Soixante-quinzième session,
Dialogues virtuels – matin & après-midi
AG/SHC/4303

La justice transitionnelle, les charniers, les produits dangereux et le droit à l’alimentation passés au crible de la Troisième Commission

La Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a poursuivi, aujourd’hui, son dialogue virtuel avec les titulaires de mandat, l’occasion pour les délégations d’examiner des questions aussi variées que la perspective de genre dans les processus de justice transitionnelle, la diligence raisonnable des entreprises opérant dans les zones de conflit ou encore l’approche juridique de la gestion des charniers.  Elles ont aussi pu prendre connaissance du lien intrinsèque entre le bien-être de l’homme et le bien-être de l’écosystème, ainsi que des menaces qui pèsent sur le droit à l’alimentation. 

Dans un premier temps, le Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition a défendu une meilleure prise en compte de la dimension genre dans les processus de justice transitionnelle. 

M. Fabian Salvioli a notamment indiqué que les premières commissions de vérité ont ignoré les violations flagrantes fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, et que bien que des progrès significatifs aient été réalisés au fil du temps, de nombreuses commissions de vérité ne tiennent pas compte de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre.  Il en va de même pour les programmes de réparation précoce qui n’ont pas abordé les formes spécifiques de victimisation subies par les femmes et les personnes LGBT, ni conçu des réparations appropriées en fonction de leurs besoins, intérêts ou visions. 

« Sans une perspective et une approche adéquates en matière de genre, les processus de justice transitionnelle ne pourront pas répondre aux normes contemporaines de respect et de garantie des droits de l’homme sans discrimination », a-t-il affirmé. 

La Présidente du Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises s’est également intéressée à la justice transitionnelle pour souligner que ses principes fondamentaux n’ont pas été suffisamment analysés pour comprendre comment les acteurs économiques, y compris les entreprises qui se trouvent dans des situations de conflit, devraient participer et être tenus pour responsables dans le cadre d’un tel processus. 

Alors que la COVID-19 a exacerbé les risques de conflit violent dans le monde, Mme Anita Ramasastry a également constaté que le rôle et l’impact des entreprises dans les contextes de conflit n’ont reçu que peu d’attention de la part de l’architecture de paix et de sécurité onusienne.  Un élément essentiel de tout cadre de prévention des conflits et de consolidation de la paix devrait donc être l’élaboration d’une stratégie « entreprises, paix et sécurité », s’inspirant des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.  Le rapport qu’elle a présenté devant la Troisième Commission identifie en outre un large éventail de politiques et d’outils que les États pourraient utiliser dans les régions sujettes aux conflits pour empêcher que les activités commerciales conduisent à des violations des droits humains et exacerbent les conflits.

Sur un autre registre, la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a appelé à établir un cadre normatif complet de tous les droits et obligations pour les charniers, notant qu’il n’existe pas de cadre juridique cohérent et unique en matière de droits de l’homme s’agissant de leur gestion. 

Mme Agnès Callamard a indiqué que les expériences avec les charniers de l’Holocauste, des Balkans, du Cambodge, du Rwanda, de la Colombie et du 11 septembre aux États-Unis, suggèrent qu’à quelques exceptions près, l’identification individuelle reste très faible et qu’une série de dimensions supplémentaires en matière de droits de l’homme doivent être prises en considération. 

Pour elle, une justice rétributive formelle peut être rendue en l’absence d’exhumation, tandis que la justice réparatrice exige de nombreuses considérations et étapes supplémentaires, notamment en ce qui concerne la mémoire.  La préservation, les visites et la commémoration sont autant d’exemples de la nécessité d’une approche plus globale en matière de droits de l’homme.  Elle a également insisté sur la participation des familles des victimes dont il faut obtenir le consentement libre, préalable et éclairé. 

Dans l’après-midi, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement a dressé un bilan alarmant des activités humaines qui détruisent la biodiversité à un rythme sans précédent.  En un mot, « nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de notre santé, de nos moyens de subsistance et de nos économies avec des conséquences dévastatrices pour les droits de l’homme ».  La pandémie COVID-19 en est, pour M. David Boyd, un exemple frappant, étant la dernière maladie infectieuse émergente à se propager d’une autre espèce à l’homme.

Même constat alarmant du côté du Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux, qui s’est inquiété de la santé des enfants qui continuent de naître « pré-pollués ».  Leur exposition à différentes substances toxiques est à l’origine d’une « pandémie mondiale silencieuse » de maladies et de décès prématurés, a alerté M. Marcos A. Orellana qui a aussi alerté qu’un travailleur meurt toutes les 30 secondes suite à une exposition à des substances toxiques.

Les délégations ont ensuite entendu M. Michael Fakhri, Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, qui a défendu trois principes: la « dignité », l’autosuffisance et enfin la solidarité, sur lesquels doivent être bâtis les accords alimentaires internationaux, notamment en cette période de pandémie.

« Nous savons que les pires éléments de la pandémie sont encore à venir.  Et nous savons que cette pandémie n’est qu’un coup de semonce pour les prochaines conséquences des changements climatiques », a-t-il averti.

La couverture de cette séance virtuelle a été compromise par une série de problèmes d’ordre technique. 

La Troisième Commission poursuivra son dialogue avec des titulaires de mandat le mercredi 28 octobre, à partir de 10 heures. 

PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

Déclarations liminaires de titulaires de mandat au titre des procédures spéciales et d’autres experts, suivies d’un dialogue interactif

Exposé

M. FABIAN SALVIOLI, Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, a indiqué que son rapport (A/75/174) revient « en détail » sur l’adoption d’une perspective de genre dans la conceptualisation, la conception et la mise en œuvre des stratégies et mécanismes nationaux de justice transitionnelle, afin de garantir une réponse adéquate et globale aux femmes et aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres qui ont été victimes de graves violations des droits de l’homme ou du droit humanitaire, et de garantir leur participation effective à ces processus.

Il a constaté que les premières commissions de vérité ont ignoré les violations flagrantes fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle et l’identité de genre.  Bien que des progrès significatifs aient été réalisés au fil du temps, il est toujours évident que de nombreuses commissions de vérité ne tiennent pas compte de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, a déploré M. Salvioli. 

Les mandats des commissions doivent traiter de manière globale des causes et des conséquences de la violence sexuelle et autre violence fondée sur le sexe, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, a estimé le Rapporteur.  La typologie des violations utilisée dans la méthodologie doit refléter de manière adéquate l’expérience des victimes et inclure: les comportements sexistes, des définitions larges qui ne se limitent pas aux blessures physiques, un impact différencié des violations, un registre des violations primaires et secondaires et les effets des violations sur les victimes primaires et secondaires.

