SG/SM/20589

Devant le Conseil des droits de l’homme, le Secrétaire général dénonce le nationalisme vaccinal, l’utilisation abusive des données et la suprématie blanche

On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée lors de la quarante-sixième  session ordinaire du  Conseil des droits de l’homme aujourd’hui, à New York, aujourd’hui:

Les droits humains font partie de notre héritage commun; ils nous unissent les uns aux autres, d’égal à égal.  Les droits humains sont notre bouée de sauvetage ; ils constituent la clef pour mettre fin aux tensions et bâtir une paix durable.  Et les droits humains sont notre première ligne de défense, la pierre angulaire d’un monde offrant dignité et possibilités pour toutes et tous – et il ne se passe pas un jour sans qu’ils soient attaqués.  Le Conseil des droits de l’homme occupe une place centrale dans les efforts déployés à travers le monde pour régler les nombreuses questions ayant trait aux droits humains.  Je vous remercie pour le travail essentiel accompli et je salue l’engagement des États Membres et de la société civile.

Il y a un an, je me suis adressé à vous pour lancer un appel à l’action en faveur des droits humains.   C’est en nous inspirant des termes employés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme que nous avons baptisé cet appel, fondé sur des valeurs et axé sur la dignité, « La plus haute aspiration ».  Cette expression vise à rappeler que garantir les droits humains est une tâche essentielle qui exige une vigilance constante.  Les progrès peuvent être vite effacés.  Le malheur peut frapper à tout instant.

Peu de temps après notre rassemblement de l’année dernière, la COVID-19 a déferlé sur la planète.  La pandémie a mis en évidence les liens qui unissent notre grande famille humaine, mais aussi ceux qui relient les droits humains dans toute leur diversité, qu’ils soient civils, culturels, économiques, politiques ou sociaux.  La COVID-19 a non seulement creusé les fossés qui nous séparent, aggravé les vulnérabilités et renforcé les inégalités, mais aussi ouvert de nouvelles lignes de faille, y compris en termes de droits humains.

Les violations se multiplient pour former un cercle vicieux.  Des centaines de millions de familles ont vu leur vie bouleversée par la perte d’un emploi, par l’accumulation des dettes, par l’effondrement des revenus.  La pandémie a affecté de manière disproportionnée les femmes, les minorités, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap, les réfugiés, les migrants et les peuples autochtones.

Des années de progrès en matière d’égalité des genres ont été réduits à néant.  Pour la première fois depuis des décennies, l’extrême pauvreté gagne du terrain.  La jeunesse souffre: leur éducation a été interrompue et nombre d’entre eux n’ont qu’un accès limité aux nouvelles technologies.

 L’incapacité d’assurer un accès équitable aux vaccins représente une nouvelle faillite morale.  À eux seuls, 10 pays se sont partagés plus de trois quarts des doses de vaccin contre le COVID-19 administrées à ce jour.  L’équité en matière de vaccins représente une étape décisive dans la réalisation des droits humains.  Le nationalisme vaccinal nous renvoie en arrière.  Les vaccins doivent être un bien public mondial, accessibles et abordables pour tous.

Le virus s’attaque aussi aux droits politiques et civils et réduit davantage encore les espaces civiques d’expression.  Brandissant la pandémie comme prétexte, les autorités de certains pays ont pris des mesures de sécurité sévères et adopté des mesures d’urgence pour réprimer les voix dissonantes, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants et entraver le travail des organisations non gouvernementales.

Des défenseurs des droits humains, des journalistes, des avocats, des militants, et même des professionnels de la santé, ont fait l’objet d’arrestations, de poursuites et de mesures d’intimidation et de surveillance pour avoir critiqué les mesures –ou le manque de mesures– prises pour faire face à la pandémie.

