SC/14442

Le Conseil de sécurité prend le pouls du processus préélectoral en Haïti tout en s’inquiétant du climat de violence généralisée

Alors que des élections législatives, reportées l’an dernier, doivent se tenir en septembre en Haïti, le même jour que le premier tour de l’élection présidentielle et quelques mois après un référendum constitutionnel programmé en avril, la Représentante spéciale pour ce pays s’est alarmée, cet après-midi, devant le Conseil de sécurité, de l’accentuation de la polarisation politique et du rétrécissement de l’espace civique, sur fond de violence des gangs et de détérioration continue de la situation humanitaire. 

Dans ce contexte aggravé par la contraction annoncée du PIB national de 3% en 2021, qui risque d’affecter durablement le redressement post-COVID-19, seul un « renouveau démocratique », résultant de la tenue rapide d’élections crédibles et transparentes, peut donner au pays l’occasion de surmonter sa longue crise politique, a souligné Mme Helen La Lime.  La Chef du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) a été rejointe dans cette analyse par l’ensemble des délégations. 

D’une manière générale, elle a mis en garde contre une tendance à la restriction de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et du droit de réunion pacifique.  Jugeant que le peuple haïtien mérite de pouvoir s’exprimer dans un climat apaisé, elle a souhaité qu’un « consensus minimal » se fasse jour entre les parties politiques concernées afin de créer un climat propice à la tenue des scrutins.  Le BINUH est prêt à soutenir les efforts véritables visant à favoriser un tel résultat, a-t-elle assuré. 

Pour Mme La Lime, la crise institutionnelle que traverse le pays depuis que le Parlement a cessé de fonctionner en janvier 2020 risque cependant de s’approfondir à mesure que les relations entre l’exécutif et les branches du pouvoir judiciaire se tendent.  Elle en a voulu pour preuve la récente publication par le Président Jovenel Moïse de décrets congédiant trois juges de la Cour de cassation et désignant leurs remplaçants, décisions qui ont incité des associations de magistrats à lancer une grève illimitée, tandis que des milliers de manifestants dénonçaient un « risque imminent de retour à un régime autoritaire ». 

Préoccupée par la hausse des enlèvements, l’impunité persistante et le manque de responsabilisation pour les crimes graves, réalité dont a témoigné Mme Vivianne Roc, Directrice de l’ONG Plurielles Haïti, la Représentante spéciale s’est montrée confiante dans le professionnalisme de la Police nationale d’Haïti et son respect des droits de l’homme, malgré les défis liés aux consultations à venir et à la menace de groupes criminels tels que « Fantom 509 », un collectif de policiers révoqués. 

Invité par le Conseil de sécurité, le Président Moïse a, lui, mis l’instabilité chronique du pays sur le compte d’« oligarques corrompus », qui bloquent les institutions et imposent la violence par le biais de gangs.  Selon lui, la « tentative de coup d’État » menée le 7 février n’était que la dernière tentative de déstabilisation à mettre à l’actif de ces groupes contre lesquels lutte son administration. 

Rappelant que son mandat prendra fin le 7 février 2022, M. Moïse a dit vouloir légiférer par décret jusqu’à l’élection d’un nouveau parlement.  Il a par ailleurs rejeté les appels à sa démission, estimant que le refus systématique de l’alternance par les urnes, affiché par certains acteurs politiques, remet en question le choix fait en 1987 par le peuple haïtien de se départir de la dictature.  Un choix qui justifie aussi, à ses yeux, de changer de Constitution, l’ancienne étant « une source d’instabilité politique et un obstacle majeur au développement du pays ». 

Sans se prononcer sur ce processus, la France a souhaité que les forces vives du pays puissent en débattre et, surtout, qu’il n’aboutisse pas à retarder le déroulement des différents scrutins, lesquels doivent contribuer à une sortie de crise, sans « rajouter à la confusion actuelle ».  Une position partagée par plusieurs missions, dont la Norvège, selon laquelle « l’instabilité actuelle en Haïti découle d’un système politique bien trop complexe ». 

« Toute solution à la crise actuelle devra être dirigée et contrôlée par les Haïtiens », a plaidé Saint-Vincent-et-les Grenadines au nom du groupe A3+1, tandis que la Fédération de Russie en appelait à un dialogue approfondi entre les parties prenantes afin que « toutes les opinions » soient prises en compte.  L’Inde a, pour sa part, pointé le manque de confiance entre les acteurs politiques, l’Estonie appelant à veiller à ce que les personnes engagées dans le débat public puissent le faire sans mettre leur vie en danger. 