Tout comme les processus de recherche de la vérité, les programmes de réparation précoce n’ont pas abordé les formes spécifiques de victimisation subies par les femmes et les personnes LGBT, ni conçu des réparations appropriées en fonction de leurs besoins, intérêts ou visions.  Pour que les réparations soient adéquates, il est nécessaire que les catégories de violations et de victimes ne reproduisent pas des schémas de discrimination sexuelle, et qu’elles incluent les victimes survivantes et les membres de leur famille, sans restreindre la signification de la notion de famille à un concept rigide, légaliste ou culturellement dominant, a-t-il souligné.

De même, les mesures de réparation doivent tenir compte du genre et de son intersectionnalité; de la complexité des dommages subis et de leurs conséquences sur la vie quotidienne des femmes et des personnes LGBT, de l’effet stigmatisant potentiel des crimes et des réparations, et surtout de l’effet transformateur potentiel de certaines mesures sur la structure sexuée de l’exclusion.  Les programmes de réparation doivent également surmonter les barrières socioculturelles et administratives, ne pas exiger de preuves qui excluent les victimes ou les victimisent à nouveau, et aborder les dimensions individuelles et collectives des réparations afin de satisfaire le principe de réparation intégrale.

Poursuivant, M. Salvioli a estimé que, bien que l’expérience des tribunaux pénaux internationaux ait contribué à rendre visible la violence sexuelle et sexiste et à élever les normes en matière de poursuites devant les tribunaux nationaux, l’impunité pour les crimes sexuels et sexistes persiste de même que les obstacles à l’accès à la justice pour les femmes et les personnes LGBT.  Afin de surmonter cette situation, il a suggéré d’adopter des protocoles spéciaux pour les enquêtes et les poursuites des crimes sexuels et sexistes, d’établir un modèle interinstitutionnel spécial pour les enquêtes et les poursuites, et d’adopter une perspective de genre dans les programmes de protection des victimes et des témoins.

Dans le domaine des garanties de non-répétition, il a appelé les États à s’efforcer de modifier les dispositions légales discriminatoires à l’égard des femmes et des personnes LGBT, améliorer la représentation des femmes, élaborer des programmes de formation sur les perspectives de genre pour leurs agents, et créer des unités spécialisées sur la violence sexuelle et sexiste dans les secteurs de la justice, de la sécurité et des forces armées.  Il faut également, a poursuivi le Rapporteur, réviser les manuels et les programmes éducatifs pour y inclure des « récits critiques du passé violent », et se distancier des structures éducatives despotiques, violentes et reproduisant des modèles de domination patriarcale et masculine.  Les États doivent également veiller à ce que la conception des processus de commémoration intègre pleinement une perspective de genre et adopte des analyses critiques des cultures patriarcales hégémoniques.

Le Rapporteur spécial a aussi souligné la nécessité de garantir la participation effective des femmes, des enfants, des communautés LGBT et des victimes de violences sexuelles et sexistes à la conception, à la formulation et à la mise en œuvre des programmes de justice transitionnelle. 

Sans une perspective et une approche adéquates en matière de genre, les processus de justice transitionnelle ne pourront pas répondre aux normes contemporaines de respect et de garantie des droits de l’homme sans discrimination, a-t-il affirmé.

Dialogue interactif

L’Union européenne a demandé au Rapporteur spécial de partager de bons exemples de pratiques d’inclusion de la société civile dans les processus de vérité et de justice.  Relevant qu’à la suite d’un viol, la survivante peut avoir des difficultés d’accès à des moyens de subsistance et nécessiter des réponses efficaces telles qu’une pension régulière, la délégation s’est intéressée aux recommandations concrètes sur la façon de garantir des programmes de réparation vraiment justes avec l’intégration explicite d’une perspective de genre. 

Comment promouvoir la mise en œuvre de vos recommandations, a demandé la Suisse qui a également voulu connaître les priorités du Rapporteur spécial pour les trois années à venir, en particulier en ce qui concerne des activités à New York.  L’Argentine a, pour sa part, insisté sur l’importance de récolter des statistiques sur la question. 

Les États-Unis se sont intéressés aux stratégies réussies permettant aux victimes et à la société civile de contribuer aux programmes de réparation.  La délégation a également indiqué que le Gouvernement américain soutient les survivants syriens de la torture et des violences sexuelles, et a appelé le « régime Assad » à cesser sa campagne de violence.  Elle a également demandé au Gouvernement « birman » de rendre justice aux victimes, estimant que la société civile et les victimes doivent être incluses dans les efforts de justice transitionnelle pour que le processus de paix national ait un espoir de réussite.  En Colombie, les États-Unis considèrent que les différents processus de justice transitionnelle prévus sont essentiels à une paix durable.  La délégation a également appelé le Gouvernement de Sri Lanka à honorer et à mettre pleinement en œuvre ses engagements en faveur de la justice et de la réconciliation.

Après avoir salué l’accent sur l’égalité entre les sexes et les droits des femmes dans les processus de justice transitionnelle, la Chine a reproché aux États-Unis d’avoir minimisé l’ampleur de la pandémie, minant ainsi le droit à la vie des citoyens américains.  « Ils ont tenté de détourner leur mauvaise gestion de la pandémie en pointant du doigt la Chine », a regretté la délégation.

Dans ses réponses et observations, le Rapporteur spécial a indiqué que l’expérience de la Colombie a été fondamentale pour avancer de façon positive dans le processus de justice transitionnelle.  S’agissant des voies et moyens d’améliorer le travail de la justice transitionnelle, il a estimé fondamental que la permanence du pouvoir judiciaire et les mécanismes de promotion tiennent compte du respect des normes en matière des droits de la personne et aussi des perspectives hommes-femmes.  Il a souligné que l’application des obligations qui découlent des instruments internationaux en matière des droits de la personne relève de la responsabilité des États.  Il a jugé fondamental que les processus de justice transitionnelle soient considérés comme des obligations en matière des droits de la personne.  Il a par ailleurs souhaité que le Conseil de sécurité soit plus ouvert à la dimension juridique de la personne, car « on ne peut continuer à gérer les relations internationales comme au début de la guerre froide ».

