ECOSOC/7041

L’ECOSOC réfléchit aux moyens de mettre les politiques fiscales au service de la lutte contre les inégalités, les changements climatiques et les systèmes de santé défaillants

Comment faire des administrations et politiques fiscales une arme efficace contre les inégalités, les changements climatiques et la défaillance des systèmes de santé, dans le contexte d’une économie de plus en plus numérisée et du relèvement post-COVID-19?  C’est à cette question qu’a tenté de répondre aujourd’hui le Conseil économique et social (ECOSOC) lors de sa réunion spéciale sur la coopération internationale en matière fiscale, subdivisée cette année en trois tables rondes. 

Plusieurs fiscalistes et économistes ont donné les premiers éléments de réponse dont de haut responsables de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), de l’Université de Pretoria, de l’Université Columbia, du Fonds monétaire international, sans oublier les membres du Comité d’experts des Nations Unies. 

Les répercussions de la pandémie de COVID-19, a souligné le Président de l’ECOSOC, M. Munir Akram, ont annihilé les gains du développement, dans le monde entier, et exacerbé les inégalités dans les pays et entre eux, alors que l’on n’était déjà pas sur la bonne voie pour réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et l’Accord de Paris sur le climat.  Une véritable coopération internationale en matière fiscale peut donner aux pays, a-t-il estimé, les moyens de rebondir, en particulier en s’attaquant aux flux financiers illicites, à l’évasion et à la fraude fiscales.  

Les discussions ont donné lieu à des commentaires sur l’opportunité d’un instrument universel sur la coopération internationale en matière fiscale, d’un accord international sur une imposition minimale des multinationales, d’un autre type de taxe carbone, d’une « taxe écologique à la frontière », ou encore d’un impôt de solidarité ou sur les grandes fortunes.  Cette idée a été particulièrement appuyée par la professeure de droit fiscal à l’Université de Pretoria, qui a affirmé que sur le plan mondial, les très riches représentent quelque 11 500 milliards de dollars qu’ils envoient à l’étranger pour contourner l’impôt, comme l’ont montré les « Panama papers ».  La professeure n’a pas pour autant écarté le risque d’une « rébellion fiscale », à savoir la fuite des grandes fortunes. 

L’Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a dit placer beaucoup d’espoirs dans le Symposium fiscal de haut niveau et la Conférence sur le climat qui se tiendront à Venise au mois de juillet, une occasion « unique » de discuter de l’accélération de la transition mondiale vers des sociétés plus durables, plus inclusives et plus équitables.  M. Achim Steiner a reconnu que « taxer équitablement est un défi autant juridique que politique ». 

Les débats, s’est en conséquence réjoui le Président de l’ECOSOC, ont montré comment les politiques fiscales peuvent être remodelées pour assurer des investissements dans l’égalité d’accès à l’éducation, à la santé et à la protection sociale.  Il s’agit d’instruments « puissants » pour redistribuer les ressources.  Par exemple, des taxes « bien conçues » sur l’alcool, le tabac et les boissons sucrées peuvent générer des revenus à investir dans la santé publique.  La fiscalité est cruciale pour mobiliser les ressources nationales mais son potentiel et sa portée sont bien plus larges.  Réaliser les objectifs de développement durable et reconstruire en mieux dépendront non seulement de la quantité des recettes collectées mais également de la qualité de leur affectation, a souligné le Président de l’ECOSOC, dans sa déclaration de clôture. 

RÉUNION SPÉCIALE DU CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL SUR LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EN MATIÈRE FISCALE 

Déclarations liminaires

M. MUNIR AKRAM, Président du Conseil économique et social (ECOSOC), a ouvert cette séance, en constatant que, dans le monde entier, les répercussions de la pandémie de COVID-19 ont annulé des gains de développement et exacerbé les inégalités dans les pays et entre eux.  Avant même cette crise mondiale, nous n’étions sur la bonne voie ni pour la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030, ni pour les engagements pris au titre de l’Accord de Paris sur le climat, a-t-il reconnu.  Il a renvoyé au Document final du dernier Forum sur le financement du développement, reflet du consensus sur les mesures clefs pour garantir le relèvement post-COVID-19.  Ce Document, a-t-il souligné, donne des orientations sur les pistes à suivre pour une coopération internationale axée sur l’avenir, y compris sur le plan fiscal.  À ses yeux, une véritable coopération internationale en matière fiscale permettrait aux pays de financer des infrastructures publiques transfrontières et des systèmes de santé plus résilients. 

Observant par ailleurs que nous vivons dans un monde de plus en plus interconnecté, comme le montre le système financier international, le Président de l’ECOSOC a estimé que les États Membres doivent travailler ensemble pour faire cesser la tendance des flux financiers illicites, et de l’évasion et la fraude fiscales.  Il a noté à cet égard qu’une taxe mondiale a déjà été proposée pour les grandes entreprises qui échappent à l’impôt.  Il faut demander aux multinationales qu’elles partagent leurs informations financières de manière transparente, a-t-il plaidé, jugeant en outre que des réformes en matière de taxation internationale sont nécessaires, notamment par le biais d’un instrument universel en faveur duquel des appels ont été lancés à plusieurs reprises.  

Étant donné qu’il n’existe pas d’enceinte unique pour la coopération internationale en matière fiscale, ces appels pourraient déboucher, selon lui, sur la création d’un organe international chargé de ces questions et placé sous l’égide de l’ECOSOC.  Pour M. Akram, il est essentiel de mobiliser des recettes pour financer une reprise durable après la pandémie.  Il convient d’aider les pays en développement à lever correctement l’impôt et à lutter contre l’évasion fiscale, pour qu’ils puissent avancer dans la réalisation des objectifs de développement durable, en dépit des défis auxquels ils font face. 