À l’instar du Royaume-Uni, les États-Unis ont exhorté les autorités haïtiennes à redoubler d’efforts face aux crimes violents, notamment en renforçant les pratiques de police communautaire pour protéger les droits humains des résidents des quartiers contrôlés par les gangs.  Dans le même ordre d’idées, le Mexique et le Viet Nam ont proposé l’élaboration d’un cadre national pour le contrôle des armes et des munitions en Haïti, une recommandation également appuyée par la Directrice de Plurielles Haïti, qui a témoigné de la violence à laquelle elle a été exposée depuis son enfance lorsqu’elle vivait dans une « zone dite de non-droit ».

« Des morts, il y en a eu pas mal devant chez moi », a dit Mme Roc qui a exprimé sa lassitude « de vivre dans la crainte de prendre un projectile, de se faire attaquer ou encore de se faire enlever ».  Elle a également appelé à la mise en place des réseaux de protection pour les jeunes qui consolident la paix au niveau local « pour qu’ils puissent continuer leur travail sans peur au quotidien ».  « Sans eux, c’est le vide », a-t-elle dit.

Pour sa part, la Chine a relevé que le coût global des différentes missions déployées par l’ONU en Haïti s’élève à 8 milliards de dollars, un montant qu’elle a qualifiée d’« hallucinant ».  La délégation s’est prononcée en faveur d’une redéfinition du rôle de l’ONU en Haïti et à ce que cessent ces « investissements infructueux ». 

Mme HELEN LA LIME, Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti et Chef du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), a fait état d’un calme précaire dans le pays.  Toutefois, a-t-elle relevé, les efforts d’une partie de l’opposition visant à renverser le Président Moïse au 7 février, ainsi que les mesures prises par l’exécutif en réaction à une prétendue tentative de coup d’État et à l’annonce par un juge de sa nomination comme chef de l’État par intérim, ont durci les positions des principaux acteurs de cette crise politique.  De fait, a souligné la haute fonctionnaire, alors que le pays s’apprête à entrer dans une période préélectorale, la polarisation s’est encore accentuée, tandis que l’espace civique se rétrécit et que la situation humanitaire continue de se détériorer.

Pour Mme La Lime, la crise institutionnelle que traverse le pays depuis que le Parlement a cessé de fonctionner en janvier 2020 risque de s’approfondir à mesure que les relations entre l’exécutif et les branches du pouvoir judiciaire se tendent et que le Président Moïse continue de gouverner par décret.  Si l’opposition n’a pas réussi à mobiliser un large soutien populaire pour sa campagne visant à évincer le Président, la récente publication par ce dernier de décrets congédiant trois juges de la Cour de cassation et nommant leurs remplaçants a incité plusieurs associations de magistrats à lancer une grève à durée illimitée qui menace de paralyser un système judiciaire « déjà dysfonctionnel », a observé la Représentante spéciale.  De plus, des milliers de manifestants ont défilé pacifiquement, le 14 février, à Port-au-Prince, pour dénoncer un « risque imminent de retour à un régime autoritaire », a-t-elle ajouté, mettant en garde contre le rétrécissement de l’espace civique et une restriction de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et du droit de réunion pacifique.

Qualifiant la situation humanitaire dans le pays de « désastreuse », Mme La Lime a averti que, selon les dernières estimations, environ 4,4 millions de personnes auront besoin d’une aide humanitaire en 2021, en grande partie en raison d’une augmentation de l’insécurité alimentaire aiguë.  Reconnaissant que des facteurs tels que la pandémie de COVID-19, son impact économique, la violence des gangs et le passage de la tempête tropicale Laura ont contribué à exacerber les besoins humanitaires en 2020, elle a constaté que les facteurs sous-jacents sont « étroitement corrélés avec les tensions sociopolitiques persistantes et les déficits chroniques de développement ».

Dans ce contexte potentiellement instable, des progrès continuent néanmoins d’être réalisés dans la préparation des différentes élections prévues cette année, a poursuivi la Représentante spéciale, satisfaite que le Conseil électoral provisoire ait pu installer ses bureaux dans les 10 régions d’Haïti.  En outre, a-t-elle indiqué, le Gouvernement a versé 20 millions de dollars au fonds commun électoral géré par l’ONU pour financer l’achat de matériel de vote et la formation du personnel électoral, ainsi que pour couvrir les coûts opérationnels pour la tenue d’un référendum sur une nouvelle constitution. 

