8723e séance – matin
CS/14109

Conseil de sécurité: les délégations insistent sur des mécanismes de justice transitionnelle adaptés aux contextes nationaux

Le Ministre belge des affaires étrangères et de la défense, M. Philippe Goffin, a présidé aujourd’hui une réunion du Conseil de sécurité sur « la justice transitionnelle dans des situations de conflit et d’après-conflit ».  La majorité des 63 intervenants a insisté sur l’appropriation nationale et sur des mécanismes conformes aux contextes nationaux.

La justice transitionnelle, a expliqué le Ministre belge, est l’ensemble des mesures visant à faire face à un passé qui a connu des atrocités de masse et des violations massives des droits de l’homme*.  Elle englobe l’éventail complet des outils nécessaires pour apporter aux victimes vérité, justice et réparation, dans l’objectif de prévenir la répétition de futurs conflits ou atrocités.  Le Ministre a dégagé quelques principes directeurs de ce processus « complexe » qui ne vise en rien à instaurer une « justice de vainqueur » et dont les coûts peuvent paraître inadéquats par rapport aux attentes des victimes en matière de réparations.  Il faut, a estimé le Ministre, englober tous les aspects de la justice transitionnelle.

Les quatre piliers de cette justice -vérité, justice, réparation et garanties de non-récurrence- ne doivent pas se développer indépendamment les uns des autres et le Conseil a son rôle à jouer pour favoriser une approche holistique.  Le Ministre a reconnu l’importance de l’appropriation nationale et d’une prise en compte prioritaire des besoins et des demandes des victimes.  Il a insisté, comme la plupart des intervenants, sur le caractère inclusif du processus, la perspective de genre et l’objectif de paix et de développement durable.

Quatre ans après l’adoption de la résolution 2282 (2016) du Conseil de sécurité, une soixantaine de délégations a ainsi mis en exergue la valeur ajoutée de la justice transitionnelle, qui a fait son apparition à la suite d’une vague de transitions politiques dans les années 1980 et 1990 en Amérique latine, en Europe centrale et orientale puis en Afrique du Sud.  Bien que le budget de cette justice soit dérisoire par rapport aux budgets militaires, sa mise en œuvre représente l’action la plus sacrée des Nations Unies parce qu’elle tient compte de la situation des victimes partout dans le monde, a déclaré le père Francisco de Roux, Président de la Commission vérité, coexistence et non-répétition de la Colombie. Avant lui, la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, de retour d’une visite en République démocratique du Congo (RDC), s’est dit frappée par « le puissant désir » des communautés Hema et Lendu de l’Ituri pour des processus de justice transitionnelle et par l’accent qu’elles ont mis sur la justice comme voie vers la paix et la réconciliation. 

Le conflit actuel entre ces deux communautés, a expliqué Mme Michelle Bachelet, a été précédé par un cycle de violence en 2003, qui n’a pas donné lieu à des efforts concertés de promouvoir l’établissement des responsabilités.  Cet échec à pérenniser les processus de justice, a-t-elle estimé, a été un facteur de la résurgence de la violence.  La réelle question, a-t-elle tranché, est de savoir si la volonté collective existe pour la contenir.  Les États qui émergent d’un conflit, a fait observer la Directrice exécutive de la Fondation sud-africaine des droits de l’homme, ne sont pas toujours à même de lancer des programmes ambitieux de justice transitionnelle.  Le Conseil de sécurité lui-même n’est pas capable de rendre justice aux victimes des conflits au Yémen, en Syrie, au Myanmar ou en Ukraine.  Ce Conseil, a-t-elle conseillé, doit lutter contre l’impunité sous l’angle de la prévention mais aussi traiter des causes indirectes des conflits ou des facteurs qui les exacerbent comme la violence structurelle, la discrimination, l’exploitation économique, les inégalités de pouvoir ou la justice climatique.  Le Conseil doit se montrer novateur tout comme l’Union africaine, si elle veut « Faire taire les armes ».

Innovation, oui, mais surtout des mécanismes de justice transitionnelle adaptés aux contextes nationaux.  Chaque conflit est unique et en conséquence, chaque processus d’établissement des responsabilités doit être unique, a souligné le Népal.  La seule question, a martelé l’Inde, est de savoir ce qui profiterait le plus à des gens dont la vie a été bouleversée voire détruite par la violence.  Elle a fustigé l’empressement des donateurs et des banques à passer rapidement à la justice transitionnelle au nom de leurs propres intérêts économiques.  Si, s’est-elle expliquée, cette justice est conçue comme un pansement à appliquer sur les plaies du passé pendant une période limitée de « transition » sans être liée à des changements sociétaux plus profonds, il est peu probable qu’elle ait une quelconque capacité transformatrice. La justice doit être « servie » mais elle doit aussi servir l’avenir, en particulier le développement durable, a renchéri le Viet Nam. 

Le Rwanda a d’ailleurs attribué son « économie florissante » au choix qu’il a fait de remettre au goût du jour les tribunaux traditionnels « Gacaca » en lieu et place des tribunaux modernes.  Les Rwandais ont pu ainsi s’approprier le processus de justice et travailler ensemble pour trouver des solutions et avancer. La guérison vient de l’intérieur, elle ne peut être imposée de l’extérieur, a acquiescé l’Afrique du Sud, fière de sa Commission vérité et réconciliation mise en place en 1995 par le Président d’alors, Nelson Mandela.  Nous jugeons important, a renchéri le Sri Lanka, de tracer notre propre chemin vers la réconciliation.  Nos forces armées s’étant battues contre un groupe que de nombreux pays ont qualifié de terroriste, il est juste que les mécanismes de justice transitionnelle soient adaptés à nos sensibilités historiques, culturelles et religieuses.

Notre système intégral de vérité, justice, réparation et non-répétition, a expliqué à son tour, la Colombie, a été créé sur la base des leçons tirées des processus appliqués avec d’autres groupes illégaux  comme les « Autodefensa Unidas », démobilisés entre 2003 et 2006.  En matière de justice transitionnelle, il faut de la patience, a fait valoir la Croatie, dont l’opinion publique est enfin acquise à l’idée que tout crime doit être puni, quel que soit l’affiliation des victimes ou des auteurs.  Les risques d’échec sont si réels, a reconnu la Haute-Commissaire aux droits de l’homme, que l’humilité et la modestie doivent être de mise. Le Conseil de sécurité, a-t-elle estimé, a un rôle clef à jouer, comme il l’a fait en Afghanistan où le mandat de la Mission de l’ONU prévoit un appui aux mécanismes judiciaires et non-judiciaires pour répondre aux violations des droits humains commises à grande échelle.  Il n’y a pas une seule recette pour le bon dosage des mesures. 

Mais on peut échouer si l’on considère les demandes de justice légitimes des victimes comme une distraction inopportune qui peut être étouffée ou indéfiniment remise à plus tard. Une justice tardive est un déni de justice a prévenu le Liban.  La Haute-Commissaire aux droits de l’homme a encouragé le Conseil de sécurité à tirer le meilleur parti de la capacité transformative de la justice transitionnelle dans les affaires de paix et de sécurité internationales.  L’Union européenne a saisi cette occasion pour rappeler qu’en novembre 2015, elle est devenue la première organisation régionale à adopter un cadre politique sur la justice transitionnelle, suivie en 2019, par l’Union africaine.

*S/2004/616

CONSOLIDATION ET PÉRENNISATION DE LA PAIX - S/2020/98

Justice transitionnelle dans des situations de conflit et d’après-conflit

Déclarations

Mme MICHELLE BACHELET, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a indiqué que la demande de justice, si elle peut être refusée, ne disparaît pas pour autant.  Au Soudan, le renversement du régime par le peuple a été le fruit, pour une grande partie, d’une soif de justice au sein de la société, qui n’a fait que se renforcer après des décennies d’impunité pour les violations des droits humains. 

La justice transitionnelle a montré qu’elle peut aider à répondre aux doléances et aux divisions d’une société, a-t-elle dit.  À l’aune de sa propre expérience au Chili, Mme Bachelet a fait part de sa conviction que les processus de justice transitionnelle, lorsqu’ils font l’objet d’une appropriation nationale et sont centrés sur les besoins des victimes, peuvent transformer et fortifier les sociétés. 

Les initiatives visant à établir la vérité non seulement donnent le pouvoir aux victimes de raconter leur expérience, mais créent également des espaces permettant aux victimes comme aux responsables des violations de rétablir un lien.  Ces initiatives facilitent la reconnaissance et la prise en compte de plusieurs récits, ainsi que la formulation de recommandations plus abouties pour la réparation et le changement.  Elle a évoqué les différentes commissions vérité établies en Amérique du Sud, notamment la commission guatémaltèque connue pour son rapport « Mémoire du silence » publié en 1999.  Ce rapport, qui recense les violations et donne la voix aux victimes tout en analysant les dynamiques sous-jacentes à 36 années de conflit, a permis de promouvoir les droits des victimes et d’aboutir à des dédommagements. 

Revenue d’une visite en République démocratique du Congo (RDC), la Haute-Commissaire a mentionné le travail d’écoute en cours dans la région du Kasaï en vue de l’établissement d’une commission régionale paix, justice et réconciliation.  Ce projet local, appuyé par le Fonds pour la consolidation de la paix, établit des liens importants entre processus de justice transitionnelle, causes profondes des conflits et réintégration socioéconomique.

« En Ituri, j’ai été frappée par le puissant désir des communautés Hema et Lendu pour des processus de justice transitionnelle et l’accent qu’elles ont mis sur la justice comme voie vers la paix et la réconciliation. »  Mme Bachelet a expliqué que le conflit actuel entre ces deux communautés a été précédé par un cycle de violence en 2003, qui n’a pas donné lieu à des efforts concertés en vue de promouvoir la responsabilisation.  Elle s’est dit convaincue que cet échec à pérenniser les processus de justice a été un facteur de la résurgence de la violence.  Pareillement, l’incapacité à répondre à la violence actuelle pourrait nourrir le risque, à l’avenir, de nouvelles violations.  La réelle question est de savoir si la volonté collective existe pour y remédier, a déclaré Mme Bachelet.

La justice transitionnelle, en vue de fournir certaines garanties pour que les violations ne se répètent pas, comprend, dans de nombreux pays, un ensemble de recommandations, qui puisent leur source dans une analyse rigoureuse des causes profondes et des dynamiques d’escalade des conflits et atrocités.  Les missions d’établissement des faits de l’ONU ont joué un rôle vital pour dévoiler les faits et fournir aux autorités nationales et à la communauté internationale une « cartographie » fiable de questions souvent complexes et anciennes, a-t-elle dit.  Mme Bachelet a notamment mentionné les contributions de récents mécanismes de ce type au Myanmar, au Soudan du Sud, en Syrie et au Yémen.

Mme Bachelet a souligné l’importance de la plus large association possible des organisations de la société civile aux processus de prise de décisions.  S’agissant des mécanismes de justice transitionnelle, elle a insisté sur la nécessité d’une autonomisation de la société civile, d’un enseignement de l’histoire, d’initiatives mémorielles et d’une prise en compte des traumatismes collectifs.  Dans quasiment tous les conflits ou situations d’après-conflit, il est crucial pour les forces de police et militaires, et plus largement pour toutes les institutions gouvernementales, de retrouver la confiance des communautés traumatisées et victimes de violences, a-t-elle dit.  Une utilisation juste, équilibrée et responsable de la puissance publique est ainsi au cœur des efforts de restauration de la confiance brisée dans le maintien de l’ordre.  À cette fin, les processus de vérification et les réformes du secteur de sécurité doivent se voir accorder la plus grande priorité, a-t-elle dit, ajoutant que des forces disciplinées et professionnelles sont dans l’intérêt du Gouvernement lui-même. 

La Haute-Commissaire a pris l’exemple de la Colombie où un travail considérable a été accompli, dans le contexte du Système Intégral de la Vérité, la Justice, la Réparation et la Non-répétition, appuyé par son Bureau.  La loi historique pour les victimes de 2011 comprend des mécanismes visant à la prévention et au règlement de la conflictualité sociale, tels que l’autonomisation juridique des victimes, une distribution de la terre à des fins de dédommagement et un démantèlement des structures politiques et économiques ayant bénéficié et appuyé les groupes armés. 

La Haut-Commissaire a déclaré que la justice transitionnelle ne peut être importée ou imposée de l’extérieur.  Elle a donc plaidé pour des mécanismes faisant l’objet d’une appropriation locale.  « Les risques d’échec sont réels si l’humilité et la modestie ne sont pas de mise. » Elle a néanmoins indiqué que ce Conseil a un rôle clef à jouer, comme il l’a fait en Afghanistan où le mandat de la mission onusienne présente sur place prévoit un appui aux mécanismes judiciaires et non-judiciaires pour répondre aux violations des droits humains commises à grande échelle. 

Mme Bachelet a aussi indiqué que la justice transitionnelle n’est pas une alternative à la responsabilité pénale des auteurs d’atrocités.  Cette responsabilité pénale, qui est cruciale, doit s’accompagner d’un large éventail de mesures complémentaires visant à promouvoir la vérité et la justice, afin d’aider à briser le cycle de la violence.  « Il n’y a pas une seule recette pour le bon dosage de ces mesures.  Mais il y a moyen d’échouer, c’est de considérer les demandes de justice légitimes des victimes comme une distraction inopportune qui peut être étouffée ou indéfiniment remise à plus tard. »

Concluant que tout échec à s’engager dans de tels processus ne résoudra pas les conflits mais fera le lit de leur résurgence, Mme Bachelet a encouragé ce Conseil à tirer le meilleur profit de la capacité transformative de la justice transitionnelle dans les affaires de paix et de sécurité internationales.