Les restrictions liées à la pandémie servent d’excuse pour miner les processus électoraux, affaiblir les voix des opposants et réprimer les critiques.  L’accès à des informations vitales a parfois été entravé, tandis que la désinformation mortelle a été amplifiée, y compris par quelques dirigeants.  Plus généralement, l’infodémie de COVID-19 a suscité des inquiétudes liées au pouvoir de diffusion croissant des plateformes numériques et à l’utilisation abusive des données.  En ce moment même, une vaste bibliothèque d’informations est constituée sur chacun et chacune d’entre nous.  Pourtant, nous n’en possédons pas réellement les clefs.   Nous ne savons pas comment ces informations ont été recueillies, par qui, ni à quelles fins.

Ces données sont utilisées à des fins commerciales, notamment de publicité et de marketing, et servent à augmenter les revenus de ces entreprises.  Nos comportements et habitudes deviennent des marchandises qui sont commercialisées comme des contrats à terme.  Tout cela a abouti à l’apparition de modèles commerciaux inédits et d’industries entièrement nouvelles, qui ont contribué à une concentration toujours plus grande des richesses et à un accroissement des inégalités. 

Nos données sont également utilisées pour façonner et manipuler nos perceptions, sans que nous ne nous en rendions compte. Les gouvernements peuvent exploiter ces données pour contrôler le comportement de leurs propres citoyens, bafouant ainsi les droits humains de certaines personnes ou certains groupes.   Tout cela n’est ni de la science-fiction, ni une anticipation dystopique de ce qui pourrait survenir au XXIIe siècle.  Cela se passe ici et maintenant.  Et cela exige un débat sérieux.

Nous avons élaboré un Feuille de route de coopération numérique afin de trouver la voie à suivre.  Et je demande instamment aux États Membres de mettre les droits humains au centre des cadres réglementaires et de la législation sur le développement et l’utilisation des technologies numériques.  Le monde a besoin d’un avenir numérique sûr, équitable et ouvert afin de veiller à ce qu’il ne soit pas porté atteinte à la vie privée ou à la dignité.

Notre appel à l’action en faveur des droits humains est un cadre complet visant à faire progresser nos travaux les plus importants – du développement durable à l’action climatique, en passant par la protection des libertés fondamentales, l’égalité des genres, la préservation de l’espace civique ou les activités visant à mettre la technologie numérique au service du bien.   Aujourd’hui, je me présente devant vous avec le sentiment qu’il est urgent de redoubler d’efforts pour donner vie à cet appel à l’action.

Je souhaiterais me concentrer sur deux domaines dans lesquels il est impératif d’agir et sur lesquels l’ampleur du défi est importante. Tout d’abord, le fléau du racisme, de la discrimination et de la xénophobie.  Ensuite, l’atteinte aux droits humains la plus répandue de toutes: l’inégalité de genre.  Ces maux sont alimentés par deux des injustices les plus profondes de notre histoire: l’héritage de siècles de colonialisme et la persistance du patriarcat à travers les millénaires.

La volonté de jeter de l’huile sur le feu du racisme, de l’antisémitisme, du sectarisme antimusulman, de la violence contre certaines communautés minoritaires chrétiennes, de l’homophobie, de la xénophobie et de la misogynie n’est pas nouvelle.  Ce qui l’est, c’est la possibilité de se livrer à de tels actes de façon plus visible, plus facile et plus généralisée.  Lorsque nous permettons qu’une personne soit dénigrée, nous créons un précédent qui peut aboutir à la diabolisation de chacun et chacune d’entre nous.  Le racisme gangrène les institutions, les structures sociales et notre quotidien – parfois de manière invisible et insidieuse.

Je me félicite du nouvel élan qui anime la lutte mondiale pour la justice raciale, un élan de résistance contre le dénigrement ou l’ignorance – souvent insufflé par les femmes et les jeunes.  Comme ces derniers l’ont souligné, nous avons encore beaucoup à faire.  Je salue la décision qu’a prise le Conseil des droits de l’homme de faire rapport sur le racisme systémique, l’application du principe de responsabilité, les mécanismes de réparation et les interventions menées face aux manifestations pacifiques contre le racisme – et espère vivement que des mesures concrètes seront prises à cet égard.