Exposé

Mme ANITA RAMASASTRY, Présidente du Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, a présenté son rapport thématique (A/75/212) intitulé « Entreprises, droits de l’homme et régions touchées par un conflit: vers une action renforcée ».  Il se concentre sur les mesures pratiques que les États et les entreprises devraient prendre pour prévenir et lutter contre les violations des droits de l’homme liées aux entreprises dans les situations de conflit et d’après-conflit, a-t-elle précisé.  À cet égard, elle a observé que la COVID-19 a exacerbé les risques de conflits violents à travers le monde, renforçant la nécessité pour tous les acteurs, y compris les entreprises, de veiller à ce que leurs activités n’alimentent pas les tensions et la violence.

Le rapport s’appuie sur le concept de « diligence raisonnable accrue », a indiqué Mme Ramasastry.  Étant donné que le risque de violations flagrantes des droits de l’homme est accru dans les zones de conflit, l’action des États et la diligence raisonnable des entreprises devraient être renforcées en conséquence, a-t-elle expliqué.  Sur la base de ce principe, le rapport identifie un large éventail de politiques et d’outils que les États, seuls ou en agissant dans le cadre d’organisations multilatérales et d’entreprises, pourraient utiliser dans les régions sujettes aux conflits pour empêcher que les activités commerciales conduisent à des violations des droits humains et exacerbent les conflits.  Sur un plan pratique, a-t-elle ajouté, le rapport propose des indicateurs devant déboucher sur une action renforcée des États, des entreprises et du système des Nations Unies et examine les défis spécifiques posés par la reconstruction postconflit et la consolidation de la paix.

La Présidente du Groupe de travail a souhaité attirer l’attention de la Commission sur trois domaines, à commencer par la nécessité d’une action accrue de l’ONU.  Bien que le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde soit l’un des objectifs les plus essentiels de l’Organisation, le rôle et l’impact des entreprises dans les contextes de conflit n’ont reçu que peu d’attention de la part de l’architecture de paix et de sécurité onusienne, a-t-elle constaté.  Un élément essentiel de tout cadre de prévention des conflits et de consolidation de la paix devrait donc être l’élaboration d’une stratégie « entreprises, paix et sécurité », s’inspirant des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.  Dans ce contexte, a souligné Mme Ramasastry, la responsabilité incombe au système de l’ONU mais les États ont un rôle clef à jouer pour mandater, encourager et aider l’Organisation à mettre en place des politiques et des pratiques qui favorisent le respect des droits de l’homme par les entreprises dans les situations de conflit.  S’engager dans une telle voie représenterait en outre une contribution décisive à l’ODD 16.4, a-t-elle soutenu.

Le deuxième point est que les principes fondamentaux de la justice transitionnelle n’ont pas été suffisamment analysés pour comprendre comment les acteurs économiques, y compris les entreprises, devraient participer et être tenus pour responsables dans le cadre d’un tel processus, a poursuivi la Présidente du Groupe de travail.  Quant au troisième point, il se rapporte à l’impact de la technologie dans le contexte des zones de conflit.  Pour faire écho à la feuille de route du Secrétaire général pour la coopération numérique, il reste encore beaucoup à faire pour définir les conséquences concrètes de la mise en œuvre des Principes directeurs pour ce secteur, a-t-elle concédé, se prononçant pour une initiative multipartite réunissant des représentants de l’industrie, des États et de la société civile, avec pour objectif de rendre opérationnelle les responsabilités du secteur en matière de droits de l’homme et de définir des orientations pratiques pour la prestation de services cybernétiques responsables dans les régions touchées par des conflits. 

Ce qu’il faut maintenant, a conclu Mme Ramasastry, c’est une action plus décisive pour intégrer les entreprises et les droits de l’homme dans les cadres de paix et de sécurité.

Dialogue interactif

La Fédération de Russie a indiqué qu’elle ne pouvait pas entériner les conclusions du rapport sur les mesures à prendre pour faire respecter les droits de la personne par des entités commerciales dans des zones de conflit.  Elle a estimé que l’objectif principal des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme devrait être de prévenir et éliminer la menace d’influence négative des activités commerciales sur les droits de l’homme, plutôt que d’imposer de nouvelles normes obligatoires et, bien souvent, controversées.  La thèse selon laquelle il faut renforcer l’action des États et le degré de diligence raisonnable exercé par les entreprises représente une « interprétation trop large » de la part du Groupe de travail.  Il est impossible, a-t-elle souligné, de bien faire respecter les droits de la personne « là où le sang coule et où les gens meurent ».

La condition préalable est le règlement du conflit et la réconciliation des belligérants, a-t-elle fait valoir.  L’Union européenne a en revanche souscrit à la conclusion selon laquelle le devoir de diligence en matière de droits de l’homme imposé aux entreprises devrait être complété par une approche sensible aux conflits.  À cet égard, elle a souhaité savoir comment les gouvernements et les entreprises peuvent encourager cette approche dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

Sachant que les Principes directeurs exigent que les parties touchées aient accès à un « recours effectif », comment définissez-vous « effectif » dans le contexte des zones de conflit, a demandé le Luxembourg.  Comment les entreprises peuvent-elles assurer un dialogue réel avec les parties touchées dans une situation de conflit sans crainte de représailles pour ces dernières et comment garantir l’indépendance des mécanismes de réclamation dans des situations de conflit, s’est-elle également interrogée.

Le contexte pandémique actuel rend encore plus pertinent le comportement responsable des entreprises, a indiqué le Japon qui a expliqué avoir mis en œuvre un plan d’action permettant de mieux encadrer cette question tout en renforçant la compétitivité, essentielle pour la réalisation des objectifs de développement durable (ODD).

Le Qatar a lui aussi estimé que les États et les entreprises doivent prendre des mesures spécifiques pour empêcher les abus des droits de l’homme dans les zones de conflit, indiquant par ailleurs avoir envoyé une invitation à la Présidente du Groupe de travail.

Face au défi de l’ère cybernétique, comment les États peuvent-ils lutter contre les campagnes de désinformation et les discours de haine hors de leurs frontières, a demandé l’Espagne qui a indiqué avoir lancé un plan national sur cette question afin d’évaluer les risques posés par les activités commerciales sur les droits humains dans les contextes de conflit et postconflit.

Comment systématiser la prise en compte du rôle potentiel positif des entreprises, s’est enquise la Suisse, s’interrogeant, en outre, sur le rôle que peuvent jouer le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l’homme dans ce contexte.

