Soixante-quinzième session,
2e séance – matin
AG/EF/3531

Deuxième Commission: la menace d’une crise de la dette plane sur des économies affaiblies par la COVID-19 

Une pandémie entraînant un « maëlstrom » de crises, « mettant à nu » les vulnérabilités. Cette formule a été prononcée en ce premier jour de débat général de la Deuxième Commission de l’Assemblée générale, chargée des questions économiques et financières, par le représentant de la Communauté des Caraïbes (CARICOM).  Elle ne résume que trop bien les difficultés économiques et sociales auxquelles les États Membres se disent aujourd’hui confrontés. 

Une session « en tout point inédite », a prévenu son Président Amrit Bahadur Rai en préambule.  Par sa forme –virtuelle en grande partie– et par le fond.  Si le débat général de la Deuxième Commission se tient en présentiel, avec des représentants d’États Membres répartis sur trois salles de conférence reliées par écrans, les différents points de son ordre du jour seront discutés en séances virtuelles informelles. 

De plus, la COVID-19, qui compromet gravement la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030, va influencer tous les thèmes habituellement débattus par la Commission.  Celle-ci va tenter de mettre en exergue différentes ripostes politiques, a annoncé M. Rai en détaillant les grands axes de travail, citant l’élimination de la pauvreté, la sécurité alimentaire et la nutrition, le financement du développement et de la dette, ou encore l’environnement. 

Parmi ces défis, le problème de la dette a été exposé de manière saillante.  Cette dette entravait déjà le développement et l’adaptation aux changements climatiques des pays en situation particulières; elle compromet maintenant leur adaptation sanitaire à la COVID-19, aujourd’hui priorité absolue.  La dette fut l’objet principal de l’exposé prononcé par le professeur de Columbia University et Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, en point d’orgue de cette première journée.  L’économiste a dressé un tableau post-COVID très sombre, la pandémie ayant « dévasté l’économie mondiale comme jamais depuis probablement un siècle ».  Les pays en développement, extrêmement endettés sont en grande souffrance : « Certains débiteurs ont été invités à s’endetter par leurs créanciers et sont aujourd’hui dans une situation très difficile.  Des créanciers qui n’auraient pas bien évalué les risques, tels qu’une chute des cours des matières premières, selon l’économiste, qui prévient que le monde fait face à un risque « très palpable » d’une autre crise de la dette. 

Il a ici été rejoint par Liu Zhenmin, Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales, pour qui le fléau pourrait mener 70 millions de personnes à la pauvreté extrême et provoquer la malnutrition de 132 millions d’humains.  « Nous devons tout faire pour éviter une crise de la dette dans les pays en développement », a-t-il insisté.  Toutefois, si M. Liu semblait favorable à une « suppression » de la dette, M. Stiglitz est resté sceptique face à cette idée, s’en tenant à un objectif de « restructuration », absolument indispensable selon lui: à moins de « restructurer la dette », le monde en développement, les créanciers et les débiteurs « vont beaucoup souffrir  », a prévenu le lauréat du Prix Nobel. 

Le Groupe des 77 et la Chine (G77) a témoigné que les défis aigus de développement avaient été aggravés par la pandémie.  Les pays les moins avancés (PMA) ont résumé leurs vulnérabilités économiques: rentrées fiscales insuffisantes, dette non soutenable et troubles sociaux découlant des suppressions d’emplois.  Des PMA qui ont salué les mesures d’allègement de la dette décidées par le Fonds monétaire international (FMI) à leur égard, en n’y voyant néanmoins qu’un « répit insuffisant ».  Frappés par la pandémie, les pays en situation particulière ont trop d’obstacles sur leurs routes, a conclu l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS) décrivant un système actuel « archaïque » réduisant les pays en développement à « la servitude ».  L’AOSIS a dès lors appelé à une reformulation du système financier des pays en développement. 

Même les prospères pays du Nord ont semblé craindre une possible crise de la dette les concernant.  À une question inquiète de Monaco à ce sujet, le Professeur Stiglitz a répondu que les États-Unis et l’Union européenne ont des capacités « gigantesques » notamment pour lever des fonds, sans encourir un risque d’inflation.  Il a aussi pointé du doigt les capacités d’imposition sous-utilisées, telles que les taxes-carbone. 