Nous devons également intensifier la lutte contre la résurgence du néonazisme, de la suprématie blanche et du terrorisme à motivation raciale et ethnique.  La menace que représentent ces mouvements de haine grandit de jour en jour.  Soyons francs:  les mouvements de suprémacistes blancs et les mouvements néonazis sont plus qu’une menace terroriste intérieure.  Ils sont en train de devenir une menace transnationale.

Comme d’autres, ces groupes ont tiré parti de la pandémie, ainsi que de la polarisation sociale et de la manipulation politique et culturelle pour grossir leurs rangs.  Aujourd’hui, ces mouvements extrémistes représentent la plus grande menace pour la sécurité intérieure de plusieurs pays.  Seules ou en groupes, certaines personnes se livrent à une surenchère de la haine: elles collectent des fonds, recrutent et communiquent en ligne, tant dans leur pays qu’à l’étranger, et voyagent dans le monde entier pour s’entraîner ensemble et mettre en réseau leurs idéologies haineuses.

Bien trop souvent, ces groupes haineux sont encouragés par des personnes occupant des postes à responsabilité, ce qui semblait encore inimaginable il n’y a pas si longtemps.  Ce n’est que par une action concertée à l’échelle mondiale que nous pourrons mettre fin à cette menace sérieuse et croissante.

Il nous faut également nous attacher à sauvegarder les droits des personnes issues de minorités, dont beaucoup sont menacées partout dans le monde.  Ces personnes contribuent à la richesse de notre tissu culturel et social.  Tout comme la biodiversité est essentielle au bien-être humain, la diversité des populations est fondamentale pour l’humanité.

Pourtant, nous avons affaire non seulement à des formes de discrimination, mais aussi à des politiques d’assimilation qui cherchent à annihiler l’identité culturelle et religieuse des personnes issues de minorités.  Lorsque la culture, la langue ou la foi d’une minorité est attaquée, nous sommes tous perdants.  Lorsque les autorités jettent la suspicion sur des groupes entiers sous prétexte de garantir la sécurité, nous sommes tous menacés.  Ces mesures sont vouées à se retourner contre nous.

Nous devons continuer de plaider en faveur de politiques qui respectent pleinement les droits humains et l’identité religieuse, culturelle et humaine.  Et nous devons en même temps créer les conditions permettant à chaque communauté de se sentir pleinement intégrée à la société dans son ensemble.

Aucune atteinte aux droits humains n’est plus répandue que l’inégalité de genre.  La pandémie de COVID-19 a encore exacerbé la discrimination tenace à l’égard des femmes et des filles.  La crise a un visage féminin.  En effet, la plupart des travailleurs en première ligne sont des femmes, dont beaucoup appartiennent à des groupes ethniques et raciaux marginalisés et se situent au bas de l’échelle économique.  Le fardeau accru des soins à domicile est principalement assumé par les femmes.

La violence à l’égard des femmes et des filles a explosé sous toutes ses formes, des agressions en ligne à la violence domestique, en passant par la traite, l’exploitation sexuelle et le mariage d’enfants.  Les femmes sont proportionnellement plus touchées par les pertes d’emploi et ont été précipitées dans la pauvreté en plus grand nombre.  Cela vient aggraver une situation socioéconomique déjà fragile en raison de leurs revenus inférieurs, de l’écart salarial, de l’inégalité des chances et d’un accès réduit aux ressources et aux mesures de protection.

 Rien de tout cela n’est dû au hasard.   Il s’agit là du résultat de générations d’exclusion.   Et, en définitive, d’une question de pouvoir.   Un monde et une culture dominés par les hommes donneront des résultats dominés par les hommes.  Dans le même temps, la réponse au COVID-19 a mis en évidence le pouvoir et l’efficacité du leadership des femmes.