Et comment accroître la coordination avec le Groupe de travail afin de continuer à traiter des liens entre les entreprises et les droits de l’homme et du programme de lutte contre la corruption, ont voulu savoir les États-Unis.  La délégation a également encouragé le Groupe de travail à approfondir la question des transactions liées aux utilisateurs finaux de gouvernements étrangers pour les produits ou services dotés de capacités de surveillance.

Le cadre « protégé et respecté » des Principes directeur est le plus important pour lutter contre les violations des droits de la personne par des entreprises, a souligné l’Irlande qui s’est félicitée que le rapport présente des mesures pratiques pouvant être prises par les États et les entreprises.

La Chine a relevé que les entreprises transnationales ont un fort impact sur les systèmes sociaux et juridique des pays, invitant les États à veiller à ce que les entreprises opérant dans des zones de conflit se montrent responsables au regard des Principes directeurs.

En réponse à ces questions et observations, la Présidente du Groupe de travail a assuré que les Principes directeurs demeurent le document essentiel sur lequel s’appuie le Groupe de travail en matière de droits de l’homme.  Dans ce cadre de ses travaux, le Groupe de travail n’a fait que donner suite au Principe 7 qui porte sur l’appui au respect des droits humains par les entreprises dans les zones touchées par des conflits, a-t-elle fait valoir.  Il ne s’agit pas de proposer de nouvelles normes mais de trouver une application pratique de ce principe afin que les entreprises opérant dans des situations de conflit ne prennent pas part à des violations des droits humains.  Elle a ensuite indiqué avoir soumis des observations à l’Union européenne sur la cohérence des Principes directeurs et les voies d’application et invité tous les États à s’inspirer de ces observations, car s’y trouve la réponse sur les efforts à mener en matière de diligence raisonnable.

S’agissant de l’influence des entreprises dans les contextes de conflit et postconflit, Mme Ramasastry a invité les États et les entreprises à s’appuyer sur les Principes directeurs.  Selon elle, les outils de diligence voulue permettent aux entreprises de respecter les droits de l’homme.  « Cela fait partie de leur contribution », a-t-elle insisté, ajoutant en résumé que « les entreprises peuvent faire le bien en évitant de nuire ».  Elle a confirmé l’importance d’une initiative multipartite pour que toutes les parties prenantes collaborent à l’élaboration de normes contre les discours de haine, formant le souhait que la question de la cybernétique dans les zones de conflit puisse être approfondie dans le cadre des activités du Groupe de travail.  La Présidente du Groupe de travail a aussi fait savoir que son instance continue de s’interroger sur l’attitude que les entreprises devraient adopter pour prévenir les risques liés aux droits de l’homme que présentent leurs opérations.  Nous allons continuer nos travaux et nous espérons avoir un dialogue constructif sur le sujet, a-t-elle dit.

Enfin, elle a indiqué qu’un débat était en cours, dans le cadre du système de l’ONU et des fonds de financement multilatéraux, sur l’application des Principes directeurs à titre d’outil prépondérant pour les entreprises opérant en zones de conflit ou postconflit.  Il s’agit de faire fond sur ces principes dans le contexte de la reconstruction afin que les entreprises respectent les droits de l’homme en cas de sortie de conflit, a-t-elle précisé, comptant là encore sur un dialogue approfondi avec les parties prenantes.

Exposé

Mme AGNÈS CALLAMARD, Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a indiqué que, cette année, son rapport propose une approche juridique de la gestion des charniers.  « Les charniers sont si répandus et si nombreux sur la surface de la terre qu’ils forment une cartographie secrète des atrocités dans l’histoire du genre humain », a-t-elle indiqué.  Les plus anciens remonteraient à plus de 10 000 ans, et des dizaines de nouveaux charniers ont été trouvés au cours de la seule année actuelle dont un contenant probablement quelque 30 000 dépouilles.  Outre les conflits et les violations massives des droits de l’homme, les charniers sont liés à des activités criminelles comme la traite et les « guerres de la drogue », ainsi que les catastrophes naturelles et, à présent, la pandémie de COVID-19.

À ce jour, il n’existe pas de cadre juridique cohérent et unique en matière de droits de l’homme s’agissant de la gestion des charniers, a indiqué la Rapporteuse spéciale.  Ces sites ont été abordés comme un sous-ensemble des normes relatives aux disparitions forcées et aux enquêtes médico-légales, une approche qu’elle a jugé trop étroite.  Les expériences avec les charniers de l’Holocauste, des Balkans, du Cambodge, du Rwanda, de la Colombie et du 11 septembre aux États-Unis, suggèrent qu’à quelques exceptions près, l’identification individuelle reste très faible et qu’une série de dimensions supplémentaires en matière de droits de l’homme doivent être prises en considération. 

Une justice rétributive formelle peut être rendue en l’absence d’exhumation, tandis que la justice réparatrice exige de nombreuses considérations et étapes supplémentaires, notamment en ce qui concerne la mémoire.  La préservation, les visites et la commémoration sont autant d’exemples de la nécessité d’une approche plus globale en matière de droits de l’homme.

Mme Callamard a appelé à établir un cadre normatif complet de tous les droits et obligations pour les charniers reposant, entre autres, sur le droit à la vie, l’interdiction de la privation arbitraire de la vie, l’interdiction des disparitions forcées, le droit à une enquête, le droit au recours et à la réparation, le droit à la vérité, ainsi que la liberté d’association et d’expression, par exemple pour les familles des victimes.  Elle a également insisté sur l’importance de la non-discrimination, notant que les personnes persécutées de leur vivant encourent le plus grand risque de ne jamais être identifiées après leur mort.

Elle a ensuite souligné que la manipulation respectueuse des charniers nécessite de mettre l’accent sur les procédures et la participation des familles au processus.  Les charniers ont de nombreuses significations personnelle, religieuse, culturelle et historique qui peuvent donner lieu à des revendications concurrentes notamment en matière d’individualisation et d’identification, d’enquête et de collecte de preuves, de commémoration et de réinhumation.

Un processus juridique requiert l’écoute, le dialogue et l’évaluation des diverses revendications sur les charniers afin d’établir un équilibre entre ces revendications.  Au cœur du processus se trouve la participation des familles dont il faut obtenir le consentement libre, préalable et éclairé.

L’importance religieuse et culturelle des charniers doit également être pleinement intégrée dans leur gestion, a-t-elle ajouté, y voyant la seule approche permettant d’éviter et de résoudre les conflits lors de leur découverte et à plus long terme.