Invitée à prendre la parole par le Président de l’ECOSOC, Mme CARMEL PETERS, Coprésidente du Comité d’experts des Nations Unies sur la coopération internationale en matière fiscale et Directrice de l’Administration fiscale de la Nouvelle-Zélande, a indiqué que le Comité fait office d’organe expert de l’ECOSOC. Ses 25 membres, désignés par les gouvernements et nommés par le Secrétaire général, agissent à titre personnel et non en tant que représentants de pays, a-t-elle précisé.  Le Comité, dont la composition change tous les quatre ans, travaille avec la participation active d’observateurs des États Membres et d’autres organisations internationales, du monde universitaire, de la société civile et du secteur privé.  Il vise à aider les pays à mobiliser des ressources nationales pour le développement durable en élargissant leur assiette fiscale, en renforçant l’administration fiscale et en luttant contre l’évasion et la fraude fiscales.  Pour ce faire, a indiqué Mme Peters, le Comité élabore des directives à l’intention des gouvernements et des administrateurs fiscaux afin de soutenir à la fois les politiques fiscales nationales et la coopération fiscale internationale. 

Notant à son tour que la COVID-19 et ses impacts sociaux et économiques ont aggravé les vulnérabilités et les risques à travers le monde, elle a assuré que le Comité fournit une plateforme unique pour se pencher sur les préoccupations des pays en développement, en examinant notamment les moyens d’ajouter de la valeur au système international dans son ensemble.  Dans sa composition pour la période 2017-2021, le Comité a ainsi généré une multitude d’outils et de produits visant à accroître la mobilisation de ressources nationales pour financer les objectifs de développement durable et reconstruire en mieux après la pandémie, a-t-elle indiqué, évoquant par exemple l’inclusion de l’article 12B et de son commentaire dans le modèle de convention des Nations Unies sur la double imposition.  Cela permettrait à un État contractant de taxer les revenus de certains services numériques payés à un résident d’un autre État contractant.  Tous les membres n’étaient d’accord sur cette approche, mais nous sommes convenus qu’elle devait être incluse de manière à aborder différents points de vue de manière transparente et coopérative, a expliqué la Coprésidente du Comité.  

Elle a ensuite précisé que d’autres changements apportés au modèle de convention des Nations Unies le rendent plus clair et plus utile, notamment dans le traitement des vecteurs de placement collectif et des ventes offshore, afin d’éviter que des biens nationaux ou autres actifs échappent à l’imposition. 

Prenant à son tour la parole, M. ERIC NII YARBOI MENSAH, l’autre Coprésident du Comité d’experts des Nations Unies sur la coopération internationale en matière fiscale et ancien Commissaire adjoint de l’Administration fiscale du Ghana, a ajouté que le Comité a également lancé des directives sur le traitement fiscal des projets d’aide de gouvernement à gouvernement.  Ces directives représentent, selon lui, une réponse pratique au débat international sur l’élimination des exonérations fiscales sur de tels projets, contribuant ainsi à mobiliser des ressources pour financer les systèmes de santé et autres services publics. 

Il a d’autre part indiqué qu’au moment où les effets des changements climatiques deviennent une réalité alarmante pour de nombreux pays, le Comité a élaboré un nouveau manuel sur la taxation du carbone et mis à jour son manuel sur les questions relatives à la fiscalité des industries extractives.  Tous deux destinés aux pays en développement, ces deux manuels fournissent des orientations cruciales aux gouvernements dans leurs efforts pour décarboner leur économie et protéger l’environnement, tout en garantissant une juste part des revenus provenant des combustibles fossiles qu’ils choisissent de produire, sans oublier la taxation appropriée des activités polluantes, a-t-il précisé. 

Le Coprésident du Comité a également fait état de la mise à jour du Manuel des Nations Unies sur la fixation des prix de transferts pour les pays en développement.  Ce document vise à les aider dans leur lutte contre les transferts de bénéfices, en donnant des conseils et des exemples pratiques, en particulier sur les transactions financières intragroupes.  

Pour aider à réduire le coût de l’observation pour les contribuables, le Comité a aussi élaboré le Manuel sur la prévention et le règlement des différends, a poursuivi M. Mensah, soutenant que de telles mesures sont importantes pour parvenir à un équilibre entre la nécessité de percevoir des recettes et celle d’attirer et de conserver les investissements étrangers.  Atteindre le bon équilibre contribue à une mobilisation efficace à long terme des ressources nationales, a affirmé cet expert. 

Il a encore indiqué que le Département des affaires économiques et sociales (DAES) et ses partenaires fournissent un soutien intégré en matière de politiques et de renforcement des capacités aux pays en développement sur la base de l’élaboration de normes et des conseils pratiques du Comité, lequel a vu son rôle croître ces quatre dernières années au sein du système de l’ECOSOC. 

Justement, M. LIU ZHENMIN, Secrétaire générale adjoint aux affaires économiques et sociales, a rappelé que l’ECOSOC organise cette réunion spéciale, tous les ans, depuis 2017 en tant que « plateforme mondiale pour l’examen intergouvernemental des questions fiscales » et pour garantir que la mobilisation des ressources nationales contribue à la réalisation des objectifs de développement durable.  Constatant, lui aussi, que la crise de santé mondiale liée à la COVID-19 a dégénéré en crise économique et sociale, inversant les progrès du Programme 2030 et aggravant les inégalités socioéconomiques, il a souligné que, dans le même temps, les catastrophes naturelles et la dégradation de l’environnement exigent une action urgente. 

Alors que nous cherchons des solutions à ces deux défis, un déclin marqué des recettes fiscales et des dépenses de relance vident les coffres des États, a-t-il poursuivi, avertissant qu’il ne sera pas possible de surmonter ces défis et d’éviter « une décennie perdue de développement » sans renforcer la mobilisation des ressources nationales et la coopération fiscale internationale.  « Nous voulons et nous devons reconstruire.  Mais nous devons le faire en mieux, d’une manière qui aborde les inégalités socioéconomiques structurelles, à l’intérieur et entre les pays, et protège notre environnement », a martelé M. Liu.  