Outre une restructuration de la dette, quelle réponse aux problèmes économiques décuplés par la pandémie?  L’économie verte, formule prometteuse, a été fréquemment avancée par les délégations.  Le G77 a appelé à ne pas baisser la garde dans la lutte contre les changements climatiques, en demandant un soutien accru des efforts en ce sens des pays les plus vulnérables, tout comme les pays en développement sans littoral, qui ont mis l’accent sur la lutte contre la désertification.  M. Liu abondé dans ce sens : des mesures de stimulation seront, à ses yeux, plus efficaces si elles donnent la priorité à des investissements publics dans l’économie verte ainsi que dans l’éducation et l’amélioration des compétences des travailleurs.   Il y a vu le moyen de rebâtir une économie mondiale « plus inclusive, plus résiliente et plus durable du point de vue de l’environnement ». 

Une autre piste a été avancée: « le seul moyen de faire face est de renforcer la coopération internationale » selon le Groupe de pays de même sensibilité pour la promotion des pays à revenu intermédiaire, rejoint par le G77.  Selon lui néanmoins, la coopération Nord-Sud doit demeurer le principal canal de coopération, tandis que la coopération Sud-Sud doit venir la compléter en s’appuyant sur les principes de respect de la souveraineté, de l’indépendance et de la non-ingérence.  L’Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) a donné l’exemple de la coopération entre ses pays membres pour créer des « filets de sécurité sociaux ».  

Rejoint par le G77, M. Liu s’est, enfin, félicité des objectifs qui seront élaborés au travers de l’Examen Quadriennal Complet des activités opérationnelles du système des Nations Unies pour le développement, dont les pays en développement sans littoral attendent beaucoup.  

La prochaine réunion publique de la Deuxième Commission aura lieu demain, mardi 6 octobre, à 15 heures. 

Discours liminaires

M. AMRIT BAHADUR RAI (Népal), Président de la Deuxième Commission, a remarqué en ouverture de séance que la Soixante-quinzième session serait « en tout point inédite », et que la pandémie se ressentirait dans les travaux sur le fond et sur la forme.  Il a appelé à être « pragmatique » et « réaliste », pour que la Deuxième Commission s’acquitte de ses mandats.  Il a aussi invité à ne pas oublier de prendre en compte la COVID-19 tout en gardant à l’esprit les objectifs fixés l’an dernier.  Les débats généraux seront importants dans ce contexte, selon lui.  Dans des circonstances difficiles, « nous devrons tous nous efforcer de faire en sorte que les questions importantes dans l’agenda international soient traitées ».  

 La Deuxième Commission va mettre en exergue différentes ripostes politiques à la pandémie, a-t-il annoncé, en détaillant les grands axes.  D’abord l’élimination de la pauvreté et le traitement des conséquences importantes de la pandémie sur cet objectif, ainsi que la pauvreté rurale et l’accélération des actions mises en œuvre dans le cadre de la Décennie de l’élimination de la pauvreté.  Puis, la sécurité alimentaire et la nutrition seront au cœur du deuxième grand axe. 

En troisième lieu seront traitées les énormes conséquences de la pandémie sur le versant macroéconomique, particulièrement le financement du développement et la dette.  La Commission discutera également de la situation des groupes de pays en situation particulière comme les petits États insulaires en développement (PEID) et les pays en développement sans littoral, et se penchera sur carences de la mise en œuvre des Orientations de Samoa.  « Alors que les changements climatiques se jouent des frontières », l’environnement et l’énergie seront deux autres grands axes de travail, au moment où les réponses face au réchauffement sont rendues plus compliquées par la COVID.  Le Président a indiqué à ce sujet que des manifestations parallèles concentrées sur les réponses aux catastrophes se tiendront en octobre.  

L’examen quadriennal, enfin, sera un autre axe important des travaux de la Deuxième Commission.  Celle-ci doit en effet guider les travaux des quatre prochaines années pour insuffler un nouvel élan aux efforts des Nations Unies dans la mise en œuvre du Programme des Nations Unies pour le développement durable à l’horizon 2030.  Ce sera aussi l’occasion de recommander des pratiques aux États Membres pour combattre la COVID, a appuyé le président Rai. 

Dans un contexte aussi difficile, « le monde entier attend énormément des Nations Unies cette année », a conclu le Président de la Deuxième Commission.  

