Soixante-quinzième session,
Dialogues virtuels – matin & après-midi
AG/SHC/4299

La Troisième Commission examine l’impact de la COVID-19 sur l’extrême pauvreté et le logement

La Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a examiné aujourd’hui tout un éventail de questions allant de l’impact de la COVID-19 sur l’extrême pauvreté et le logement, au problème de la privatisation de l’eau en passant par l’hygiène menstruelle dans les écoles et l’impact des changements climatiques à évolution lente sur les déplacements de population.

Il s’est agi également, au cours de cette séance virtuelle, de mener une réflexion dans le cadre du dialogue entre les États Membres et les titulaires de mandat sur les moyens de « repenser notre modèle de développement » dans le cadre d’une approche globale. 

Car derrière la crise économique et sociale, nous avons une crise écologique qui n’a pas disparu à la suite de la pandémie de COVID-19, a averti M. Olivier De Schutter, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, qui a invité les États Membres à « repenser notre modèle de développement », récusant le modèle privilégié qui consiste à générer des richesses et à compenser le creusement des inégalités en adoptant des politiques sociales. 

L’équation complexe à résoudre est de savoir comment éradiquer la pauvreté et réduire les inégalités, tout en restant dans les limites de la planète, a indiqué M. De Schutter qui a alerté qu’à la suite de la pandémie COVID‑19, quelque 150 millions de personnes supplémentaires, « peut-être même 175 millions de plus », vont tomber dans l’extrême pauvreté.

La COVID-19 a également fondamentalement changé la signification du terme « chez soi », a répondu en écho le Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant.  Ce dernier a souligné que le logement est devenu une « protection clef » contre le virus notant qu’au plus fort de l’intervention d’urgence, plus de 3,9 milliards de personnes, soit la moitié de la population mondiale, ont été invitées ou appelées à rester chez elles.  Cependant, a constaté M. Balakrishnan Rajagopal, plus de 1,8 milliard de personnes vivent dans des établissements informels où la distance physique est difficile, voire impossible. 

Ne pas avoir accès à un logement convenable n’est pas seulement un problème de logement mais aussi un problème de santé, voire « un problème de vie ou de mort » pendant la pandémie, a alerté le Rapporteur spécial qui a prévenu d’une hausse sans précédent des expulsions, de la faim, du sans-abrisme « et finalement de la mortalité ».  L’Union européenne a relevé, de son côté, que la COVID-19 a également transformé le logement en un lieu de violence, comme en témoigne l’augmentation de la violence domestique à l’encontre des femmes et des filles. 

Plaidant pour un moratoire mondial sur les expulsions, M. Rajagopal a par ailleurs noté que, dans de nombreux pays, ce que réclamaient les experts du droit au logement, les organisations de la société civile ou les travailleurs sociaux « est soudain de devenu possible ».  Il a par exemple évoqué la fourniture d’installations d’eau et d’assainissement pour les établissements informels, l’interdiction des expulsions ou de coupure des services publics, ainsi que les transferts sociaux aux ménages pour les aider à couvrir les frais de location ou d’emprunt hypothécaire.

La Troisième Commission a également entendu le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, M. Leo Heller, mettre en garde contre la privatisation de l’eau et des services d’assainissement, pointant notamment les répercussions de la maximisation des profits, du monopole de services et des déséquilibres de pouvoir sur la jouissance de ces droits.  La privatisation peut également rendre les services inabordables, provoquer leur détérioration, négliger la question de la durabilité, ou encore limiter l’accès à l’information, la participation et la redevabilité, a-t-il indiqué.

La question de l’eau et de l’assainissement figurait également au cœur de l’intervention de la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation qui a indiqué qu’environ 570 millions d’enfants n’ont pas accès à l’eau potable à l’école, et que près de 620 millions n’ont pas accès à des installations sanitaires de base.  En outre, pas moins de 335 millions de filles dans le monde fréquentent des écoles primaires et secondaires sans eau ni savon pour se laver les mains dans le cadre de la gestion de leur hygiène menstruelle. 

Mme Koumbou Boly Barry a souligné que les questions d’hygiène et de santé menstruelles sont extrêmement importantes pour assurer le droit à l’éducation des filles et des jeunes femmes et a jugé primordial que l’éducation à la santé menstruelle soit abordée dans les programmes d’études. 

De nombreuses délégations ont profité du débat interactif avec cette experte pour attirer l’attention sur les répercussions de la COVID-19 sur l’éducation.  La France a notamment observé que la pandémie risque de ralentir les efforts visant à améliorer l’accès à une éducation de qualité pour tous, tandis que le Bangladesh s’est préoccupé de la fracture numérique qui fait que de très nombreux élèves ne peuvent pas suivre les cours à distance et risquent de ne pas retourner à l’école.

Enfin, la Rapporteuse spéciale sur les droits humains des personnes déplacées dans leur propre pays a attiré l’attention sur les déplacements internes provoqués par les effets adverses des changements climatiques à évolution lente, notamment la montée du niveau des mers, la désertification et le recul glaciaire.  Mme Cecilia Jimenez-Damary a indiqué que ces effets adverses posent des défis particuliers et que la mise en place de solutions durables peut s’avérer particulièrement difficile, car les processus à évolution lente se déroulent généralement à long terme et sont irréversibles dans certains cas, ce qui augmente le risque de déplacement prolongé. 

La couverture de cette séance a été compromise par une série de problèmes d’ordre technique.

La Troisième Commission reprendra son dialogue avec des titulaires de mandat le jeudi 22 octobre, à partir de 10 heures. 

PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

Déclarations liminaires de titulaires de mandat au titre des procédures spéciales suivies d’un dialogue interactif

Exposé

Mme CECILIA JIMENEZ-DAMARY, Rapporteuse spéciale sur les droits humains des personnes déplacées dans leur propre pays, a concentré son rapport (A/75/207) sur les déplacements internes provoqués par les effets adverses des changements climatiques à évolution lente, afin d’attirer davantage l’attention sur les effets dits « moins dramatiques » mais qui, avec le temps, ont des effets considérables, y compris les déplacements internes, la vie quotidienne et l’avenir des populations touchées.  Elle a rappelé que les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays stipulent clairement que les catastrophes peuvent être une cause de déplacement interne.  Or, les effets adverses des changements climatiques à évolution lente peuvent se transformer en catastrophe, a-t-elle prévenu.

