Soixante-quinzième session,
Dialogue virtuel - après-midi 
AG/DSI/3649 

La Première Commission  entend un appel à « placer les êtres humains au centre de la sécurité internationale » 

La société civile fait entendre sa voix lors de la première séance virtuelle de la Commission

La Première Commission a tenu cet après-midi la première des trois séances virtuelles à son programme de la soixante-quinzième session de l’Assemblée générale.  Le Président de la Commission, M. Agustín Santos Maraver, a ainsi invité la Haute-Représentante pour les affaires de désarmement, Mme Izumi Nakamitsu, à débattre avec les États Membres, avant que ceux-ci n’entendent les doléances d’organisations de la société civile.  M. Santos Maraver a reconnu que ce format de discussion inédit remplaçait « faute de mieux » les échanges traditionnels entre les délégations et les secrétaires généraux et directeurs d’organes et institutions du mécanisme onusien de désarmement et de sécurité internationale.  « Il est temps de placer les êtres humains au centre de la sécurité internationale », a notamment déclaré la Haute-Représentante.

Contrairement à l’usage qui consiste chaque année pour la Haute-Représentante à présenter à la Première Commission un rapport sur le suivi de l’application des projets de résolutions que cette dernière a transmises à l’Assemblée générale, Mme Nakamitsu a, pour l’essentiel, limité son propos aux conséquences de la pandémie de COVID-19 sur les travaux de la Commission. 

« En 75 ans d’existence, la COVID-19 représente la plus grande difficulté faite à nos travaux », a répété Mme Nakamitsu, qui était déjà intervenue devant la Première Commission vendredi lors de l’ouverture du débat général.  Comme elle l’avait fait quatre jours plus tôt, elle a regretté qu’en dépit de la crise sanitaire « des pays modernisent leurs arsenaux nucléaires et investissent des ressources considérables dans des outils de mort et de destruction ».  Après avoir noté que, s’il est vrai que la COVID-19 a bouleversé la situation intérieure de nombre d’États, une détonation atomique serait bien plus destructrice, Mme Nakamitsu a appelé les États Membres à se consacrer de nouveau à la recherche de moyens permettant d’atteindre cet objectif existentiel pour l’humanité qu’est l’élimination complète des armes nucléaires.

La Haute-Représentante pour les affaires de désarmement a voulu voir dans la pandémie l’occasion d’un intérêt accru des pays pour la Convention sur les armes biologiques et la résolution 1540 (2004) du Conseil de sécurité contre la prolifération des armes de destruction massive.  En un sens, la COVID-19 nous pousse à penser à tout cela à nouveaux frais, a-t-elle dit.  Elle n’a pas manqué également d’inviter les États Membres à soutenir de manière unie les travaux de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques et à appliquer la résolution 2118 (2013) du Conseil de sécurité, ces efforts de la communauté internationale devant empêcher l’érosion de la norme juridique universelle sur ces armes.  

Par ailleurs, la Haute-Représentante a constaté avec regret que l’appel au cessez-le-feu mondial lancé le 23 mars par le Secrétaire général n’avait rencontré que peu d’écho concret.  Or, a-t-elle dit, nous savons que la COVID-19 a des effets dévastateurs dans les pays en proie à des conflits et dans les zones urbaines soumises à des violences armées.  Elle a considéré que, dans un tel contexte, une approche résolument humanitaire du désarmement était plus nécessaire que jamais pour protéger les personnes les plus vulnérables aux chocs sociétaux actuels et post-COVID, notamment les femmes et les filles.

La pandémie a également retardé la concrétisation des engagements internationaux de lutte contre les armes classiques et les discussions à l’ordre du jour des experts de l’ONU sur la régularisation des systèmes d’armes létaux autonomes et sur les technologies de l’information et des communications et la sécurité internationale, a fait observer Mme Nakamitsu.  Nous devrons progresser sur ces questions de manière transparente et inclusive, conscients du potentiel qui est le nôtre quand nous avançons unis et rassemblés dans un cadre de coopération renforcée, a-t-elle ajouté.  Pour la Haute-Représentante, il est temps de placer les êtres humains au centre de la sécurité internationale.

Lors des échanges avec les délégations, la Fédération de Russie a partagé le sentiment de Mme Nakamitsu quant à la dégradation de l’environnement de la sécurité internationale, assurant qu’elle privilégiait pour sa part des moyens diplomatiques pour garantir la sécurité internationale.  Si la Russie aspire à débarrasser le monde des armes nucléaires, elle estime toutefois que, pour y parvenir la participation des États dotés de ces armes à toute discussion internationale sur le sujet est un préalable.  C’est en ce sens que la Russie a rejeté la viabilité du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, négocié sans les États dotés, « sans prendre en compte les réalités stratégiques actuelles » et au risque de mettre à mal le régime de non-prolifération.