La Syrie a tenu à intervenir à ce stade de la réunion pour exprimer son mécontentement quant aux restrictions de déplacement visant certains délégués, qui sont imposées par le pays hôte des Nations Unies, ainsi que les expulsions.  « Les États-Unis abusent de leur statut d’État hôte », a dit la Syrie en citant les refus de visas, notamment pour 18 délégués, « en violation du droit international ».  Les pays doivent être traités sur un pied d’égalité, a exigé la Syrie, qui a dénoncé l’absence de dialogue avec le pays hôte.  Elle a exhorté le Secrétaire général à y remédier. 

Intervenant pour une déclaration liminaire suivie d’un débat interactif avec les délégations, M. JOSEPH STIGLITZ, des États-Unis, professeur à Columbia University et Prix Nobel d’économie, a expliqué que la pandémie de COVID-19 avait « dévasté l'économie mondiale comme jamais depuis probablement un siècle ».  Le retour rapide à la normale comme on l’espérait au mois de mars est un vœu pieux, selon lui.  « Aujourd’hui, en octobre 2020, il est important de réaliser qu’il ne faut pas revenir à la situation économique initiale de janvier. »  La pandémie, a fait remarquer le professeur, a mis en relief les faiblesses de nos économies et montré que le secteur privé n’était pas prêt, avec notamment les problèmes de production de respirateurs et de masques.  À son avis, les gouvernements ont mal géré les risques, alors que d’autres virus comme Ebola ou les SRAS auraient dû les mettre sur leurs gardes.  « Nous savions à l’avance que notre époque serait caractérisée par des pandémies. » 

Les inégalités sont frappantes face à la maladie, même dans un pays riche tel que les États-Unis, a poursuivi M. Stiglitz en relevant que les disparités sont très fortes dans le domaine sanitaire.  « Nous avons vu que même des pays riches n’ont pas de système de protection sociale adéquat et des populations vivent au jour le jour pour payer leurs factures. »   Alors que les pays du monde ont mis en place le confinement, le manque de protection sociale a forcé les travailleurs à voyager dans le pays pour trouver du travail, propageant la maladie, a dénoncé le professeur.  

Pour lui, il faut utiliser les ressources limitées pour à la fois combattre la pandémie et bâtir l’avenir.  Mais ces ressources sont limitées, a-t-il de nouveau insisté.  M. Stiglitz a dégagé de ces faits plusieurs éléments-clefs.  D’abord, a-t-il dit, nous ne pourrons pas reconstruire sans prendre le dessus sur la maladie: contrôler la pandémie doit donc être « la première priorité », les dépenses devant aller en ce sens.  Ensuite, la coopération entre pays est indispensable pour développer des vaccins, des traitements et des tests.  Tout cela doit être mis à disposition du monde entier afin de contrôler la pandémie qui, plus elle durera plus elle endommagera les systèmes de santé et les systèmes économiques.  « Voilà pourquoi l’initiative du Costa Rica, sur le partage de la propriété intellectuelle de la recherche contre le virus, est si intéressante ».  À ce sujet, M. Stiglitz s’est dit extrêmement déçu par l’attitude négative de certaines entreprises et États en réponse à cette proposition.  

Notant que certaines régions du monde contrôlent le virus bien mieux que d’autres, il a relevé que les caractéristiques du succès sont de « respecter la science et de faire confiance à ses concitoyens et à son gouvernement ».  Dans les pays qui échouent, c’est exactement le contraire qui se produit.  

 Les pays en développement souffrent et sont extrêmement endettés, a-t-il aussi déploré.  « Certains débiteurs ont été invités à s’endetter par leurs créanciers et sont aujourd’hui dans une situation très difficile.  « Les créanciers n’ont pas bien évalué les risques, tels qu’une chute des cours des matières premières, et « nous sommes face à un risque très palpable d’une autre crise de la dette », a prévenu le professeur.  Une grande partie des créanciers proviennent du secteur privé, ce qu’il a invité à prendre en compte.  Beaucoup de pays ne pourront pas rembourser, il leur faudra une restructuration davantage qu’un simple moratoire qui ne permettra pas de résoudre les conséquences dévastatrices de la pandémie en rapport à la dette. 