Elle a aussi recommandé la nomination de gardien légal des charniers, une ou plusieurs personnes qui seraient responsables de la gestion des processus de décisions qui incluent les revendications de diverses parties prenantes et qui s’assureraient que les obligations de l’État sont mises en œuvre. 

Mme Callamard a ensuite indiqué que davantage de ressources doivent être allouées à la protection et la gestion des charniers aux niveaux national et international.  Les charniers doivent être préservés et protégés jusqu’à ce que, par le biais d’un processus inclusif, consultatif et non discriminatoire, les décisions appropriées soient prises sur leur avenir.  Elle a également appelé les États à soutenir l’élaboration de normes et de pratiques exemplaires pour la gestion juridique respectueuse des charniers et à ce que les charniers soient soigneusement manipulés et inclus dans les efforts et les accords de justice transitionnelle et de paix.  Elle a enfin recommandé à ce que les charniers soient soumis à un processus de cartographie et de reconnaissance internationales.

Dialogue interactif

L’Union européenne a voulu prendre connaissance des priorités et des activités de la Rapporteuse spéciale, notamment en ce qui concerne la prévention.  La délégation a également appelé à mettre fin aux discriminations et violences raciales, et à assurer la responsabilité et prévenir les exécutions extrajudiciaires contre les manifestants pacifiques.

Le Royaume-Uni a insisté sur l’importance de recourir aux meilleures technologies pour aider à protéger et enquêter sur les charniers.

Les États-Unis ont condamné « la répression sanglante des voix démocratiques par le régime Maduro » au Venezuela qui a conduit à des milliers d’exécutions extrajudiciaires.  La délégation a aussi dénoncé la situation au Nicaragua où le régime Ortega a supervisé l’élimination brutale de ses opposants politiques, ainsi que les exécutions extrajudiciaires aux Philippines.  Les États-Unis ont ensuite pris note des efforts déployés par l’Arabie saoudite pour poursuivre les personnes impliquées dans le meurtre répréhensible du journaliste Jamal Khashoggi.  Comment la communauté internationale peut-elle coordonner au mieux une réponse mondiale au problème croissant des homicides commis par des acteurs étatiques?

La Suède a demandé à la Rapporteuse spéciale d’élaborer sur la manière dont les États Membres peuvent renforcer la prévention et la protection contre les menaces et les attaques contre les journalistes, les travailleurs des médias, les défenseurs des droits de l’homme et d’autres personnes ciblées pour leur expression et leurs activités pacifiques.  En outre, quelles mesures adopter pour assurer des approches fondées sur le droit dans la manipulation des charniers?

La Fédération de Russie a estimé que la question des charniers est très éloignée du mandat de la Rapporteuse spéciale qui, a-t-elle souligné, doit respecter la neutralité politique et ne pas déformer l’histoire.  Signalant que les activités de la Rapporteuse spéciale ont été vivement critiquées dans une déclaration conjointe d’un groupe d’États Membres, la délégation a affirmé que le rapport a été rendu public en violation flagrante des délais de présentation des rapports, avant de déplorer que la Rapporteuse spéciale ait ignoré les principes d’objectivité et d’impartialité.

La Turquie a regretté la référence contenue dans le rapport aux charniers trouvés en Syrie et la suggestion que ces tombes aient un lien avec le génocide arménien.  Le génocide est un crime strictement défini par le droit international, codifié en 1948 dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, a rappelé la délégation qui a aussi souligné que le terme ne doit pas être utilisé approximativement ou arbitrairement.  Une telle qualification faite en l’absence de jugement rendu par un tribunal n’a pas de statut juridique, a insisté la délégation. 

Quelles mesures pratiques recommander à l’Inde pour mener des enquêtes crédibles et indépendantes sur les charniers au Jammu-et-Cachemire, a demandé le Pakistan qui a affirmé que, depuis 1989, des milliers de Cachemiriens innocents ont été tués de manière extrajudiciaire par les Forces d’occupation indiennes. 

La Suisse s’est interrogée sur le défi de concilier les intérêts et objectifs disparates des parties prenantes avec le soin et la gestion des fosses communes.  Comment faire face à ce défi et assurer la participation inclusive de tous les acteurs concernés?

Suite à ces questions et observations, la Rapporteuse spéciale a indiqué, concernant le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, avoir demandé des sanctions contre la chaîne de commandement de l’équipe ayant commis le meurtre.  Mme Callamard a ensuite dénoncé les propos de la Fédération de Russie qui, selon elle, ne cesse de « politiser » son mandat et de saper ainsi son travail.  Leurs critiques à mon égard sont très génériques, comme en témoigne le fait qu’ils aient choisi un mot sur les 11 000 contenus dans mon rapport pour suggérer que j’outrepasse mon mandat, a-t-elle affirmé, déplorant un « comportement malheureux ».

Poursuivant, elle a reconnu l’importance de la technologie numérique et d’autres outils techniques, pour identifier l’emplacement des charniers, mais a fait savoir qu’elle ne dispose pas de la technologie nécessaire pour identifier les personnes enterrées.  En plus, ce sont des technologies budgétivores, a-t-elle constaté.

S’agissant du Jammu-et-Cachemire, la haut responsable a suggéré de reconnaître d’abord l’ampleur du problème et ensuite de mener des enquêtes, se disant prête à aider l’Inde à lancer les enquêtes sur les allégations de meurtres.  Pour ce qui est de l’établissement de normes de gestion des charniers, elle a appelé à faire le bilan des expériences menées au niveau national, notamment en Syrie et en Iraq, et à fournir des ressources aux pays qui en ont besoin pour mener à bien le travail. 

La Rapporteuse spéciale a par ailleurs appelé à prendre au sérieux la question des « menaces », y voyant des alertes précoces de violence et d’exécutions arbitraires.  Il faut mener des enquêtes sur toutes les menaces proférées contre les défenseurs des droits de l’homme, en particulier des femmes, a notamment encouragé Mme Callamard qui a annoncé qu’en début 2021, commencera l’élaboration de normes sur les enquêtes contre les menaces. 

Elle a par ailleurs appelé la communauté internationale à étudier la meilleure façon d’améliorer la participation des familles aux recherches et à la gestion des charniers.  Elle a enfin évoqué le rôle de l’UNESCO qui a inscrit des charniers sur la liste du patrimoine mondial comme c’est le cas d’Auschwitz-Birkenau.  Le Rwanda a fait une autre demande dans ce sens, a-t-elle informé.