M. FRANCISCO DE ROUX, prêtre et Président de la Commission Vérité, coexistence et non-répétition de la Colombie, a estimé que la justice transitionnelle est l’instrument le plus complet, le plus dynamique et le plus prometteur à la disposition des peuples victimes de crimes dans des conflits internes.  « Bien que le budget de la justice transitionnelle soit dérisoire par rapport aux budgets militaires, la mise en œuvre de cette justice représente l’action la plus sacrée des Nations Unies parce qu’elle tient compte de la situation des victimes partout dans le monde », a insisté le père de Roux.  La paix entre l’État et les FARC en Colombie, atteinte grâce à ceux qui sont parvenus à un accord et grâce à la justice transitionnelle, a amené le pays à des changements positifs et a donné à la société une nouvelle espérance, malgré toutes les difficultés, a-t-il souligné.

Le père de Roux a mis l’accent sur les cinq aspects importants de la justice transitionnelle: les victimes, la vérité en matière de justice transitionnelle, la non-répétition, la transition intégrale, ainsi que le Conseil de sécurité et la communauté internationale.  S’agissant des victimes, elles sont la raison d’être de la justice transitionnelle, a-t-il rappelé avant de préciser que 240 000 civils ont perdu la vie et 9 millions ont été reconnus comme des victimes du conflit colombien qui a duré 50 ans. 

En ce qui concerne la vérité, a-t-il poursuivi, il y a d’abord la vérité juridique, dont est chargée en Colombie la Juridiction spéciale pour la paix qui veille à ce qu’il n’y ait pas d’impunité.  Les victimes participent à la sentence, a-t-il précisé en donnant l’exemple d’une peine demandée par les victimes pour les ex-guérilleros qui disent la vérité et reconnaissent leur responsabilité dans le meurtre de 11 députés d’une assemblée territoriale.  La peine a été de huit ans de liberté restreinte avec l’obligation de construire une école de 2 000 élèves.  La deuxième vérité est morale, historique et sociale, a ajouté le père de Roux en soulignant l’importance de la Commission de la Vérité.  Une vérité sans intérêts politiques ni économiques, qui offre la plus grande indépendance possible, qui ne condamne personne mais établisse les responsabilités en termes d’éthique publique.  La troisième vérité est celle qu’offre l’Unité de recherche des personnes disparues, qui accompagne les familles dans cette expérience difficile. 

Quant à la non-répétition, cet objectif nécessite des actes publics de reconnaissance de la dignité des victimes et de l’acceptation des responsabilités par les auteurs de crimes, comme l’Afrique du Sud en a donné l’exemple et comme cela se passe actuellement en Colombie.  Le père de Roux a précisé que des anciens miliciens FARC ont demandé pardon la semaine dernière pour un attentat qui a fait 36 morts et 196 blessés à Bogota il y a 17 ans.  Abordant ensuite l’aspect « transition » de la question, il a mis l’accent sur son caractère intégral, ce qui nécessite une vision et de la détermination, et ce pendant de longues années.  Cela demande une réelle volonté politique, a-t-il ajouté.  « Lorsque le processus de transition intégral est aux mains de la jeunesse, plus rien ne peut l’arrêter », a encore insisté le Président de la Commission Vérité, coexistence et non-répétition, avant de conclure en soulignant l’importance du rôle du Conseil de sécurité et de la communauté internationale dans la justice transitionnelle. 

Je viens d’un pays où pendant les années d’apartheid, des dizaines de détenus sont prétendument morts en sautant par la fenêtre des postes de police, en se pendant dans leur cellule, en se cognant la tête contre des placards ou en glissant sur du savon, a déclaré la Directrice exécutive de la Fondation des droits de l’homme de l’Afrique du Sud, Mme YASMIN SOOKA.  Les enquêtes menées pendant l’apartheid ont confirmé ces faits mais deux décennies plus tard, après les processus de justice transitionnelle, ces enquêtes sont rouvertes.  Les familles peuvent enfin espérer que justice soit rendue.  Beaucoup d’anciens détenus parlent désormais de la torture qu’ils ont subie dans les mains du tristement célèbre service de sécurité sud-africain.  La réouverture de ces enquêtes et les dernières informations selon lesquelles Omar el-Bachir pourrait être transféré à la Cour pénale internationale (CPI) démontre l’importance de la lutte contre l’impunité, laquelle est directement liée au rétablissement de l’état de droit qui est lui-même une condition préalable à la réconciliation nationale, a souligné Mme Sooka, également Présidente de la Commission des droits de l’homme au Soudan du Sud. 

La justice transitionnelle, a-t-elle poursuivi, veut dire que l’on trace une ligne entre le passé et l’avenir.  Mais même les meilleurs processus excluent trop souvent ceux qui ne sont pas prêts à parler ou à qui l’on n’a tout simplement pas donné la chance de le faire.  J’ai fait partie, a expliqué Mme Sooka, de la Commission vérité et réconciliation mise en place en 1995 par Nelson Mandela en Afrique du Sud et j’ai pu voir les limites d’un mandat qui n’autorise pas l’examen des « violations structurelles ».  Dans ses Principes de la lutte contre l’impunité, a-t-elle rappelé, Louis Joinet fait passer la justice transitionnelle d’un simple processus technocratique à taille unique à une approche holistique adaptée au contexte, inclusive, participative et centrée sur les droits des victimes.  Le postulat est que les violations massives des droits de l’homme sont enracinées dans les structures des États caractérisés par les asymétries du pouvoir. 

L’expérience des pays africains a aussi remis en question l’idée de se concentrer sur les violations des droits civils et politiques, compte tenu des « violations structurelles » nées de la colonisation et des guerres de libération, avec leur lot de dépossession des terres, de corruption et de crimes économiques.  Les premiers processus transitionnels ignoraient la dimension sexospécifique des conflits mais cette tendance a été corrigée comme on l’a vu en Sierra Leone, au Pérou et plus récemment en Tunisie. 

J’ai par exemple appris de mes enquêtes sur la violence sexuelle et la violence fondée sur le sexe, a poursuivi Mme Sooka, l’importance qu’il y a à comprendre le rôle des normes sexospécifiques dans la propagation de la violence et les abus des droits de l’homme.  Ces types de violence sont trop souvent vus à tort comme une question d’identité sexuelle, sans vraiment tenir compte de leur cause.  Mais, a-t-elle prévenu, c’est ignorer le fait que les moteurs de la violence sexuelle dans les conflits sont les mêmes partout, quelle que soit l’identité de la victime.  Les auteurs de cette violence exploitent les rôles attribués à chaque sexe pour punir les femmes et les terroriser et humilier les hommes et les émasculer.  Se concentrer sur les femmes et les filles est essentiel mais oublier les violations contre les hommes et les garçons, c’est limiter l’analyse des normes sexuelles qui alimentent la violence sexuelle dans les conflits armés et c’est compromettre les efforts de prévention. 

Les États émergeant d’un conflit n’étant pas toujours à même de lancer des programmes ambitieux de justice transitionnelle, les Nations Unies doivent leur accorder un appui « vital ».  Depuis 2004, a rappelé Mme Sooka, le Conseil de sécurité a mentionné l’état de droit et la justice transitionnelle dans plus de 160 résolutions.  Des organisations régionales comme l’Union africaine ont aussi commencé à jouer un rôle critique dans la promotion de cette justice.  L’Union africaine a même adopté en février 2019, sa propre politique mais les politiques ne sauraient compenser le manque de volonté politique de s’attaquer à l’impunité pour les crimes graves.  Le Conseil de sécurité lui-même n’est toujours pas capable de rendre justice aux victimes des conflits au Yémen, en Syrie, au Myanmar ou en Ukraine. 

Ce Conseil, a-t-elle conseillé, doit lutter contre l’impunité sous l’angle de la prévention mais aussi traiter des causes indirectes des conflits ou des facteurs qui les exacerbent comme la violence structurelle, la discrimination, l’exploitation économique, les inégalités de pouvoir ou la justice climatique.  Le Conseil doit se montrer novateur tout comme l’Union africaine.  Si elle veut « Faire traire les armes », l’Union africaine doit trouver de nouvelles voies et pendre des mesures ambitieuses.  Mme Sooka a conclu en rejetant l’idée que la paix doit venir avant l’établissement des responsabilités.  Non, la paix et la justice sont des impératifs qui se renforcement mutuellement.  La prévention et la paix durable exigent que l’on s’attaque aux crimes de masse, héritage des conflits, et que l’on rétablisse la confiance entre l’État et les citoyens pour obtenir du premier qu’il travaille véritablement pour les seconds, quelle que soit leur ethnie, leur religion, leur sexe et leur race.  Nous devons tout faire pour que les victimes et leurs familles aient accès à la justice et recouvrent leur dignité, a pressé Mme Sooka. 

M. PHILIPPE GOFFIN, Ministre des affaires étrangères et de la défense de la Belgique, a défini la justice transitionnelle comme l’ensemble des mesures visant à faire face à un passé qui a connu des atrocités de masse et des violations massives des droits de l’homme.  Elle englobe l’éventail complet des outils nécessaires pour apporter aux victimes vérité, justice et réparation, dans l’objectif de prévenir la répétition de futurs conflits ou atrocités.  Le Vice-Ministre a souligné que le Conseil de sécurité joue un rôle important dans ce domaine, citant les opérations de paix qui peuvent aider des États à renforcer leurs capacités et à réformer leurs institutions publiques et ainsi rétablir l’état de droit.  Il est essentiel, a-t-il ajouté, d’établir les responsabilités pour les violations des droits de l’homme et les crimes les plus graves, afin de restaurer la confiance de la population dans des institutions inclusives et parvenir ainsi à une paix durable.  La paix et la justice se renforcent mutuellement, a-t-il estimé avant de parler de la Cour pénale internationale (CPI) qui a aussi un rôle à jouer aux côtés des mesures nationales de justice transitionnelle, dans les cas où l’État n’a pas la volonté ou est dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites.

La mise en œuvre de cette justice est toutefois complexe, a reconnu le Ministre en abordant les différents défis.  Il ne faut pas tomber dans une « justice de vainqueur », tandis que les coûts de cette justice et du processus de DDR (désarmement, démobilisation, réinsertion) sont importants et peuvent paraître inadéquats par rapport aux attentes des victimes en matière de réparations.  Le Ministre a dès lors conseillé au Conseil de sécurité de ne pas adopter une approche générique lorsqu’il veut soutenir un processus de justice transitionnelle, mais plutôt de tenir compte du contexte spécifique de chaque situation.

M. Goffin a néanmoins dégagé quelques principes directeurs, sur la base de l’expérience des 30 dernières années, à commencer par la nécessité d’englober tous les aspects de la justice transitionnelle: les quatre piliers de cette justice (vérité, justice, réparation et garanties de non-récurrence) ne doivent pas se développer indépendamment les uns des autres et le Conseil a son rôle à jouer pour favoriser une approche holistique.  Le Ministre a ensuite recommandé une appropriation nationale de la justice transitionnelle et une prise en compte en priorité des besoins et des demandes des victimes.  Les autres principes directeurs que le Ministre a dégagés de l’expérience acquise sont le caractère inclusif du processus, la perspective de genre et l’objectif de paix et de développement durable que doit viser la justice transitionnelle.

M. KALLA ANKOURAO, Ministre des affaires étrangères du Niger, de la coopération, de l’intégration africaine et des Nigériens de l’extérieur, a reconnu qu’il est nécessaire de promouvoir la réconciliation, mais, a-t-il précisé, il est tout aussi important de briser le cercle de l’impunité.  Le recours réussi à une justice transitionnelle et la mise en œuvre d’un processus de réconciliation véritable contribuent à prévenir la résurgence des conflits et permettent de les résoudre de façon durable, a—t-il souligné. 

Depuis qu’il est en conflit avec les groupes terroristes qui attaquent les populations sur certaines de ses frontières, le Niger a créé la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix (HACP), un dispositif auquel a été confié la mission d’assurer les besoins essentiels des populations victimes, de veiller à la justice transitionnelle, ainsi que d’instaurer un climat de confiance entre cette population et les forces de sécurité.  Ce dispositif, qui bénéficie d’un soutien décisif du système des Nations Unies et d’autres partenaires, connait des succès importants, s’est-il réjoui.  Enfin, le Ministre a rappelé que le Niger avait souscrit à la politique de justice transitionnelle de l’Union africaine (UA) adoptée en février 2019.  Il a souligné l’importance pour l’UA d’avoir un référentiel de justice transitionnelle authentique africain, riche de ses méthodologies et de ses approches progressives, et ancré dans les valeurs africaines communes, les systèmes africains de justice traditionnelle et les expériences vécues. 

Pour M. MÄRT VOLMER, Vice-Ministre des affaires étrangères de l’Estonie, la justice transitionnelle ne peut contribuer à la « guérison » de communautés endeuillées que si elle est cohérente, globale et prise en main localement tout en étant ancrée dans le droit international.  Le Ministre a expliqué que pour dépasser les héritages nocifs d’atrocités de masse en Estonie, il avait été vital d’établir des institutions fortes, capables de préserver l’état de droit et de garantir la jouissance des droits de l’homme pour tous.  Après avoir obtenu son indépendance en 1991, l’Estonie a ré-établit l’état de droit et réinstitué des institutions démocratiques conformes aux normes et obligations nationales et, simultanément, elle a traduit en justice les coupables de crimes de guerre et crimes contre l’humanité.  Depuis, l’Estonie n’a eu de cesse de partager cette expérience nationale et les leçons qu’elle en a tirées avec d’autres partenaires, a précisé M. Volmer, notamment en contribuant au renforcement des capacités dans le cadre du partenariat de la région de l’Europe de l’Est et par des programmes de bonne gouvernance, en particulier la e-gouvernance, dans toutes les régions du monde.