D’autre part, la Russie a souhaité avoir des éclaircissements sur les activités du Bureau des affaires de désarmement, qui travaillerait selon elle à mettre sur pied un mécanisme ou une unité spécialisée dans les armes chimiques et biologiques.  Avant d’entendre les réponses de Mme Nakamitsu, elle a recommandé d’éviter de créer des entités spécialisées susceptibles de parasiter les outils internationaux de désarmement international existants.  Par ailleurs, la Russie a accusé les États-Unis de réformer de l’intérieur l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), accusant celle-ci de publier des rapports désormais politisés et de formuler des accusations fallacieuses ne visant qu’à satisfaire la vision occidentale du monde.

La Haute-Représentante a répondu qu’il existait plusieurs chemins menant au désarmement nucléaire, tous méritant d’être empruntés, que ce soit ceux ouverts par le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, un traité interdisant la production de matières fissiles pour la fabrication d’armes nucléaires, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires ou encore le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires.  Elle a souligné ensuite que les experts œuvrant aux côtés du Bureau étaient nommés par les États Membres, ceux-ci devant fournir les capacités et les ressources nécessaires à la réalisation des mandats pertinents et agréés au niveau international.  Elle a de plus voulu rassurer la Fédération de Russie en assurant que la capacité actuellement en cours de développement sur les armes chimiques et biologiques ne serait en rien une capacité d’enquête inscrite au sein du Bureau.  Sur les armes chimiques précisément, elle a souhaité que prévale l’unité du Conseil de sécurité et autour de l’OIAC.

À l’Équateur qui lui demandait de quoi serait faite l’année 2021 du Bureau, Mme Nakamitsu a répondu qu’il faudrait de nouveau composer avec un environnement stratégique tendu et la présence de la COVID-19.  Elle s’est dite cependant encouragée par la réaffirmation, lors du débat général de l’Assemblée générale, de la confiance des États Membres dans la coopération multilatérale et le dialogue sur les questions de sécurité.  « Avec le Secrétaire général, nous continuerons de promouvoir une approche multilatérale », a-t-elle dit.  En outre, elle a noté que la tenue des trois conférences d’examen à l’ordre du jour de 2021, sur le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, sur les armes chimiques et sur les armes biologiques représentait des rendez-vous très importants.  « Les parties, dans des conditions organisationnelles si particulières, devront faire preuve de souplesse et trouver des moyens de travailler efficacement ensemble pour trouver des solutions à des questions qui engagent la sécurité de tous  », a ajouté la Haute-Représentante.  Elle a estimé que les plateformes virtuelles continueraient sûrement à se développer en s’améliorant, « de sorte que l’on puisse continuer à appliquer les mandats que les États Membres nous ont confiés ».  

Le Mexique a demandé à Mme Nakamitsu comment son Bureau allait accompagner les engagements pris par le Secrétaire général en matière de désarmement au titre de la déclaration commune des chefs d’État et de gouvernements adoptée le 21 septembre dernier, lors du soixante-quinzième anniversaire des Nations Unies.  La Haute-Représentante a indiqué que les équipes d’experts du Secrétaire général étaient à pied d’œuvre pour définir un ordre du jour à soumettre aux États Membres.  Nous commençons à prioriser les thématiques qui composeront la partie sur le désarmement et la sécurité internationale, a-t-elle encore indiqué, se disant heureuse de pouvoir interagir avec les experts sur ce qui constituera la matière des délibérations des États Membres.

Le Royaume-Uni lui a demandé comment serait renforcé le financement des nouvelles modalités de travail des institutions de désarmement de l’ONU, à New York et à Genève, si les limitations instaurées cette année devaient perdurer.  « Les États Membres doivent financer pleinement notre budget, et le débat budgétaire vient de commencer à la Cinquième Commission », a répondu Mme Nakamitsu.  Elle a reconnu que la prudence budgétaire était de mise mais que la discussion sur les moyens d’optimiser les outils de réunions virtuelles mis en place depuis moins d’un an étaient actuellement discutés par les États Membres, qui « doivent nous permettre de continuer de fonctionner ».

Une quinzaine d’organisations non gouvernementales se sont ensuite exprimées, chacune mettant l’accent sur un type d’armes ou une problématique particulière.  Ainsi, « International Network on Explosive Weapons » a expliqué que les mines avaient des conséquences néfastes sur les corps et les états psychologiques.  La déléguée de l’ONG, Afghane orthopédiste elle-même mutilée par un engin explosif durant son enfance, a expliqué que les bombardements et les pilonnages remettaient en question les communautés, les maisons, les hôpitaux, les routes.  Elle a donc appelé les États Membres et la Commission à mettre en place des règles qui empêcheront que cela ne se perpétue.

International Action Network on Small Arms, IANSA s’est intéressée aux armes légères et de petit calibre en faisant observer que la pandémie avait provoqué une augmentation des violences sexistes et sexuelles d’autant plus grave que les auteurs possèdent de telles armes.  L’ONG considère les ALPC comme une menace au développement des pays et exhorte les États à réduire leur commerce illicite des armes légères.  Pour y parvenir, elle plaide pour que les femmes participent à la maîtrise de ces armes et appelle les États à coopérer avec la société civile.