Elle a expliqué que la mobilité humaine provoquée par des processus à évolution lente peut prendre de nombreuses formes, y compris le déplacement, la migration et la réinstallation planifiée.  Dans la plupart des cas, le déplacement n’est pas entièrement volontaire ou forcé, mais s’inscrit plutôt entre les deux.  Il peut également constituer une stratégie d’adaptation efficace et prévenir les déplacements arbitraires.  Elle a ajouté que les personnes sont obligées de partir lorsqu’elles ne peuvent plus s’adapter aux changements climatiques, ce qui est notamment le cas lorsqu’une zone est devenue inhabitable.  Les processus à évolution lente peuvent également aggraver d’autres facteurs de déplacement, tels que les tensions intercommunautaires, la violence et les conflits armés. 

Parmi les effets adverses à évolution lente, la Rapporteuse spéciale a cité la montée du niveau des mers, la désertification et le recul glaciaire.  Elle a indiqué que ces effets adverses posent des défis particuliers et exigent davantage d’attention.  Il faut en effet identifier les multiples causes de la mobilité humaine dans de tels contextes et la mesure dans laquelle la mobilité est volontaire ou forcée.  En outre, la mise en place de solutions durables peut s’avérer particulièrement difficile dans ces contextes, car les processus à évolution lente se déroulent généralement à long terme et sont irréversibles dans certains cas, ce qui augmente le risque de déplacement prolongé. 

Elle a précisé que les communautés vivant dans certaines régions, telles que les zones côtières de faible altitude, les petits États insulaires et les écosystèmes arctiques, sont plus exposées aux événements à évolution lente et donc plus exposées au risque de déplacement en cas de catastrophe.  Les personnes dont les moyens de subsistance dépendent fortement des écosystèmes, telles que les populations autochtones, les agriculteurs, les éleveurs et les pêcheurs, sont plus directement touchées et plus exposées au risque de déplacement. 

Toutefois, a-t-elle nuancé, il est important de reconnaître également la grande capacité d’action de ces groupes.  Dans de nombreux contextes, ils font preuve d’une ingéniosité et d’une résilience remarquables face aux catastrophes et aux déplacements, et bénéficient également de leur savoir traditionnel qui peut contribuer à la conception de stratégies de réduction des risques et de solution durables.

Après avoir alerté que la crise de COVID-19 a accru la vulnérabilité des communautés aux risques naturels dont la fréquence et l’intensité se voient augmentées par les changements climatiques, Mme Jimenez-Damary a souligné qu’une action climatique, entreprise dans le respect des droits de l’homme et intégrant les défis spécifiques des déplacements internes provoqués par les effets néfastes des changements climatiques à évolution lente, est essentielle pour assurer une fourniture efficace de l’aide humanitaire et de la protection.

Dialogue interactif

Suite à cette présentation, le Mexique a demandé à la Rapporteuse spéciale de partager certaines des contributions qu’elle souhaiterait voir pour renforcer le respect des droits de l’homme des personnes victimes du déplacement interne.

Pour la Fédération de Russie, le fait de s’éloigner des causes profondes du déplacement forcé, telles que les conflits armés et l’escalade de la violence, et de relier les questions environnementales aux droits de l’homme, au maintien de la paix et à la prévention des conflits, est source de distraction par rapport aux problèmes environnementaux.  Cela ne peut guère contribuer à l’élaboration de moyens efficaces pour surmonter ces défis dans le cadre de la coopération internationale dans le domaine de l’environnement, a-t-elle estimé.

La Norvège a en revanche salué le contenu du rapport, y voyant un travail crucial pour remédier aux déplacements.  Elle s’est également intéressée au travail du Groupe de haut niveau sur la question des déplacements.  Une question sur laquelle a rebondi le Royaume-Uni qui a voulu savoir dans quelle mesure le Groupe de haut niveau pourrait mieux prévenir les déplacements climatiques.

Bien que les États-Unis ne soient pas d’accord avec toutes les recommandations, la délégation a souligné que son pays œuvre pour trouver des solutions novatrices afin de renforcer la résilience.  Avez-vous des recommandations particulières pour les États Membres en vue de prévenir cette situation, a demandé à son tour le Myanmar

L’Union européenne a voulu connaître les meilleures pratiques pour assurer une participation significative et efficace des communautés autochtones, ainsi que pour élaborer des processus décisionnels tenant compte de l’égalité des sexes en matière de planification et de mise en œuvre de stratégies de prévention et d’intervention.

La Géorgie a fait part de ses efforts pour améliorer les conditions de vie des déplacés vivant sur son territoire.  Malheureusement, a-t-elle déploré, un grand nombre de Géorgiens déplacés ont été expulsés en raison de politiques de nettoyage de la Fédération de Russie.  Quelles sont les mesures de prévention et de protection en faveur des personnes déplacées vivant dans les zones de conflit, a demandé l’Arménie

De son côté, le Mali a voulu savoir quels étaient les exemples de bonnes pratiques dans le cadre de la lutte contre la pandémie.  Il a également vu dans le rétablissement de son autorité sur son territoire, la meilleure manière de veiller aux droits des personnes déplacées et de rétablir la paix et la sécurité.  L’Éthiopie a, quant à elle, appelé la communauté internationale à doubler sa contribution à son pays, plus d’un million de ses citoyens étant touchés par les déplacements. 

Au regard de la pandémie de COVID-19, comment mobiliser la communauté internationale face un phénomène qui touche en particulier les pays à revenu intermédiaire, a demandé à son tour l’Espagne, tandis que la Suisse s’est interrogée sur les meilleurs moyens d’accroître la cohérence des actions.

Répondant aux différentes observations et remarques, la Rapporteuse spéciale sur les droits humains des personnes déplacées dans leur propre pays a souligné que l’objectif de son rapport est d’attirer l’attention sur la question complexe des effets préjudiciables des changements climatiques en lien avec les déplacements internes et leurs conséquences sur les droits de l’homme des personnes déplacées et des autres communautés touchées.  « Nous devons mobiliser les actions et promouvoir l’adoption sur une approche axée sur les droits de la personne », a-t-elle insisté.  Pour ce faire, il faut le soutien des États Membres, de la communauté internationale, des institutions de l’ONU, de la société civile et des populations concernées.  Il s’agit aussi de mettre l’action sur la prévention et la protection car, en l’absence d’une telle stratégie, il sera très difficile de renforcer la résilience et pour les gouvernements de mettre en œuvre leurs obligations internationales et nationales.