Le Ministre a mis l’accent sur le rôle des femmes et l’importance de leur autonomisation et de leur participation sur un même pied d’égalité à tous les stades de la reconstruction des sociétés.  Les enfants doivent eux-aussi être impliqués dans les processus de justice transitionnelle et de réconciliation, a-t-il ajouté.  Martelant que nul n’est au-dessus de la loi, M. Volmer a dit que si les pays ne disposent pas des moyens et mécanismes de justices nécessaires pour traduire en justice les responsables de crimes graves, il faut les déférer à la CPI.  Dans ce contexte, il a salué la décision récente des autorités du Soudan de coopérer avec la CPI et d’y déférer les cinq suspects qui doivent faire face à des accusations de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.

Le Vice-Ministre a insisté sur l’importance de la collecte et de la protection des éléments de preuve de crimes graves commis en temps de conflit et a appelé à veiller à ce que ces données soient utilisables par de potentiels mécanismes de justice.  Il a donc encouragé l’envoie de missions internationales indépendantes d’établissement des preuves et tout effort visant à les préserver, notamment dans les cas de la Syrie et du Myanmar.  En conclusion, le Ministre a mis en exergue le rôle du Conseil de sécurité dans le respect et la promotion de la justice transitionnelle en répondant rapidement et de manière décisive aux signes avant-coureurs de violations graves du droit international, y compris du droit humanitaire international et des droits de l’homme, pour éviter et atténuer les souffrances humaines.  L’Estonie attend avec impatience un bilan plus cohérent des Nations Unies en termes d’actions concrètes dans le domaine de la prévention des atrocités, a dit le Vice-Ministre.

M. JERRY MATTHEWS MATJILA (Afrique du Sud) a déclaré que la justice transitionnelle avait été un rouage vital pour assurer une transition relativement pacifique de l’apartheid à la démocratie constitutionnelle stable que l’Afrique du Sud connaît aujourd’hui.  Il a relevé que le présent débat a lieu alors que son pays commémore le trentième anniversaire de la sortie de prison de Nelson Mandela.  Ce dernier avait indiqué, après 27 ans d’incarcération, que la réconciliation nationale était plus adaptée que la vengeance et la justice de châtiment, pour bâtir la fondation d’une paix durable et d’une Afrique du Sud démocratique.  M. Matjila a précisé que cette paix durable souhaitée par l’ancien Président Mandela visait non seulement à mettre fin au conflit, mais également à reconstruire les dimensions politique, sécuritaire, socioéconomique d’une société sortant d’un conflit.  Cela signifie aussi faire face aux causes profondes du conflit et promouvoir la justice sociale et économique, tout en mettant sur pied des structures politiques et de gouvernance afin d’aider à consolider la paix, la réconciliation et le développement. 

Le représentant a affirmé que si la justice transitionnelle ne peut être la même partout, elle doit néanmoins être adaptée au contexte du pays.  C’est ainsi que l’Afrique du Sud avait choisi l’option d’une Commission vérité et réconciliation qui avait pour but de dévoiler la vérité sur les graves violations des droits humains, assister les familles des victimes et obtenir la guérison.  M. Matjila a souhaité que les Nations Unies facilitent davantage les processus nationaux de justice transitionnelle par le biais des missions de maintien de la paix, de la Commission de consolidation de la paix et d’autres structures onusiennes.  Il a fait remarquer que la guérison vient de l’intérieur et ne peut être imposée.  De ce fait, la communauté internationale ne doit pas s’approprier ces processus de justice transitionnelle.  Au contraire, cette justice doit être menée par ceux-là même qui sortent d’un conflit, et elle doit être guidée par le contexte national afin de conduire à une paix durable. 

En tant que Président de l’UA pour l’année 2020, l’Afrique du Sud entend œuvrer à la réalisation de l’initiative « faire taire les armes en 2020 » sur le continent, et le pays entend faire des efforts dans le cadre de la résolution des conflits en Afrique, ce qui inclue le soutien aux processus de justice transitionnelle.  M. Matjila a expliqué que la justice transitionnelle doit impliquer tous les secteurs de la société, les femmes devant jouer un rôle de premier plan.  Il a aussi souligné que l’un des défis en matière de justice transitionnelle est la réforme des institutions, afin d’assurer que celles qui ont contribué à la répression soient restructurées pour le bien de la société, et afin d’instaurer une confiance entre les victimes et les institutions.  Dans le même temps, a-t-il argué, de nouvelles institutions doivent être établies en vue de renforcer et préserver la paix et une gouvernance démocratique pour éviter de retomber dans le conflit.  Il a également insisté sur le rôle des jeunes, des femmes, des dirigeants et des organisations communautaires dans le cadre de la réforme du secteur de la sécurité, afin de ne point avoir des processus et approches qui ne tiennent compte que des élites.  Il a donc invité les Nations Unies à soutenir davantage des réformes du secteur de sécurité qui soient ancrées dans les communautés.

Mme CHERITH NORMAN-CHALET (États-Unis) a d’abord interpellé la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme pour lui dire sa surprise et sa déception suite à la publication hier, mercredi 12 février, d’une liste de sociétés ayant des activités dans les colonies israéliennes de Cisjordanie ou étant liées avec elles.  Les États-Unis s’opposent depuis longtemps à la création ou à la publication de cette base de données, qui a été mandatée par le « discrédité » Conseil des droits de l’homme en 2016, a-t-elle précisé.  La représentante a estimé que « cette publication ne fait que confirmer la campagne anti-Israël qui fait rage au sein des Nations Unies ».  Les tentatives d’isoler Israël vont à l’encontre de tous nos efforts pour créer des conditions propices à des négociations israélo-palestiniennes qui mènent à une paix globale et durable, a fait valoir Mme Norman-Chalet.

Revenant au thème de la séance d’aujourd’hui, la représentante a reconnu le rôle vital que joue la justice transitionnelle dans la découverte de vérités difficiles, la reconnaissance des abus et la promotion de la réconciliation.  Les tribunaux des Nations Unies peuvent jouer un rôle essentiel à cet égard, et nous demandons un partage plus équitable de la charge de leur soutien financier, a-t-elle demandé.  Elle a aussi plaidé pour que la justice transitionnelle soit adaptée aux circonstances locales en tenant compte des points de vue des victimes et de ceux qui ont survécu, y compris les minorités religieuses ou ethniques, et la société civile.  Parce que c’est aussi un processus politique, la représentante a dit l’importance pour le pouvoir politique de renforcer les systèmes judiciaires et de réinsérer les personnes concernées dans la société.

La mise en place d’une justice transitionnelle exige aussi de tenir compte des besoins des victimes ainsi que des femmes et des filles, a-t-elle ajouté avant de conseiller aussi de tenir compte des structures judiciaires et institutionnelles existantes.  Mme Norman-Chalet a cité en exemple la création par l’Union africaine d’un tribunal hybride au Soudan du Sud, pour laquelle les États-Unis ont versé quatre millions de dollars.  Pour ce qui concerne la République centrafricaine, elle a souligné notamment la contribution de PNUD pour renforcer les capacités de la police, avec le soutien financier du Département d’État des États-Unis, et salué la mise en place du Tribunal pénal spécial.  La représentante a conclu en insistant sur la nécessaire appropriation nationale de la mise en œuvre de la justice transitionnelle et sur l’importance de tenir compte des besoins des victimes afin que leurs voix soient entendues et leur dignité respectée. 

Pour M. DIAN TRIANSYAH DJANI (Indonésie), les processus de justice transitionnelle doivent être tournés vers l’avenir.  Il ne s’agit pas tant de répondre aux griefs du passé que de jeter les bases pour la réconciliation et retrouver la confiance au sein de la société, a-t-il fait valoir.  Une telle approche permet aux pays d’aller de l’avant sur la voie de la paix et du développement durables, a assuré le représentant pour lequel la justice transitionnelle doit devenir une partie intégrante de la consolidation de la paix et au-delà. 

Compte tenu des spécifiés propres à chaque pays, il n’existe pas de stratégie unique, a-t-il remarqué.  Pour réussir, il faut opter pour une approche large et développée sur le plan national, a-t-il souligné.  La justice transitionnelle doit être inclusive, appropriée et menée nationalement.  Pour cela, tous les éléments de la société doivent être consultés et impliqués dans la conception et l’application du processus de justice transitionnelle afin de garantir son appropriation nationale, a-t-il poursuivi.  Il s’agit là d’un aspect fondamental pour le succès et l’efficacité à long-terme de ces processus.  Le représentant a également insisté sur l’implication et la prise en compte des voix des femmes dans tout processus de paix.  L’Indonésie constate par ailleurs que les pays en transition post-conflit ont souvent besoin d’une réforme de fond qui va bien au-delà d’une réforme institutionnelle, compte tenu de leurs lacunes courantes et des défis qui en découlent dans les secteurs politique, juridique, sécuritaire et socioéconomique.  Tout en reconnaissant l’importance de l’assistance aux pays en transition pour développer leurs capacités en termes d’état de droit et de gouvernance, le représentant est d’avis qu’il est tout aussi important de miser sur leur résilience économique contre toute potentielle rechute dans un conflit.  En conclusion, il a insisté sur le fait que justice, réconciliation et développement économique vont de pair. 

M. TAREK LADEB (Tunisie) a estimé que les périodes suivant les conflits et la fin de dictature sont souvent marquées par des graves violations des droits humains.  Il a dit que ces transitions ne peuvent réussir sans la justice, car il faut pouvoir tourner la page et construire des sociétés réconciliées.  Au lendemain de la fin de la dictature, la Tunisie a vécu une expérience de justice transitionnelle dans laquelle la société civile a jouté un rôle prépondérant, a-t-il rappelé.  Cette justice s’est inspirée d’expériences d’autres pays, a-t-il reconnu, ajoutant que le pays avait créé une instance « vérité et dignité », afin de mettre en lumière la vérité.  Enfin, le représentant a souligné qu’il n’existe pas d’approche unique de justice transitionnelle et qu’il faut tenir compte des dynamiques locales. 

Mme KAREN PIERCE (Royaume-Uni) s’est félicitée de l’expérience acquise par le biais des processus de justice transitionnelle au cours des dernières décennies.  Pour qu’elle soit plus pertinente pour les opérations de maintien de la paix, il faut trouver des liens avec les questions sociales et économiques, a-t-elle recommandé.  Elle a aussi insisté pour qu’il n’y ait pas d’impunité et d’amnistie pour les crimes graves, avant d’appeler à rendre justice aux victimes au Myanmar et à tenir pour responsables les militaires.  « La justice transitionnelle est un moyen d’imposer la justice dans un contexte post-conflit, a souligné la représentant.  Elle a dit soutenir les évolutions observées en Tunisie et en Afrique du Sud ces dernières années.  « Parce que la justice transitionnelle ne cesse d’évoluer, nous devons établir des liens avec d’autres défis de paix, de justice et d’inclusion », a conclu la représentante.   

M. MATHIAS LICHARZ (Allemagne) a affirmé que la collecte des preuves sur les crimes commis sous des régimes autoritaires et pendant des guerres est un prérequis pour mettre un terme à l’impunité et assurer la reddition de la justice.  Il a rappelé que, dans l’histoire de l’Allemagne, la justice transitionnelle et la recherche de la vérité ont été cruciales.  C’est ainsi qu’en 1991, dans le contexte de la réunification des deux Allemagnes, une agence a été créée pour gérer les archives de la Stasi qui espionnait les citoyens est-allemands.  Ensuite, le parlement a mis en place deux commissions pour faciliter la réconciliation et créer un cadre pour renforcer l’éducation démocratique. 

Le représentant a déclaré que la réconciliation signifie aussi lutter contre l’impunité et tenir pour responsable les auteurs de crimes.  C’est pourquoi, l’Allemagne est un fervent défenseur de la CPI et des mécanismes d’enquête établis par l’Assemblée générale des Nations Unies et le Conseil des droits de l’homme notamment.  Il a précisé que c’est à chaque pays de décider s’il a besoin d’un soutien extérieur dans le cadre la justice transitionnelle.  Il a salué le fait que le Gouvernement de transition au Soudan ait présenté des excuses officielles aux populations ce jour, notamment aux victimes des exactions de l’ancien régime. 

M. NICOLAS DE RIVIÈRE (France) a déclaré que les expériences colombienne et sud-africaine illustrent parfaitement qu’aucune société ne peut se remettre durablement d’une crise si l’impasse est faite sur les violations massives des droits de l’homme et du droit international humanitaire.  Il a appelé les Nations Unies à aider les États en transition, notamment en République centrafricaine en vue de la mise en place de la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation prévue par l’accord pour la paix et la réconciliation signé il y a un an.

Toutes les composantes de la société doivent être associées pour que la justice transitionnelle soit efficace, a-t-il poursuivi, en insistant notamment sur le rôle des femmes.  Il a jugé nécessaire le renforcement de la gouvernance démocratique et de l’éducation .  « Il est de la responsabilité des États de permettre au travail de mémoire de se faire et de lutter contre le révisionnisme », a-t-il ajouté.  Il a ainsi jugé inacceptable, dans les Balkans, que des responsables politiques glorifient des criminels de guerre. 