L’Assemblée générale avait déjà failli adopter en 2015 un cadre mais une poignée de pays s’y était opposée, dont d’importants pays créanciers, a regretté M. Stiglitz.  Nous nous retrouvons donc sans cadre de restructuration de la dette souveraine.  Il n’y a pas de cadre juridique adéquat, a-t-il regretté.  

« Donc que faire? Il n’y a pas de réponse évidente sur le long terme. »  Un arrangement institutionnel doit être trouvé par les Nations Unies, selon le professeur qui a prévenu que d’autres crises adviendront.  « Soyons-en sûrs. »  M. Stiglitz a préconisé une stratégie à plusieurs volets, un cadre, afin de forcer le secteur privé à coopérer.  « On ne peut pas faire l’impossible.  À moins de restructurer, le monde en développement va souffrir énormément, et l’Histoire nous apprend qu’il y aura trop peu de restructuration et trop tard.  « Les créanciers et les débiteurs vont beaucoup souffrir, a-t-il prévenu. »

« Des pays comme les États-Unis ont des réserves immenses, leur banque centrale possède des milliards et des milliards de dollars de réserves.  Les pays en développement n’en ont pas. Les 500 milliards de droits de tirage spéciaux (DTS) pourraient faire la différence », a reconnu M. Stiglitz, tout en concédant qu’en fait, il faudrait encore bien davantage.  Voilà la magnitude de l’aide nécessaire, a conclu l’économiste. 

Débat interactif

À une question du Malawi sur l’opposition de certains pays à la création d’un cadre de restructuration de la dette, le Professeur Stiglitz a indiqué que certains pays créanciers, en position de force, préfèrent le maintien de la « loi de la jungle ».  Il y a aussi des conflits entre catégories de créanciers qui empêchent un tel mécanisme, a-t-il ajouté.  Il a indiqué n’avoir jamais cru à ces clauses d’action collective au niveau international, notamment, car ces clauses fonctionnent déjà difficilement au niveau national.  Les deux pays qui ont voté contre les DTS étaient les États-Unis et l’Inde, a-t-il dit, en confiant sa « sidération » devant un tel refus.  Des émissions de nouveaux DTS seraient pourtant salutaires, selon l’économiste.  Il a espéré qu’un éventuel changement du Gouvernement américain en janvier aboutira à de nouveaux DTS.

À une question de Monaco, qui s’interrogeait sur la possibilité d’une crise de la dette dans les pays du Nord, le Professeur Stiglitz a répondu que les États-Unis et l’Union européenne ont des capacités « gigantesques » notamment pour lever des fonds, sans encourir un risque d’inflation.  Il a aussi pointé des capacités d’imposition sous-utilisées, telles que les taxes-carbone.

Le Professeur Stiglitz a déclaré, en réponse au Nigéria, que les ressources qui existaient en 2008 pour un relèvement économique rapide n’existent plus aujourd’hui.  La croissance de la Chine, qui avait été fulgurante après la crise de 2008 entraînant une « résurrection » de l’économie mondiale, sera bien plus faible cette année, même si elle devrait être positive.  La Chine ne pourra plus jouer le même rôle qu’en 2008, et les pays développés doivent prendre le relais, a-t-il conseillé.  Il a également demandé la création d’un cadre plus juste d’imposition des sociétés internationales.  Celles-ci doivent payer une imposition juste, a-t-il dit, en notant le faible taux d’imposition qui les frappe.  Il a regretté à cet égard que peu ait été fait s’agissant de la question des paradis fiscaux aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Au Sénégal, qui l’interrogeait sur un éventuel effacement de la dette pour éviter des « créanciers qui s’enrichissent et des débiteurs à bout de souffle », le Professeur Stiglitz a indiqué qu’un tel effacement n’était guère probable.  Il a jugé impérative la coopération mondiale face à la pandémie, alors que l’Iran dénonçait les effets délétères des sanctions unilatérales prises contre certains pays.  Il a ensuite noté que les envois de fonds des travailleurs étrangers, dont l’importance a été pointée par le Bangladesh, ont été touchés de plein fouet par la pandémie.  Les frais d’envois de ces fonds sont très élevés et s’apparentent à une véritable exploitation, d’autant que les envois sont à un niveau très bas en raison de la crise, a déclaré M. Stiglitz.  « C’est une autre défaillance du système international, à laquelle il convient de remédier. »

Proposition de décision orale

Le Président de la Deuxième Commission a proposé une décision orale selon laquelle, compte tenu des circonstances actuelles, toutes les déclarations prononcées au cours du débat général de la soixante-quinzième session seraient consignées dans les comptes-rendus de la Commission.