Mme Jimenez-Damary a également insisté sur l’importance de la collaboration des populations déplacées pour élaborer des approches durables en matière de prévention et de protection.  De même, les peuples autochtones doivent être associés car ils disposent d’un savoir traditionnel « dont nous pouvons tous nous inspirer ».

Exposé

Mme KOUMBOU BOLY BARRY, Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation, a présenté son rapport thématique (A/75/178) consacré aux interrelations entre le droit à l’éducation et les droits à l’eau et à l’assainissement, y compris la santé et l’hygiène menstruelles.  Le choix de ce thème tient au fait que cette année marque le dixième anniversaire de la reconnaissance des droits humains relatifs à l’eau et à l’assainissement par l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme, a-t-elle indiqué.

Alors que la pandémie de COVID-19 a un fort impact sur les institutions éducatives, il importe de bien comprendre les interrelations entre le droit à l’éducation et les droits à l’eau et à l’assainissement, a souligné Mme Boly Barry.  Dans de trop nombreuses situations, les droits à l’eau et à l’assainissement ne sont ni respectés ni réalisés dans les établissements d’enseignement, ce qui entrave la réalisation du droit à l’éducation.  Inversement, les droits à l’eau et à l’assainissement ne peuvent être pleinement mis en œuvre sans la réalisation du droit à l’éducation, lequel permet aux personnes de comprendre, d’agir et d’être autonomes dans ces domaines. 

Les données disponibles montrent qu’environ 570 millions d’enfants n’ont pas accès à l’eau potable à l’école, que près de 620 millions n’ont pas accès à des installations sanitaires de base et que 900 millions n’ont pas accès à des services de lavage des mains, a précisé la Rapporteuse spéciale.  Pas moins de 335 millions de filles dans le monde fréquentent des écoles primaires et secondaires sans eau ni savon pour se laver les mains dans le cadre de la gestion de leur hygiène menstruelle.  Dans certains pays, les filles ou les enfants issus de groupes ethniques minoritaires, de ménages pauvres ou d’autres groupes vulnérables sont désignés pour nettoyer et entretenir les installations ou pour aller chercher de l’eau, ce qui porte atteinte à leur dignité ainsi qu’au principe de non-discrimination. 

Pour Mme Boly Barry, cette situation est la conséquence d’une série de difficultés que rencontrent les États.  Tout d’abord, il y a souvent insuffisance et mauvais ciblage des ressources pour assurer la réalisation progressive des droits à l’éducation, à l’eau et à l’assainissement.  Ensuite, il arrive souvent que l’emplacement et l’entretien des installations relatives à l’eau et à l’assainissement dans les institutions éducatives soient inappropriés.  De plus, le manque d’eau et d’assainissement exacerbe de multiples formes d’inégalités liées à la pauvreté, à l’appartenance ethnique, à l’identité sexuelle, à l’âge, au handicap, au niveau d’éducation ou à la situation géographique. 

Par ailleurs, a poursuivi l’experte, il y a une absence de priorisation en cette période de crise et l’insuffisance des installations et des services d’eau, d’assainissement et d’hygiène augmente le risque de transmission.  Un autre problème est, selon elle, dû à l’absence de législations et à l’incohérence des politiques, ce qui peut conduire à des situations où les droits ne sont pas respectés.  Enfin, les mesures de suivi sont souvent insuffisantes et il existe un manque important de données relatives à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène dans les lieux publics tels que les écoles. 

La Rapporteuse a invité les pays à diffuser les lignes directrices développées dans son rapport, qui concernent la qualité et la quantité de l’eau, les installations et les modalités d’accès à l’eau, les toilettes, l’hygiène, la santé et l’hygiène menstruelles, le nettoyage, le drainage et l’élimination des déchets.  Elles complètent celles fournies par d’autres parties prenantes comme l’OMS, l’UNICEF ou les gouvernements. 

Avant de conclure, l’experte a insisté sur l’importance cruciale de disposer de toilettes séparées pour les hommes et les femmes dans les établissements d’enseignement.  Il s’agit là d’une condition préalable pour garantir l’accessibilité aux femmes et aux filles, a-t-elle estimé, ajoutant que la situation des apprenants et des travailleurs de l’éducation trans ou dont le genre n’est pas conforme aux catégories établies devrait aussi être abordée. 

Elle a également insisté sur l’importance à accorder aux questions d’hygiène et de santé menstruelles, qui sont extrêmement importantes pour assurer le droit à l’éducation des filles et des jeunes femmes.  Il est primordial que l’éducation à la santé menstruelle soit abordée dans les programmes d’études.  Des articles d’hygiène menstruelle gratuits ou subventionnés doivent en outre être fournis aux groupes en situation de vulnérabilité ou de marginalisation afin de prévenir la précarité menstruelle. 

Dialogue interactif

Dans un premier temps, la Fédération de Russie a considéré que les sujets abordés dans le rapport de Mme Boly Barry relèvent d’autres mandats.  Il aurait été plus important de promouvoir les conditions permettant aux minorités d’avoir accès à l’éducation dans leur langue maternelle, a-t-elle estimé, avant de rappeler à l’Ukraine et aux États baltes leurs obligations internationales en la matière.  Ces pays doivent permettre aux minorités linguistiques d’apprendre dans leur langue, a-t-elle insisté.

La Hongrie, qui a dit assurer une éducation dans la langue maternelle des apprenants, notamment ceux appartenant à des minorités, a en revanche estimé que les questions abordées dans le rapport sont prioritaires.  Quelles solutions novatrices permettraient d’améliorer l’hygiène des établissements d’enseignement dans la période de pandémie actuelle?  Et comment le droit à l’éducation peut-il être effectivement assuré dans le contexte de la crise actuelle, a ajouté le Bangladesh.  Compte tenu de la fracture numérique, de très nombreux élèves ne peuvent pas suivre les cours à distance et nombre d’entre eux risquent de ne pas retourner à l’école, a souligné la délégation, indiquant que son pays tente d’y remédier avec la création d’une académie numérique et d’un centre d’excellence. 