Exposé

M. DAVID R. BOYD, Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, a présenté son rapport (A/75/161) dans lequel il examine la nécessité de prendre des mesures urgentes en vue de « préserver, de protéger et de restaurer la biosphère » dont dépendent toutes les espèces, y compris l’Homo Sapiens.

Les activités détruisent la biodiversité à un rythme sans précédent dans l’histoire de l’humanité, a d’abord rappelé M. Boyd.  Les populations d’animaux sauvages se sont effondrées de 68% depuis 1970; le taux d’extinction est des centaines de fois supérieur à la moyenne des 10 derniers millions d’années, et va s’accélérant.  La population humaine a doublé depuis 1970, et le commerce mondial a été multiplié par 10, faisant monter en flèche la demande en énergie.  « Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de notre santé, de nos moyens de subsistance et de nos économies, avec des conséquences dévastatrices pour les droits de l’homme », s’est alarmé le Rapporteur spécial, qui a qualifié la pandémie de COVID-19 d’« exemple frappant ».

Les États n’ont pas réagi avec l’urgence requise aux avertissements désastreux lancés par les plus grands scientifiques du monde.  Au contraire, les États encouragent les dégâts aux écosystèmes et à la biodiversité, « en fournissant plus de 500 milliards de dollars par an en subventions nuisant à la nature, soit plus de cinq fois ce qu’ils dépensent pour protéger la biodiversité », a-t-il poursuivi.

M. Boyd a ensuite établi un lien entre dégradation des écosystèmes, déclin de la biodiversité et violations des droits de l’homme, tels que les droits à la vie, à la santé, à l’alimentation, à un environnement sain, à l’eau, à un niveau de vie adéquat et à la culture.

Concernant les peuples autochtones, M. Boyd a appelé les États à reconnaître leurs droits fonciers, ainsi que l’existence de coutumes et de systèmes de gouvernance différents, « y compris la propriété collective ».  Les entreprises et les grandes organisations de protection de la nature doivent faire beaucoup plus pour respecter les droits de l’homme et ne pas nuire à leur travail, a-t-il jugé, avant d’émettre des recommandations détaillées aux États en matière de neutralité carbone, de respect des peuples autochtones, des paysans et de populations locales.  « Il n’est pas trop tard, mais le temps presse », a-t-il ajouté, rappelant que « les scientifiques les plus éminents » exigent des changements urgents pour éviter d’autres pandémies à venir.  Avec la COVID-19, l’humanité paie un « tribut terrible », et M. Boyd a appelé à ne pas répéter les mêmes erreurs. 

Dialogue interactif

À une question de l’Union Européenne (UE) demandant « comment augmenter la participation » des États Membres pour protéger l’environnement et la biodiversité, le Rapporteur spécial a conseillé de mettre en œuvre l’application des droits de chacun « à vivre dans un environnement neutre, sain, non pollué ».  Ce qui manque, c’est l’adoption d’une résolution s’attaquant à la pollution de l’air, a-t-il jugé, rappelant qu’une résolution adoptée il y a 10 ans sur l’eau et l’assainissement avait engendré « de nombreux résultats positifs » et changé la vie de millions de gens.

La Norvège, qui a rappelé que les entreprises, qui contribuaient largement à la destruction des écosystèmes et à l’appauvrissement de la biodiversité, devaient s’engager à protéger les droits des peuples autochtones et des populations locales, à prévenir la déforestation et la conversion des terres, et à réduire les émissions de gaz à effet de serre, a demandé conseil pour protéger davantage les défenseurs de l’environnement et des droits de l’homme.  Le Rapporteur spécial a rappelé leur « rôle vital » et les a qualifiés de « héros », pourtant « criminalisés » et injustement affublés « de toutes sortes de défauts ».  Le Rapporteur a appelé à mettre un terme à l’impunité de leurs agresseurs, et à « reconnaître les droits des minorités autochtones à un environnement sain ».

Sur la rareté des ressources et leur partage entre États, un problème abordé par l’Égypte, le Rapporteur spécial a révélé qu’il préparait un rapport sur cette question, plus particulièrement sur la rareté des ressources hydriques. 

« Comment intégrer au mieux les droits de l’homme dans la restauration des milieux naturels? » ont demandé pour leur part la Malaisie, la Colombie et le Mexique, qui a, au passage, mis en avant son ambition de reboiser un million d’hectares sur son sol et d’inclure socialement les femmes mexicaines issues de peuples autochtones.  « Ce sont là des questions essentielles, alors que la stratégie post-COVID-19 se dessine », a remarqué le Rapporteur spécial.  Relevant qu’à l’examen des stratégies mises en place en l’an 2000, on s’aperçoit qu’il manquait le facteur de protection de la vie, M. Boyd a insisté sur une approche fondée sur les droits de l’homme.

Au Brésil, qui a demandé si les recommandations du rapport différaient pour chaque pays selon son niveau de développement, le Rapporteur spécial a expliqué que si tous les pays portaient la responsabilité commune de protéger la biodiversité et de l’exploiter de manière raisonnable, les pays riches portaient une responsabilité supplémentaire, et que celle-ci devait être prise en compte dans l’élaboration du cadre post-COVID-19.

Le Costa Rica, au nom du Groupe de Genève, a d’ailleurs demandé en quoi la pandémie pousserait à des approches nouvelles en matière de défense de la biodiversité, et quels seraient les avantages de ces approches tant au niveau national qu’international.  Le Rapporteur spécial a répondu qu’étant donné les effets dévastateurs de la COVID-19, il était essentiel que les États Membres se concentrent non seulement sur la recherche d’un vaccin, mais aussi sur les mesures pouvant leur permettre de prévenir l’apparition d’autres maladies zoonotiques.  Pour cela, il a recommandé l’application d’une stratégie mêlant santé des individus, santé des animaux et du bétail, et reforestation. 

Exposé

S’adressant pour la première fois à la Troisième Commission, M. MARCOS A. ORELLANA, Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux, a déclaré qu’à l’heure actuelle, les injustices environnementales résultant de l’exposition à des substances et déchets dangereux sont devenues « clairement visibles », notant que plus de personnes meurent chaque année à cause de la pollution et de l’exposition qu’en raison de tous les conflits dans le monde réunis.  Selon lui, les impacts ne manqueront pas de s’aggraver, car l’industrie, qui pèse aujourd’hui plus de 5 000 milliards de dollars, devrait doubler d’ici à 2030.