Évoquant les résultats du récent Forum sur le financement du développement, il a pris note que les États et les acteurs institutionnels ont souligné le rôle fondamental de systèmes fiscaux progressifs pour lutter contre les inégalités socioéconomiques.  Il s’est fait l’écho, à cet égard, de l’appel du Secrétaire général, exhortant les gouvernements à envisager un impôt de solidarité ou sur la fortune pour ceux qui ont réalisé des profits pendant la pandémie, et ce, afin de réduire les inégalités extrêmes.  L’ONU, a-t-il dit, continue pour sa part de jouer un rôle crucial, en aidant les pays à renforcer les capacités de leurs administrations fiscales afin de garantir que les recettes fiscales puissent être générées et collectées. 

M. Liu a également souligné l’appel du Secrétaire général à une riposte à la pandémie qui inclue l’action et la protection de l’environnement, afin d’aligner tous les efforts de relèvement sur le Programme 2030 et l’Accord de Paris.  « Nous devons faire le saut qualitatif vers la neutralité carbone », a-t-il affirmé, estimant que la fiscalité a un rôle clef à jouer puisque « tarifer le carbone déplacerait essentiellement la charge fiscale des contribuables aux pollueurs ».  

Le Secrétaire général adjoint a par ailleurs noté que la COVID-19 a exposé les énormes risques créés par le sous-investissement dans nos systèmes de santé. Aujourd'hui, a-t-il indiqué, nous voulons mettre en lumière la manière dont la politique et l’administration fiscales peuvent soutenir une reprise durable et résiliente.  À ses yeux, cela peut se faire par le biais de mesures fiscales visant à réduire la consommation de tabac, d’alcool et de boissons sucrées ou en investissant certaines recettes fiscales dans les systèmes de santé publique.  

En fin de compte, a conclu M. Liu, nous devons progresser vers un système fiscal international qui prenne en compte les intérêts de toutes les parties prenantes et permette aux pays de taxer la création de valeur à l’intérieur de leurs frontières.  Dans cet effort, les citoyens, y compris ceux en dessous des seuils d’imposition, sont des « parties prenantes essentielles », a-t-il souligné. En effet, ces citoyens attendent à juste titre des systèmes fiscaux qu’ils répondent aux défis de notre temps et protège l’intérêt général et le développement durable pour tous et pour les générations futures. 

De son côté, Mme ANNET WANYANA OGUTTU, professeure de droit fiscal au département fiscalité de l’Institut africain des impôts de l’Université de Pretoria, en Afrique du Sud, a fait valoir que l’une des mesures fiscales à adopter prioritairement pour remédier à l’aggravation des inégalités en ces temps de pandémie est l’imposition des personnes extrêmement riches, celles qui ont accumulé d’immenses richesses nettes couvrant les actifs nets des individus et de leur famille.  Sur le plan mondial, a-t-elle précisé, cette richesse représente quelque 11 500 milliards de dollars envoyés pour l’essentiel à l’étranger pour éviter l’imposition.  Elle a rappelé à ce sujet que des affaires comme celles des « dossiers du Panama » ont montré que les personnes très riches cachent souvent leur richesse dans des endroits secrets.  De fait, l’administration fiscale a du mal à les imposer en raison de la complexité de leurs affaires et de leurs liens politiques.  

Notant que cette situation nuit à l’égalité de la fiscalité, Mme Oguttu a cependant observé qu’avec la crise actuelle, « la tolérance en matière d’évasion fiscale est à son niveau le plus bas ».  Certains pays taxent ces personnes, d’autres lèvent des impôts sur la fortune, en y intégrant les héritages et les transferts d’actifs, s’est-elle félicitée, avant de reconnaître qu’il existe des contraintes à l’introduction de tels impôts, notamment en matière d’efficacité fiscale.  Les personnes très riches bénéficient souvent d’exonérations fiscales ou parviennent aisément à cacher certains aspects de leur richesse, a-t-elle relevé, ajoutant que les impôts sur la fortune peuvent aussi entraîner un non-rapatriement des capitaux.  De surcroît, les personnes très riches ont les moyens d’adopter des stratégies d’évitement, par exemple en confiant leurs biens à des fondations.  

Alors que l’essentiel de la charge fiscale incombe à la classe moyenne, de nombreux pays ont abandonné l’imposition de la richesse nette par crainte de voir s’envoler les capitaux.  Si des appels sont aujourd’hui lancés pour leur réintroduction, des pays traînent les pieds car ils ont peur que les très riches s’en aillent, ce qui entraînerait une réduction importante de l’assiette fiscale. Au lieu de créer un impôt sur la fortune en tant que tel, les pays en développement peuvent au moins taxer certaines formes particulières de richesses, a-t-elle recommandé, préconisant par exemple l’introduction de taxes sur l’immobilier au-delà d’un certain montant ou encore sur les dividendes et les services personnels.  

Les chiffres montrent que l’impôt sur le revenu représente 25% du PIB des pays de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), contre 17% pour les pays africains.  Selon elle, cela s’explique en partie par le fait que ces pays n’imposent pas suffisamment les riches sur les recettes tirées de leurs investissements.  En effet, a-t-elle ajouté, les personnes très riches investissent beaucoup dans des actifs financiers en Afrique, mais échappent à l’impôt grâce à l’évasion.  Pour y remédier, a-t-elle avancé, les administrations fiscales peuvent obtenir des données auprès des banques pour détecter ces types d’actifs ou encore les voitures de luxe, les actions dans les grandes entreprises et les maisons de vacances.  De plus, les taxes sur les plus-values peuvent aussi être utilisées pour imposer les très riches de manière efficace. 