Le Maroc a voulu savoir comment la Rapporteuse spéciale assure le suivi des mesures de réponse à la COVID-19.  Existe-t-il par ailleurs des exemples de pratiques réussies pour surmonter la stigmatisation et la honte engendrées par les stéréotypes de genre, en lien notamment avec la menstruation des filles?

Le Qatar a indiqué que l’interrelation entre le droit à l’éducation et d’autres droits humains, comme le droit à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène menstruelle, est une question importante mise en exergue dans le programme d’assistance mis en place par son gouvernement. 

Les États-Unis ont affirmé qu’ils s’emploient à apporter une éducation de qualité tout en veillant à la sécurité de tous.  C’est pourquoi nombre d’écoles aux États-Unis utilisent le téléenseignement pour protéger la santé des élèves.  À cette même fin, le Gouvernement américain a investi 1 milliard de dollars dans plus de 45 pays.  La délégation a cependant estimé que le droit à l’éducation est bafoué en Chine, notamment dans les régions où ce pays a installé des camps d’internement.  Comptez-vous vous rendre en Chine en 2021, a-t-elle demandé à la Rapporteuse spéciale. 

Comment peut-on protéger l’éducation dans les zones en conflit ou occupées, s’est, pour sa part, interrogée l’Ukraine, avant d’accuser la Fédération de Russie d’empiéter sur le droit à l’éducation dans les territoires ukrainiens qu’elle occupe, notamment en empêchant l’enseignement en langue ukrainienne.  La délégation a également fait remarquer que toutes écoles tatares et ukrainiennes de Crimée sont aujourd’hui fermées. 

La République arabe syrienne a indiqué qu’elle avait pris des mesures pour fournir aux écoliers un accès à la meilleure éducation, en particulier dans les zones touchées par le terrorisme soutenu par la Turquie et les États-Unis.  Notre gouvernement subit cette « idéologie obscurantiste » qui empêche les enfants écoliers d’avoir accès à l’éducation et menace leur avenir, a lancé la délégation, en appelant les organisations internationales à exercer des pressions sur ces deux pays pour qu’ils cessent ces pratiques. 

L’Union européenne s’est déclarée préoccupée par les observations de Mme Boly Barry concernant les efforts à mener en matière d’hygiène menstruelle.  C’est essentiel pour que les filles puissent continuer leurs études, a estimé la délégation, soulignant à cet égard l’importance de toilettes accessibles dans le cadre de l’éducation des filles.  Saluant les approches participatives destinées à permettre un meilleur accès à l’eau potable et à l’assainissement dans les établissements scolaires, elle a souhaité obtenir des exemples de bonnes pratiques en la matière et savoir si ces initiatives ont eu des résultats positifs pendant la pandémie. 

Le Liban a fait savoir que son secteur de l’éducation a fortement pâti de l’explosion survenue à Beyrouth le 4 août, qui a endommagé les 183 lieux d’enseignement de la capitale et touché 170 000 étudiants et leur droit à l’éducation.  Dans ce contexte difficile, a indiqué la délégation, le Gouvernement libanais s’emploie à fournir un soutien financier pour permettre l’accès aux TIC et à l’enseignement à distance, rendus essentiels du fait de la COVID-19. 

À son tour, la Malaisie a souligné l’importance de l’assainissement et des services de lavage des mains dans les établissements d’enseignement en ces temps de pandémie.  Malgré les difficultés, le Gouvernement met l’accent sur les questions liées à l’eau et à l’hygiène, et fait en sorte que les lieux d’éducation soient ouverts à tous, notamment aux groupes vulnérables, aux enfants handicapés et aux réfugiés. 

Compte tenu des difficultés causées par la pandémie, que peuvent faire les gouvernements pour garantir la continuité de l’enseignement, a voulu savoir la Croatie, en précisant que, pour sa part, elle fournit des enseignements en ligne et en présentiel, dans le strict respect des consignes sanitaires.  La France a, elle aussi, jugé essentiel de lutter contre les inégalités d’accès à l’école et les ruptures de la continuité éducative.  Observant que la pandémie de COVID-19 risque de ralentir les efforts visant à améliorer l’accès à une éducation de qualité pour tous, elle a souhaité connaître les recommandations de la Rapporteuse spéciale visant à garantir que le droit à l’éducation des filles ne s’en trouve pas fragilisé. 

L’Autriche a déploré qu’en raison des disparités provoquées par la pandémie, des pays aient perdu des mois d’éducation.  Pour la délégation, les gouvernements doivent rompre la fracture numérique et aider les jeunes à accéder à l’éducation et au marché du travail.  Elle a également averti que si la situation perdure, une génération entière pâtira de problèmes de santé mentale. 

La République islamique d’Iran a indiqué qu’en raison des sanctions américaines, l’Iran rencontre de graves difficultés dans l’achat de logiciels et d’autres services pour l’apprentissage en ligne, les réunions virtuelles et la télémédecine.  Cependant, a assuré la délégation, le pays continue d’offrir une éducation de qualité pour tous et a pris des mesures pour permettre l’enseignement en ligne. 

En cette période de pandémie qui met 1,6 milliard d’élèves hors de leurs salles de classe, la République tchèque, qui s’exprimait au nom du Groupe des Amis pour l’apprentissage tout au long de la vie, a souhaité que la communauté internationale reconnaisse l’importance de l’eau potable et de l’hygiène menstruelle pour l’éducation des filles et que les efforts de relèvement post-COVID-19 donnent la priorité à l’égalité sur le plan éducatif.  La Chine a aussi insisté sur l’égalité des chances, assurant s’appuyer sur ce principe fondamental en matière d’éducation, quelle que soit l’appartenance ethnique ou autre des enfants.  Elle a observé que ce principe n’est pas partagé par des pays comme les États-Unis, qui pratiquent la discrimination dans ce domaine, notamment à l’égard des élèves et étudiants afro-américains qui sont plus susceptibles d’être exclus et plus sujets que les autres au suicide. 