M. EVGENY Y. VARGANOV (Fédération de Russie) a indiqué ne pas pouvoir soutenir cette décision orale qui serait, selon elle, en contradiction avec le règlement intérieur de l’Assemblée générale.  Elle a proposé un amendement à ce projet de décision orale, prévoyant que le Président distribue une compilation des déclarations prononcées sous forme préenregistrée.

M. FERNANDO DE LA MORA SALCEDO (Mexique) a soutenu le projet de décision orale, le jugeant tout à fait conforme au règlement intérieur de l’Assemblée.  S’agissant de la proposition russe, il a dit ne pas comprendre « pourquoi la Commission ferait une différence entre les délégations » qui choisissent de faire une déclaration préenregistrée et les autres.  Pour le Mexique, toutes les délégations doivent être traitées de la même façon.

Le Président de la Deuxième Commission a déclaré qu’il consulterait le Bureau et le Secrétariat à ce sujet.

Intervention du Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales

M. LIU ZHENMIN, Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales, a déploré les effets néfastes de la pandémie, rappelant que la maladie et les mesures prises pour la combattre ont débordé les services de santé au niveau mondial, exclu des écoles 90% des enfants de la planète, ou encore perturbé la chaîne de valeur mondiale.  Il a rappelé que le fléau pourrait mener 70 millions de personnes à la pauvreté extrême et provoquer la malnutrition de 132 millions d’humains.  

Dans un monde confronté à sa plus profonde récession depuis les années 30, a-t-il déclaré, « il importe de s’interroger sur le meilleur moyen de rebâtir une économie mondiale plus inclusive, plus résiliente et plus durable du point de vue de l’environnement ».  Pour cela, a-t-il préconisé, il est prioritaire de déployer les ressources nécessaires à la réduction de la pauvreté et des inégalités, en comblant les écarts criants dans les garanties de protection sociale et de sécurité de l’emploi.   En second lieu, des mesures de stimulation seront, à ses yeux, plus efficaces si elles comprennent en priorité des investissements publics dans l’économie verte, les remèdes aux changements climatiques, ainsi que dans l’éducation et l’amélioration des compétences des travailleurs, permettant d’atteindre les objectifs de développement durable. 

Ensuite, a noté le Secrétaire général adjoint, « nous devons tout faire pour éviter une crise de la dette dans les pays en développement ».  Il a estimé que l’initiative de suspension du service de la dette offerte par le G20 « ne sera pas suffisante et exige en renfort une suppression de la dette et sa restructuration pour en réduire réellement le fardeau ».  Enfin, il convient de mobiliser une réponse globale à la pandémie en encourageant le secteur privé à prendre en compte les objectifs de développement durable dans leurs stratégies d’entreprise.  Quant à la coopération internationale pour le développement, elle doit selon lui être encouragée et les promesses doivent être tenues à cet égard. 

En conclusion, M. Liu s’est félicité des objectifs qui seront élaborés dans les prochaines semaines pour renforcer le soutien du système de développement des Nations Unies aux pays les plus pauvres, au travers de l’examen quadriennal complet des activités opérationnelles du système des Nations Unies pour le développement. 

Débat général

M. NEIL ORIN PIERRE (Guyana), au nom du Groupe des 77 et la Chine (G/77), a souhaité que les dispositions prises lors de cette session ne créent pas de précédent.  Les défis aigus de développement auxquels nous faisons face ont été aggravés par la pandémie, a dit la mission, en exhortant la Commission à se consacrer aux moyens d’éradiquer la pauvreté.  Le G77 a appelé à remédier aux « effets en cascade » de la pandémie sans baisser la garde dans la lutte contre les changements climatiques, en demandant un soutien accru aux pays qui sont les plus vulnérables face aux changements climatiques.  Il a aussi réitéré que le commerce international est un moteur pour parvenir à une croissance économique inclusive et à l’élimination de la pauvreté. 