« S’il ne peut y avoir de justice de transition efficace sans réforme des systèmes judiciaires nationaux, les mécanismes internationaux peuvent appuyer ces efforts nationaux », a relevé le représentant qui a rappelé à cet égard le soutien déterminé de la France à la CPI.  Il a aussi demandé la généralisation des mécanismes de réparation et d’indemnisation des victimes, en particulier pour les victimes de violences sexuelles.  Enfin, le délégué de la France a tenu à rendre hommage aux familles de victimes de disparitions forcées qui se battent pour la justice et la vérité. 

Mme HALIMAH DESHONG (Saint-Vincent-et-les Grenadines) a estimé que les mécanismes de justice transitionnelle doivent toujours faire partie d’une stratégie politique plus large qui s’attaque aux inégalités structurelles des sociétés post-conflits, dans l’intérêt de toutes les composantes d’une société et sans discrimination.  Les mécanismes de justice transitionnelle doivent aussi être complétés par les initiatives de développement durable qui s’attaquent aux racines de l’insécurité pour permettre aux populations de vivre dans la dignité.  La représentante a estimé que le Conseil de sécurité devrait recourir plus souvent aux capacités consultatives stratégiques de la Commission de consolidation de la paix (CCP).  Il devrait aussi, selon elle, utiliser le fonds de consolidation de la paix du Secrétaire général pour faire face à des insuffisances en matière de bonne gouvernance et pour initier des programmes qui stimulent le développement économique et favorise la participation politique.  La représentante a tenu à mettre l’accent sur le génocide des populations autochtones de l’île et des victimes de la traite des esclaves transatlantique. 

M. HAITAO WU (Chine) a indiqué qu’il faut tenir compte des préoccupations nationales en matière de justice transitionnelle et éviter des modèles imposés de l’extérieur.  C’est donc en respectant l’indépendance et la souveraineté nationales que la justice transitionnelle aura tout son sens, a affirmé le délégué, ajoutant qu’aucune mesure extérieure ne peut se substituer à la justice nationale.  Lorsque les institutions nationales sont affaiblies du fait des conflits, le représentant a estimé que la communauté internationale, notamment la Commission de consolidation de la paix, devrait s’impliquer pour renforcer les capacités nationales.

M. Wu a, en outre, souligné que la justice transitionnelle n’est pas seulement une question juridique, mais elle concerne aussi l’économie et le développement sur le long terme.  C’est ainsi qu’elle englobe également la réforme du secteur de la défense afin d’éliminer toute menace de conflit.  Le représentant a souligné que de nombreux conflits restent non réglés dans le monde, ce qui pourrait accentuer les injustices dans les sociétés affectées.  Il a donc plaidé pour la résolution pacifique de ces conflits, en droite ligne des principes de la Charte des Nations Unies.

M. J0SÉ SINGER WEISINGER (République dominicaine) a dit que le premier objectif de la justice transitionnelle est de permettre le retour à un état de droit dans lequel l’homme puisse vivre en liberté.  Il a jugé capital de tenir compte des différentes catégories de victimes à l’heure d’établir des lois et des protocoles.  Il a estimé que les mécanismes de justice transitionnelle doivent prévoir notamment des mécanismes spécifiques afin de soulager les familles.  Il a salué les efforts de justice transitionnelle de la Colombie pour parvenir à une société en paix.  Le Conseil de sécurité doit promouvoir plus avant la culture de la paix et une idéologie de transition concrète vers la paix et le développement, en évitant à tout prix la division politique de ces processus, a-t-il conclu.

La justice doit être « servie » mais elle doit aussi servir, a souligné M. DINH QUY DANG (Viet Nam).  Elle doit être l’instrument de l’objectif à long terme d’unité nationale et de développement durable, s’est-il expliqué.  Si le passé peut être lourd et douloureux, regarder vers l’avenir peut être la voie à suivre.  La justice transitionnelle, a-t-il poursuivi, doit relever des prérogatives de l’État concerné.  Elle doit être adaptée à la société et se déployer en harmonie avec les autres initiatives visant à soigner les plaies du passé.  Il n’y a pas de solution à « taille unique », a souligné le représentant.  L’assistance internationale est cruciale mais elle ne peut être efficace que si elle se fonde sur les particularités, les capacités et les besoins nationaux, a-t-il martelé.  Le développement et la mise en œuvre des processus de justice transitionnelle doivent tenir compter de leur impact sur les femmes, les jeunes, les enfants et autres groupes vulnérables impliqués dans la consolidation de la paix.  Le représentant a conclu sur le rôle constructif que peuvent jouer les arrangements internationaux et a attiré l’attention sur l’Institut de la paix et de la réconciliation de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN). 

M. VASSILY A.  NEBENZIA (Fédération de Russie) a dit que l’on ne peut prescrire le même médicament à tous les malades, assurant ainsi que la justice transitionnelle ne peut être la panacée partout.  « Il serait tout d’abord important d’éviter de créer des conflits comme c’est la tendance malheureuse de nos jours sur la scène internationale », a fait observer le représentant.  M. Nebenzia a estimé que les juridictions pénales internationales, notamment le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) n’ont pas été aussi efficaces que l’on aurait souhaité.  De même, selon lui, le fonctionnement de la CPI est marqué par la politisation des dossiers.  Il a jugé que seul le Tribunal de Nuremberg peut être considéré comme une référence pour la communauté internationale en matière de justice transitionnelle.

M. Nebenzia a affirmé que la réconciliation nationale est importante pour éviter la reprise des conflits.  C’est pourquoi il a demandé que l’ONU appuie la réforme des institutions après les conflits.  Il est important, a—t-il prévenu, que l’ONU apporte des solutions et non des obstacles à la justice transitionnelle.  Il a aussi souligné que la justice transitionnelle ne doit pas s’apparenter à une justice du vainqueur contre le vaincu.  Elle doit encore moins être un prétexte pour s’immiscer dans les affaires intérieures d’États tiers.  Il a évoqué la situation en Syrie, demandant que les combattants terroristes étrangers soient rapatriés dans leurs pays respectifs afin d’y être jugés pour leurs actes.  En fin de compte, il a estimé que l’ONU ne doit pas dicter, mais plutôt stimuler et compléter les initiatives de justice transitionnelle.

M. PEDRO BROLO VILA (Guatemala) a dit que le Gouvernement guatémaltèque a, dans le cadre de ses priorités stratégiques 2020-2024, reconnu le rôle essentiel du Conseil de sécurité pour maintenir la paix et la sécurité dans le monde.  Il a mentionné les efforts de son gouvernement pour promouvoir la bonne gouvernance et pour offrir au Guatemala la certitude que les guatémaltèques ne se feront plus jamais la guerre.  « Après les accords de paix de 1996, nous avons créé le Secrétariat de la paix qui est devenu une institution modèle pour consolider la paix au Guatemala », a-t-il témoigné.  Aujourd’hui, nous déployons des Casques bleus dans sept missions de maintien de la paix des Nations Unies, s’est-il aussi félicité. 

Mme MARÍA ARÁNZAZU GONZÁLEZ LAYA, Ministre des affaires étrangères, de l’Union européenne et de la coopération de l’Espagne, a rappelé qu’il n’y a pas si longtemps, une génération, « celle de mes pères », a souffert une guerre civile sanglante qui a engendré une longue dictature.  Elle a dit que le peuple espagnol croit fermement dans son modèle, qui est passé d’une transition démocratique à la Constitution de 1978, en ayant vécu une expérience concrète de justice transitionnelle.  Mais nous reconnaissons, a-t-elle dit, que nous devons continuer à répondre aux demandes des citoyens et de la société civile.  Notre expérience, a-t-elle poursuivi, nous prouve qu’aucun pays n’est à l’abri du risque que posent les discours de haine et de peur.  C’est pour cela que l’Espagne poursuit ses efforts en matière de justice transitionnelle, sur le plan interne comme au niveau international. 

Sur le plan national, la Ministre a parlé de la loi de mémoire historique adoptée en 2007 qui vise à entendre les témoignages, dont l’application a été confiée à une nouvelle vice-présidence.  Au niveau international, elle a fait valoir son engagement ferme pour le processus de justice transitionnelle dans le monde.  L’Espagne a appuyé les efforts du Groupe de Contadora qui mène les Accords d’Esquipulas I et II.  Aujourd’hui, l’Espagne travaille avec l’ONU dans le processus de justice transitionnelle en Colombie, en faisant partie de la Mission d’appui à la Colombie avec un général espagnol à la tête des conseillers militaires.  La paix et la justice ne sont pas des réalités opposées, a fait valoir la Ministre en soulignant leurs liens intrinsèques et le rôle crucial du Conseil de sécurité dans ce domaine.  Elle a donc recommandé aux membres du Conseil de faire siens les trois éléments de justice transitionnelle suivants: la lutte contre l’impunité, la dignité des victimes et la vérité et les garanties de non-répétition.

M. ISHIKANE KIMIHIRO (Japon) a appelé à veiller à ce que les initiatives prises pour la justice transitionnelle ne nuisent pas à la paix, mais la soutiennent plutôt.  Pour lui, c’est la confiance qui crée des sociétés pacifiques: la confiance entre les gens et la confiance des gens dans leur gouvernement.  Or, a-t-il constaté, dans une société qui sort d’un conflit, les fondements même de cette confiance sont insuffisants ou absents.  Dans ces moments, les gens sont en prise avec leurs peurs, leurs incertitudes et leurs griefs, et souvent privés d’accès à la justice.  C’est précisément la raison pour laquelle une approche « humaine » de la sécurité est si cruciale dans la mise en œuvre de la justice transitionnelle, a martelé M. Kimihiro.  Il ne faut pas seulement punir les coupables par une approche du haut vers le bas, mais également de soutenir la transformation d’une société pour que les gens puissent mener une vie autonome et sans peur.  Pour cela il faut miser sur des institutions fortes, dignes de confiance et efficaces dans le cadre des processus de consolidation de la paix et pour la paix durable.

Pour le Japon, les clefs du succès de tout processus de justice transitionnelle sont sa légitimité, son inclusivité et son appropriation nationale, en particulier lorsqu’il est question de réformes institutionnelles.  Il n’existe pas de solution unique, mais plutôt des approches spécifiques qui tiennent compte du contexte local, de l’histoire et de la culture.  Le soutien international doit essentiellement viser à aider ces pays dans leurs processus de justice transitionnelle, a-t-il ajouté. 

Pour sa part le Japon cherche à contribuer au développement et à l’amélioration de systèmes et institutions judiciaires et sécuritaires, a expliqué le représentant en faisant état de son implication aux côtés de plusieurs pays (Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Mali, Afghanistan et Iraq), tout comme dans le contexte des Nations Unies.  Il y a deux mois, le Japon est devenu l’un des deux coprésidents de la Commission de consolidation de la paix pour 2020, a rappelé M. Kimihiro en appelant à renforcer la coopération entre le Conseil de sécurité et cette Commission.

Mme MONA JUUL (Norvège), s’exprimant au nom des pays nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Suède et Norvège), a expliqué que la justice transitionnelle consiste en un ensemble de mesures comme l’assurance de la reddition de la justice pour les crimes internationaux, le respect du droit des victimes à accéder à la vérité, la reconnaissance de leur souffrance et l’octroi de réparations pour le tort causé.  Elle a relevé que l’une des questions les plus difficiles des négociations de paix est souvent celle de l’impunité, car ceux qui ont le pouvoir de mettre fin au conflit sont les moins enclins à promouvoir la justice pour les crimes qu’ils ont commis.  Pour la représentante, l’Accord de paix colombien a démontré que les objectifs de paix et de justice pour les victimes peuvent se renforcer mutuellement.

Mme Juul a affirmé que la société civile, notamment les femmes, doivent être incluses dans les mécanismes de justice transitionnelle.  Elle a évoqué les équipes de police des pays nordiques intégrées dans la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) qui soutiennent les efforts de la police nationale pour la prévention des cas de violence sexuelle et la poursuite des auteurs.  Elle a souhaité que le mandat des missions de maintien de la paix puisse désormais intégrer le soutien aux initiatives nationales de justice transitionnelle, et que les Envoyés spéciaux et Représentants spéciaux des Nations Unies promeuvent de telles initiatives.  Elle a enfin souhaité que le Conseil de sécurité renforce ses partenariats avec les organisations régionales dans le cadre du soutien aux processus de justice transitionnelle, ajoutant que le rôle de conseil de la Commission de consolidation de la paix doit également être davantage exploité. 

M. CHRISTIAN WENAWESER (Liechtenstein) a jugé indispensable l’engagement pour « un droit à la vérité ».  « Toute personne qui a enduré des atrocités a le droit de savoir qui est responsable; toute personne comptant des membres de sa famille ayant disparu a le droit de découvrir ce qu’il est advenu d’eux; toute société au sein de laquelle ces crimes ont été commis a le droit de connaître son histoire sans mensonge ni déni. »  S’il a considéré que le Conseil dispose d’un corpus conceptuel robuste, il a estimé que sa pratique raconte « une autre histoire ».  Il n’y a pas, selon lui, de volonté politique collective au sein de ce Conseil de traduire en actes les thématiques agréées sur la justice.  Au Myanmar, le Conseil n’a pas sérieusement pris en compte la récente décision de la Cour internationale de Justice (CIJ) et, en Syrie, il s’est défaussé sur l’Assemblée générale qui a créé, en conséquence, le Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en Syrie. 