En réponse aux questions et observations, la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation s’est félicitée que l’articulation entre le droit à l’éducation et d’autres droits de l’homme soient largement reconnue.  Elle a tout d’abord répondu aux États-Unis en leur précisant qu’elle avait envoyé une demande de visite à la Chine en février.  Elle a ensuite indiqué qu’elle avait présenté, cette année, au Conseil des droits de l’homme, un rapport sur les impacts de la COVID-19 sur le droit à l’éducation.  La leçon première de cette pandémie est qu’elle a révélé les inégalités fondamentales qui existent dans les systèmes éducatifs, a-t-elle indiqué.  La pandémie a aussi mis au jour les inégalités entre les pays, ceux du Nord ayant plus de moyens de réponse que ceux du Sud.  Pour la Rapporteuse spéciale, cette crise offre néanmoins l’opportunité de mieux reconstruire et de créer un nouveau paradigme centré sur les apprenants et la participation de chaque type d’acteurs.  L’utilisation des TIC à des fins éducatives contribue à cette centralisation, a-t-elle noté, souhaitant à cet égard que les gouvernements collaborent avec les réseaux d’enseignants.  Elle a toutefois estimé que l’enseignement à distance ne pourra jamais remplacer l’enseignement dans une salle de classe, qui représente un dialogue fondamental aux niveaux sociologique et cognitif. 

Reconnaissant que tous les acteurs de la chaîne de l’enseignement aient souffert de la COVID-19, Mme Boly Barry a mis l’accent sur la santé mentale et sur l’importance d’intégrer les groupes vulnérables comme les filles et les minorités ethniques dans les stratégies de relèvement.  Aucun pays n’a encore pleinement atteint la perspective de genre s’agissant du droit à l’éducation des femmes et des filles, a-t-elle constaté.  Elle a par ailleurs attiré l’attention sur les « publics cibles » en zones de conflit armé, où l’éducation est tributaire de la paix.  L’experte a félicité à cet égard le Qatar et l’UNESCO, qui ont mis en avant la notion de préservation des espaces éducatifs, notamment en période de conflit.  L’éducation doit apporter la capacité de bienveillance, d’écoute des autres et de négociation, pour éviter les différends et les guerres, a-t-elle insisté. 

La Rapporteuse spéciale a d’autre part considéré que chaque peuple et communauté doivent pouvoir enseigner sa langue.  En apprenant dans sa langue maternelle, l’enfant apprendra plus vite et mieux, a-t-elle soutenu.  Elle s’est également préoccupée de l’impact de la COVID-19 et des questions de santé en général sur l’absentéisme des élèves.  Un enfant qui ne boit pas d’eau potable et a la diarrhée ne va pas à l’école, ce qui nuit à la qualité de son apprentissage, a-t-elle expliqué.  De fait, a conclu la Rapporteuse spéciale, si les autres droits fondamentaux ne sont pas respectés, le droit à l’éducation ne peut être effectif. 

Exposé

M. OLIVIER DE SCHUTTER, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, a indiqué que son rapport (A/75/181) porte sur le type de reprise économique que « nous devrions viser ».  Il est présenté à un moment où le monde est confronté à ce qui est peut-être la pire crise économique et sociale depuis la Grande Dépression de 1929.  À la suite de la pandémie de COVID-19 et des mesures prises contre celle-ci, quelque 150 millions de personnes supplémentaires, « peut-être même 175 millions de plus », vont tomber dans l’extrême pauvreté.  La plupart d’entre elles sont des travailleurs du secteur informel ou des travailleurs ayant des formes d’emploi précaires, la plupart sont des femmes.  Outre la crise économique et sociale, le monde fait également face à une crise écologique.  L’équation complexe à résoudre est donc de savoir comment éradiquer la pauvreté et réduire les inégalités, tout en restant dans les limites de la planète. 

Face à cette situation, le Rapporteur spécial a appelé à « repenser notre modèle de développement », récusant le modèle privilégié au XXe siècle qui consistait à générer des richesses et à compenser le creusement des inégalités en adoptant des politiques sociales.  Il nous faut quelque chose de nouveau, a-t-il affirmé.

Il s’agit pour lui de prendre en compte la durabilité environnementale et la justice sociale comme conditions préalables pour déterminer l’orientation de la reprise économique.  Pour ce faire, il est essentiel de se concentrer sur la réduction des inégalités.  Nous avons besoin de sociétés plus égalitaires, car dans des sociétés plus égalitaires, toute richesse supplémentaire profitera en particulier aux groupes à faible revenu.  Ainsi, la tension entre la nécessité de réduire notre empreinte écologique et la nécessité de réduire la pauvreté sera atténuée. 

Il a également estimé que la transition écologique et la réduction de la pauvreté peuvent se renforcer mutuellement, moyennant un investissement dans des mesures qui offrent un « triple dividende »: réduire l’empreinte écologique, créer des emplois pour les personnes peu qualifiées et, enfin, veiller à ce que les biens et services essentiels à une vie décente soient abordables pour les ménages à faible revenu.  À cet égard, le rapport fournit donc une série de recommandations sur la manière d’investir dans cette reprise économique pour qu’elle soit à la fois « verte et socialement juste ».  Investir dans les transports publics, par exemple, permet non seulement de réduire la pollution provoquée par les voitures, mais aussi de créer des emplois et d’assurer l’accès à la mobilité pour tous et donc d’accéder aux lieux de travail ou de l’éducation.

M. De Schutter a également insisté sur la nécessité de financer la reprise économique de manière à contribuer à l’élimination de la pauvreté et à la réduction des inégalités.  Il a jugé malavisé de tenter de financer la reprise économique par des taxes à la consommation ou par des taxes sur le travail.  Il a recommandé de mettre en place des systèmes d’imposition progressive, d’imposer les personnes les plus riches de la société, et de taxer les sociétés plus efficacement, ainsi que lutter contre la pratique répandue de l’évasion fiscale, notamment par les sociétés transnationales. 

Dialogue interactif

Le Maroc a évoqué les grands efforts qu’il a consentis durant ces dernières années pour mettre en œuvre une politique volontariste dans le domaine de l’environnement et du développement durable, notamment l’augmentation considérable des énergies renouvelables au cours des cinq dernières années.

