Session de 2021,
297e séance – matin
L/3291

Le Comité spécial de la Charte ouvre sa session de 2021 et débat du mérite des sanctions sur fond de pandémie

Le Comité spécial de la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle de l’Organisation a ouvert ce matin, en présentiel, les travaux de sa session de 2021 qui se tiendra à New York jusqu’au 24 février prochain.  Le Comité a entendu 25 délégations dans le cadre de son débat général. 

M. Edgardo Daniel Mata, du Guatemala, Président du Comité spécial pour cette session, a expliqué que, compte tenu de la situation sanitaire, les réunions du Groupe de travail plénier adopteront ensuite un format hybride, avec la possibilité pour les délégués de participer virtuellement aux discussions. 

Au cours de la semaine, le Groupe de travail plénier du Comité spécial, sur la base de son rapport annuel*, va poursuivre l’examen de diverses propositions concernant la question du maintien de la paix et de la sécurité internationales sous tous ses aspects afin de renforcer le rôle de l’ONU, et, notamment, l’adoption et l’application des sanctions imposées par l’ONU.   

Chaque année, un débat thématique est organisé au titre du point de l’ordre du jour intitulé « Règlement pacifique des différends », pour examiner les moyens de régler les différends conformément au Chapitre VI de la Charte.  Cette fois-ci, les membres sont invités à axer leurs observations sur le sous-thème « Échange d’informations sur les pratiques des États concernant le recours à l’arbitrage ». Le Comité devrait se pencher également sur ses méthodes de travail et la définition de nouveaux sujets.   

En début de séance, MM Mamadou Racine Li (Sénégal), Mohd Hafiz Bin Othman (Malaisie) et Mladen Bručić-Matic (Croatie) ont été élus Vice-Présidents du Comité spécial.  Mme Sarah Weiss Ma’udi (Israël) a été élue au poste de Rapporteur.  

Le Président a attiré l’attention sur le projet de texte** présenté par les Philippines par lequel le Comité spécial recommanderait à l’Assemblée générale d’encourager l’ONU et tous les États Membres à célébrer le quarantième anniversaire de l’adoption de la Déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends internationaux.  Une initiative plébiscitée par les délégations qui ont salué ce document « historique » adopté en 1982.  

Ouvrant le débat général, la République islamique d’Iran, au nom du Mouvement des pays non alignés, a estimé que le Comité devrait jouer un rôle incontournable dans le processus de réforme de l’ONU.  « Le Comité est une enceinte pour clarifier le droit international et promouvoir les dispositions de la Charte. »  Le représentant iranien s’est dit préoccupé par le fait que le Conseil de sécurité empiète sur les pouvoirs de l’Assemblée générale et du Conseil économique et social (ECOSOC).  Il a en outre mis l’accent sur les conséquences humanitaires et socioéconomiques des sanctions sur les populations civiles et leurs répercussions sur des États tiers.  D’après lui, l’imposition de sanctions devrait être considérée comme « un moyen de dernier recours », et leurs objectifs devraient être bien définis et limités dans un cadre temporel spécifique.  Les pays non alignés remettent aussi en question les sanctions unilatérales contre des pays en développement.  « Il nous tarde de participer à des délibérations fondées sur des résultats significatifs », a résumé l’Iran en estimant que le Comité devrait redoubler d’efforts pour examiner toutes les propositions soumises au Comité. 

Pour l’Union européenne, « les sanctions font partie d’une approche holistique de la recherche de la paix et de la sécurité internationales ».  À condition d’être « ciblées et bien réfléchies » et de respecter le droit international humanitaire et des droits de l’homme, notamment les droits des réfugiés.  Tous les États doivent éviter une mise en œuvre lacunaire et des effets non désirés sur les populations civiles et les pays voisins, et prendre des mesures d’atténuation, a poursuivi la représentante.  Plus tranchante sur la question des propositions, l’Union européenne a considéré que la plupart d’entre elles sont des « doublons » par rapport à des mesures déjà prises dans d’autres enceintes et qu’elles n’apportent pas de valeur ajoutée.  L’harmonisation des travaux du Comité est une priorité.  Elle a douté que celui-ci soit l’enceinte appropriée pour examiner d’autres questions qui relèvent plutôt d’organes comme le Conseil de sécurité ou le Comité des relations avec le pays hôte. 