Pourtant, beaucoup reste à faire, a reconnu Mme La Lime, avant d’appeler à une intensification des consultations sur le projet constitutionnel.  En effet, s’il existe un consensus parmi les parties prenantes haïtiennes et la population en général sur ce projet, le processus choisi par le Gouvernement est encore perçu par certains comme manquant de légitimité.  Tous les secteurs de la société haïtienne devraient avoir l’occasion d’en débattre et un plus grand nombre de citoyens devraient pouvoir recevoir la carte d’identité leur permettant de voter, a plaidé la haute fonctionnaire.  Elle a également appelé les partenaires internationaux à contribuer au financement du processus électoral afin d’éviter tout retard dans les élections législatives, présidentielle et locales. 

De l’avis de Mme La Lime, un consensus minimal entre les parties politiques concernées contribuerait à créer un environnement propice à la tenue du référendum constitutionnel et des élections ultérieures.  Le BINUH est prêt à soutenir les efforts véritables visant à favoriser un tel résultat, a-t-elle assuré, jugeant que le peuple haïtien mérite de pouvoir s’exprimer dans un climat apaisé.  À cet égard, elle s’est félicitée que les Haïtiens puissent compter sur une force de police de plus en plus professionnelle.  Malgré les défis liés à la tenue du référendum et des élections et les menaces que représentent des groupes criminels tels que « Fantom 509 », elle s’est déclarée convaincue que la Police nationale continuera à développer ses capacités, conformément aux normes internationales en matière de droits de l’homme.  À l’inverse, elle a exprimé sa profonde préoccupation face à la hausse des enlèvements, à l’impunité persistante et au manque de responsabilisation pour les crimes graves. 

Alors que la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) prévoit que l’économie d’Haïti se contractera de 3% en 2021 et que la pire crise enregistrée par la région depuis 100 ans affectera le redressement post-COVID-19, seul un « renouveau démocratique », résultant de la tenue rapide d’élections crédibles et transparentes, peut donner au pays l’occasion de surmonter sa longue crise politique, a conclu la Représentante spéciale, se disant persuadée que cela permettra à Haïti de se remettre sur la voie du développement durable. 

Mme VIVIANNE ROC, Directrice de Plurielles Haïti, a témoigné de la violence à laquelle elle a été exposée dès l’âge de 6 ans lorsqu’elle a assisté à la mort subite d’un homme.  De jour en jour, le banditisme et la violence de gang ont pris de plus en plus d’ampleur dans sa vie, jusqu’à devenir quasiment normaux, et la zone où elle vit est devenue une zone dite de non-droit.  Des morts, il y en a eu pas mal devant chez moi.  Mais malgré tout « nous y sommes restés parce qu’on avait l’espoir que la zone pouvait changer, que malgré toute cette violence il y faisait bon vivre ». 

Cependant, a poursuivi Mme Roc, l’année dernière, tout a basculé et j’ai dû vivre des choses que « je ne souhaite à personne ».  Révoltée par le vent d’insécurité qui plane sur son pays et fatiguée de vivre dans la peur, elle a dit que la petite fille en elle « en a juste marre de vivre dans la crainte de prendre un projectile, de se faire attaquer ou encore de se faire enlever ».  Elle a témoigné vouloir se battre et montrer la voie aux jeunes qui vivent sa réalité: « Je m’appelle Vivianne Roc, j’ai 23 ans et je vis en Haïti », a-t-elle lancé aux membres du Conseil. 

Mme Roc a expliqué que Plurielles est une organisation écoféministe de jeunes qui se consacre notamment à l’autonomisation des femmes, à la promotion de la paix et à l’élaboration de stratégies pour faciliter la participation des jeunes au processus de développement.  Créée en 2010 après le tremblement de terre dévastateur, l’organisation mène de grandes campagnes de sensibilisation et veut apporter sa contribution à « ces jeunes qui ont vécu des choses horribles, qui ont des choses à dire, ou encore qui cherchent des réponses et veulent sortir du noir », a expliqué Mme Roc avant de formuler quelques recommandations.

Elle a notamment demandé la création de centres de réhabilitation pour les prisonniers jeunes, et d’un programme social et éducatif permettant aux jeunes de s’instruire sur les sujets tels que la consolidation de la paix, des droits humains et la transformation des conflits.  Elle a aussi appelé au renforcement du contrôle du trafic d’armes et de substances illicites en Haïti, à la mise en place de centres d’accueil pour les victimes de persécution ou de violences de gangs, ainsi qu’à la création d’un centre d’appel et la mobilisation de fonds pour les femmes victimes de violences conjugales et les organisations qui œuvrent pour la paix.  Elle a également appelé à la mise en place des réseaux de protection pour les jeunes qui consolident la paix au niveau local « pour qu’ils puissent continuer leur travail sans peur au quotidien ».  « Sans eux, c’est le vide », a-t-elle dit.

