faut tout simplement retirer ce paragraphe de l’accord, a dit la délégation.

Le deuxième alinéa –b)- prévoit comme autre objectif de « promouvoir la production de connaissances et d’innovations techniques, notamment en encourageant et facilitant conformément à la Convention le développement et la conduite de la recherche scientifique marine dans les zones ne relevant pas de la juridiction nationale ».  Les Fidji, s’exprimant au nom de petits États insulaires du Pacifique, ont appuyé cet article, mais jugé trop faible le verbe « promouvoir » placé au début.  Le Japon a, pour sa part, préféré que cet objectif soit placé en première position. 

Pour le groupe CLAM (Core Latin American), c’est le troisième alinéa –c)- qui devrait figurer comme tout premier objectif: le Brésil, qui parlait au nom de ce groupe, a dit soutenir la proposition du G77 de mettre l’accent sur cet objectif, car étant le plus important de tous.  Le but envisagé ici est d’« encourager un partage [juste et équitable] des avantages qui découlent de l’utilisation des ressources génétiques marines des zones ne relevant pas de la juridiction nationale ».  Même son de cloche du côté de l’Indonésie, qui a plaidé pour que cet alinéa devienne le principal de l’article 7, un avis partagé par l’Union européenne (UE).  Le Japon a toutefois suggéré de supprimer les adjectifs « juste et équitable », car à ses yeux, cela laisse croire qu’il s’agit d’un « partage d’argent ».  La Suisse a quant à elle tenu à préciser que ce partage devait se faire de manière volontaire et d’un commun accord.

Les États-Unis ont fait la même remarque en ce qui concerne le caractère « volontaire » pour l’alinéa suivant -d)– selon lequel il faut « favoriser le développement et le transfert des techniques marines [, sous réserve de tous les intérêts légitimes, y compris, entre autres, les droits et les obligations des détenteurs, des fournisseurs et des bénéficiaires de ces techniques] ».  Pour la délégation américaine en effet, tout transfert des techniques marines doit se faire sur une base volontaire.

Sur le plan de la structure du texte, la Chine, le Canada et d’autres orateurs ont préconisé que les alinéas a) et d) soient transférés dans la partie de l’accord consacrée au transfert des techniques marines. 

De même, pour le dernier alinéa de l’article 7 -e)– qui prévoit comme objectif de « soutenir l’instauration d’un ordre économique international juste et équitable », le G77 a proposé de le déplacer pour le mentionner au préambule.  L’UE a également estimé que cette dernière phrase n’avait pas sa place dans cet article, un avis partagé par la Norvège, le Japon, et le Canada.   

Lors de l’examen de l’article 8 intitulé « Champ d’application [de la présente partie] [du présent Accord]] », le Canada a proposé que l’intitulé de l’article soit tout simplement « champ d’application ». 

Les négociateurs ont d’abord examiné le premier paragraphe de l’article 8 qui se lit comme suit: « [1. [La présente partie] [Le présent Accord] s’applique aux ressources génétiques marines [des] [auxquelles il est accédé dans les] [provenant des] zones ne relevant pas de la juridiction nationale.] » 

L’Algérie, au nom du Groupe des États d’Afrique, a dit préférer l’expression « auxquelles il est accédé dans les », tandis que la Barbade, au nom de la CARICOM, a souhaité que tous les termes entre crochets soient conservés. 

L’UE a demandé d’ajouter, en fin de paragraphe, l’expression « qui sont collectées après l’entrée en vigueur de cet instrument », en faisant ainsi allusion aux ressources génétiques marines collectées dans des zones ne relevant pas de la juridiction nationale.  Selon cette logique, il faudra enlever le verbe « accédé », a précisé la délégation. 

Singapour a interpellé les délégations sur le fait que les organismes marins peuvent se retrouver dans une zone de juridiction nationale, mais provenir d’une zone hors de la juridiction nationale, et vice-versa. 

Les discussions sont ensuite passé au deuxième paragraphe et à ses alinéas: « [2 [La présente partie] [Le présent Accord] s’applique:

[a) [À l’utilisation de poissons [d’échantillons] et autres ressources biologiques pour la recherche sur leurs propriétés génétiques] [Aux ressources génétiques marines, y compris les poissons, dans la mesure où ils sont collectés en tant que sujet de recherche sur leurs propriétés génétiques]; ] »

Le G77 a dit être d’accord avec ce paragraphe, ainsi que les petits États insulaires en développement du Pacifique.

« b) Aux ressources génétiques marines collectées in situ [et [auxquelles il est accédé] [obtenues] ex situ] [et [in silico] [[et] [aux] [sous forme de] [données] et [d’informations] de séquençage [génétique] [numérique]]; »

Le Groupe des États d’Afrique a souhaité que l’on retire le mot « obtenues ». 