Pour obtenir ces données, les administrations fiscales ont besoin d’une « volonté politique forte », a noté Mme Oguttu, saluant à cet égard la création par des pays comme l’Australie, l’Indonésie et l’Ouganda d’unités spécialisées dans la fiscalité des personnes les plus aisées.  Alors que ces dernières dissimulent leurs actifs à l’étranger, la coopération internationale est nécessaire pour obtenir une véritable transparence fiscale, a-t-elle souligné, se disant convaincue que de nombreux pays pourront récupérer des sommes importantes par ce biais.  Cela étant, beaucoup n’ont pas encore profité de ces échanges automatiques d’informations en raison de contraintes administratives, a regretté la professeure, en appelant les gouvernements à mettre en œuvre ces mesures sans attendre.  À son avis, la crise liée à la COVID-19 crée une rare occasion d’imposer les personnes très riches avec l’appui du public, ce qui peut contribuer à davantage de recouvrement fiscal.  

Sans parler des incitations fiscales accordées aux investisseurs étrangers, Mme LISELOTT MARGARETA KANA, Chef de la législation internationale du Service des recettes internes du Chili, lors de la Table ronde sur le thème « Fiscalité et inégalités », s’est attardée sur les exemptions et déductions fiscales.  Elle a dit partir d’une préoccupation de son ancien Ministre des finances qui a créé en 2000 une Commission pour identifier les outils de politique économique les plus adéquats pour la croissance, la réduction des inégalités et le financement d’un agenda social ambitieux.  Qui dit exemption dit traitement préférentiel et indirectement trou dans le trésor public. 

La Commission a conclu qu’une stratégie durable nécessite une approche commune du système fiscal qui inclut les aspects liés à l’équité, à la collecte, aux incitations, à l’épargne et à la croissance économique.  Le Chili, a-t-elle expliqué, prévoit une exemption pour les capitaux tirés des actions en bourse pour encourager le développement du marché local des capitaux et y promouvoir l’accès du plus grand nombre.  La question est donc savoir si une telle politique ne désavantage pas ceux qui n’ont pas les moyens d’investir en bourse.  En conséquence, l’on a avancé l’idée de limiter l’exemption aux investisseurs institutionnels, dont les fonds de pension auxquels participent d’ailleurs les ménages à bas revenu. 

Il est ressorti des travaux de la Commission que l’efficacité des exemptions dans la réduction des inégalités doivent être évaluées régulièrement pour aider les décideurs à voir si un avantage fiscal peut être remplacé par un autre outil servant le même objectif de manière encore plus efficace ou en tout cas plus équitable. 

Répondant à une question du modérateur, M. SERGIY KYSLYTSYA, Vice-Président de l’ECOSOC, sur les difficultés qu’il y a à imposer le secteur informel, un problème commun aux pays en développement, Mme Kana a répondu que les impôts indirects sont plus faciles à administrer. 

La question du renforcement des capacités grâce à la coopération fiscale a été abordée par Mme ELFRIEDA STEWART TAMBA, membre du Comité d’experts des Nations Unies sur la coopération internationale en matière fiscale et ancienne Commissaire générale de l’Administration fiscale du Libéria.  Il faut d’abord, a-t-elle souligné, un engagement national, régional et international au plus haut niveau. Au niveau national, il faut, a-t-elle poursuivi, une stratégie globale de mobilisation des ressources domestiques fondées sur les réformes envisagées et une stratégie de croissance des recettes, assorties d’un calendrier de mise en œuvre avec des résultats quantifiables.  La stratégie de mobilisation des ressources domestiques doit être un élément essentiel des plans nationaux et régionaux.  

Il faut aussi, a poursuivi l’oratrice, partager les informations sur les plans national, régional et international.  Elle a donné comme exemple d’une collaboration, un partage d’informations sur la paie des salariés entre une agence de sécurité sociale et une autorité fiscale.  Il faut en outre, a-t-elle ajouté, harmoniser les politiques fiscales, ce qu’envisage de faire d’ailleurs la Communauté des États d’Afrique de l’Est.  Un système harmonisé, a-t-elle argué, pourrait contribuer à une concurrence « plus positive » dans d’autres secteurs, notamment celui des infrastructures de développement.  Enfin, elle a appelé les donateurs à accroître leurs investissements dans le renforcement des capacités techniques.  Elle a conclu en se disant favorable aux « inspecteurs du fisc sans frontières », mais elle a aussi plaidé pour un appui à la formation des auditeurs africains. 

M. PASCAL SAINT-AMANS, Directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a abordé la question des inégalités, qui revient, selon lui à la répartition des richesses au sein des pays, mais également entre pays comme par exemple en matière de vaccins.  Dans l’environnement mondial actuel, il faut se demander quel est le rôle que l’on veut donner à la fiscalité car les politiques fiscales peuvent contribuer à reconstruire en mieux au lendemain de la pandémie.  Imposition plus équitable ne veut pas forcément dire imposition plus élevée. 

Partisan de la coopération internationale en matière fiscale, il a estimé qu’elle porte sur les questions essentielles de l’assistance technique, de la formation des auditeurs ou encore de la lutte contre les flux financiers illicites et l’évasion fiscale.  M. Saint-Amans en a profité pour défendre un accord international sur « une taxe minimale » pour les grandes entreprises.  Les États-Unis, a-t-il rappelé, ont présenté des projets « ambitieux » notamment pour imposer « les gagnants de la mondialisation ». 

L’orateur a voulu effacer le sentiment que l’OCDE est là pour servir les intérêts des pays les plus riches d’Europe occidental.  Il a fait observer que le Cadre global pour la transparence de l’OCDE englobe aujourd’hui plus de 100 pays et celui sur la fiscalité internationale regroupe 129 pays.  « Les choses changent pour le mieux », a affirmé M. Saint-Amans qui a affirmé que les pays riches sont en train de prendre conscience des enjeux, et notamment du fait qu’au bout du compte le refus de leurs multinationales qui ne payent pas d’impôts dans les autres pays ne leur profite pas.  La solidarité mondiale est aujourd’hui « le maître mot », dans un contexte mondial où la pandémie de COVID-19 a montré à quel point nous sommes interconnectés, ce qui est aussi vrai pour le terrorisme et les besoins en matière de santé, a-t-il conclu. 