Le Président d’Haïti, M. JOVENEL MOÏSE, a reconnu qu’Haïti vit, depuis deux ou trois années, une situation difficile, caractérisée par des troubles sociopolitiques à répétition et des manifestations de rue violentes qui causent des souffrances incalculables à une population déjà en proie à des difficultés de toutes sortes, exacerbées par la pandémie du coronavirus.  Cette pandémie a poussé le Gouvernement à prendre des mesures, comme la fermeture des aéroports et la distribution des masques et de produits alimentaires, sans oublier des mesures de renforcement de son système sanitaire comme l’importation de 400 tonnes de matériels médicaux.  Le pays a connu à ce jour 12 039 cas confirmés de personnes infectées à la COVID-19 et 247 morts, a relevé le Président.  Il a plaidé pour un allégement de la dette d’Haïti pour permettre la relance de l’économie après la pandémie.

Si, au cours du XXe siècle, le plus grand danger pour Haïti était la prise du pouvoir par des coups d’État militaires, aujourd’hui, la tendance est la contestation des résultats des élections par « des oligarques qui se prennent pour Dieu », a poursuivi M. Moïse.  Il a parlé d’oligarques corrompus qui imposent la violence aux populations, avant de saluer le fait que malgré ces difficultés, « la démocratie haïtienne reste stable et se porte bien ».  Selon lui, c’est parce que son administration s’évertue à changer un système de pillage des biens publics par les oligarques que ces derniers ont réagi en opposant la violence et en bloquant le fonctionnement des institutions.  En quatre ans de mandat, le Président haïtien a dit avoir recensé sept tentatives d’interruption de l’ordre constitutionnel par la violence.  C’est ainsi que le 11 septembre 2019, une attaque de gangs avait ciblé le Sénat, a-t-il rappelé.  M. Moïse a aussi décrié l’impact négatif de ces gangs, dont le fameux « Fantom 509 » formé de policiers révoqués pour diverses raisons. 

La tentative de coup d’État du 7 février n’est que la dernière tentative de déstabilisation à mettre à l’actif de ces gangs qui obéissent aux oligarques, a expliqué le Président.  Son gouvernement a donc décidé de renforcer la police et a entamé des opérations pour démanteler ces gangs.  Depuis, le nombre d’enlèvements est en baisse, s’est-il félicité.  Le Président a ensuite défendu le fonctionnement de la police, soulignant que l’inspection des services est saisie chaque fois qu’il y a des dérapages.  Il a également indiqué que des éléments des gangs se déguisent en manifestants et en journalistes pour attaquer les forces de l’ordre.

Le Président haïtien a également parlé du renforcement du système judiciaire et de l’état de droit, notamment en l’absence d’un parlement.  Il a rappelé qu’il est le cinquième Président d’Haïti qui légifère par décret depuis 1987.  « Il n’y a donc rien de nouveau en la matière », a-t-il signalé, précisant qu’il entend continuer dans ce sens jusqu’à l’élection d’un nouveau parlement.  Il a dénoncé les appels à sa démission, soulignant que son mandat s’achève le 7 février 2022.  « Comment bâtir une démocratie avec des acteurs qui ont peur des élections? » a-t-il demandé.  Pour lui, ce refus systématique de l’alternance par les urnes remet sérieusement en question l’option choisie par le peuple haïtien de se départir de la dictature en 1987.  « Un élu ne peut être remplacé que par un élu », a-t-il tranché. 

M. Moïse a en outre indiqué qu’un processus de réforme constitutionnelle était en cours dans le pays, et que les élections prévues en 2021 participent du renouvellement du personnel des institutions républicaines.  Le premier tour des élections aura ainsi lieu le 19 septembre 2021, a-t-il assuré, soulignant que le Gouvernement a déjà versé 20 millions dans le fonds d’organisation des élections, 20 autres millions devant y être ajoutés d’ici au mois d’avril.  Enfin, le Président Moïse a estimé que la nécessité d’une nouvelle constitution s’est fait sentir depuis fort longtemps, puisque celle de 1987 est « source d’instabilité politique et constitue un obstacle majeur au développement du pays ».  Il a affirmé que, selon les derniers sondages d’opinion réalisés dans le pays à la fin de l’année 2020, plus de 86% de la population est en faveur d’une nouvelle constitution. 

Les États-Unis se sont déclarés préoccupés par la période prolongée de « règne par décret » que connaît Haïti, décriant notamment la destitution puis la nomination unilatérale de trois juges, la création d’une agence nationale de renseignement et les actions limitant le rôle de l’agence d’audit indépendante d’Haïti qui, a averti la délégation, risquent de porter atteinte aux principales institutions démocratiques d’Haïti. 