« [c) Aux produits dérivés.]] »

Le groupe CLAM a soutenu cet alinéa sur les produits dérivés qui doivent selon lui être pris en compte, mais le Japon a demandé qu’il précise qu’il s’agit des ressources génétiques marines collectées in situ

La Fédération de Russie a quant à elle demandé que les deux paragraphes, 1 et 2, soient « jumelés ». 

Abordant ensuite les cas qui seraient exclus du champ d’application, les délégations ont parlé du troisième paragraphe: « [3. [La présente partie] [Le présent Accord] ne s’applique pas: 

[a) [À l’utilisation de poissons et autres ressources biologiques comme produits de base.] [Les poissons et autres ressources biologiques collectés au-delà d’un certain seuil exprimé en volume sont considérés comme des produits de base. »

Le groupe CLAM a dit vouloir proposer une simplification du libellé ci-dessus, souhaitant se focaliser sur l’activité de pêche plutôt que sur les produits de la pêche.  L’UE a été plus catégorique: selon elle, la gestion des poissons de pêche ne relève pas de l’instrument en cours de négociation.  La Fédération de Russie a dit, à son tour, que la pêche ne devait pas être prise en compte dans l’instrument. 

« [b) Aux ressources génétiques marines [auxquelles il est accédé] [obtenues] ex situ [ou [in silico] [[et] [aux] [sous forme de] [données] et [d’informations] de séquençage [génétique] [numérique]]; ] »

L’Indonésie a souhaité voir cet alinéa supprimé tout simplement. 

« [c) Aux produits dérivés;] »

Cuba a proposé d’enlever les alinéas b et c, arguant que la recherche scientifique devait être prise en compte pour ces ressources.  Pour la délégation cubaine, la seule exception au champ d’application doit concerner les activités de pêche ayant pour but final l’alimentation.  L’Alliance de la haute mer a proposé que le terme « poissons » soit remplacé par l’expression suivante: « ressources biologiques marines » afin d’éviter toute équivoque.

« [d) À la recherche scientifique marine.]] »

Enfin, l’article 8 prévoit encore, dans un quatrième paragraphe que: « [4. Le présent Accord s’appliquera, après son entrée en vigueur, aux ressources génétiques marines auxquelles il est accédé in situ, ex situ [et in silico] [[et] [aux] [sous forme de] [données] et [d’informations] de séquençage [génétique] [numérique]], y compris les ressources auxquelles il était accédé in situ avant son entrée en vigueur, mais [auxquelles il est accédé] [ou qui sont utilisées] ex situ ou [in silico] [[et] [sous forme de] [données] et [d’informations] de séquençage [génétique] [numérique]] après son entrée en vigueur.  ] »

L’UE a estimé qu’au vu des amendements qu’elle avait proposés au paragraphe 1, le paragraphe 4 devenait caduc.  La Suisse a été d’avis que les produits dérivés ou les informations relatives au séquençage ne devaient pas figurer dans cet article.  De ce fait, l’instrument ne devrait tenir compte que des ressources collectées in situ après l’entrée en vigueur de l’instrument.  Elle a abondé dans le sens du Japon, selon lequel il faut mentionner que l’instrument n’aura pas d’effet rétroactif.  La Norvège a également insisté pour que l’instrument ne concerne que les ressources collectées après l’entrée en vigueur de l’instrument.  Même avis pour la Nouvelle-Zélande, qui a proposé de supprimer les paragraphes 3 et 4, tandis que pour l’Australie, il est clair que cet instrument et le présent article ne concernent pas les poissons. 

Les États-Unis ont également milité pour qu’il soit dit que l’accord n’aura pas d’effet rétroactif.  La Chine a tenu à rappeler qu’en vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, « lorsque le consentement d’un État à être lié par un traité est établi à une date postérieure à l’entrée en vigueur dudit traité, celui-ci, à moins qu’il n’en dispose autrement, entre en vigueur à l’égard de cet État à cette date ».  Ce à quoi le Groupe des États d’Afrique a répondu que la même Convention dispose, en son article 28, de la non-rétroactivité des traités, « à moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie ».  Faisant valoir que la question des ressources génétiques marines fait l’objet de discussions au sein de la communauté scientifique depuis plus de 15 ans, le Groupe a été d’avis qu’on ne pouvait insister pour que le champ d’application temporel ne concerne que la période après l’entrée en vigueur du futur accord.

En fin de séance, les délégations ont approuvé un nouveau programme de travail (en anglais) pour la seconde et dernière semaine des travaux. 

La Conférence intergouvernementale poursuivra sa session lundi 26 août, à 10 heures, en examinant les questions du renforcement des capacités et du transfert de techniques marines.

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