Oui comment lutter contre la fuite des « très riches » si l’on augmente l’impôt sur la fortune?  La professeure Oguttu a reconnu les risques de « rébellion fiscale ».  Plutôt que de créer un tel impôt, elle a recommandé le réexamen de l’impôt sur les revenus et sur les capitaux.  On pourrait aussi envisager l’idée d’un impôt au moment où ces personnes fortunées quittent leur pays, a estimé le Modérateur, M. Stephen Shay, Chercheur principal en fiscalité de la Faculté de droit de l’Université de Boston

Tous les intervenants se sont accordés sur l’importance d’une meilleure coopération fiscale internationale et d’une imposition « minimale » des multinationales, à commencer par les États-Unis qui ont exhorté ces multinationales à « payer leur dû » et plaidé pour des « flux financiers plus transparents. »  Il faut cesser le nivellement par le bas et le dumping fiscal, ont-ils dit, avant d’arguer que l’imposition minimale est une solution à envisager et espéré que les États Membres iront bientôt aller de l’avant.  Pour mettre fin aux paradis fiscaux, il nous faut, a acquiescé l’Allemagne, un cadre mondial d’imposition des multinationales.  Elle a rappelé que le G20 a demandé à l’OCDE de présenter un projet sur la question.  À l’OCDE, a annoncé M. Saint-Amans, l’on observe un nouvel élan dans les négociations depuis que les États-Unis ont retiré leur proposition concernant le pilier 1 relatif aux nouvelles règles permettant de déterminer le lieu où l’impôt doit être payé et la fraction des bénéfices qui doit être taxée sur la base d’une « approche unifiée ». 

La Fédération de Russie a souligné la pertinence du Cadre inclusif de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, afin d’élaborer des règles fiscales au niveau multilatéral.  Les discussions relatives au pilier 2 qui vise à résoudre d’autres problématiques s’agissant de cette érosion et de ce transfert et de l’imposition minimale des multinationales ont bien avancé, a déclaré M. Saint-Amans.  Le pilier 2 est donc finalisé, a-t-il dit, en promettant des règles fiscales qui protégeront les pays en développement.  C’est en effet le manque de coopération internationale qui accroît en effet les inégalités entre pays, a souligné, à son tour, la représentante du Bureau du Conseiller spécial pour l’Afrique.  Pour rester compétitifs, a-t-elle expliqué, les pays africains consentent à des exemptions fiscales qui ne font que rogner leur assiette fiscale.  « C’est un piège ».  La déléguée de la société civile pour le développement a continué d’insister sur la création « sans tarder » d’un mécanisme intergouvernemental inclusif en matière fiscale sous les auspices de l’ONU. 

Intervenant à la Table ronde sur le thème « Fiscalité et environnement », M. Joseph Stiglitz, économiste et Lauréat du prix Nobel de Faculté des affaires internationales et publiques de l’Université Columbia a souligné que pour relever les défis des changements climatiques, il faut s’appuyer sur une panoplie d’outils dont les réglementations, des exigences de la transparence, les obligations fiduciaires et les investissements publics, mais aussi sur la fiscalité qui peut jouer un rôle décisifs Les investissements doivent aller à la recherche et développement et à de nouvelles infrastructures, ce qui suppose des recettes partiellement levées par la fiscalité.  Il faut envoyer des signaux forts en faveur de la taxe écologique, pour favoriser  une économie plus verte et plus productive.   

Pour être efficace, la taxe carbone, a poursuivi M. Stiglitz, doit s’accompagner d’investissements publics et de meilleures réglementations.  D’ailleurs, a-t-il fait observer, l’un des premiers décrets de l’Administration Biden a porté sur une telle taxe pour atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris sur le climat.  Mais hélas, le prix retenu est trop bas, compte tenu d’une méthode de calcul remontant aux années 90 et donc dépassé.  Les changements climatiques sont un enjeu planétaire qu’il faut relever à l’échelle internationale, a insisté le professeur, en soulignant l’importance des taxes transfrontalières pour inciter chaque pays à participer activement à la lutte contre ce fléau. 

Directrice générale du Bureau de gestion de la dette publique de la Thaïlandeet Membre du Comité d’experts des Nations Unies en matière de coopération fiscale internationale,  Mme Patricia  Mongkhonvanit,  a aussi appuyé l’idée d’une taxe écologique.  Parlant en particulier de la Thaïlande, figurant parmi les 30 plus grands pollueurs, elle a indiqué que le Ministère des  finances étudie en ce moment les moyens d’imposer  le  gaspillage d’eau, la pollution de l’air, les émissions de CO2 et autres.  Par le biais d’un  mécanisme de taxe d’accise et de droits de douane, notamment sur les cylindrées et l’émission de dioxyde de carbone, la Thaïlande cherche à promouvoir des moyens des transports moins polluants, sans combustibles fossiles.  Les véhicules aux émissions  basses ou nulles seront soumises à une taxe d’accise de 8% , et les autres pourront payer jusqu’à 40%.   La Thaïlande impose également une taxe d’accise sur l’essence  alors que  le biocarburant est exempté. 

Les incitations fiscales représentent un autre outil fiscal pour influencer le comportement des entreprises qui bénéficient de toute une série d’exonérations fiscales.   Par exemple, celles qui achètent des produits  en plastique  biodégradable  peuvent  déduire 25% de leur impôt sur le revenu.  Mme  Mongkhonvanit  a également  abordé  la question du financement de la dette au service de l’environnement.    Elle a cité le cas de la première « obligation souveraine durable » lancée l’année dernière  par  la Thaïlande, une première  dans la région de l’Asie du Sud-Est.    La moitié du produit de  ces  obligations sera allouée aux dépenses sociales et l’autre à  un  projet  de voies ferrées dans  la  ville de Bangkok et à des projets de protection de l’environnement.  