Comment faciliter la diffusion d’une « juste transition » auprès de l’ensemble de la population, y compris des personnes les plus démunies, alors que prolifèrent des campagnes de désinformation sur ces sujets fondamentaux, s’est interrogée l’Union européenne

Le Mexique a voulu savoir comment le Rapporteur spécial pourrait collaborer avec des initiatives comme l’Alliance pour l’élimination de la pauvreté, tandis que l’Irlande, représentée par une déléguée de la jeunesse, a demandé si des bonnes pratiques étaient déjà mises en œuvre par les États en vue de « reconstruire en mieux », suite au choc économique provoqué par la pandémie.

Alors que le Programme 2030 et les recommandations du rapport préconisent une coopération rapprochée entre gouvernements et entreprises du secteur privé, force est de constater que, malgré́ de nombreux exemples positifs d’entreprises volontaristes, le modèle dominant reste celui de la maximisation des profits, a relevé le Luxembourg.  Dès lors, comment convaincre les entreprises les plus récalcitrantes de changer de cap afin de lutter contre la pauvreté́ dans le respect des limites de la planète. 

Estimant que les entreprises du numérique doivent payer leurs impôts là où elles réalisent leurs bénéfices, la France a demandé au Rapporteur spécial de fournir des recommandations pour garantir que ces entreprises remplissent leurs obligations en la matière et jouent pleinement leur rôle en matière de lutte contre l’extrême pauvreté. 

La Chine s’est enorgueillie d’être parvenue à extirper de la pauvreté quelque « 850 millions » de personnes.  Relevant, par ailleurs, que la pauvreté est très élevée aux États-Unis où la richesse est détenue par une minorité, la délégation a voulu connaître la perception du Rapporteur spécial au sujet des inégalités dans ce pays à l’heure de la pandémie. 

La pandémie a montré les limites de l’économie de marché et l’importance des systèmes de protection sociale, a commenté à son tour l’Érythrée, qui a appelé à axer la reprise économique sur l’individu.  Comment faire pour sensibiliser les décideurs politiques sur les recommandations du rapport et assurer un suivi dans ce domaine?

La Malaisie a concentré son propos sur le problème des énergies fossiles et la cherté des énergies renouvelables.  De son côté, la République arabe syrienne s’est élevée contre l’impact des mesures coercitives unilatérales sur ses efforts visant à limiter les effets de la pandémie sur sa population. 

Répondant aux commentaires et questions, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté a dit partager les préoccupations exprimées par certains États Membres quant à l’impact de la pandémie de COVID-19 sur les plus pauvres.  De fait, la crise a affecté de façon disproportionnée les minorités ethniques et les pauvres.  Il a souligné que la question de la transition écologique doit être perçue comme légitime par la population pour espérer être couronnée de succès.  Il a notamment recommandé de veiller à ce que les personnes pauvres participent à la conception des solutions, pour éviter qu’elles ne deviennent les victimes de décisions prises sans les consulter. 

Abordant la question de la cherté des énergies renouvelables, il a fait valoir que si au départ cette transition a un coût pour nombre de populations et de pays, notamment en raison du droit à la propriété intellectuelle qui constitue un obstacle à ces technologies, des économies d’échelle sont réalisées de plus en plus dans le domaine des énergies éoliennes, ce qui permet d’en réduire considérablement la facture.  Chaque année, 120 millions de dollars sont consacrés à l’énergie fossile et cela est inacceptable, a-t-il déploré. 

Quant au lancement de l’Alliance pour la lutte contre la pauvreté, il y a vu une initiative importante pour assurer une plus grande cohérence dans la réalisation de l’ODD no 1.  En effet, a-t-il fait observer, les politiques mondiales de lutte contre la pauvreté sont morcelées et marquées par une absence de cohérence.  Il a précisé que le dixième anniversaire des Principes directeurs des Nations Unies, prévu en juin 2021, sera l’occasion d’examiner comment les entreprises peuvent contribuer à la reprise économique.  S’agissant de la participation des entreprises numériques à cet effort, il a renvoyé à l’initiative de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) qui vise à amener les entreprises à payer leurs taxes là où elles réalisent leur bénéfice.

Exposé

M. LÉO HELLER, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, a présenté son rapport (A/75/208) axé sur la privatisation de l’eau et des services d’assainissement.  Il a expliqué que ces services sont majoritairement assurés par les gouvernements et les services publics, mais que depuis les années 80, leur privatisation a commencé à s’étendre, promue par des institutions financières internationales. 

Selon lui, la privatisation renvoie à une question fondamentale: les droits de l’homme doivent-ils être neutres en ce qui concerne le type de fournisseur d’eau et d’assainissement?  Il a expliqué que certains estiment que c’est la qualité du service et non pas le modèle de prestation qui importe, une position qui repose sur l’idée que la fourniture de service, qu’elle soit publique ou privée, est équivalente en termes de respect des droits de l’homme.

Cependant, la privatisation présente des risques spécifiques pour la jouissance des droits à l’eau et à l’assainissement, a prévenu M. Heller.  Il a notamment cité la maximisation des profits, le monopole de services et les déséquilibres de pouvoir.  La privatisation peut également rendre les services inabordables, provoquer leur détérioration, négliger la question de la durabilité, ou encore limiter l’accès à l’information, la participation et la redevabilité.

De plus, en délégant ces services à des acteurs privés, les États deviennent dépendants d’une tierce partie pour honorer leurs obligations juridiques en matière de respect du droit à l’eau et à l’assainissement.  Il leur revient donc d’établir des mesures préventives pour éviter toute atteinte à leurs capacités en la matière.

Pour M. Heller, toute décision de privatiser les services doit s’inscrire dans le cadre d’une stratégie visant à la réalisation du droit à l’eau et à l’assainissement, prioriser l’accès des démunis et assurer des prix abordables.  Les États doivent donc procéder au préalable à une évaluation complète des risques, a-t-il souligné.  En outre, les clauses contractuelles devraient imposer des obligations en matière de droits de l’homme aux entreprises qui doivent également interdire certaines mesures telles que les coupures de service.

Si les grandes entreprises multinationales reconnaissent le droit à l’eau et à l’assainissement, des lacunes persistent en ce qui concerne la conciliation des intérêts commerciaux des entreprises avec les obligations des États en matière de droits de l’homme.  Il a ensuite appelé les institutions financières internationales à interdire les conditionnalités imposées aux États pour qu’ils privatisent les services d’eau et d’assainissement lorsqu’ils leur fournissent des subventions, des prêts ou une assistance technique.