Pour sa part, l’Ukraine, au nom de la République de Moldova et de la Géorgie, a douté de l’application de bonne foi des sanctions par certains États Membres.  Or, les sanctions sont des mesures non militaires utiles pour contrer les menaces.  La représentante a indiqué qu’elle continuera de prendre des mesures juridiques « pour que la Fédération de Russie réponde de ses actes ».  La Russie est responsable de plusieurs violations du droit international dans ces trois pays, a-t-elle accusé.  

Il s’agit là d’une « propagande qui n’a rien à voir avec la réalité », a rétorqué la Fédération de Russie en appelant à éviter toute politisation au sein du Comité.  De façon générale, pour ce pays, le Comité se doit d’examiner toutes les propositions concernant les questions liées au maintien de la paix et de la sécurité internationales.  Avec le Bélarus, a rappelé sa représentante, la Russie a recommandé de solliciter un avis consultatif de la Cour internationale de Justice (CIJ) sur les effets juridiques du recours à la force par un État en l’absence d’autorisation préalable du Conseil de sécurité et en dehors des cas où serait exercé le droit de légitime défense. 

La Russie s’est également dit préoccupée par les sanctions coercitives qui « contournent » le Conseil de sécurité.  « Certains pays parmi les plus pauvres ont du mal à survivre notamment dans le contexte de la pandémie. »  Elle a en outre fustigé les restrictions arbitraires imposées par le pays hôte à New York et qui violent le droit de certaines délégations de participer aux travaux de l’Organisation.  Selon elle, le Comité peut examiner cette problématique qui a des implications directes sur l’application de la Charte.  Enfin, la Russie a appuyé la proposition du Mexique pour analyser l’interprétation et la portée de l’Article 51 de la Charte sur le droit à la légitime défense.  Aucune autre instance n’examine cette question, a défendu le Mexique, il n’y a donc pas de doublon. 

Cette question de l’examen de l’Article 51 est un doublon, elle ne peut faire l’objet d’un consensus, ont contredit les États-Unis.  Le comité ne devrait pas essayer de poursuivre des activités qui ne respecteraient pas le rôle des organes de l’ONU en matière de paix et de sécurité, y compris en ce qui concerne la réforme de l’Organisation, et il ne doit pas non plus devenir une enceinte pour débattre de points bilatéraux.  La représentante américaine a souhaité se consacrer à la diplomatie préventive et dit attendre des informations sur les sanctions ciblées.  Elle a soutenu le document de travail présenté par le Ghana sur le renforcement des relations et de la coopération entre l’ONU et les mécanismes ou organismes régionaux en matière de règlement pacifique des différends.  En conclusion, pour les États-Unis, le Comité devrait utiliser au mieux ses ressources limitées et examiner la possibilité de tenir des sessions raccourcies, voire biannuelles.  Dans le même esprit, la République de Corée s’est inquiétée des propositions « duplicatives  » formulées au sein du Comité qui diluent son efficacité.  Elle a souhaité une adéquation entre ses activités et celles des autres organes principaux de l’ONU.  Ainsi le Comité n’est-il pas l’enceinte appropriée pour aborder la question de la République populaire démocratique de Corée, a-t-elle souligné, après que ce pays eut réclamé, une fois de plus, le démantèlement immédiat du commandement des Nations Unies en Corée du Sud, « entité fantôme illégale » qui, en réalité, « sert les intérêts des États-Unis en Asie  ». 

À titre national, la République islamique d’Iran a voulu dénoncer le mauvais usage des mécanismes onusiens par certains pour servir leurs intérêts propres, et appuyé toute proposition susceptible de renforcer le rôle et l’efficacité de l’ONU.  Pour sa part, l’Iran a proposé le sujet suivant: « Obligations des États Membres concernant les mesures coercitives unilatérales - lignes directrices sur les moyens de prévenir, éliminer, réduire et corriger les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales ».  Dans la foulée, la République arabe syrienne a dénoncé un « blocus sur les peuples du monde ».  Elle a appelé à l’activation de mécanismes qui évalueraient les sanctions onusiennes.  La Syrie a reproché à certains de prendre comme prétexte l’Article 51 pour agresser d’autres États.  Elle a rappelé avoir présenté un document de travail sur les privilèges et immunités dont jouissent les représentants des États Membres des Nations Unies et les fonctionnaires de ladite Organisation et qui leur sont nécessaires pour exercer en toute indépendance leurs fonctions.  