Le délégué a, dans le même temps, admis la difficulté conceptuelle pour le Conseil d’endosser les tâches de justice transitionnelle.  La plupart du temps, le Conseil ne restera pas engagé au cours des longues années nécessaires à la mise en place d’une telle justice, a-t-il dit, ajoutant, à cet égard, que l’organe le plus sous-utilisé serait selon lui la Commission de consolidation de la paix.  Il a d’ailleurs invité l’ONU à appuyer les pays qui ne bénéficient pas d’une entité au sein de ladite Commission.  Enfin, le délégué a tenu à évoquer les discours passés au sein du Conseil de ceux qui pensaient que l’implication au Darfour de la CPI était illégitime et même préjudiciable pour la paix et la stabilité au Soudan, alors, et c’est là l’ironie, que la Cour était mandatée par ce Conseil.  « Il semble que les autorités soudanaises soient parvenues à une toute autre conclusion. »

Lors de leur dix-huitième Somment à Baku, les 25 et 25 octobre 2019, les chefs d’État et de gouvernement du Mouvement des pays non alignés ont reconnu l’importance du concept de « pérennisation de la paix » et réaffirmé la responsabilité première des gouvernements nationaux dans l’identification, la conduite et la gestion des priorités, stratégies et activités en la matière, a rappelé Mme NAHIDA BAGHIROVA (Azerbaïdjan).  Le Mouvement, a-t-il poursuivi,  a souligné que le plein respect des principes du droit international et des obligations découlant de la Charte des Nations Unies est de la plus haute importante pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales.  Tout auteur de violation doit rendre compte de ses actes, au nom de la paix, de la justice, de la vérité et de la réconciliation.  Il ne peut y avoir de développement sans paix comme il ne peut y avoir de paix sans développement.  Il faut donc redoubler d’efforts pour améliorer les synergies entre maintien et consolidation de la paix, et conséquence, réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030, a conclu le représentant. 

M. MAURO VIEIRA (Brésil) a jugé qu’il n’y a pas de recette universelle aux processus de justice transitionnelle, ajoutant que ces derniers doivent tenir compte du contexte local et rassembler les avis des divers secteurs de la société.  Les femmes et les jeunes doivent également en faire partie afin d’en assurer la durabilité.  La communauté internationale doit, pour sa part, accompagner les pays à développer les capacités nationales utiles pour conduire le processus de justice transitionnelle.  Même si chaque processus est unique, le délégué a tout de même souligné que toutes ces initiatives partagent les mêmes valeurs, notamment l’aspiration à se tourner vers des lois que tous respectent.  De même, la justice transitionnelle doit pourvoir être intégrée aux efforts généraux de consolidation de la paix, a estimé le représentant. 

M. ROBERT MARDINI, Observateur du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a relevé que la justice transitionnelle crée un espace de vérité, de reddition de compte et de réconciliation.  Elle aide à briser les cycles de violence et d’atrocités, a-t-il ajouté en notant aussi le rôle humanitaire qu’elle joue en ce qu’elle reconnaît les souffrances des personnes, des familles et des communautés.  L’une des questions humanitaires qui recoupe la justice transitionnelle est celle de la situation des personnes portées disparues, a remarqué l’observateur, qui a expliqué que pour les familles cela reste souvent « la dernière plaie ouverte ».

Le CICR a fait trois recommandations au Conseil de sécurité au sujet des mécanismes de justice transitionnelle.  Tout d’abord, il a demandé qu’on énonce clairement un objectif sur la clarification de la situation des personnes portées disparues et du soutien à apporter à leurs familles.  Ces mécanismes doivent impliquer les familles et tenir compte de leur bien-être émotionnel comme de leur sécurité.  Les processus de justice transitionnelle doivent être perçus par le Conseil de sécurité comme un moyen important de mettre en œuvre la résolution 2474 (2019) sur les personnes portées disparues. 

Il faut également apporter une réponse individualisée à chaque famille qui recherche un membre de famille disparu, a poursuivi l’observateur pour lequel cela reste vrai même si le cas en question ne fait pas partie d’une enquête judiciaire dans le cadre d’un mécanisme de justice transitionnelle.  À cet égard, il a cité les cas de combattants qui peuvent disparaître au combat et de civils qui disparaissent pendant des déplacements de personnes ou dans le contexte de violences intercommunautaires.  Ces familles ont, elles aussi, le droit de connaître le sort de leurs êtres chers, a-t-il estimé.

Enfin le CICR a insisté sur le fait qu’il ne peut y avoir d’impunité pour des crimes de guerre.  Les États ont même l’obligation en droit international d’enquêter et de traduire en justice les présumés responsables de crimes de guerre, a rappelé le représentant.  Le CICR est prêt à apporter son expertise et à venir en aide aux États, aux missions de l’ONU et aux mécanismes de justice transitionnelle sur la façon d’inclure la question des personnes portées disparues et de leurs familles dans les processus de justice transitionnelle et sur la garantie de complémentarité entre ces processus et tout autre mécanisme mis en place pour clarifier la situation des personnes disparues.

Mme AMAL MUDALLALI (Liban) a estimé que le débat du Conseil a lieu à un moment spécial pour son pays qui va commémorer, demain, le quinzième anniversaire de l’assassinat de l’ancien Premier Ministre Rafiq Hariri.  Il s’agit d’un évènement, a-t-elle rappelé, qui a conduit à l’adoption, en 2007, de la résolution 1757 sur l’établissement du Tribunal spécial pour le Liban auquel le nouveau Gouvernement a renouvelé son engagement pour garantir droits et justice, loin de toute politisation et esprit de revanche pour éviter tout impact négatif sur la stabilité, l’unité et la paix civile.  L’unité et la paix civile ne sont pas de vains mots dans un pays qui a été déchiré par une guerre civile de 15 ans et où des milliers de personnes ont été tuées ou portées disparues.  D’après une étude de la Croix-Rouge, 75% des Libanais ont une « expérience personnelle » du conflit armé, a souligné la représentante.

Elle a qualifié d’étape positive vers la vérité, la loi 105 de 2018 sur les personnes disparues et les disparitions forcées.  La loi, a-t-elle expliqué, reconnaît le droit des familles de connaître la vérité et vise la création d’une commission nationale indépendante.  Dans ce contexte, les jeunes doivent pouvoir jouer le rôle qu’ils méritent dans la justice transitionnelle, en tant qu’« agents du changement ».  Leur participation à cette justice et à la réconciliation doit être centrale et non symbolique.  Il en va de même pour les femmes, a poursuivi la représentante, insistant sur une justice transitionnelle adaptée aux spécificités nationales et aux sensitivités culturelles.  La justice transitionnelle est essentielle pour aller de l’avant mais pour panser les plaies, il faut d’abord sortir d’un conflit.  Dans notre région, a-t-elle dit, les conflits perpétuels sont le premier obstacle à la justice transitionnelle.  Il est fondamental de pouvoir passer du conflit à la justice dans un délai raisonnable car une justice tardive est une justice niée, a martelé la représentante.  Elle a rappelé le Conseil à sa responsabilité de mettre fin au conflit et de garantir la paix pour permettre une bonne transition. 

M. FRANCISCO DUARTE LOPES (Portugal) a dit que la justice permet aux communautés de faire face aux séquelles de la violence à grande échelle et des violations des droits de l’homme afin d’assurer la prise de responsabilité, de garantir la justice et de parvenir à la réconciliation.  Ces processus devraient toujours tenir compte de la spécificité des différents contextes post-conflit.  Pour y parvenir, le système judiciaire de chaque État doit fonctionner de manière efficace et indépendante, permettant ainsi à la Cour pénale internationale de remplir son rôle complémentaire des juridictions nationales.  Il est donc de la plus grande importance que tous les acteurs concernés soient impliqués ainsi que la société civile qui peut faciliter les efforts de pérennisation de la paix.  De ce point de vue, le Portugal considère que les jeunes sont des acteurs fondamentaux dans les processus de réconciliation ainsi que dans le maintien de la paix et de la sécurité, en général.

Les mécanismes de justice transitionnelle doivent être axés sur les victimes, afin de répondre à leurs besoins spécifiques.  Le Portugal est soucieux de la problématique des enfants dans les conflits armés, en particulier leur recrutement et leur utilisation comme enfants soldats.  Le représentant a rappelé l’importance des Principes de Vancouver de 2017.  Aussi, a-t-il ajouté, il faut accorder la priorité aux enfants dans la planification des efforts de démobilisation, désarmement et réintégration.  Il est essentiel que les femmes soient également incluses dans toutes les étapes du processus de paix, notamment dans les mécanismes de prévention, de gestion et de règlement des conflits.  En conclusion, a dit M. Duarte Lopes, il est important que le lien entre sécurité et développement guide le processus de justice transitionnelle car ce dernier joue un rôle essentiel dans la réalisation de l’Objectif 16 de développement durable sur la paix, la justice et des institutions efficaces. 

M. LAZARUS OMBAI AMAYO (Kenya) a indiqué que le souci d’inclusion doit présider à l’élaboration de mécanismes de justice transitionnelle durables.  L’inclusion de toutes les parties permet une meilleure appropriation du processus et des résultats obtenus.  L’implication des témoins, des victimes, des minorités et des individus en butte avec des tentatives d’intimidation est cruciale pour rétablir la confiance et conférer une crédibilité au processus de justice transitionnelle.  Le représentant a apporté son soutien aux mécanismes tels que les commissions vérité et réconciliation, avant de souligner, à l’aune de l’expérience de son pays, l’importance de l’implication des jeunes et des femmes dans le rétablissement de la paix.  Il a invité le Conseil à aider les gouvernements à formuler des projets de justice transitionnelle.  Les mandats des missions de l’ONU devraient inclure des composantes « consolidation de la paix » et « justice transitionnelle », a-t-il estimé. 

L’histoire nous a appris que la justice transitionnelle est fondamentale pour consolider et la pérenniser la paix, a fait savoir Mme EGRISELDA ARACELY GONZÁLEZ LÓPEZ (El Salvador).  Elle a rappelé qu’en 1992, un accord de paix a mis fin à un conflit interne de plus de 10 ans, ouvrant la voie à une transformation de fond.  Toutefois, ce processus n’a pas permis d’aboutir à une véritable réconciliation.  La Commission vérité avait en effet publié son rapport en 1993 et instruit des affaires impliquant plus de 75 000 personnes.  Mais quelques jours à peine après la parution du rapport, une loi d’amnistie a été votée.  À cause de cela, a affirmé la représentante, les « moteurs du conflit » se sont ancrés dans la société.  Heureusement, dès sa prise de fonctions, le Président actuel a donné l’ordre de reprendre le combat et a demandé, par exemple, la suppression de la troisième brigade d’infanterie de San Miguel qui faisait partie des unités visées par le rapport de la Commission vérité.  Une commission nationale de recherche des enfants portés disparus pendant le conflit armé a aussi été mise en place et, avec l’aide de l’ONU, un projet virtuel de rétablissement de la mémoire a été lancé.  Une bonne justice transitionnelle, a conclu la représentante, c’est une justice qui tient compte de la situation spécifique de chaque pays. 

M. MICHAL MLYNÁR (Slovaquie) a souligné l’importance qu’il y a à ce que la justice transitionnelle soit adaptée aux réalités du terrain.  Le Conseil devrait donc en parler chaque fois qu’il existe le cas d’un pays inscrit à son ordre du jour.  Ce concept doit en effet être intégré aux opérations de paix, notamment dans le volet état de droit et renforcement du secteur de la sécurité.  Mon pays, a-t-il rappelé, a déployé une unité de policiers au sein de la Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH).  Ladite unité, s’est-il enorgueilli, a contribué à renforcer l’état de droit et les institutions judiciaires haïtiennes.

M. Mlynár a insisté sur le fait que l’établissement des responsabilités doit faire partie intégrante de la transition dans une situation post-conflit.  Traduire les auteurs de crimes internationaux en justice est le moins que l’on puisse faire si l’on veut trouver une solution pérenne au conflit et assurer la réconciliation.  Si les autorités nationales ne sont pas en mesure de rendre justice, alors, le recours à la CPI doit être envisagé.  Le représentant a rappelé que son pays a toujours encouragé le Conseil de sécurité à renvoyer certaines situations devant la CPI.  Il a conclu en jugeant utile que la justice transitionnelle accompagne d’autres processus tels que la réforme du secteur de la sécurité et le renforcement des institutions. 

M. STEFANO STEFANILE (Italie) a pris l’exemple du processus de paix colombien pour montrer que le succès d’une paix durable tient à l’inclusion d’éléments sur la justice transitionnelle dans un accord de paix, comme élément intégral de l’architecture de paix.  Il a jugé essentiels les outils que constituent les tribunaux internationaux, qui accompagnent les sociétés vers la vérité et la réconciliation.  Il a rappelé que l’Italie avait contribué au financement du Tribunal spécial pour le Liban et du Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en Syrie, son pays ayant aussi apporté un appui politique, technique et financier aux tribunaux pénaux au Timor-Leste, au Kosovo et en Sierra Leone. 