Dialogue interactif

L’eau ne doit jamais être perçue comme un bien étant l’objet d’une dynamique de marché, et la communauté internationale doit agir le plus rapidement possible pour que personne ne manque d’eau, a affirmé l’Égypte, après que l’Éthiopie a demandé des précisions sur les analyses comparatives entre les services publics et privés.

La Fédération de Russie a regretté le manque d’exemples concrets contenus dans le rapport, notamment le fait que le Rapporteur spécial ait ignoré le blocus de l’eau en Crimée.  La délégation a notamment signalé que l’Ukraine a fermé le canal qui relie la Crimée au Dniepr, une situation d’autant plus grave que la péninsule est actuellement frappée par une grave sécheresse qui oblige les autorités à appliquer une restriction progressive de l’accès à l’eau. 

De son côté, le Brésil a estimé que la privatisation de l’eau ne représente pas une menace pour l’exercice des droits de l’homme.  La délégation a notamment expliqué que son gouvernement a besoin d’une somme considérable en investissements pour subvenir aux besoins de la population, des millions de personnes pâtissant déjà d’un manque d’accès à l’eau et à l’assainissement.  Mobiliser une telle somme ne pourra jamais se faire sans solliciter le secteur privé et l’objectif du Gouvernement est de permettre aux villes de s’associer avec le secteur privé pour assurer la fourniture de ces services.

Comment les États peuvent-ils veiller à l’exercices des droits de chacun face au risque de privatisation, s’est enquise l’Allemagne, tandis que l’Espagne a voulu savoir s’il existe une liste de bonnes pratiques pour améliorer la prestation aussi bien publique que privée de ces services.  En outre, qu’en est-il de l’accès des femmes et des filles à l’eau et à l’assainissement?

Quelle est l’incidence de risques sur la fourniture des services par les entités publiques?  Comment les aspects réglementaires peuvent-ils avoir une incidence sur les droits de l’homme?  Y a-t-il une corrélation avec les changements climatiques, a demandé l’Union européenne qui a souligné que c’est à l’État de veiller à ce que le coût de l’accès à l’eau ne dépasse pas la capacité des particuliers à couvrir d’autres besoins comme l’éducation.

La République arabe syrienne a par ailleurs voulu connaître l’avis du Rapporteur spécial sur l’action de la Turque qui a coupé l’accès à l’eau dans certaines villes syriennes.

Répondant à ces questions et commentaires, le Rapporteur spécial a indiqué que la faisabilité d’une étude comparative entre les services publics et privés représente une difficulté méthodologique en raison des différences de fonctionnement des prestataires.

Il a reconnu l’existence de lacunes dans l’universalisation de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement.  Mais on ne peut prétendre que remplacer un service public par un service privé améliorera la situation.  Il a notamment indiqué que recourir à une entité privée ne se traduit pas toujours par un nouvel apport de fonds.  En effets, ces entités ont souvent recours à des banques pour obtenir des prêts et en répercutent ensuite les coûts sur les consommateurs, a-t-il prévenu.

Il a ensuite fait observer que les risques identifiés dans son rapport peuvent également s’appliquer aux prestataires publics, convenant de la nécessite de renforcer l’analyse des services publics et de les améliorer.  L’établissement d’un organisme de réglementation est important quel que soit le prestataire, a-t-il affirmé.

Quant aux moyens, pour l’État, d’assurer une utilisation optimale des ressources dans le contexte d’une privatisation, il a recommandé d’établir des contrats pour éviter une forte hausse des tarifs dans le but de maximiser les profits des entreprises privées.  Il a également évoqué un rapport récemment présenté au Conseil des droits de l’homme qui recense des bonnes pratiques pour organiser au mieux les services.

S’agissant de la situation en Crimée, il a indiqué que la portée de son rapport ne lui permettait pas d’aborder cette question.  Il a également fait observer à la Russie que son rapport contient 122 notes de bas de page qui renvoient chacune à des situations concrètes.  Il a ensuite fait savoir qu’on examine actuellement comment aborder la situation soulevée par la Syrie dans le cadre du mandat du Rapporteur spécial.

Exposé

M. BALAKRISHNAN RAJAGOPAL, Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, a présenté son premier rapport thématique (A/75/148), centré sur les effets de la pandémie de COVID-19 et sur les questions que se posent les États pour reconstruire en mieux et garantir la réalisation de ce droit pour tous. 

Pour M. Rajagopal, la COVID-19 a fondamentalement changé la signification du terme « chez soi ».  Le logement est devenu une « protection clef » contre le virus car les gouvernements ont appelé leurs citoyens à rester chez eux, pour y travailler ou enseigner à leurs enfants lorsque les écoles étaient fermées.  Au plus fort de l’intervention d’urgence, plus de 3,9 milliards de personnes, soit la moitié de la population mondiale, ont été invitées ou appelées à rester chez elles.  Cependant, a constaté le Rapporteur spécial, plus de 1,8 milliard de personnes n’ont pas de logement décent et vivent dans des établissements informels où la distance physique est difficile, voire impossible.  De surcroît, des millions de personnes, en particulier les locataires et les petits propriétaires, risquent de perdre leur logement en raison de l’impact économique de la pandémie et trop de gens vivent dans des maisons surpeuplées dans lesquelles il n’est guère possible de s’isoler et difficile d’accéder à l’assainissement.

Il est clair, a-t-il poursuivi, que ne pas avoir accès à un logement convenable n’est pas seulement un problème de logement mais aussi un problème de santé, voire « un problème de vie ou de mort » pendant la pandémie. 

S’agissant des impacts sur le droit au logement, M. Rajagopal a noté qu’ils reflètent les hiérarchies préexistantes et les inégalités raciales, de genre et autres.  C’est ainsi que les taux de mortalité et d’infection sont nettement plus élevés chez les minorités et les autres groupes vulnérables dont les conditions de logement sont inadéquates.  Par ailleurs, comme la pandémie continue de faire rage, il faut s’attendre à une hausse sans précédent des expulsions, de la faim, du sans-abrisme et finalement de la mortalité, a-t-il averti.  Dans ce contexte, les sans-abri, les personnes vivant dans des établissements informels, les travailleurs migrants et les autres groupes vulnérables sont confrontés à un risque accru d’infection, de propagation communautaire du virus et de mortalité.