À ce stade, moins d’un cinquième des fonds alloués au relèvement post-COVID-19 concernent des projets verts, ce qui est tout simplement « insuffisant », a alerté M. Kurt Van Dender, Chef de l’Unité fiscalité et environnement au Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.  Mais, il n’est pas trop tard, a-t-il dit, en prônant « une fiscalité au service du développement durable ».  En plus d’augmenter les recettes, ces taxes peuvent faire payer les pollueurs ou subventionner les solutions vertes grâce à des incitations fiscales.  Il est temps de cesser les subventions aux combustibles fossiles, s’est-il impatienté, avant d’attirer l’attention sur le rapport de l’OCDE intitulé « Fiscalité et énergie au service du développement durable ».  Il en ressort que supprimer les subventions aux combustibles fossiles permettrait de dégager 1% du PIB « ce qui n’est pas rien ». 

Soulignant le coût social de la pollution qui peut obérer la croissance économique, Mme LAURA RUIZ, Conseillère du Vice-Ministre des finances et du crédit public de la Colombie, a indiqué que, dans son pays, la tonne de CO2 vaut 5 dollars.  Une augmentation de cette tarification pourrait avoir des effets « pervers » sur la croissance, a-t-elle estimé, avant de détailler les mesures prises par son pays, dont la taxe sur les véhicules les plus polluants et sur le plastique à usage unique.  Les recettes générées sont affectées à un fonds de financement d’objectifs environnementaux, a précisé Mme Ruiz, en confirmant la volonté de son pays de réduire de moitié ses émissions de carbone. 

La question est complexe, a reconnu M. BARD VEGAR SOLHJELL, Directeur général de l’Agence norvégienne du développement.  Une taxe écologique peut fonctionner dans un pays et pas dans un autre pourtant même quand ils ont le même revenu par habitant.  Il a insisté sur la dimension politique de la question, avant de donner quelques éléments d’information sur le travail de son agence qui gère la moitié de l’aide publique au développement (APD) norvégienne.  Nous aidons des pays en développement à mettre un terme à la fuite des capitaux et à instaurer une fiscalité environnementale, a-t-il indiqué. 

Pour un monde plus vert, la solution réside dans « de nouvelles fiscalités innovantes », a confirmé M. ACHIM STEINER, Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).  Il a en particulier jugé « essentielles » la fiscalité environnementale, la tarification du carbone et l’élimination des subventions pour les combustibles fossiles.  Dans certains pays, a relevé M. Steiner, la taxation du carbone jouera un rôle central dans les stratégies d’atténuation des effets des changements climatiques car elle incite à investir à long terme dans des technologies faibles en carbone.  Elle fournit également des revenus importants qui peuvent être utilisés pour financer la protection sociale et subventionner le transport de la nouvelle génération à émission zéro.  

De l’avis de l’Administrateur du PNUD, les politiques budgétaires peuvent aussi être utilisées pour décourager les comportements et les pratiques nocives pour l’environnement.  Par exemple, les taxes sur les plastiques et les subventions sur les véhicules électriques peuvent conduire à l’utilisation de matériaux verts et « pousser » le comportement des clients dans la bonne direction. 

M. Steiner a noté, à cet égard, que les développements positifs s’accélèrent à travers le monde.  L’Union européenne discute ainsi d’une « taxe carbone à la frontière » sur les marchandises importées.  Dans le même temps, a-t-il relevé, des pays comme l’Indonésie mettent à jour leurs systèmes de taxation des véhicules pour tenir compte des émissions de CO2, tandis que la Présidence italienne du G20 s’emploie à faire avancer un accord sur la fiscalité environnementale.  À ses yeux, le Symposium fiscal de haut niveau et la Conférence sur le climat qui se tiendront à Venise en juillet offriront une occasion unique de discuter de l’accélération de la transition mondiale vers des sociétés plus durables, plus inclusives et plus équitables. 

De son côté, a-t-il poursuivi, le Groupe de travail du G20 sur le financement durable, dont le PNUD assure le secrétariat, examine les principales lacunes et obstacles dans la mobilisation des ressources.  Ce travail comprend la conception d’une feuille de route du G20, a précisé M. Steiner, avant de saluer l’annonce faite la semaine par les États-Unis d’un renforcement massif du financement public de l’action climatique afin d’aider les pays en développement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et à s’adapter à un climat changeant. 

Cependant, a-t-il encore souligné, « taxer équitablement est un défi autant juridique que politique ».  Les taxes environnementales, les prix du carbone et les mécanismes d’ajustement aux frontières peuvent avoir des conséquences asymétriques pour les pays à différents niveaux de développement.  Les gouvernements et les organisations internationales doivent par conséquent s’attaquer aux effets distributifs et veiller à ce que les réformes de la fiscalité environnementale ne créent pas de nouvelles inégalités. 

En conclusion, M. Steiner a paraphrasé le Secrétaire général en appelant les États à « mettre un prix sur le carbone, afin de passer de la taxation du revenu à celle du carbone ».  Il les a aussi enjoints à cesser leurs subventions pour les combustibles fossiles et à accélérer les investissements dans les énergies renouvelables et les infrastructures vertes. 

Au cours de la discussion interactive qui a suivi, la question du principe d’une taxe environnementale a été soulevée par le professeur Joseph Stiglitz.  Selon lui, « tout dépendra de notre capacité à corriger les inégalités », mais il ne peut être envisagé d’utiliser des ressources aussi limitées que celles de l’environnement « sans, dans une certaine mesure, les rendre payantes ».  Si les réglementations sont importantes, par exemple en matière de lutte contre la pollution, « ce que l’on veut, c’est que les populations réfléchissent à la réduction du carbone », a estimé le lauréat du prix Nobel d’économie.  

C’est là, à ses yeux, qu’intervient la question de la tarification.  Les personnes doivent considérer qu’il est utile pour elles de réduire leur empreinte carbone, a-t-il analysé, relevant que certains pays ont déjà imposé un prix au carbone, à 100 dollars/tonne.  « C’est donc possible », a assuré le professeur de la « School of International and Public Affairs » de l'Université Columbia.  Pour l’heure, les progrès en la matière sont encore modestes «  parce qu’on n’a pas accordé suffisamment d’attention aux processus redistributifs », a-t-il observé, évoquant à cet égard le mouvement social des « Gilets jaunes  » en France.  