Le G77 a estimé que la coopération internationale est cruciale pour la relance de l’économie mondiale, avant de noter l’importance de l’Aide publique au développement (APD) pour aider les pays en développement à réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030.  Les pays donateurs doivent honorer leurs engagements au titre de l’APD, a-t-il exigé.  Le G77 a par ailleurs déclaré que la coopération Sud-Sud vient compléter, sans la remplacer, la coopération Nord-Sud.  La coopération Nord-Sud doit demeurer le principal canal de coopération, tandis que la coopération Sud-Sud doit être guidée par les principes de respect de la souveraineté, d’indépendance et de non-ingérence.  Le G77 a aussi dit attacher de l’importance à la résolution concernant l’Examen quadriennal complet qui sera négociée au cours de la session.  Enfin, la délégation a indiqué que son Groupe s’engagera de manière constructive dans le processus conduisant au Sommet de l’ONU sur les systèmes alimentaires en 2021, qui constitue une occasion unique sur la voie de la réalisation du Programme 2030.

M. ENRIQUE AUSTRIA MANALO (Philippines), au nom du Groupe de pays de même sensibilité pour la promotion des pays à revenu intermédiaire, a reconnu des progrès en matière de renforcement du système des Nations Unies pour le développement, tout en soulignant que la pandémie de COVID-19 est un choc continuant d’hypothéquer les conditions de vie de tous, ainsi que les efforts pour parvenir au développement durable.  Des études empiriques sur les effets de la pandémie sur les pays à revenu intermédiaire nous apprennent qu’on ne peut pas prendre les indicateurs de revenus par habitant comme seuls facteurs de catégorisation, a dit le Groupe.  Il s’est inquiété de la perte de près de 500 millions d’emplois à laquelle on s’attend du fait de la forte récession de 2020.  De plus, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) s’attend à ce que les répercussions en termes d’insécurité alimentaire soient très fortes dans les pays à revenu intermédiaire.  La COVID-19 a également mis en exergue les carences sanitaires dans ces pays, qui ont des défis particuliers. 

C’est notamment pour toutes ces raisons que le Groupe de pays de même sensibilité pour la promotion des pays à revenu intermédiaire a dit vouloir s’engager dans les travaux de la Deuxième Commission, souhaitant que le système onusien prenne en compte les besoins particuliers de ces pays.  Faute de cela, les Nations Unies feraient preuve de myopie, puisque les pays à revenu intermédiaire -une centaine d’États Membres- représentent la moitié de la population mondiale.  Ils représentent aussi la majorité des exportations mondiales, a fait remarquer le Groupe.  « Le seul moyen de se relever est de renforcer la coopération internationale », a conclu la délégation. 

M. PERKS MASTER CLEMENCY LIGOYA (Malawi), au nom des pays les moins avancés PMA, a observé que la pandémie avait mis en exergue les vulnérabilités économiques et renforcé les risques existants pour les pays en développement, citant notamment des rentrées fiscales insuffisantes, une dette qui n’est pas soutenable et des troubles sociaux découlant des suppressions d’emplois.  En outre, l’action face aux changements climatiques est dans l’impasse, a relevé le Malawi.  Il a regretté la faible hausse de l’APD, alors que le Programme d’action d’Istanbul touche à sa fin.  « Nous sommes loin des objectifs fixés. »  Il a salué les mesures d’allègement de la dette décidées par le Fonds monétaire international (FMI) pour les 27 PMA, en n’y voyant néanmoins qu’un « répit insuffisant ».  Enfin, le Groupe a noté le déclin de la part des PMA dans les exportations mondiales, là encore loin de l’objectif de 2% fixé par le Programme d’action d’Istanbul. 

Mme LOIS MICHELE YOUNG (Belize), au nom de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS), a rappelé que le mot d’ordre était, à l’origine, l’accélération de la Décennie d’Action pour le développement durable.  Mais il semble qu’avec la pandémie, la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) connaît des revers et que nous nous éloignons de plus en plus de idéaux des Nations Unies.  Devant sans cesse emprunter à cause des crises successives depuis plus de trente ans, les petits États insulaires en développement (PEID) demandent que des mesures concrètes soient prises pour les aider.  Certains PEID vont connaître une chute de leur croissance économique de plus de 20% cette année, a prévenu le Groupe en faisant aussi remarquer que la dépendance aux pays développés les expose aux chocs économiques et à un service de la dette élevé.