De l’avis de l’expert, ces situations « peuvent et doivent être évitées ».  C’est une question de vision et de volonté politique, a-t-il dit, assurant que les gouvernements, les fournisseurs de logements et les organisations de la société civile peuvent tous jouer un rôle face à la pandémie actuelle et aux crises du logement.  À cet égard, M. Rajagopal a noté que, dans de nombreux pays, ce que réclamaient les experts du droit au logement, les organisations de la société civile ou les travailleurs sociaux est soudain de devenu possible.  Il a par exemple évoqué la fourniture d’installations d’eau et d’assainissement pour les établissements informels, les efforts visant à mettre fin à l’itinérance dans la rue et l’interdiction des expulsions, aux niveaux local ou national.

Le Rapporteur spécial a salué la mise en place, dans de nombreux États, de nouveaux transferts sociaux aux ménages pour les aider à couvrir les frais de location ou d’emprunt hypothécaire ainsi que d’interdiction de coupure des services publics pour prévenir la pauvreté énergétique et garantir un accès continu à l’eau potable et à l’assainissement.  Ces mesures devraient être renouvelées et rester en vigueur jusqu’à la fin de la pandémie, a-t-il souligné, plaidant notamment pour un moratoire mondial sur les expulsions.  Malheureusement, bon nombre de ces mesures positives sont de nature temporaire.  Il convient donc, selon lui, d’en faire des politiques et stratégies durables pour réaliser le droit à un logement convenable comme moyen de mieux reconstruire après la pandémie. 

Le droit au logement doit être un élément clef de toute réponse et tout plan de relèvement face à la pandémie, a souligné le Rapporteur spécial.  Cela exige que des ressources suffisantes soient allouées à la réalisation de ce droit et que les gouvernements élaborent des stratégies de logement conformes aux droits de l’homme, a-t-il affirmé, avant d’appeler les États à mettre un terme non seulement aux procédures d’expulsion pendant la pandémie, mais aussi à l’élimination des campements de sans-abri.  Il les a aussi exhortés à héberger les personnes sans domicile fixe dans des hôtels, des motels ou des logements vacants et à élaborer des plans pour leur donner accès à un logement permanent.  Les États devraient également envisager des plafonds de loyer et des subventions pour les locataires et les petits propriétaires, tout en limitant le rôle des sociétés de capital-investissement. 

Enfin, il a souhaité que les pays à faible revenu reçoivent une aide au développement adéquate afin qu’ils puissent se remettre de la contraction économique causée par la pandémie, tout en s’attaquant aux conditions de logement extrêmement inadéquates d’un grand nombre de leurs citoyens. 

Dialogue interactif

De quelles manières les États peuvent-ils faire face à l’impact de la pandémie sur le droit à un logement convenable, a voulu savoir l’Union européenne, qui a signalé que la COVID-19 a également transformé le logement en un lieu de violence, comme en témoigne l’augmentation de la violence domestique à l’encontre des femmes et des filles.  Elle a demandé des exemples de mesures de redressement qui ont permis d’atténuer les effets négatifs de la pandémie pour le droit des enfants et des femmes à un logement convenable et sûr. 

La Fédération de Russie s’est étonnée de certaines recommandations faites aux gouvernements, notamment celles relatives aux couches vulnérables de la population.  Selon elle, le traitement des questions prenant en compte la situation des femmes, des enfants et des peuples minoritaires devrait faire l’objet d’une coopération entre les différents titulaires de mandat afin d’éviter les doublons.  La délégation a par ailleurs jugé intrusif l’appel lancé à des États souverains pour qu’ils préparent des statistiques sur certaines parties de leur population.  Nous ne voyons pas le rapport que cela a avec le mandat du Rapporteur spécial sur le droit au logement convenable.  Cela peut en outre devenir une source de tensions sur des bases raciales, religieuses et autres, a-t-elle fait valoir.  Elle a également qualifié d’inopportun l’appel fait dans le rapport à la réduction de la population carcérale. 

L’Algérie a indiqué que ces dernières années, le pays a fait l’expérience d’une urbanisation très rapide et que l’objectif de son plan national 2020-2024 est de construire 1,5 million de logements supplémentaires.  Le pays s’emploie en outre à améliorer les services de base, comme le traitement des déchets, et les dispositifs de protection de l’environnement.  Dans ce cadre, sa politique d’éradication des taudis a été citée en exemple par la communauté internationale, s’est-elle enorgueillie. 

Quelles sont les bonnes pratiques mises en œuvre par les États pour renforcer la coopération et les partenariats avec la société civile en matière de logement, a souhaité savoir le Mexique, lors d’une intervention tronquée en raison de problèmes techniques. 

Répondant aux délégations, le Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant a confirmé que la notion même de logement a radicalement changé depuis l’apparition de la COVID-19.  Les mesures prises pour endiguer la propagation du virus ont eu pour conséquence une « reconfiguration semi-permanente de la limite entre le lieu de vie et le lieu de travail », a-t-il relevé.  Ce changement a des incidences sur les droits de la personne, d’autant plus que, selon l’évaluation faite en juin par l’Organisation internationale du Travail (OIT), 90% de la population active mondiale a été affectée par les mesures de confinement. 

Face à cette évolution du concept de logement, le Rapporteur spécial a expliqué qu’il s’était attaché à étudier l’évolution de la situation dans le temps.  Il a noté à cet égard que la violence domestique et la problématique femmes-hommes sont des questions très importantes à examiner.  Toutefois, il a déclaré ne pas disposer de suffisamment d’informations sur ces sujets à ce stade, appelant les États à produire des données ventilées par « âge, sexe et race ».  Il s’est toutefois félicité que certains États aient pris des mesures proactives pour protéger les femmes et les filles au sein des foyers.  Il faudra étudier ces exemples et voir s’ils ont été imités, a-t-il dit.  Il a également précisé, à l’adresse de la Fédération de Russie, qu’il collaborait avec d’autres titulaires de mandat dans le cadre de son travail, ce qui pouvait expliquer certains « chevauchements ».  Enfin, il a souligné que les politiques visant à renforcer le droit au logement convenable contribuent à la réalisation effective des objectifs de développement durable. 

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