De son côté, la Chambre internationale de commerce, qui représente quelque 45 000 entreprises dans une quarantaine de pays, a souligné le rôle central du monde de l’entreprise dans la lutte contre les changements climatiques.  Elle a dit vouloir travailler avec les décideurs politiques pour coordonner des approches multipartites et renforcer la cohérence des mesures environnementales.  De l’avis de ce groupement international, les gouvernements devraient tirer parti des instruments existants en la matière, « et l’imposition est un de ces outils ». Indiquant avoir publié un manuel sur la taxation du carbone qui présente une approche intégrante les entreprises, elle a estimé que cette question devrait être traitée dans le cadre des politiques globales.  Une transition vers des systèmes énergétiques propres nécessitera l’action de tous les acteurs pour renforcer la cohérence des dispositifs de transition et atteindre les objectifs environnementaux, a-t-elle ajouté, considérant que les Nations Unies devraient être à même de « fournir un cadre qui permette aux pays d’agir dans ce sens ». 

Moins consensuel, le Groupe de la société civile sur le financement du développement, qui s’exprimait également au nom du Réseau européen sur la dette et le développement, a mis l’accent sur les différents angles qui existent s’agissant du lien entre la coopération internationale en matière fiscale et les questions environnementales.  S’il est généralement accepté que les règles internationales doivent être éditées aux Nations Unies par des États agissant sur un pied d’égalité, cette approche ne semble pas être celle de l’OCDE, a-t-il pointé.  Dans le domaine de la fiscalité, a souligné le Groupe, les pays membres de cette organisation « ne voient pas de mal à énoncer des règles dans un organe où les pays en développement ne peuvent participer ».  Cela s’est d’ailleurs confirmé au cours de cette discussion, a-t-il regretté, observant qu’on a plutôt entendu des questions fiscales nationales. 

Notant que le Président de l’ECOSOC a mis en exergue les lacunes des négociations menées sous la houlette de l’OCDE qui manifestement ne défend pas les intérêts des pays en développement, le Groupe a jugé que cette question « aurait dû être au cœur des discussions aujourd’hui ».  De même, la création d’un organe des Nations Unies dédié à la fiscalité aurait dû être évoquée.  Or, on a plutôt entendu l’OCDE nous dire comment les nouvelles règles fiscales sont négociées « dans un cadre soi-disant inclusif », un cadre dont sont exclus « un tiers des pays du monde ». 

À la Table ronde sur le thème « Fiscalité et financement des systèmes de santé », le Modérateur, M. Joseph Kutzin, coordonnateur des politiques de financement de la santé à lOrganisation mondiale de la santé (OMS) a rappelé que la couverture sanitaire universelle a un prix et qu’en l’occurrence, les taxes sur l’alcool et le tabac permettent d’en réduire la consommation et les maladies non transmissibles qui y sont liées, mais aussi de collecter des recettes importantes. M. VITOR GASPAR, Directeur du Département des affaires fiscales du Fonds monétaire international (FMI), a indiqué que le ratio moyen dette/PIB dans le monde devrait être de 100% en 2021 et que dans ce contexte, la réalisation des objectifs de développement durable exige une forte augmentation des recettes fiscales.  Il a expliqué que les droits d’accises sont conceptuellement proches de la taxe carbone, puisqu’ils visent en premier lieu, non pas à générer des recettes, mais à corriger des externalités négatives.  Mais, a-t-il mis en garde, il ne faut pas surestimer l’importance de ces recettes.  Un système d’imposition efficace implique une imposition de la valeur ajoutée bien conçue, un impôt sur le revenu, qui est le plus progressif, et un impôt sur le capital, notamment une imposition minimale des multinationales. 

La taxe sur les boissons sucrées introduite chez nous en 2019, n’a pas eu les effets escomptés, a semblé confirmer  M. WESLEY KAPAYA MWAMBAZI, Ministre de la santé de la Zambie.  Elle a été insuffisante pour encourager le changement dans les modes de consommation et n’a permis que la collecte que de 4,4 millions de dollars.  En raison de l’opposition de l’industrie concernée le taux d’imposition a été ramené de 25 à 3%, compromettant davantage encore l’objectif de santé publique affiché.  Il a enfin accusé son homologue des finances d’une certaine réticence à affecter les recettes générées au secteur de la santé. 

Pourtant, a argué Mme ANNE-MARIE THOW, professeure associée au Centre de santé publique de l’université de Sydney, les droits d’accises découragent bien la consommation de produits nocifs pour la santé, comme le tabac, l’alcool ou les sodas.  Ces bénéfices en termes de santé peuvent également conduire à une amélioration de la productivité.  Ces droits permettent d’augmenter les recettes fiscales, compte tenu de la faible élasticité de la demande.  Leurs conséquences pour l’emploi, dénoncées par les industries concernées, sont en réalité « négligeables ».  Parlant de ses recherches, elle a jugé important que l’imposition soit non-discriminatoire.  L’assiette fiscale et le taux d’imposition doivent prendre en compte l’élasticité des prix et de la demande des produits de substitution.  Il faut aussi que les droits d’accises augmentent régulièrement pour conserver leur caractère dissuasif.  Il faut encore que les recettes ainsi générées soient effectivement affectées à la santé publique. 