Dans cette optique, M. Orellana a dit vouloir concentrer les travaux de son mandat sur trois axes prioritaires ces trois prochaines années: la justice environnementale et le racisme; les lacunes de l’architecture mondiale des produits chimiques et des déchets; et les responsabilités des entreprises en matière de droits humains en cas d’exposition à des substances toxiques.

Le Rapporteur spécial a ensuite présenté les principales conclusions du dernier rapport (A/75/290) de son prédécesseur, M. Baskut Tuncak, lequel souligne que l’injustice environnementale a été le « moteur » de ce mandat établi en 1995 par la Commission des droits de l’homme.  Malheureusement, a-t-il dit, la pratique actuelle des pays riches exportant des pesticides hautement dangereux et des produits chimiques industriels toxiques -qui sont interdits sur leur sol- vers des pays plus pauvres n’ayant pas la capacité de contrôler les risques « perpétue l’injustice environnementale mondiale ».  Si les États ont le devoir de « prévenir et minimiser » l’exposition aux substances dangereuses, les plus vulnérables de la société continuent de se trouver du « mauvais côté d’une fracture toxique ».  Ils souffrent, selon lui, d’un « poids invisible d’injustice systémique, de racisme et de discrimination ».

Le plus souvent, ils sont « légalement empoisonnés » par des « limites admissibles » d’expositions toxiques qui ne tiennent pas compte des protections des droits de l’homme, a-t-il constaté.  Dans le monde entier, des enfants continuent de naître « pré-pollués ».  Leur exposition à différentes substances toxiques est à l’origine d’une « pandémie mondiale silencieuse » de maladies et de décès prématurés, a alerté M. Orellana, ajoutant que les produits chimiques qui interfèrent avec les hormones du système endocrinien des enfants les transforment en adultes et les privent de leur jeunesse. 

Partout, des travailleurs sont aussi contraints de « faire le choix odieux entre leur santé et leurs revenus », a-t-il poursuivi.  On estime ainsi qu’un travailleur meurt toutes les 30 secondes suite à une exposition à des substances toxiques, tandis que 160 millions de cas de maladies professionnelles sont signalés chaque année.  Face à cette « forme vicieuse d’exploitation légalisée », il a rappelé les 15 Principes directeurs sur la protection des travailleurs, élaborés par son prédécesseur, et a invité l’Organisation internationale du Travail (OIT) à reconnaître le travail sûr et sain comme l’un de ses principes fondamentaux. 

Pour le Rapporteur spécial, les États continuent de permettre un sentiment d’impunité dans le secteur privé.  Alors que les expositions toxiques pourraient être réduites, l’incapacité des États à contraindre les entreprises à faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme entraîne une « toxification croissante de notre planète et de notre corps ».  C’est un « avenir dystopique » dont personne ne veut mais contre lequel la volonté politique fait défaut, a-t-il déploré, avant de plaider pour des informations adéquates sur les risques et les alternatives plus sûres afin de prévenir les dommages. 

Avant de conclure, M. Orellana s’est prononcé pour l’introduction d’une approche fondée sur les droits dans le cadre mondial des produits chimiques et des déchets pour l’après-2020.  Il a également appelé à la reconnaissance mondiale du droit à un environnement sain, « qui se fait attendre depuis longtemps ». 

Dialogue interactif

Comment les États peuvent-ils mieux garantir la pleine mise en œuvre du droit à l’information pour la protection contre les substances dangereuses, en particulier au bénéfice des plus vulnérables?  Et comment pouvons-nous améliorer la compréhension et le traitement des éléments d’inégalité et de justice environnementale lors de la conception de politiques de gestion des déchets aux niveaux mondial, régional et national, a voulu savoir l’Union européenne.  La délégation a rappelé à ce sujet que la Commission européenne a adopté, il y a quelques semaines, la nouvelle stratégie de l’UE sur les produits chimiques pour la durabilité.  Il s’agit de la première étape vers un environnement sans toxicité, comme annoncé dans le Green Deal européen, a-t-elle indiqué.

La République arabe syrienne a, quant à elle, voulu savoir dans quelle mesure le secteur pétrolier prend en considération les droits à la santé et à la sécurité. 

En réponse à ces questions et observations, le Rapporteur spécial a souligné que les États doivent prévenir l’exposition des personnes aux produits et déchets toxiques et que les entreprises doivent appliquer ces mesures dans leurs activités et leurs chaînes de production.  Mais il y a plus de 350 000 produits chimiques sur le marché et pas suffisamment d’information à leur sujet, a-t-il déploré, plaidant pour une démarche mondiale pour alerter sur les risques associés à ces substances.  Quand les États ont réduit l’utilisation de pesticides sur leur territoire, ils auraient dû également en interdire l’exportation, a-t-il jugé.  Il a insisté sur le droit des personnes à disposer d’informations actualisées sur les risques, soulignant que les informations sur ces produits ne devraient jamais être confidentielles car cela constitue un obstacle au droit à l’information.  Si certaines entités privées font état d’informations confidentielles, elles empêchent sciemment la réalisation de ce droit, a-t-il regretté.

Il a appelé à la mise en place de mécanismes pour lever cet obstacle, tout en relevant que des outils de ce type existent déjà, notamment en Europe avec le Protocole de Kiev qui permet aux populations d’accéder librement aux informations sur les produits chimiques utilisés sur leur territoire.  En Amérique latine et dans les Caraïbes, a-t-il ajouté, l’Accord d’Escazú est le premier à garantir le droit de toute personne à un environnement propre et sain, tout en permettant à toutes les voix de se faire entendre en matière de protection.  De plus, cet accord est assorti de dispositions solides pour les peuples autochtones, qui sont particulièrement sensibles aux questions environnementales et de gestion des déchets sur leurs terres.  Il garantit leur accès à l’information et respecte leur droit au consentement préalable, libre et éclairé, s’est félicité M. Orellana, en saluant l’accent mis par ce traité sur les populations vulnérables.  En effet, a-t-il relevé, les personnes marginalisées sont aussi les plus menacées d’exposition aux produits toxiques et leur vulnérabilité est souvent exploitée par les États et le secteur privé.  On parle alors d’un « mal nécessaire » pour le développement économique et la création d’emplois.  Or il est essentiel de mettre l’accent sur la protection de ces personnes, comme le fait l’Accord d’Escazú qui est un « modèle important pour d’autres régions » de par son approche fondée sur les droits humains, a insisté le Rapporteur spécial.