La vie des femmes est peut-être l’un des baromètres les plus précis de la santé de la société dans son ensemble.  La façon dont la société traite la moitié de sa population est révélatrice de la façon dont elle traitera les autres.  Nos droits sont indissociablement liés.  En tant que féministe, et fier de l’être, j’ai donc honoré mon engagement de faire de la parité des genres une réalité au sein de la direction de l’ONU.  Et j’ai fait de l’égalité des genres l’une des principales priorités de l’ensemble de l’Organisation.  Cette responsabilité ne relève pas d’une seule personne ou d’une seule entité.  Si nous voulons être une organisation internationale inclusive, crédible et efficace, nous devons toutes et tous y contribuer.

Je suis déterminé à en faire beaucoup plus.  Notre Appel à l’action en faveur des droits humains vise en particulier à abroger toutes les lois discriminatoires dans le monde et à assurer aux femmes l’égalité en droit en matière de participation et de représentation, dans chaque secteur et à chaque niveau, par des initiatives ambitieuses, notamment des mesures temporaires spéciales comme les quotas.  La réalisation de ce droit sera bénéfique pour nous tous.

Les problèmes qui ont été créés par les hommes –je dis bien par les hommes– ne pourront être réglés que par l’humanité toute entière.  Mais ces solutions ne pourront être trouvées que dans le cadre d’un partage du pouvoir et de la prise des décisions et du respect du droit de chacune et de chacun d’y participer sur un pied d’égalité.

Les quatre coins du globe sont touchés par des violations des droits humains.  Bien sûr, la situation de certains pays, qui dure parfois depuis longtemps, est extrêmement préoccupante et le Conseil des droits de l’homme et ses mécanismes ont un rôle essentiel à jouer pour ce qui est de sensibiliser et de protéger la population, de maintenir le dialogue et de trouver des solutions.

 Je remercie le Conseil des droits de l’homme de l’attention qu’il a récemment accordée à la situation au Myanmar, où les problèmes que j’ai décrits aujourd’hui sont flagrants.  Je remercie le Conseil des droits de l’homme de l’attention accordée aux situations où les défis que j’ai évoqués aujourd’hui sont dramatiquement évidents – et c’est le cas du Myanmar.

Nous assistons à l’affaiblissement de la démocratie, à l’utilisation de la force brutale, à des arrestations arbitraires, à la répression dans toutes ses manifestations, à la restriction de l’espace civique, à des attaques contre la société civile, à des violations graves commises contre des personnes issues de minorités sans que les responsables n’aient à rendre de comptes, notamment à ce qui a été appelé à juste titre un nettoyage ethnique de la population rohingya, et la liste est encore longue.   Tout cela se conjugue dans une réelle période de troubles.  Aujourd’hui, j’appelle l’Armée du Myanmar à arrêter immédiatement la répression.  Libérer les prisonniers.  Mettre fin à la violence.  Respecter les droits humains et la volonté du peuple exprimée lors des récentes élections.  Les coups d'État n'ont pas leur place dans notre monde moderne. 

Je salue la résolution adoptée par le Conseil des droits de l’homme, m’engage à donner suite à votre demande et exprime tout mon soutien au peuple du Myanmar dans sa quête de démocratie et de paix et dans son action en faveur du respect des droits humains et de l’état de droit.  Les populations du monde entier comptent sur nous pour garantir et protéger leurs droits.

Alors que la pandémie met les droits humains sous les projecteurs, le relèvement est l’occasion de créer un élan de transformation.  Le moment est venu de remettre les pendules à zéro.  De refaçonner.  De reconstruire.  De mieux redresser, dans le respect des droits humains et de la dignité de toutes et tous.

C’est par notre détermination et notre collaboration que nous pourrons y parvenir: j’en suis convaincu.  Je vous remercie.

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