Elle a exhorté le Gouvernement haïtien à tenir dès que possible les élections législatives initialement prévues en octobre 2019 afin de restaurer le rôle constitutionnel du Parlement.  « 2021 doit être l’année des élections législatives et présidentielle en Haïti », a-t-elle insisté.

La délégation a ensuite félicité le Gouvernement haïtien pour sa décision de septembre 2020 d’augmenter le budget de la Police nationale d’Haïti, qui souffre depuis longtemps d’un manque de ressources.  Elle s’est cependant inquiétée du phénomène de violence des gangs, notant que les enlèvements ont augmenté de plus de 200% en 2020.  Elle a exhorté les autorités haïtiennes à redoubler d’efforts pour enquêter et poursuivre les crimes violents, y compris la violence sexuelle et sexiste, pour renforcer les pratiques de police communautaire et pour protéger les droits humains des habitants des quartiers contrôlés par les gangs. 

Poursuivant, la délégation s’est déclarée troublée par l’absence de responsabilisation pour les violations et abus des droits humains.  L’attaque de La Saline de 2018, au cours de laquelle 71 personnes ont été tuées, Bel Air et l’assassinat en août de Monferrier Doval soulignent la nécessité urgente de mettre un terme à l’impunité en commençant par des actions concrètes pour protéger les citoyens de la violence grâce à une police efficace et à un jugement rapide des affaires pénales, a-t-elle insisté.  Elle s’est également dite préoccupée par les décrets exécutifs qui sapent le pouvoir judiciaire et les grèves intermittentes des principaux acteurs judiciaires qui continuent d’entraver le fonctionnement du pouvoir judiciaire et limitent le nombre d’audiences et de procédures judiciaires tenues.  Les États-Unis ont par ailleurs indiqué avoir annoncé, le 11 janvier, une aide au développement supplémentaire de 7,5 millions de dollars pour Haïti.

La Norvège a déclaré que la situation politique troublée illustre la fragilité du pays.  « L’instabilité actuelle à Haïti découle d’un système politique bien trop complexe. »  La délégation a appelé de ses vœux une réforme de la gouvernance en vue de surmonter les obstacles structurels à la stabilité et au développement, ainsi qu’un engagement véritable en faveur des principes démocratiques.  La Norvège a loué le caractère ambitieux du calendrier électoral proposé, lequel prévoit notamment la tenue d’un référendum constitutionnel.  S’il est bien et rapidement mis en œuvre, il pourrait marquer le début de la sortie de crise. 

La délégation a ensuite rappelé que le pays souffre d’une insécurité alimentaire parmi les plus graves au monde et que 4,4 millions d’Haïtiens ont besoin d’une assistance humanitaire.  Elle a aussi constaté que les niveaux actuels de violence, d’abus et de violations des droits humains sont « choquants ».  Appelant à la fin de l’impunité, la Norvège a exhorté les autorités à traduire en justice les responsables de violations, « qu’il s’agisse de membres de gangs ou de membres des forces de sécurité ».  La délégation a également demandé une protection accrue contre la violence sexuelle et sexiste, tout en invitant le BINUH à se concentrer davantage encore sur cette question.  Enfin, la Norvège a demandé la pleine participation des femmes aux processus politiques.

La Fédération de Russie a constaté que la situation qui prévaut en Haïti est très complexe et a entraîné un regain d’activités des groupes criminels.  Les citoyens pâtissent gravement de cette situation alors qu’ils ont besoin d’un État stable et protecteur, et les étrangers de passage dans le pays n’échappent pas non plus à l’insécurité, a indiqué la délégation qui a dénoncé l’enlèvement d’un ressortissant de la République dominicaine. 

Selon la délégation, l’insécurité actuelle est la conséquence de la polarisation politique et ne permet pas de résoudre les problèmes humanitaires et économiques.  Soulignant que le règlement de la situation est avant tout politique, elle a appelé à la tenue d’un dialogue approfondi entre les parties prenantes, notamment en vue des élections présidentielles et législatives.  Toutes les opinions devraient être prises en compte, a-t-elle estimé, avant d’avertir que les décisions unilatérales font courir des risques d’escalade.  Il faut trouver un équilibre raisonnable par le dialogue qui repose sur le droit et éviter d’approfondir les dissensions et les crises, a exhorté la délégation russe.