Pour le représentant, le succès des mécanismes de justice transitionnelle dépend aussi de la mise en œuvre de la réforme du secteur de la sécurité et des processus de DDR.  Il faut à son avis des mécanismes permanents des Nations Unies dans ces domaines qui soient plus solides, des mécanismes qui soient menés à partir de la base de Brindisi (Italie).  Il a également soutenu les commissions vérité et réconciliation qui sont au service de la vérité sans pour autant remplacer les poursuites pénales.  En se fondant sur l’expérience de l’Italie, le représentant a estimé que les processus transitionnels doivent être appropriés par la société civile et inclure celle-ci, y compris les groupes et les individus vulnérables.  La participation des femmes est cruciale pour garantir l’inclusivité, a-t-il précisé.  Il a salué à cet égard les réseaux de femmes médiatrices, comme celui de la Méditerranée.  Il a aussi plaidé en faveur de réformes institutionnelles profondes pour affirmer l’état de droit et promouvoir les droits de l’homme, avant de souligner aussi l’importance de la justice civile qui, à ses yeux, est souvent sous-estimée.

M. ANDRÉS JOSÉ RUGELES (Colombie) a fait part de l’expérience de son pays depuis la signature en 2016 de l’Accord de paix entre le Gouvernement et les FARC.  Le système intégral de vérité, justice, réparation et non-répétition a vu le jour avec l’objectif de garantir les droits des victimes.  Il a été créé sur la base des leçons tirées sur le plan international et des processus appliqués avec d’autres groupes illégaux en Colombie même comme les « Autodefensa Unidas » qui avaient été démobilisés entre 2003 et 2006.  L’objectif ultime des mécanismes de justice transitionnelle, c’est de parvenir à une coexistence pacifique entre tous les citoyens.

Le système intégral combine des mécanismes judiciaires d’enquêtes et de sanctions contre les violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire.  Il comprend aussi des mécanismes non-judiciaires pour faire toute la lumière sur ce qui s’est passé, retrouver les personnes portées disparues et assurer réparations aux victimes.  Ces mécanismes permettent des progrès dans la lutte contre l’impunité, la transition vers la vie civile des anciens combattants et la réconciliation.  Le représentant a insisté sur la complémentarité de ces mécanismes et l’importance de les faire opérer avec intelligence.  Il n’y a pas, a-t-il reconnu, de modèle unique en matière de justice transitionnelle.  La clef, c’est l’appropriation nationale et la participation de tous, en particulier des femmes.  La Colombie compte d’ailleurs aujourd’hui 53 femmes magistrats.

M. MHER MARGARYAN (Arménie) a dit l’importance de la justice transitionnelle pour reconnaître les divisions du passé et veiller à ce que les atrocités commises ne restent pas impunies.  Malheureusement, nous continuons d’être les témoins de crimes de haine et d’atrocités commises contre des groupes religieux et ethniques, a-t-il dit, en citant les actes génocidaires contre les Chrétiens et les Yazidis en Iraq et en Syrie.  Il s’est attardé sur le génocide arménien du XXe siècle et a insisté sur les problèmes découlant du déni et des tentatives de justifier les crimes commis.  Fervente militante de la prévention du génocide, l’Arménie, a dit le représentant, souligne que les justifications du génocide arménien au plus haut niveau, en dénigrant, en insultant la dignité des victimes, en le qualifiant d’acte des plus raisonnables et en élaborant de nouvelles versions de l’histoire, ne peut qu’entraver le droit à la vérité et le principe de non-répétition.  Le délégué a salué le travail accompli, notamment sur le génocide arménien, par le Centre international de justice transitionnelle. 

Mme DARJA BAVDAŽ KURET (Slovénie) a indiqué qu’une coopération inclusive et une approche « transformative » complète du genre doivent constituer les fondements d’une justice transitionnelle efficace.  Elle a fermement appuyé le travail de la CPI, ainsi que son Fonds au profit des victimes, ces dernières devant, a-t-elle souligné, figurer au cœur des efforts post-conflit.  La représentante a toutefois estimé que des efforts supplémentaires s’imposent pour faire face à l’impunité.  L’actuel cadre juridique procédural international pour l’assistance juridique mutuelle et l’extradition pour les crimes les plus graves, est toujours inadéquat.  La Slovénie, a-t-elle dit, a donc lancé, avec les Pays-Bas, la Belgique, l’Argentine, le Sénégal et la Mongolie, l’initiative d’aide juridique mutuelle pour appuyer l’adoption d’un traité multilatéral qui établirait des mécanismes de coopération entre les États pour les enquêtes et la poursuite des crimes les plus graves.  Elle a annoncé que la Slovénie accueillera, du 8 au 19 juin à Ljubljana, une conférence diplomatique sur le sujet. 

M. OLOF SKOOG, de l’Union européenne, a déclaré que la justice transitionnelle est un moyen de contribuer à la sécurité et à la paix durable par le biais de la réconciliation et la gestion soigneuse du passé pour ne pas devenir « otage de son histoire ».  L’Union européenne, a-t-il rappelé, est devenue, en novembre 2015, la première organisation régionale à adopter un cadre politique sur la justice transitionnelle.  Elle se félicite donc que l’Union africaine ait fait de même en 2019.  Rappelant que la justice pénale, l’établissement des responsabilités, la recherche de la vérité, la réparation et la réforme institutionnelle sont autant de moyens de mettre fin à l’impunité, le représentant a souligné la nécessité de contribuer au renforcement des capacités des pays en développement pour qu’ils soient en mesure de respecter leurs obligations au regard du Statut de Rome.  Illustrant les initiatives européennes, M Olof Skoog a indiqué que l’UE soutient la Commission internationale des personnes disparues en Syrie, la mise en œuvre de l’Accord de paix en Colombie et le fonctionnement de la Cour pénale spéciale en République centrafricaine.  Il a aussi parlé des Groupes d’experts européens en justice transitionnelle dépêchés sur le terrain à la demande des pays.  Il a salué le rôle de la société civile dans la promotion de la justice transitionnelle. 

M. KAHA IMNADZE (Géorgie) a estimé que, idéalement, les processus de justice transitionnelle sont appropriés par le pays et toujours adaptés au contexte.  Dans le cas de son pays, il a dit que ce processus ne reflète pas seulement la réalité nationale, mais a aussi une dimension internationale.  « Cette chambre sait bien que l’intégrité territoriale et la souveraineté de mon pays est violée et que deux régions de la Géorgie -Abkhazie et Tskhinvali/Ossétie du Sud- sont toujours sous occupation étrangère illégale », a-t-il dit.  Il s’est plaint que le Gouvernement de la Géorgie ne puisse pas exercer son autorité sur ces territoires et que des organisations internationales et des mécanismes de surveillance se voient refuser un accès par la puissance occupante.  L’impunité perdure, a-t-il encore dénoncé en mentionnant des graves violations des droits de l’homme contre des Georgiens ethniques.

Le seul mécanisme à notre disposition, a dit le représentant, est le respect de l’état de droit, sur les plans national et international.  Dans ce cadre, la Géorgie reconnaît la compétence obligatoire de la CIJ et coopère activement avec celle-ci sur les enquêtes de crimes commis pendant l’agression russe de 2008.  Le pays est aussi impliqué au niveau régional, a poursuivi M. Imnadze en indiquant avoir soumis deux requêtes à la Cour européenne des droits de l’homme, contre la Russie, la première concernant l’agression russe de 2008 et l’occupation de territoires, la deuxième étant relative à « des pratiques administratives de la Russie qui harcèle, arrête, détient, violente et assassine des citoyens géorgiens vivant dans les territoires occupés par la Russie ».  Il a conclu en émettant l’espoir de voir des enquêtes menées et la justice rendue, pour paver la voie à la réconciliation, la reconstruction et une paix durable.  Il a appelé la communauté internationale à prendre position fermement en accord avec la Charte des Nations Unies et le droit international.

Mme ALYA AHMED SAIF AL-THANI (Qatar) a souligné que la justice transitionnelle vise d’abord et avant tout à la non-répétition des atrocités, à la fin de l’impunité et au renforcement des institutions de l’état de droit.  Elle a, à son tour, milité pour l’implication des jeunes, estimant que tous les emplois générés par cette justice devraient être occupés par eux, compte tenu de leur vulnérabilité à la propagande des extrémistes violents.  Mon pays, a-t-elle dit, a joué un rôle actif dans la création du Mécanisme international chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves commises en Syrie, depuis mars 2011.  Le Qatar joue aussi un rôle important dans la promotion de la responsabilité de protéger et préside d’ailleurs le Groupe des Amis de ce concept, aux côtés du Costa-Rica et du Danemark.

M. MOHAMED FATHI AHMED EDREES (Égypte) a estimé que la question de la justice transitionnelle   revêt une importance croissante en tant que pilier de la consolidation et de la pérennisation de la paix.  Il a fait part de la démarche égyptienne qui prône un processus au cas par cas et le respect de l’appropriation nationale.  Il faut, a-t-il poursuivi, délimiter avec précision les rôles des différents organes des Nations Unies dans l’appui à apporter aux pays.  À cet égard, le rôle consultatif de la Commission de consolidation de la paix doit être renforcé tout comme la coopération avec les organisations régionales.

Les approches de la justice transitionnelle, a dit M. NAGARAJ NAIDU KAKANUR (Inde), émergent après les dictateurs militaires, les régimes d’apartheid et des phénomènes comme la guerre froide.  C’est justifiable, a reconnu le représentant, mais ces approches ont aussi coïncidé avec les buts de certains donateurs, banques et agences humanitaires qui tiennent à un état de droit fort pour permettre le développement économique.  En conséquence, a poursuivi le représentant, l’implication d’acteurs étrangers dans des conflits internes n’est pas seulement devenue plus fréquente mais elle a aussi donné lieu à un certain niveau de coercition et à des activités d’édification de l’État contraires au concept traditionnel de souveraineté.  La seule question, a souligné le représentant, c’est de savoir ce qui profiterait le plus à des gens dont la vie a été bouleversée voire détruite par la violence.

Or trop souvent, a-t-il estimé, la communauté internationale adopte une approche technocratique à taille unique qui peut être destructrice.  La justice transitionnelle est ainsi devenue un élément du libéralisme occidental, souvent bien éloigné de ceux qui en ont le plus besoin.   Faire renaître le capital social et les moyens de substance est bien plus compliqué que restaurer des infrastructures et des instituions.  Cela exige des relations redéfinies, la promotion de débats publics, la création d’une société civile saine, la facilitation de la réconciliation et la mise en place d’institutions fiables et rassurantes.  On a pourtant le sentiment, a avoué le représentant, que les mécanismes de justice transitionnelle ont mené à une forme de « confusion idéologique » pour détourner l’attention de ceux qui profitent du système.

Nous voyons en effet que les injustices historiques inhérentes au colonialisme font rarement l’objet d’une justice transitionnelle.  Si, a prévenu le représentant, cette justice est conçue comme un pansement à appliquer sur les plaies du passé pendant une période non définie et limitée de « transition » sans être liée à des changements sociétaux plus profonds, il est peu probable qu’elle ait une quelconque capacité transformatrice.  La réconciliation est un processus long et ardu et les normes et les délais imposés artificiellement ne peuvent mener qu’à l’échec.  La réconciliation doit venir du pays concerné et être nourrie par lui.  En l’occurrence, une justice soucieuse d’égalité entre les sexes doit être une partie intégrante de tous les mécanismes institutionnels et des réformes structurelles.

Mme GERALDINE BYRNE NASON (Irlande) a évoqué le propre processus de paix de son pays, basé sur l’Accord du vendredi saint de 1998, qui avait mis fin à une trentaine d’années de violence en Irlande du Nord.  Une Commission du souvenir a travaillé entre 2003 et 2008 pour aider les victimes et leurs familles, a-t-elle indiqué en expliquant qu’une aide financière était notamment apportée pour compenser les souffrances économiques.  L’Irlande reconnaît qu’il faut en faire beaucoup plus pour arriver à régler les problèmes du passé et pour raffermir la réconciliation.  C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de l’accord sur le partage de pouvoir en Irlande du Nord en janvier 2000, les gouvernements de l’Irlande et du Royaume-Uni ont affirmé leur engagement à aller de l’avant pour créer un cadre de l’héritage institutionnel.  Ce cadre est basé notamment sur les principes suivants: promotion de la réconciliation, respect de l’état de droit, reconnaissance de la souffrance des victimes, simplification des poursuites en justice et du rétablissement de l’information, respect des droits de l’homme.  La représentante a signalé qu’un groupe de la mise en œuvre et de la réconciliation serait bientôt mis sur pied.

Mme Byrne Nason a souligné le caractère complexe de la justice transitionnelle et a fait valoir le soutien de son pays aux processus en Colombie, Sierra Leone et Syrie, entre autres.  Elle a salué les progrès faits récemment dans le cadre des missions des Nations Unies pour reconnaître et intégrer des éléments de justice transitionnelle dans leurs travaux.  Elle a apprécié l’accent mis de façon plus précise sur la justice transitionnelle par le Fonds pour la consolidation de la paix.  En tant que pays qui aspire à être membre du Conseil de sécurité en 2021 et 2020, l’Irlande croit que la justice transitionnelle doit être ambitieuse et pratique, a conclu la représentante en insistant sur la nécessité d’inclure les femmes et les victimes dans ces processus.

M. NÉSTOR POPOLIZIO (Pérou) a mis l’accent sur le caractère essentiel de la justice transitionnelle, notamment pour reconstituer le tissu social dans les situations post-conflit grâce aux dédommagements et à la lutte contre l’impunité.  Il a souligné le rôle essentiel des missions d’enquêtes indépendantes, des instances d’arbitrage et des commissions vérité et réconciliation.  Les processus de justice transitionnelle doivent s’adapter à chaque situation post-conflit, sur la base de critères et de paramètres d’évaluation indépendants, a-t-il dit.  Il a appelé à un bon équilibre entre la lutte contre l’impunité et les sanctions, citant le « bel exemple » de la Colombie.