Tout cela, selon la délégation, rend difficile l’établissement d’un système sanitaire adéquat.  Des prêts ont été restructurés pour répondre aux besoins les plus urgents, mais tant que ces pays n’auront pas la marge de manœuvre nécessaire, les problèmes se multiplieront, a-t-elle prévenu.  Les changements climatiques accroissent la dette des AOSIS, a aussi fait valoir la délégation pour qui cette part de dette ne devrait pas être payée par les pays victimes des changements climatiques, qui ne sont que peu contributeurs d’émissions de gaz à effet de serre. 

 Le travail des Commissions est plus important que jamais, a ajouté l’AOSIS, qui s’est prononcé une fois encore contre l’imposition de mesures économiques coercitives contre des pays en développement.  Frappés par la pandémie, les pays en situation particulière ont trop d’obstacles sur leurs routes, a conclu l’AOSIS en appelant à une reformulation du système financier des pays en développement.  L’examen à mi-parcours des Orientations de SAMOA a montré que le système actuel est « archaïque », a dit la délégation, en le comparant à un système de « servitude » qui ne fonctionne pas.  

Mme SHEILA GWENETH CAREY (Bahamas), au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), a indiqué que les pays de la CARICOM sont au bord du désastre économique et font face à un « maelström » de crises découlant du choc de la pandémie, qui a mis à nu les vulnérabilités.  « Les gains en développement si durement engrangés dans la région pourraient disparaître. »  C’est pourquoi la délégation a insisté sur le besoin évident d’un appui accru des partenaires de développement de la CARICOM, y compris le système des Nations Unies pour le développement, avant de rappeler le processus de repositionnement de ce système entamé en 2016.  Les Bahamas ont salué les recommandations du Secrétaire général pour la mise à disposition de ressources durables et d’un appui adapté aux pays.

Les commissions régionales sont une branche importante de l’architecture de gouvernance dudit système, a dit la délégation, en saluant l’excellent travail de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC).  Il a plaidé pour que ces commissions continuent de répondre aux besoins spécifiques des pays.  La délégation a ensuite demandé un financement pérenne et prévisible pour les activités de développement et la concrétisation des engagements pris au titre de l’Aide publique au développement (APD).  Il a regretté que la classification de nombreux membres de la CARICOM en tant que pays à revenu intermédiaire les empêche de bénéficier d’une aide humanitaire, y compris pour faire face au virus.  Enfin, les Bahamas ont salué le renforcement de la coopération Sud-Sud qui vient compléter, sans la remplacer, la coopération Nord-Sud. 

M. NURZHAN RAKHMETOV (Kazakhstan), au nom des pays en développement sans littoral, a regretté que la COVID-19 ait anéanti les efforts de ces pays, notamment à cause de la chute du cours des matières premières.  L’examen à mi-parcours du Programme de Vienne pour les pays en développement sans littoral, l’an dernier, avait déjà montré des faiblesses au sein de ces pays, qui font déjà partie des groupes de pays les plus vulnérables, et dépendent des pays voisins pour exporter leur production.  Leur croissance devrait être négative cette année, a prévenu la délégation avant de dire que la COVID est une crise qui s’ajoute à d’autres, notamment les changements climatiques.  Plus de 520 millions de personnes sont en péril et, sans une aide adéquate, les pays en développement sans littoral pourraient devenir des laissés-pour-compte.  

 La délégation a appelé la communauté internationale, et particulièrement la Deuxième Commission, à soutenir les pays en développement sans littoral, qui ont besoin de tous les outils (APD, coopération Sud-Sud...) pour transformer leurs économies et reconstruire en mieux.  Une intégration dans les marchés mondiaux et d’importants investissements sont nécessaires pour faciliter le flux des biens en transit.  Les pays en développement sans littoral ont également besoin de davantage de soutien pour leur sécurité alimentaire face aux changements climatiques et en particulier la désertification, a ajouté le Groupe.  Enfin, soulignant que les pays en développement sans littoral dépendent largement des systèmes de soutien au développement des Nations Unies, il a espéré que l’examen quadriennal entraîne des réformes en leur faveur et la mise en œuvre accélérée du Programme de Vienne. 