Saint-Vincent-et-les Grenadines, au nom du Kenya, du Niger et de la Tunisie (A3+1), a rappelé que le monde célébrera dans un mois la Journée internationale de commémoration des victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique des esclaves, mais aussi l’héritage du peuple haïtien, première nation noire à être devenue indépendante après avoir vaincu le colonialisme et l’esclavage.  « La situation actuelle dans le pays est néanmoins extrêmement perturbante. »  L’impasse politique qui va en s’aggravant a placé le pays au bord de l’abîme, a dit la délégation qui s’est notamment préoccupée de la « situation extrêmement polarisée » dans le pays et de l’absence d’un parlement depuis janvier 2020.  Elle a néanmoins salué l’élaboration d’un calendrier électoral et exhorté les acteurs politiques à prendre les mesures nécessaires pour assurer la tenue d’élections inclusives, transparentes, libres et crédibles.  « Toute solution à la crise actuelle devra être dirigée et contrôlée par les Haïtiens », a-t-elle insisté.  Elle a jugé essentiel que les parties surmontent leurs divergences et exhorté les dirigeants politiques à tenir un dialogue national et à œuvrer à la réconciliation du pays.

La délégation a ensuite dénoncé la montée de la violence et les activités criminelles des gangs, en particulier les enlèvements.  Elle a encouragé le Gouvernement à prendre rapidement les mesures en vue de l’adoption du projet de stratégie nationale pour la diminution de la violence communautaire.  Elle a appelé au renforcement de la police afin que cette dernière puisse s’acquitter de son mandat, y compris en démantelant des réseaux criminels tels que le G9.  Justice doit être rendue à toutes les victimes d’atrocités, y compris feu Monferrier Dorval, a-t-elle dit.  Les A3+1 ont aussi regretté la lenteur des progrès dans les enquêtes judiciaires concernant les affaires du Livalois, de Grand Riviune, de La Saline, de Bel-Air et de Pont-Rouge-Cité Soleil, ainsi que l’inexécution des mandats d’arrêt visant des membres de gangs notoires, tels que Jimmy Cherizier.  Enfin, la délégation a exhorté la communauté internationale à fournir un appui robuste à Haïti.

L’Estonie s’est dite préoccupée par le manque de stabilité politique en Haïti.  En cette période critique, plus d’efforts et de responsabilités sont requis de la part de toutes les parties pour démontrer leur volonté politique, a-t-elle exigé en appelant les acteurs politiques à résoudre leurs différends par un dialogue pacifique.  Le processus électoral et l’annonce du calendrier électoral sont l’occasion de surmonter les crises politiques de longue durée et de restaurer la démocratie et la stabilité en Haïti, a-t-elle ajouté.  La délégation a cependant souligné que le succès des élections législatives et présidentielle nécessite une bonne préparation technique, en particulier pour garantir le bon déroulement du processus d’enregistrement des citoyens.  Il importe aussi d’améliorer la situation sécuritaire, a-t-elle poursuivi en dénonçant la montée de la violence, des meurtres, des enlèvements et de la criminalité liée aux gangs.  Elle a aussi appelé à protéger l’espace civique en veillant à ce que les personnes engagées dans le débat public puissent le faire sans mettre en danger leur vie et leur sécurité.

Tout en reconnaissant les efforts de l’Inspection générale de la Police nationale d’Haïti pour enquêter sur ces allégations, l’Estonie a regretté que le pouvoir judiciaire n’ait pas encore tenu pour responsables les agents de la Police nationale d’Haïti, malgré plusieurs enquêtes pénales ouvertes ces dernières années, notamment dans les cas de Grand Ravine, La Saline et Bel Air.  Dès lors, la délégation a mis l’accent sur l’importance de renforcer la responsabilisation et a appelé le Gouvernement haïtien à améliorer le système judiciaire, à mener des enquêtes appropriées et à traduire les auteurs en justice. 

Selon l’Inde, Haïti a connu certaines avancées, même si la situation politique est fragile, marquée par un déficit de confiance entre les acteurs politiques.  Pour la délégation, il est crucial que la communauté internationale aide le pays à préserver les acquis.  L’Inde a pris note de la création d’un comité constitutionnel et appelé le Gouvernement à rétablir la confiance de la population et à prendre des mesures pour assurer la responsabilisation des forces de police.  La délégation a aussi invité toutes les parties en Haïti à œuvrer pour la bonne tenue des futures élections.  L’Inde a par ailleurs rappelé son soutien constant au peuple haïtien par le passé, avant de promettre l’envoi de 10 000 doses de vaccins contre la COVID-19 à Haïti.

Le Viet Nam a exhorté toutes les parties haïtiennes à redoubler d’efforts pour atteindre un accord pour la tenue des élections, engageant par ailleurs l’ONU et la communauté internationale à soutenir leur organisation et à accorder l’aide nécessaire pour permettre aux citoyens haïtiens de faire entendre leur voix.