Une intervenante du King’s College de Londres a estimé que la pandémie avait démontré le danger de la menace biologique, ajoutant que les délégations à la Première Commission devaient lutter contre les armes biologiques car elles sont de plus en plus dangereuses.  Les délégations doivent examiner de près comment l’architecture des armes biologiques peut être améliorée.  Pour cela, il faut mettre en place des plans d’action avec un organe international qui prendrait modèle sur l’AIEA pour enquêter en cas d’informations suspectes.

Le Comité des avocats sur la politique nucléaire, (Lawyers Committee on Nuclear Policy) a estimé que les fragilités de nos sociétés avaient été mises à nu et a plaidé pour le non-recours à l’arme nucléaire, parce que la menace que font peser ces armes aux effets indiscriminés est incompatible avec le droit de la vie.  La tendance à la modernisation des armes nucléaires est un affront aux normes, y compris le TNP.  Le monde a au contraire besoin de réduire et éliminer définitivement et complètement les armes nucléaires.  La Campagne pour l’interdiction des armes nucléaires a déclaré que neuf pays dans le monde disposaient de suffisamment de puissance de feu pour tuer toute vie sur la Terre.  Mais les voix de la majorité peuvent être entendues.  La solution est l’élimination totale des armes nucléaires et c’est atteignable.

La Campagne pour l’interdiction des armes terrestres a noté que, grâce à un long travail, les mines antipersonnel avaient quasiment disparu.  La Coalition contre les armes à sous-munitions a demandé aux États de se rallier au traité interdisant ces armes et a condamné leur utilisation en Syrie et au Haut-Karabakh.  Human Rights Watch a axé son plaidoyer contre les armes incendiaires, faisant observer que, pendant que les États se posent des questions à leur propos, les victimes de ces armes continuent de souffrir.  La perte d’une peau élastique empêche le développement des enfants et les conséquences psychologiques sont graves, a souligné l’ONG.

Une coalition de 14 associations opposées à l’utilisation militaire des drones a noté que 2020 avait été « l’année des drones », qui ont tué un peu partout dans le monde.  Plus d’une décennie après le début de l’utilisation des drones, on voit se multiplier ce type d’armes, compte tenu de l’absence de risque pour leur pilote.  La coalition antidrone demande une réflexion sur les conséquences de ces nouvelles technologies et recommande qu’un groupe d’experts soit réuni pour élaborer des normes sans attendre, car la technologie avance rapidement.

La Campaign to Stop Killer Robots (la campagne pour faire cesser les robots tueurs) a souligné que ces « robots tueurs » privaient les humains de leur rôle dans le recours à la force, ce qui pose des problèmes moraux.  L’ONG estime que de tels systèmes d’armes doivent rester sous contrôle d’un être humain.  Le Secrétaire général et des milliers d’experts, des lauréats de Prix Nobel de la paix, le Comité international de la Croix-Rouge, tous pensent qu’il faut mettre en place des normes en ce sens et les États devraient adopter un traité.

Project Ploughshares a exhorté les États à s’opposer à l’utilisation de toute capacité à détruire des objets dans l’espace extra-atmosphérique.  L’ensemble du monde peut devenir un champ de bataille depuis l’espace.

Une coalition d’ONG, « Joint civil society statement on cyber peace and human security », a fait observer que la pandémie avait démontré le rôle des technologies de l’information et des communications.  Le cybercrime a augmenté de 600% depuis la pandémie, a-t-elle affirmé.

Une femme du Yémen a rappelé que, si beaucoup d’entre nous ont fait l’expérience de soins de santé inadéquats durant la pandémie de COVID-19, au Yémen, des violences ont empêché l’accès humanitaire de se mettre en place.  Au milieu de cette crise de sanitaire mondiale, la violence sexiste et les féminicides ont augmenté.  Au nom de la coalition sur le contrôle des armes, elle a appelé à mettre un terme au transfert des armes, qui sèment la mort.

Pour Women’s International League for Peace and Freedom, nous vivons dans un monde qui connaît de plus en plus de crises.  Parmi les causes, il y a le militarisme et le patriarcat, les idées violentes de masculinité.  Le commerce des armes a continué pendant la pandémie, or les armes ne fournissent pas la sécurité.  La paix ne peut pas être atteinte par les armes, c’est une illusion patriarcale.  Il faut changer notre perception pour parvenir à un monde pacifique.  Enfin, une intervenante au nom de la Pace university, a noté qu’alors que les moins de 25 ans représentent 40% de la population mondiale, ils sont sous-représentés dans une instance comme la Première Commission et a demandé d’inclure les jeunes dans les groupes de travail.

La Première Commission reprendra demain, à partir de 10 heures, son débat général.

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