Le représentant de l’Australie, au nom du Groupe CANZ (Canada, Australie et Nouvelle-Zélande), a indiqué que la pandémie a rendu plus lointaine encore la concrétisation du Programme 2030.  Elle a exhorté les délégations à ne pas « renégocier ce que le monde a déjà négocié » et rejeté toute renégociation des accords existants.  Elle a pointé le « relâchement » de la communauté internationale s’agissant de la réalisation du Programme 2030, alors que les efforts doivent être, au contraire, redoublés.  Le système multilatéral étant en crise, il convient de renforcer la confiance entre l’ONU et les pays bénéficiaires de son aide, y compris les PMA et les PEID, a ajouté la délégation.

Le groupe CANZ a regretté que les personnes LGBTI restent à l’écart des efforts de développement, ainsi que la lenteur des progrès en vue d’une égalité entre les genres.  Il a ensuite noté l’importance du Cadre de Sendai, premier document à consacrer cette notion de « reconstruction en mieux » qui est au cœur des efforts actuels de relèvement face à la pandémie.  Il a insisté sur l’importance de nouvelles approches sur des questions telles que la crise des liquidités, l’endettement ou bien encore la création d’emplois dans les PMA.  « Nous sommes déterminés à nous montrer à la hauteur des défis. » 

M. DINH QUY DANG (Viet Nam), au nom de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), a réitéré les positions fortes de l’ASEAN concernant la volonté d’une « équité » dans l’accès au traitement contre la COVID-19.  Il a réclamé un « vaccin du multilatéralisme », autrement dit, un vaccin distribué sous la forme d’un « bien commun mondial ».  

Un Fonds COVID-19 a été créé par l’ASEAN, ainsi qu’un cadre de référence pour assurer la résilience de ses pays membres.  « La solidarité est indispensable », a-t-il ajouté, ainsi qu’une coopération entre pays pour créer des « filets de sécurité sociaux » et ainsi atténuer les mécontentements sociaux qui résulteraient des crises économiques à venir.  

« Durabilité » est le second mot d’ordre de l’ASEAN, qui a préconisé d’accélérer la trajectoire transformatrice du Programme de développement durable à l’horizon 2030, y compris par le renforcement des capacités et le transfert des technologies, des secteurs clefs pour les pays en développement. En matière d’environnement, l’ASEAN a pointé que davantage d’efforts devaient être faits.  À ce titre, l’ASEAN a réitéré son engament envers la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et l’Accord de Paris.  

M. FAKASOA TEALEI (Tuvalu), au nom des petits États insulaires en développement du Pacifique, a indiqué qu’un vaccin sera crucial pour la reprise d’une « vie normale » et un relèvement économique, souhaitant que tous les pays aient accès à un tel vaccin.  Tuvalu a demandé un appui aux systèmes de santé nationaux, afin notamment de lutter contre les maladies transmissibles et non transmissibles, ces dernières étant responsables de 70 à 75% des décès dans le Pacifique.  Si la pandémie est une « crise immédiate », les changements climatiques sont la plus grande menace pesant sur la sécurité et le bien-être des peuples du Pacifique, a déclaré Tuvalu.  Le virus a exacerbé la vulnérabilité de la région aux changements climatiques et souligné la nécessité d’être mieux préparé aux chocs, de baser les politiques publiques sur la science et de renforcer les efforts multilatéraux.  Tuvalu a déclaré qu’une action climatique résolue doit être la priorité de l’assistance au développement.

« Nous devons réduire l’endettement et les conséquences des changements climatiques autant que possible alors que nous reconstruisons les économies et protégeons les populations. »  La mission a demandé une pleine mise en œuvre des Orientations de Samoa, cette mise en œuvre ayant été différée par la pandémie.  Les partenariats, dotés de ressources prévisibles et pérennes, sont la pierre de touche d’une telle mise en œuvre.

Tuvalu a ensuite salué le renforcement des coordonnateurs régionaux du système des Nations Unies pour le développement, qui montre selon lui que les réformes onusiennes peuvent être efficaces.  Ainsi, pendant la pandémie, l’ONU par le biais de ses coordonnateurs a été en mesure d’apporter une aide immédiate aux pays de notre région pour atténuer ses effets, a déclaré la délégation.  Enfin, Tuvalu a souhaité que la vulnérabilité économique soit intégrée aux critères d’éligibilité à l’Aide publique au développement.

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