La délégation s’est déclarée préoccupée par l’augmentation récente de la violence et des enlèvements liés aux gangs en Haïti et a appelé le Gouvernement haïtien et les autorités locales à assumer leurs responsabilités pour lutter contre les organisations criminelles.  Elle a aussi invité les autorités haïtiennes à mettre en place un cadre national de gestion des armes et des munitions conformément aux instruments, normes et directives internationaux de maîtrise des armements. 

Mettant l’accent sur l’importance de l’unité nationale pour Haïti, le Viet Nam a demandé aux autorités haïtiennes et à toutes les autres parties concernées de faire preuve d’un esprit de compréhension mutuelle et de confiance pour surmonter les différends actuels.  Nous pensons que c’est la meilleure voie pour trouver un terrain d’entente et sortir de l’impasse politique, a-t-il dit.

La Chine s’est inquiétée de la gravité de la crise économique et sociale en Haïti.  La population a perdu espoir, a dit la délégation, en dénonçant le fléau de la corruption.  La Chine a relevé que 2021 sera une année capitale pour le pays et engagé toutes les parties à assumer leurs responsabilités, à privilégier le dialogue et à organiser un référendum.  Elle a appuyé le BINUH, en ajoutant néanmoins que toute aide apportée sera vaine si l’ensemble des parties n’œuvre pas de concert en faveur de la stabilité et de la prospérité.  Elle a égrené les noms des différentes missions onusiennes déployées en Haïti, en rappelant que leur coût global est de 8 milliards de dollars.  L’aide apportée au pays est d’un montant proprement « hallucinant », a-t-elle commenté.  En conclusion, la Chine a appelé à une redéfinition du rôle de l’ONU en Haïti et à éviter des investissements infructueux.

Le Mexique a indiqué que la situation en Haïti est une priorité pour tout le continent américain, préoccupé par la violence qui y prévaut.  La délégation a appelé à renforcer la démocratie en Haïti et exhorté tous les acteurs nationaux à travailler ensemble pour garantir des élections pacifiques et transparentes avec la participation de tous.  Prenant acte de l’organisation d’un référendum constitutionnel en avril, la délégation a appelé à n’épargner aucune ressource pour réussir ce vote dont les résultats devront refléter la volonté populaire.  Des réformes sont également nécessaires pour surmonter les obstacles structurels qui existent. 

La délégation a appelé le BINUH à soutenir les autorités afin de mettre au point une stratégie pour répondre aux causes profondes des dissensions dans la société et contribuer à réduire la violence.  Elle a aussi demandé l’élaboration d’un cadre national pour le contrôle des armes et des munitions en Haïti.  Le Mexique s’est également inquiété de la détérioration de la situation des droits humains.  Le recours excessif à la force est inadmissible, il faut respecter la liberté d’expression et les juges doivent pouvoir travailler en toute indépendance afin de renforcer l’état de droit.  La délégation a ensuite suggéré l’ouverture d’un bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme en Haïti. 

L’Irlande a estimé que cette réunion est empreinte d’un « sentiment d’urgence », Haïti étant « depuis trop longtemps » le théâtre de crises politiques, constitutionnelles, sécuritaires, économiques et humanitaires.  Pour y répondre efficacement, la délégation a tout d’abord appelé à un dialogue « authentique et inclusif », alors que l’annulation des élections législatives, la dissolution du Parlement et l’utilisation fréquente du décret présidentiel ont accru la méfiance à l’égard du système politique.  Pour l’Irlande, 2021 offre à Haïti l’occasion de revitaliser sa démocratie.  À cette fin, a-t-elle affirmé, il est essentiel que le processus d’enregistrement des citoyens soit mené de telle sorte que tous les Haïtiens en droit de voter aient la possibilité de le faire et que les voix des femmes et des jeunes soient entendues.  Le calendrier électoral du Gouvernement ne peut être couronné de succès que si la confiance et l’engagement sont renforcés à tous les niveaux du spectre politique, a souligné la délégation, souhaitant également que le processus de réforme constitutionnelle doit être géré avec soin. 