D’après Cuba, le Comité est le meilleur cadre pour veiller à ce que tous les États Membres et les organes agissent dans le respect des principes de la Charte. Un débat « franc et transparent », c’est ce qu’a espéré Cuba, notamment sur son document de travail intitulé « Renforcer la fonction de l’Organisation et la rendre plus efficace: adoption de recommandations ».  Toutes les mesures prises par le Comité attestent de son rôle de premier plan au sein de l’ONU, en dépit de tentatives de revoir à la baisse son programme de travail, a fait valoir cette délégation.  La réflexion doit se poursuivre pour accroitre l’efficacité de l’ONU, a abondé le Burkina Faso, avant de souligner à son tour « l’immense contribution » de la CIJ en matière de règlement des différends.  

Convaincue elle aussi du rôle fondamental du Comité spécial de la Charte, l’Égypte a vanté son expérience en matière d’arbitrage et l’efficacité de cet outil dans le règlement pacifique des différends.  La Côte d’Ivoire a également évoqué une tradition de recherche de la paix par le dialogue.  Elle a rappelé la médiation des pays voisins dans le cadre de la résolution de la crise qu’elle a traversée. 

La Chine a tenu à appuyer le Comité spécial et ses travaux.  Elle a réaffirmé que les sanctions sont un outil plutôt qu’un objectif.  Recommandant au Conseil de sécurité une approche responsable et prudente en la matière, la Chine a appelé à minimiser l’impact sur le public en général et sur les pays tiers.  À son avis, les pays doivent appliquer rigoureusement les sanctions décidées par le Conseil et s’abstenir de prendre des mesures unilatérales.  En tant que membre permanent, la Chine entend y jouer un rôle « juste et positif ».  Négociation, consultation, médiation ou arbitrage, les pays devraient pouvoir choisir.  L’Arménie a rappelé le droit de tous les peuples à l’autodétermination et à disposer d’eux-mêmes sans ingérence extérieure.  « Le recours à la force contre ce droit inaliénable viole le droit international. » 

L’Équateur a souligné l’importance d’établir un « distinguo » entre les rôles des différents organes de l’ONU.  Si l’Équateur a plaidé pour l’échange d’informations sur la pratique des États concernant le recours à l’arbitrage et l’assistance aux États tiers affectés par les sanctions, le Guatemala a pour sa part mis l’accent sur le respect de l’égalité souveraine des États et la non-ingérence dans leurs affaires intérieures.  Il a exhorté l’ONU à améliorer la coopération avec les organisations régionales avant d’insister sur la confiance que les États accordent à la CIJ et ses avis consultatifs.  Le Nicaragua a, quant à lui, fait remarquer que l’Assemblée générale reste l’organe démocratique et universel par excellence.  Il a jugé préoccupante la tendance croissante du Conseil de sécurité à s’arroger le droit d’examiner des questions qui relèvent selon lui de la compétence de l’Assemblée. 

Pour le Bangladesh, la réforme de l’ONU doit se faire dans le respect des principes de la Charte.  Rappelant que la paix et la sécurité sont étroitement liés au développement durable, il a redit l’importance de minimiser l’impact néfaste des sanctions sur les civils et les États tiers.  Les sanctions ne sont pas propices aux relations amicales et la coopération ne doivent pas être une fin en soi, ont estimé le Viet Nam et la Malaisie.  Pour le Viet Nam, elles doivent pouvoir être assouplies et levées lorsque les conditions sont réunies.  Quant à l’arbitrage, il s’avère présenter bien des avantages.  Le règlement pacifique des différends doit rester en première ligne au Comité, a ajouté la Malaisie, préoccupée par le manque de progrès en ce qui concerne plusieurs propositions qui existent depuis longtemps. 

Confrontée à une crise sans précédent -la pandémie de COVID-19- qui exacerbe les défis existants, « l’ONU doit aller au-delà de la rhétorique et se concentrer sur un avenir imprévisible », a conclu l’Indonésie.  La Charte reste une « ancre » pour surmonter les défis contemporains, a acquiescé la Turquie, qui a rappelé avoir accueilli en septembre dernier la septième conférence d’Istanbul sur la médiation, dans le cadre de la résolution pacifique des différends.  En conclusion, la Turquie a encouragé à appuyer le Comité qui doit continuer d’examiner les façons d’améliorer ses méthodes de travail pour éviter les doublons et respecter les compétences de chacun. 

Au cours de cet échange de vues général, le Comité spécial a fait référence au Répertoire de la pratique suivie par les organes des Nations Unies et au Répertoire de la pratique du Conseil de Sécurité***.  Les délégations se sont félicitées des efforts entrepris par le Secrétariat pour mettre à jour ces documents, précieux outils de référence, qui permettent de préserver la mémoire institutionnelle de l’Organisation.  

*A/75/33  

** A/AC.182/L.157  

***A/75/145  

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