Il faut peut-être envisager des subventions pour pousser à la consommation de produits sains, a estimé M. CARLOS PROTTO, Directeur des relations fiscales internationales au Ministère du trésor de lArgentine et membre du Comité dexperts sur la coopération internationale en matière fiscale.  Ici encore, l’efficacité de ces mesures dépend de l’élasticité de la demande.  Avant 2012 aux Philippines, a expliqué Mme KIM JACINTO-HENARES, conseillère principale de Albright Groupe Stonebridge, les cigarettes étaient taxées en fonction de leurs prix et quelle que soit la taxe perçue, elle allait directement au fonds général, sauf une petite partie aux producteurs de tabac.  Ceci montre que le « lobby du tabac » a été si fort qu’il a « coopté » le législateur.  Mais après 2012, les cigarettes ont été taxées quel que soit leur prix, leurs effets sur la santé étant strictement les mêmes.  Mais à titre de compromis, les premières années, la taxe s’est faite sur deux échelons.  Pour briser  « le lobby du tabac », une partie des recettes fiscales a servi à financer la couverture sanitaire universelle, le législateur pouvant montrer aux électeurs les effets bénéfiques de la taxe. 

Dans le prolongement de ces présentations, une discussion interactive modérée par M. JOSEPH KUTZIN, Coordinateur de la politique de financement de la santé à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a permis d’explorer, par le biais de la fiscalité, les moyens de trouver un espace budgétaire suffisant pour les dépenses publiques prioritaires, à commencer par celles liées à la santé publique. 

Pour Mme CEREN OZER, économiste à la Banque mondiale, les taxes sur la santé présentent un « triple avantage ».  Tout d’abord, elles ont un impact sur les revenus.  L’augmentation du prix du tabac, de l’alcool et les boissons sucrées peut entraîner des gains rapides en termes de recettes.  À cet égard, a-t-elle relevé, les taxes d’accise fonctionnent même dans les environnements à faible capacité, car elles sont relativement plus faciles à administrer.  « Si les recettes ne résolvent pas le déficit budgétaire aggravé par la pandémie, nous pouvons convenir que tout revenu supplémentaire pouvant être généré de manière efficace et équitable sera utile », a-t-elle souligné. 

Un autre avantage est, selon elle, l'impact sur la santé, qui devrait être l’objectif principal.  En effet, plus de 10 millions de décès prématurés chaque année, soit environ 16% de tous les décès dans le monde, pourraient être évités en réduisant la consommation de tabac, d’alcool et de boissons sucrées, a-t-elle fait valoir, ajoutant que, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, la moitié des décès dus à des maladies non transmissibles surviennent avant 70 ans.  En comparaison, seulement 25% des décès dus à des maladies non transmissibles dans les pays à revenu élevé surviennent avant l’âge de 70 ans.  

De plus, a ajouté Mme Ozer, la taxation du tabac, de l’alcool et des boissons sucrées est une des mesures politiques les plus efficace pour réduire la consommation et, par voie de conséquence, améliorer les résultats en matière de santé.  Mais il reste beaucoup à faire puisque de nombreux pays fixant encore des taux à des niveaux insuffisants, les recettes augmentent trop rarement et les structures fiscales sont trop complexes.  

Pour l’économiste de la Banque mondiale, la « bonne nouvelle » est que les politiques donnant la priorité aux revenus ou à l’impact sur la santé « nous poussent dans la même direction ».  De fait, elle s’est dit convaincue que, si les ministères de la santé et des finances peuvent travailler ensemble, les pays trouveront des solutions qui fonctionneront pour eux et leurs populations. 

Le troisième « avantage » identifié par Mme Ozer est que l’augmentation des taxes sur la santé peut prévenir ou ralentir les maladies non transmissibles liées à des taux de mortalité plus élevés dus à la COVID-19, et réduire les risques d’invalidité et de maladie grave.  Les taxes sanitaires découragent également l’initiation au tabagisme ou à la consommation d’alcool, contribuant ainsi à préserver une meilleure santé. 

Cette intervention a fait dire au Coordonnateur de l’OMS, modérateur du débat, que s’il faut accroître les taxes sur le tabac, l’alcool et les boissons sucrées, il faut aussi que les recettes générées « permettent des financements publics plus stables et plus prévisibles ».  À son tour, l’Alliance mondiale des brasseursa indiqué qu’il est possible d’élaborer objectivement des droits d’accises sur les boissons alcoolisées.  Il est ainsi judicieux de taxer plus lourdement les produits à forte teneur en alcool, parce que les consommateurs consomment de l’alcool plus rapidement avec de tels produits, ce qui peut encourager une consommation excessive et l’ivresse.  Par ailleurs, les coûts de production et de distribution peuvent être moins élevés. 

L’Alliance a tenu à préciser que cette dimension du coût s’applique bien à la bière qui, avec sa faible teneur en alcool, est l’une des boissons les plus coûteuses à produire et à distribuer.  Elle a insisté sur la pertinence des droits d’accises afin d’encourager la consommation de boissons moins alcoolisées.  Ainsi, au Royaume-Uni, l’introduction de bières moins alcoolisées a conduit à une diminution de l’alcool consommé, a-t-elle relevé.  

Davantage axé sur l’imposition des plus riches, le Groupe de la société civile pour le financement du développement a estimé que l’un des plus grands obstacles rencontrés par les pays dans la réalisation des objectifs du Programme 2030 est lié aux flux financiers illicites, lesquels se font souvent aux dépens des pays en développement.  Pour le Groupe, il est donc essentiel de prévoir une réglementation fiscale qui bénéficie « à tout le monde, sur un pied d’égalité ». Reprenant à son compte les propositions avancées à ce sujet par le monde en développement, il a plaidé pour la création d’un organe international chargé des questions fiscales et pour l’établissement d’une convention fiscale sous l’égide de l’ONU.  Il s’est cependant déclaré « pessimiste » au vu de la situation actuelle, qui voit les pays du G20 et de l’OCDE « dominer le débat », sans permettre aux pays aux capacités plus limitées d’intervenir dans les discussions.  Concluant cette réunion spéciale, le Président de l’ECOSOC a voulu par exemple que la taxe carbone ne devienne pas « un instrument protectionniste » préjudiciable aux pays en développement.  Dans un souci d’équité, cette taxe doit d’abord concerner les pays riches selon le principe du « pollueur, payeur ».  Il a indiqué qu’un résumé des discussions sera distribué dans les prochains jours.  

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