Alors que la situation sécuritaire continue de se détériorer et que l’ONU fait état d’une augmentation de 95,9% des violations des droits humains dans le pays, l’Irlande a exhorté le Gouvernement haïtien à donner la priorité à l’adoption du Plan d’action national pour les droits de l’homme et d’une stratégie nationale de réduction de la violence communautaire.  Tout en se félicitant des progrès signalés en matière de réforme de la police, elle s’est déclarée préoccupée par les défis persistants auxquels sont confrontés les systèmes judiciaire et pénal.  À cet égard, elle s’est alarmée de la destitution de trois juges de la Cour de cassation et a dénoncé les tentatives visant à saper le rôle et l’indépendance du pouvoir judiciaire.  S’agissant par ailleurs de la crise humanitaire qui affecte plusieurs millions de Haïtiens, la délégation a jugé que « cette souffrance n’est pas inévitable » car elle dépend en grande partie de la violence, de l’insécurité, de la vulnérabilité climatique et de l’instabilité.  En conclusion, elle a jugé crucial que le BINUH apporte un « soutien absolu » à Haïti pour l’aider à résoudre ces crises et à bâtir une société « sans intimidation ni violence ». 

La France s’est préoccupée de la dégradation de la situation en Haïti, estimant que la solution à la crise actuelle est politique.  Faute d’élections, le Parlement ne siège plus depuis un an déjà, a-t-elle rappelé, et les autorités haïtiennes gouvernent par décret.  Elle a ajouté que certains de ces décrets sont source d’inquiétude, notamment celui créant l’Agence nationale d’intelligence, celui élargissant l’imputation de « terrorisme » ou encore celui qui a conduit au renvoi de trois juges pourtant inamovibles selon la Constitution.  Cette situation n’est pas tenable sur le long terme, a-t-elle prévenu.

L’annonce des élections cet automne est un pas dans la bonne direction, mais, a-t-elle fait valoir, encore faut-il que ces scrutins contribuent à une sortie de crise et ne rajoutent pas à la confusion actuelle.  La délégation a souligné que des conditions de sécurité minimales doivent permettre aux scrutins de se tenir dans des conditions satisfaisantes.  Les autorités doivent accélérer la distribution des cartes d’identification afin de garantir une participation électorale large, et un juge électoral impartial doit être mis en place de manière à ce que les résultats en soient acceptés par tous.  Alors qu’une révision constitutionnelle a été annoncée, la délégation a souhaité que les forces vives du pays puissent être en mesure de débattre du texte, de ses implications institutionnelles et surtout, qu’il n’aboutisse pas à retarder encore davantage le déroulement des différents scrutins.

En matière de sécurité, de lutte contre l’impunité et de respect des droits de l’homme, les autorités doivent faire davantage, a exigé la délégation.  Comment est-il possible que Jimmy Cherizier soit toujours en liberté aujourd’hui?  Les responsables des massacres de La Saline et Bel Air doivent être traduits en justice, a-t-elle tranché, avant de dénoncer aussi que l’enquête sur l’assassinat de Monferrier Dorval ne progresse pas.  La crédibilité des institutions est profondément ébranlée en Haïti, en particulier par les affaires de corruption qui ruinent la confiance de la population.  Et près de quatre millions d’Haïtiens vivent dans l’extrême pauvreté et souffrent d’insécurité alimentaire.  Cette situation ne peut qu’accroître les fractures sociales et les tensions, a mis en garde la délégation. 

Le Royaume-Uni s’est préoccupé de l’environnement politique, social et humanitaire qui prévaut en Haïti, qualifiant la persistance de l’impasse politique de « profondément troublante ».  Notant que cette année devait être celle du renouvellement démocratique pour le peuple haïtien, la délégation a appelé tous les acteurs politiques à travailler ensemble pour trouver un terrain d’entente et créer les conditions propices à la réussite des processus démocratiques.  Elle a encouragé les autorités nationales à ne ménager aucun effort pour surmonter les défis logistiques liés aux élections, en particulier l’enregistrement des citoyens. 

La délégation s’est aussi inquiétée de la détérioration de la situation des droits de l’homme dans le pays, en particulier l’augmentation inquiétante des enlèvements et de la violence liée aux gangs.  Toute impunité pour les auteurs de violations des droits de l’homme risque de saper la stabilité dans le pays et mettre la vie des Haïtiens en danger, a prévenu la délégation.  Elle a également attiré l’attention sur la situation humanitaire, en particulier la vulnérabilité aiguë des femmes et des enfants, laquelle est aggravée par les contraintes économiques et sanitaires liées à la COVID-19.

Reprenant la parole à la fin de la séance, le Président haïtien a réagi aux nombreuses remarques des membres du Conseil concernant le décret promulgué au sujet de trois juges de la Cour de cassation.  M. Moïse a expliqué que le décret n’avait pas démis les juges de leurs fonctions, mais leur avait donné l’opportunité de prendre leur retraite de la Cour.  Il a souligné que la loi interdit aux juges de prendre part aux activités politiques.  C’est d’ailleurs ce que le Président de la Cour de cassation leur a rappelé en les priant de démissionner s’ils entendaient mener des activités politiques. 

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