Dans le même ordre d’idées, il a jugé que le droit à l’information sur les produits toxiques et leurs risques est indispensable pour permettre des recours.  Il importe pour cela que les entreprises anticipent les répercussions de leurs produits et aident à formuler des réponses.  Mais il faut des voies de recours efficaces et disponibles au moment de l’exposition, qui prévoient des réparations pour les victimes, en aval des mesures de protection et de prévention.  Il est également essentiel de sauvegarder le droit à la science car il permet de développer une information fiable pour les gouvernements comme pour les personnes, a-t-il affirmé, regrettant que ce droit soit aujourd’hui menacé par la désinformation.

En réponse à la République arabe syrienne, M. Orellana a souligné l’importance de la prévention dans l’utilisation de substances toxiques si l’on veut faire respecter le droit à un environnement sain.  Il faut pouvoir remettre en cause ces activités qui posent problème à l’environnement et menacent la santé des populations, a-t-il martelé, jugeant également important de signaler que ce droit présente une dimension extraterritoriale.  En effet, a-t-il conclu, les États doivent non seulement faire attention à ce qu’il se passe sur leur territoire en matière environnementale mais aussi veiller aux incidences qu’ont sur leur territoire des activités qui ont lieu ailleurs.

Exposé

M. MICHAEL FAKHRI, Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, a indiqué que le début de son mandat, en mai dernier, coïncidait avec le début la pandémie de COVID-19 qui allait se transformer en crise alimentaire.  C’était aussi le moment où l’Organisation mondiale du commerce (OMC) se trouvait au milieu de sa propre crise de légitimité.  L’OMC n’a toujours pas résolu les questions de sécurité alimentaire qui persistent depuis l’échec du Cycle de négociations de Doha pour le développement et les crises alimentaires et financières de 2008-2009.  L’Accord sur l’agriculture de l’OMC ne crée pas un marché international libre et équitable et la politique commerciale internationale en matière d’alimentation et d’agriculture reste muette sur les changements climatiques.

Dans son rapport (A/75/219), M. Fakhri appelle à la fin de l’Accord sur l’agriculture et propose trois nouveaux principes pour le commerce des denrées alimentaires et des produits agricoles, ainsi que des bases juridiques sur la façon de négocier de nouveaux accords internationaux sur l’alimentation.  La façon dont les marchés internationaux fonctionnent aujourd’hui est que les producteurs alimentaires les plus vulnérables du monde –les paysans, les pasteurs, les pêcheurs– et les travailleurs agricoles des usines, sont aussi les plus affamés du monde.  De nouveaux accords internationaux sur l’alimentation pourraient créer des marchés stables et équitables qui éradiqueraient la faim et amélioreraient les moyens de subsistance de millions de personnes vivant dans les communautés rurales, a-t-il indiqué.

Ces nouveaux accords doivent être fondés sur les principes de dignité, d’autosuffisance et de solidarité.  La dignité, a dit le Rapporteur spécial, est la fondation pour construire un régime commercial qui s’attaque aux changements climatiques.  La dignité est l’idée que les gens ont besoin de manger d’une manière qui nourrit leur corps, mais aussi qui affirme leur appartenance dans leur communauté.  L’agriculture représente environ un tiers des émissions humaines de gaz à effet de serre, d’où la question de savoir comment transformer nos systèmes alimentaires.  Nous devons apporter une réponse axée sur les droits de l’homme à la question des changements climatiques, car ce n’est que si nous avons notre dignité que nous pourrons être résilients face à des obstacles terrifiants, a-t-il affirmé.

Le deuxième principe est l’autosuffisance, a continué le Rapporteur spécial.  L’autosuffisance est une question de relation et de respect.  Chaque pays doit pouvoir nourrir sa population grâce à sa propre politique commerciale et agricole et il appartient à chaque pays de décider lui-même comment structurer son système alimentaire, sans pression indue de la part d’autres pays ou sociétés.  À l’heure actuelle, l’Accord sur l’agriculture donne la priorité aux marchés mondiaux et empêche la plupart des pays de mettre en œuvre les politiques de sécurité alimentaire dont ils ont besoin pour répondre aux besoins locaux, a dénoncé M. Fakhri.  Le principe de l’autosuffisance donne au contraire la priorité à la prise de décisions dans les communautés locales et nationales.

Le Rapporteur spécial a ensuite insisté sur l’importance de la solidarité.  L’économie solidaire est une économie de coopération et de coordination, pas de profit et de croissance sans fin.  Comme les chaînes d’approvisionnement sont perturbées pendant la pandémie, des exemples de pratiques de solidarité ont émergé comme les coopératives et les réseaux d’assistance mutuelle, des initiatives que les gouvernements se doivent d’appuyer, selon lui.

Dialogue interactif

Cuba a exhorté le Rapporteur spécial à évaluer les impacts des politiques unilatérales qui empêchent les pays d’acheter des denrées alimentaires pour subvenir à leurs propres besoins comme c’est le cas de Cuba qui subit le blocus américain depuis plus de six décennies.  À ce sujet, le Rapporteur spécial a jugé que les sanctions économiques sont cruelles, violent le droit à l’alimentation et peuvent s’apparenter à un crime contre l’humanité.

L’Union européenne a souhaité obtenir plus de détails sur la perturbation des chaînes d’approvisionnement alimentaires internationales et nationales et sur les mesures adoptées par les gouvernements pour assurer l’accès à la nourriture pour tous, y compris les personnes vulnérables.  Comment renforcer davantage la coopération pour faire en sorte que le droit à l’alimentation continue d’être une priorité absolue?

L’Azerbaïdjan, qui s’exprimait au nom du Mouvement des pays non alignés, s’est inquiété de la volatilité des prix des denrées alimentaires et des conséquences des crises économiques sur le développement.  La délégation a aussi souligné l’importance du système d’alerte précoce pour prévenir les crises alimentaires lors de leur dernier sommet.  La question du droit à l’alimentation ne peut pas être servie comme un instrument de pression internationale, a prévenu la délégation.

L’Égypte, qui s’exprimait au nom du Groupe des États d’Afrique, s’est interrogée sur les mesures à prendre face à l’échec de l’Accord sur l’agriculture de l’OMC et dans le contexte de la lutte contre la COVID-19.  S’agissant des répercussions de la COVID-19, a répondu le Rapporteur spécial, il faut protéger les travailleurs et les productions alimentaires.  Cela nécessite d’adopter des directives sur le travail dans les champs et les usines.  Il faut aussi préserver le droit foncier en particulier des personnes vulnérables, et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture a d’ailleurs élaboré des outils à cette fin.

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