Le Pérou, a-t-il rappelé, n’est pas étranger aux problèmes de justice et de rétablissement des citoyens dans leurs droits.  Depuis les années 90, le pays s’est progressivement doté d’une législation sur la recherche des personnes disparues.  Il milite aussi pour que pour les violations graves des droits de l’homme et du droit international ne fassent jamais l’objet d’une amnistie.  Le cas échant, a-t-il estimé, le Conseil de sécurité ne doit pas hésiter à saisir la Cour pénale internationale, surtout lorsque l’on voit ce qui se passe en Syrie et en Iraq.

Mme RAZIYE BILGE KOÇYIĞIT GRBA (Turquie) a fait remarquer que la justice transitionnelle ne fait pas que clore le chapitre des injustices du passé, elle aide aussi les sociétés à aller de l’avant, vers un avenir plus pacifique.  Elle a recommandé d’aborder cette question de manière intégrale, en plaçant la réconciliation au centre du processus.  Il faut aussi traiter les causes de la violence et de la marginalisation, a ajouté la représentante en conseillant de garder à l’esprit les différentes approches possibles, car il n’existe pas de solution toute faite. 

La représentante a conseillé de commencer par créer des institutions nationales responsables et transparentes, pour que la population reprenne confiance dans la justice.  Les systèmes de gouvernance et de justice doivent en effet être basés sur le respect de l’état de droit et la protection des droits de l’homme.  La représentante a aussi plaidé pour que le public soit davantage sensibilisé à l’accès à la justice.  Pour la Turquie, la justice pénale est un élément crucial de la justice transitionnelle et il faut poursuivre les auteurs des atrocités de masse et des violations systématiques des droits de l’homme.  Enfin, la représentante a prôné une approche empathique et ouverte, basée sur des données fiables.

M. SAPENAFA KESONI MOTUFAGA (Fidji) a estimé que la justice transitionnelle, lorsqu’elle est complétée par des mécanismes nationaux de justice traditionnelle, renforce l’état de droit, qui est un élément important pour garantir des processus de paix durables.  Le processus de justice transitionnelle doit chercher à instaurer la confiance et à réparer les relations, pour que les victimes et les auteurs puissent vivre côte à côte, en tant que communauté.  Dans sa région, le représentant a mentionné les cas de Bougainville et des Îles Salomon comme exemples de processus de justice transitionnelle réussis.  Les deux processus ont été soutenus par des missions régionales de maintien de la paix. 

Ces exemples montrent qu’il faut le soutien politique des gouvernements pour que les processus de justice transitionnelle soient inclusifs et que les mécanismes doivent être intégrés en fin de compte aux institutions de justice nationale.  Ils montrent aussi qu’il est important pour les victimes de voir la justice être rendue, car elles doivent pouvoir clore un chapitre, pour aller de l’avant vers le développement.  Les mécanismes devraient aussi faire partie des réformes du secteur de la sécurité, a ajouté le représentant.  Enfin, il a prôné que les mesures de réconciliation se concentrent sur les femmes et les enfants.

M. GHANSHYAM BHANDARI (Népal) a mis en garde contre toute formule unique de justice transitionnelle.  Chaque conflit est unique et en conséquence, chaque processus de justice transitionnelle doit être unique.  Le Népal est, par exemple, un cas unique d’un processus de paix que les citoyens se sont appropriés et qui a abouti à la nouvelle Constitution de 2015.  La Commission vérité et réconciliation et la Commission d’enquête sur les personnes disparues ont été établies dès 2015, avec une impartialité garantie par la loi.  Le pays prépare en ce moment des amendements à la législation sur la justice transitionnelle avec la pleine participation des victimes.  Notre but est de parvenir à un équilibre entre respect des normes internationales et spécificités du contexte national, en mettant les victimes au centre des efforts, a affirmé le délégué. 

Mme NEUMAUS (Suisse) a expliqué que depuis plus de 15 ans, son pays soutient et accompagne de nombreux autres pays dans des processus par lesquels les sociétés tentent de faire face aux atrocités qu’elles ont vécues.  La Suisse a appris de l’expérience que des mesures juridiques et non-juridiques sont essentielles pour prévenir la récurrence des violations et des atteintes massives aux droits de l’homme et au droit international humanitaire mais aussi pour établir un nouveau contrat social.  Si la justice pénale est essentielle, elle ne constitue qu’une dimension de la justice transitionnelle, a-t-elle fait remarquer en appelant le Conseil de sécurité à accorder une plus grande attention à la complémentarité entre les mesures juridiques et non-juridiques lorsqu’il utilise les instruments à sa disposition. 

La Suisse, a ajouté la représentante, soutient le processus de révision de la note du Secrétaire général sur l’approche de l’ONU en matière de justice transitionnelle et approuve les références faites aujourd’hui à l’importance du rôle consultatif de la Commission de consolidation de la paix.  Nous attirons également l’attention sur le rôle à jouer par la société civile en tant que moteur de la reddition de comptes et de la lutte contre l’impunité.  La représentante a aussi appelé le Conseil à prendre des mesures adaptées et spécifiques au contexte, basées sur une compréhension des besoins de la société dans son ensemble.  Le Conseil doit faire plein usage de sa marge de manœuvre dans la formulation des mandats pour garantir des mesures ciblées et réalisables, a conclu la représentante.

Pour M. CHRISTIAN BRAUN (Luxembourg), la dynamique des conflits en cours nous oblige à opérer une réévaluation des moyens mis en œuvre dans le contexte de la justice transitionnelle et de la consolidation de la paix.  Il s’est dit d’avis que l’appel lancé pour la mise en place d’une approche globale de la justice transitionnelle dans le cadre de la résolution 2282 garde toute sa pertinence.  Malgré des efforts et des succès considérables au cours de la dernière décennie, il faut, a estimé le représentant, redoubler d’efforts et à repenser la façon de travailler ensemble, en gardant à l’esprit qu’il n’existe pas de formule unique de justice transitionnelle.  Le Luxembourg continuera de s’engager en faveur d’un renforcement des normes internationales en faveur d’une justice transitionnelle qui réconcilie le renforcement des droits des victimes, la pérennisation de la paix, la réconciliation, la démocratie et la mise en œuvre du Programme 2030, en particulier de l’Objectif 16.

Mme RABAB FATIMA (Bangladesh) a déclaré qu’il est extrêmement important dans un contexte post-conflit de lutter contre l’impunité, d’établir les responsabilités et de briser le cycle des conflits et des atrocités du passé.  En tant que principal pays fournisseur de contingents et d’unités de police aux opérations de paix de l’ONU, le Bangladesh, a dit la représentante, appuie les efforts des Nations Unies dans les pays sortant d'un conflit.  Nous soutenons le programme de réforme du Secrétaire général qui met l’accent sur la coordination et la cohérence à l’échelle du système entre les piliers « paix et sécurité », « développement » et « droits de l’homme », en particulier dans les phases de transition.  La représentante a souligné l’importance du séquençage des mandats des opérations de paix, y compris les composantes « état de droit » et « justice transitionnelle ».  Cette justice doit également bénéficier d’une priorité accrue à la Commission de consolidation de la paix.  Les missions politiques spéciales devraient aussi avoir la justice transitionnelle comme sous-mandat, tout comme la nouvelle génération d’équipes de pays des Nations Unies. 

M. ALEJANDRO GUILLERMO VERDIER (Argentine) a souligné, à son tour, qu’il n’y a pas de modèle unique de justice transitionnelle applicable de façon universelle.  Parlant de l’expérience nationale, il a rappelé que les efforts ont été déployés dans un contexte post-dictatorial où de graves violations des droits de l’homme ont été commises par les forces armées.  Depuis le retour à l’ordre constitutionnel en 1983, le Gouvernement a mis en place la Commission nationale sur les personnes disparues pour faire toute la lumière sur les faits.  Les membres de la junte militaire ont été dûment condamnés en 1985 mais l’amnistie des années 90 a empêché le pays d’avancer.  Depuis lors, la Cour suprême a rouvert plus de 1 000 affaires entre 2006 et 2019 et prononcé des peines.  Il s’agit, a souligné le représentant, de permettre aux familles d’obtenir réparation, y compris des dédommagements matériels.  Il a insisté sur le rôle central de la Convention contre les disparitions forcées, un traité encore jeune dont nous encourageons l’universalisation.

M. ION JINGA (Roumanie) a parlé de la justice transitionnelle au sens large, qui va au-delà des tribunaux et commissions, et qui comprend tous les efforts menant à une gouvernance pacifique et légitime après des régimes répressifs et des violences de grande échelle.  En tant que pays qui a connu une transition démocratique, commencée il y a 30 ans, la Roumanie présente un exemple réussi, a fait valoir le représentant.  Il a dit être convaincu que la justice transitionnelle ne peut être réussie que si elle est inscrite dans une approche large, holistique et tenant compte des causes profondes du conflit ou de la répression.  Elle doit aussi être basée sur la réforme des institutions et le respect des droits de l’homme.  De l’avis de la délégation, de plus grands progrès en termes de justice transitionnelle pourraient être faits si davantage d’opérations de paix de l’ONU étaient mandatées pour traiter cette question. 

La Roumanie a renforcé sa coopération avec le Service des questions judiciaires et pénitentiaires des Nations Unies, a indiqué M. Jinga qui a aussi mentionné une participation accrue de son pays aux activités du Groupe des amis des questions pénitentiaires dans les opérations de paix.  Faisant valoir que la reddition de la justice relève de la responsabilité première des États, il a souligné la nécessité de renforcer les systèmes judiciaires de ceux-ci, ce qui nécessite de renforcer leurs capacités pour cela.  Mais si les institutions nationales ne réussissent pas, la communauté internationale a la responsabilité d’offrir un mécanisme de justice « de secours », a-t-il dit en assurant soutenir la CPI et vouloir sensibiliser sur son mandat important.  Enfin, M. Jinga a mis l’accent sur l’importance des partenariats, notamment le rôle consultatif de la CPP pour le Conseil de sécurité.

M. BASHAR JA’AFARI (Syrie) a dénoncé les pressions sans précédent exercées par les grandes puissances, qui interprètent les dispositions de la Charte à leur gré, pressées de s’ingérer dans les affaires intérieures des États.  Ces grandes puissances, a-t-il dit, cherchent à imposer de nouveaux principes pour nourrir la discorde.  Le représentant a mis en garde contre l’instrumentalisation du concept de responsabilité de protéger et a fustigé l’hypocrisie de ceux qui empêchent par leurs agissements le relèvement de la Syrie.  Pour ces pays, la fin justifie les moyens et le Mécanisme d’enquête international n’est qu’un autre exemple de la violation de la Charte.  En créant ce Mécanisme, s’est-il expliqué, l’Assemblée générale a empiété sur les prérogatives du Conseil.  Nous avons chez nous, a affirmé le représentant, des mécanismes efficaces d’établissement des responsabilités.  Il a donc dénoncé l’imposition « odieuse » d’autres mécanismes, avant de lancer une nouvelle fois un appel à l’Union européenne pour qu’elle rapatrie ses combattants terroristes qui ont dévasté la Syrie mais aussi l’Iraq.

Nous sommes, a rappelé Mme KSHENUKA DHIRENI SENEWIRATNE (Sri Lanka), à la jonction d’une transition après près de trois décennies d’un terrorisme séparatiste brutal.  Aujourd’hui, s’est-elle réjouie, le pays s’attèle à la réconciliation et à la consolidation d’une paix chèrement acquise.  Les contextes postconflit sont différents d’un pays à l’autre, a-t-elle souligné.  Le principe fondamental d’un processus de justice transitionnelle, a-t-elle estimé, est l’application des principes théoriques sur les obligations des États.  C’est en effet l'État qui doit rechercher la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non-répétition.

Mme Senewiratne a jugé utile de rappeler que les forces armées du Sri Lanka se sont battues contre un groupe que de nombreux pays ont qualifié de terroriste.  Il est donc juste que les mécanismes de justice transitionnelle soient adaptés aux diverses sensibilités historiques, culturelles et religieuses.  Les délais imposés de l’extérieur ne peuvent qu'entraver le processus de réconciliation.  Nous jugeons important, a souligné la représentante, de tracer notre propre chemin vers la réconciliation.  Nous sommes engagés à trouver des solutions innovantes et pragmatiques fondées sur le contexte national pour protéger nos intérêts, guidés en cela par la Constitution et les aspirations des citoyens.

M. OMAR KADIRI (Maroc) a remarqué que la justice et la paix demeurent deux principes complémentaires.  La réconciliation et la consolidation de la paix sont étroitement liées au respect et à l’application de la loi.  Tout mécanisme de justice transitionnelle doit tenir compte de la spécificité du contexte et veiller à l’appropriation nationale ainsi qu’à la participation des femmes et des jeunes.  Il est important de privilégier la médiation dans ce contexte et d’y associer les chefs religieux, a fait valoir le représentant.  Il a également estimé qu’il est nécessaire que le dialogue local puisse alimenter le dialogue national, assurant ainsi l’inclusivité et l’appropriation nationale de tout processus de justice transitionnelle.

M. MARK ZELLENRATH (Pays-Bas) a d’abord raconté l’histoire d’Adbelkarin, un jeune réfugié syrien, qui disait lors d’une conférence sur la santé mentale et le bien-être psychosocial, à Amsterdam: « aux personnes qui me voient comme un réfugié traumatisé, je leur dis : regardez-moi maintenant, je ne suis plus une victime, je suis une personne qui a des compétences et une expertise pour soutenir ma communauté ».  Le représentant a ensuite axé son discours sur la centralité des victimes, la participation effective et sur l’importance de la santé mentale et du soutien psychosocial.  Pour avancer, les processus de justice transitionnelle doivent reconnaître l’expérience des victimes et leur besoin de justice, leurs droits et la nécessité qu’ils recouvrent leur dignité.  En Colombie, les victimes ont été entendues directement lors du processus de paix à La Havane.  Leur implication a montré que la paix et la justice ne s’excluent pas.  Dans les futurs processus de paix, a ajouté le représentant, la voix des victimes doit être entendue pour éviter les amnisties générales en violation du droit international. 

Le représentant a ensuite insisté sur la participation des victimes tout au long du processus.  Rendre une justice transitionnelle efficace n’est pas une question technique.  L’effort doit être adopté localement et adapté soigneusement au contexte.  Il doit être vécu par les victimes et les populations affectées comme un élément véritablement transformateur, comme ce fut le cas en Afrique du Sud.  Les mécanismes internationaux, tels que les tribunaux internationaux, ont un rôle à jouer, mais principalement comme complément lorsque les institutions locales ne parviennent pas à rendre justice aux victimes. 

Avant de terminer, M. Zellenrath a lancé un appel pour que l’on ne néglige pas la santé mentale des victimes.  Les traumatismes psychiques doivent être guéris, mais dans les situations de crise, ils sont trop souvent ignorés.  Mon appel est d’intégrer structurellement la santé mentale et le soutien psychosocial dans les réponses.  Ils doivent faire partie intégrante de tout effort de paix et de réconciliation dès le départ pour que des gens comme Abdelkarim dépassent leur victimisation.  C’est comme cela que les sociétés iront outre leur passé trouble et relègueront leurs conflits dans l’histoire. 

Mme VANESSA FRAZIER (Malte) a expliqué que ce n’est que lorsque les auteurs de crimes graves sont traduits en justice que la transition peut commencer et que les victimes peuvent entamer le processus de guérison.  Elle a déploré le fait que l’impunité soit encore de mise pour les violences commises en temps de conflits armés.  Elle a salué les progrès fait pour rendre justice, notamment par le biais de la CPI qui combat notamment la violence sexuelle en temps de conflit armé.  Malte soutient le travail de la Cour qui est, à ses yeux, un agent indépendant de justice transitionnelle.  Nous saluons également le travail des Tribunaux pénaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda qui a permis de faire évoluer la pratique en passant de l’impunité à la responsabilité, a conclu le représentant. 

Mme LOUISE BLAIS (Canada) a rappelé que son pays a été l’un des premiers adeptes de la justice pénale internationale, incarnée par la CPI.  Dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, les enquêtes criminelles et les poursuites ne suffisent pas à la reconnaissance des responsabilités d’événements passés, a-t-elle dit.  La justice consiste aussi à établir l’historique des responsabilités des individus et des institutions dans la commission d’atrocités, à remédier à l’exclusion sociale, à réformer les institutions et à aboutir à un certain degré de réconciliation entre les responsables de violations et les victimes.  « La justice transitionnelle n’a pas de pouvoirs magiques », a-t-elle déclaré, ajoutant que la réparation est un processus long et douloureux.

La centralité de la voix des victimes et de leurs familles a été essentielle pour nos propres processus de justice transitionnelle, a-t-elle poursuivi.  En cherchant une réconciliation avec les peuples autochtones au Canada, nous procédons à l’exploration, difficile mais nécessaire, de notre traitement de ces peuples et des moyens de réparation des souffrances qu’ils ont endurées.  La représentante a reconnu que l’histoire de ces peuples a été une histoire d’humiliation, de négligence et d’abus.  Elle a évoqué l’expropriation et l’exclusion des peuples Inuit et des Premières Nations de leurs propres terres et le déni systématique des droits et de l’histoire des métis.  Nous avons établi deux commissions fédérales, a-t-elle dit.  L’une est chargée de documenter l’histoire et les conséquences durables du système résidentiel et scolaire ayant abouti à la séparation d’enfants âgés parfois de seulement 5 ans de leurs familles.  L’autre commission, sur les femmes et filles autochtones portées disparues et assassinées, est chargée d’examiner les causes systémiques de toutes les formes de violences perpétrées contre ces femmes, y compris les violences sexuelles.

En conclusion, la représentante a cité les mots du Premier Ministre en 2017: « L’échec des gouvernements canadiens successifs à respecter les droits des peuples autochtones du Canada est notre grande honte.  Et pour nombre de peuples autochtones, ce manque de respect pour leurs droits perdure encore. »

M. LANG YABOU (Gambie) a fait part de l’expérience de son pays qui est sorti de l’emprise d’une « dictature brutale » pour devenir une démocratie « vibrante ».  Il a indiqué qu’avant de mettre en place un processus de justice transitionnelle, le Gouvernement a organisé une consultation nationale dans le but d’obtenir le consentement de la population à un processus inclusif pris en main et géré sur le plan national, avec la participation active des femmes et des jeunes.  À la suite de cette consultation, le Gouvernement a mis en place la Commission vérité, réconciliation et réparation.  Une commission de réforme constitutionnelle a également vu le jour pour répondre aux demandes de la population, de la société civile et des médias sur le renforcement de l’état de droit, a expliqué le représentant.  Pour aller encore plus loin, la Gambie s’est dotée d’une Commission des droits de l’homme.  Le plan de développement a également été partagé avec la population dans le but de la rassurer sur son avenir, a poursuivi le représentant avant de concéder qu’il reste cependant à progresser sur le plan de la sécurité.  Le Bureau du Conseiller pour la sécurité nationale est désormais chargé de la mise en œuvre de la stratégie pertinente.  Avant de conclure, le représentant a salué le rôle positif de la Commission de consolidation de la paix.

M. ROBERT KAYINAMURA (Rwanda) a rappelé qu’après le génocide perpétré contre les Tutsi, le Rwanda a dû se tourner vers les moyens de rendre justice, tourner la page et avancer.  Ce processus de recherche de la vérité et de la justice, a-t-il noté, ne visait pas les représailles, mais plutôt la guérison, l’éducation et la construction des relations fondées sur la force de la communauté, l’intérêt collectif et la paix.  Les autorités ont donc compris qu’il fallait se tourner vers la tradition pour répondre à la demande de justice, réparer la perte de plus d’un million de vies et traduire les milliers d’accusés en justice.  C’est ainsi que le Gouvernement a remis au gout du jour les tribunaux traditionnels dénommés « Inkiko Gacaca », plus connus sous le vocable « Gacaca ».  Ainsi, l’engouement populaire a donné une certaine légitimité au sein de la population, et en fin de compte, a permis de remettre ensemble des groupes opposés, afin de faire avancer le pays. 

Le représentant a expliqué que les procès « Gacaca » ont permis de promouvoir la réconciliation en offrant des explications aux familles des victimes.  Dans le même temps, les auteurs ont eu l’occasion de se confesser, de faire amende honorable et de demander pardon devant les membres de la communauté.  Pour les Rwandais, ces tribunaux ont permis aux femmes et hommes ordinaires de jouer un rôle central dans les procédures et de gérer rapidement de nombreuses affaires liées au génocide.  Les Rwandais se sont approprié le processus de justice et ont travaillé ensemble pour trouver des solutions et avancer. Aujourd’hui, a poursuivi M. Kayinamura, les retombées parlent d’elles-mêmes: une économie florissante et une société dans laquelle le droit à une vie digne est de mise.  Le délégué a estimé que des initiatives locales comme les « Gacaca » doivent être soutenues, car elles sont plus directes, ont un impact durable sur les populations et sont moins onéreuses.

En conclusion, le représentant a souligné qu’en 10 ans, les tribunaux « Gacaca » ont jugé plus de 1,9 million de suspects et ont aidé les familles à recouvrer les restes de leurs proches afin de les enterrer dans la dignité.  Ces tribunaux ont également permis de promouvoir le pardon et donner l’occasion aux criminels de se confesser et de demander pardon à la communauté.

Pour M. MOHAMMED HUSSEIN BAHR ALULOOM (Iraq), la justice transitionnelle est un pilier essentiel dans les sociétés post-conflit.  Il ne peut y avoir de stabilité sans justice pour les victimes des groupes terroristes ou du régime Baath du passé.  Le représentant a fait état de 200 fausses communes et plus de 12 000 corps dans les territoires sous contrôle de Daech.  Mais la justice transitionnelle se heurte à un ensemble d’obstacles, dont le moindre n’est pas la présence des groupes terroristes. Le Gouvernement a néanmoins fait le procès public de hauts responsables de l’ancienne dictature et mis en place un certain nombre d’institutions chargées de ces questions.  Le Gouvernement accorde des réparations financières et morales aux familles des victimes et met l’accent sur les femmes et les jeunes, a assuré le représentant.  Des places spéciales sont réservées dans les universités aux familles des martyrs et des prisonniers politiques. 

En janvier 2015, l’Assemblée nationale a fondé le Conseil consultatif des organisations de la société civile en matière des droits de l’homme, a poursuivi le représentant qui a assuré que son gouvernement fait son possible pour asseoir la paix et la stabilité.  Il a regretté que par le passé la justice transitionnelle ait fait les frais des circonstances externes.  Mais, s’est-il réjoui, une nouvelle étape s’est ouverte avec la Haute Instance nationale pour la justice et la réparation, entre autres.  L’Iraq veut mettre en œuvre la Constitution de 2005 pour dépasser le lourd legs du passé, a indiqué le représentant qui a une nouvelle fois dénoncé les obstacles du terrorisme, de la corruption et de la jeunesse de la démocratie.

M. JOÃO IAMBENO GIMOLIECA (Angola) a rappelé que la guerre civile avait fait rage dans son pays de 1974 à 2002.  Dans le contexte post-conflit marqué par la réconciliation, le pays a focalisé ses actions sur la construction de grandes infrastructures et le relèvement de pans entiers de l’économie, notamment les secteurs de l’éducation et de la santé.  Les autorités ont également mis en place un plan de démobilisation et de réintégration afin d’assurer la transition de la vie militaire à la vie civile.  Elles ont adopté un modèle de justice transitionnelle ancré dans les principes de réconciliation, de pardon et de vérité, avec le but de pérenniser la paix.  Une Commission interministérielle de réconciliation a donc été mise en place, afin de « relier le passé et l’avenir » et jeter les bases d’une paix intégrale qui pourrait servir de modèle aux pays voisins, a estimé le représentant.

M. IVAN SOMONOVIC (Croatie) a souligné que la justice transitionnelle est un processus qui prend du temps.  Ce processus a d’ailleurs débuté en Croatie au début des années 1990 au cours de la guerre qui faisait rage dans l’ex Yougoslavie, et il est toujours en cours de nos jours.  Il a rappelé que son pays fut un fervent soutien de la création du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie.  Même si son travail n’a pas été très satisfaisant, le Tribunal a tout de même permis de donner la parole aux victimes.  Le système judiciaire de la Croatie a également avancé sur la question des crimes de guerre, a-t-il affirmé, avant d’ajouter que l’opinion publique a aussi changé et est désormais acquise à l’idée que tout crime doit être puni, quel que soit l’affiliation des victimes ou des auteurs.

Le délégué a indiqué qu’en Croatie, certaines victimes de violence sexuelle, leur famille et leur communauté font toujours face aux conséquences de ces actes.  Une loi adoptée en 2015 a permis de dédommager certaines de ces victimes.  Mais il faut de la patience en matière de justice transitionnelle.  Aujourd’hui, Omar el-Béchir, Ratko Mladić et les autres qui avaient bénéficié jusqu’ici de l’impunité tout en occupant le pouvoir font désormais face à la justice, a fait observer le représentant.

M. YURIY VITRENKO (Ukraine) a insisté sur l’importance de la justice transitionnelle dans son pays qui a est victime d’une agression étrangère toujours en cours.  Faute de temps, le délégué a décidé de ne pas détailler les procédures judiciaires, en particulier devant la Cour internationale de Justice, pour que les responsables des crimes de guerre et des violations commis dans les territoires temporairement occupés répondent de leurs actes.  Il a, en revanche, détaillé les mécanismes de justice transitionnelle mis en place par les autorités ukrainiennes. Il a ainsi mentionné le Groupe de travail, créé au sein de la Commission de la réforme juridique elle-même établie en 2019 par décret présidentiel, pour réfléchir à la réintégration des territoires temporairement occupés.  Ce Groupe de travail est chargé d’élaborer le modèle de justice transitionnelle, d’amender les prétendues dispositions discriminatoires de la législation ukrainienne et de rédiger la stratégie de « désoccupation » et de « réintégration » pour la Crimée et le Donbass.  Le Groupe de travail travaille avec des experts internationaux des droits de l’homme au développement d’un concept de protection des droits de l’homme, après les conséquences dévastatrices du conflit armé. 

La représentante de la Fédération de Russie a réagi aux déclarations de la Géorgie et de l’Ukraine qu’elle a accusées de propager systématiquement des allégations mensongères contre son pays.  Les répéter n’en fera pas une vérité, a-t-elle asséné, avant d’appeler ces pays à contribuer de façon positive aux réunions des Nations Unies et à ne pas y faire entrer des questions qui sortent du cadre.

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