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L'INTERVIEW de Chronique ONU

Médecins Sans Frontières (MSF) est la plus grande agence internationale de secours médical du monde. Elle aide les victimes des conflits armés, des épidémies, des catastrophes naturelles ou provoquées par l'homme, ainsi que tous ceux qui n'ont pas accès aux soins de santé parce qu'ils vivent en marge de la société.

MSF, qui a des bureaux dans 18 pays, envoie chaque année plus de 2 000 volontaires de plus de 45 nationalités différentes dans environ 80 pays. Lorsque l'assistance médicale ne suffit pas à sauver des vies, MSF s'élève publiquement contre les violations des droits de l'homme et du droit international dont ses équipes sont témoins lorsqu'elles dispensent leur aide médicale.


Photo/G. Turine/MSF

En octobre 1999, le Prix Nobel de la paix a été décerné à MSF pour la récompenser de son travail extraordinaire. Ann Marie Erb-Leoncavallo, de Chronique ONU, s'est entretenue avec le Dr James Orbinski, Président du Conseil international de MSF, sur le droit à l'assistance humanitaire, la protection des agents humanitaires et sur la façon dont les Nations Unies et MSF peuvent mieux coopérer pour sauver des vies humaines.



Tout d'abord, félicitations pour le Prix Nobel de la paix. Dans une déclaration à la presse, vous avez dit que le Prix Nobel était "une confirmation importante du droit fondamental des gens ordinaires à l'assistance humanitaire et à la protection". Ce droit est-il de plus en plus respecté ou non ?

Je préfère parler de droit à la dignité humaine. Je pense que l'aspect exceptionnel de la contribution de Médecins Sans Frontières a été son engagement pour une action humanitaire civile et indépendante - une intervention humanitaire libre de l'influence politique, économique ou religieuse et qui se déroule, si cela est nécessaire, en dehors des structures institutionnelles normales et des systèmes législatifs normaux. Le fait que nous étions disposés en 1971 à agir ainsi et que nous ayons maintenu notre engagement en faveur de la dignité des peuples et de leur droit à l'assistance humanitaire, voilà, je crois, ce qui fait que notre contribution au monde de l'humanitarisme de ces 20 ou 30 dernières années est tout à fait unique.

Ceci dit, quant à savoir si les populations en crise ont plus ou moins accès à l'assistance humanitaire, ou à plus ou moins de protection, je crois que le débat n'est pas encore tranché. Incontestablement, en termes de compréhension générale du droit humanitaire international et de la présence du discours humanitaire, au niveau des relations internationales en tout cas, le discours est dans l'air du temps, bien plus qu'il y a 30 ans. Mais sur le terrain, je crois qu'on risque de se diriger vers ce que j'appellerais l'"humanitarisme virtuel". Je veux dire par là qu'il existe des lois bien connues, des chartes bien connues, des systèmes de coordination bien connus mais qu'ils risquent tous d'être de plus en plus coupés de la réalité du terrain. Je ne dis pas que c'est ce qui se passe, je dis que c'est quelque chose qui me donne à réfléchir en ce moment. Nous essayons de comprendre ce qui est en train de se passer sur le terrain; ce n'est pas clair.

Faites-vous référence aux attaques menées contre les agents humanitaires ? Elles seraient un des symptômes de cet "humanitarisme virtuel" ?

Oui, mais aussi, ce qui est plus important, le fait que l'on remette en question la capacité des agents humanitaires à avoir accès librement et indépendamment à toutes les populations en danger. Je pense par exemple au Congo-Brazzaville. Il y a de vastes parties de ce pays où les populations n'ont quasiment pas accès à l'aide humanitaire. Je pense aussi à la Tchétchénie, à certaines régions de l'Afrique, quelques parties du Soudan en particulier. Les lois et principes humanitaires internationaux sont bien connus mais est-il possible de les faire appliquer en toutes circonstances ? Voilà la question.

Comment expliquer ce manque d'accès ?

Il est clair que toutes les formes de besoin humanitaire proviennent d'un échec politique sous une forme ou une autre. La volonté du pouvoir politique de reconnaître le droit à l'assistance humanitaire et l'obligation de respecter la dignité humaine sont étroitement liées à cet échec politique.

Les Nations Unies et leur Secrétaire général ont un rôle politique aussi bien qu'humanitaire à jouer. Que devrait être, à votre avis, le rôle du Secrétaire général lors des crises humanitaires ?

Incontestablement, le rôle du Secrétaire général est essentiellement politique. En ce sens, je dirais qu'une partie du rôle des Nations Unies en général, et du Secrétaire général en particulier, est de veiller à ce que l'intervention humanitaire soit viable, possible, qu'elle prime sur l'aspect politique et qu'elle soit inconditionnelle. C'est toujours là une série d'objectifs difficiles à atteindre, en particulier pour une institution ou un agent de l'ONU, y compris le Secrétaire général. On considère que ces objectifs sont "mutuellement incompatibles" mais j'estime que l'espace humanitaire, comme nous l'appelons, doit primer a priori sur toute forme de politique; cela doit aller de soi.

MSF est intervenu en divers endroits aux côtés d'opérations de maintien de la paix de l'ONU. Quels sont les enseignements que l'on peut en tirer ?

L'une des leçons les plus importantes, c'est que lorsque vous mélangez actions humanitaires et militaires, l'intervention humanitaire indépendante risque d'être mal comprise, ou considérée comme étant liée au processus politique qui sous-tend une intervention militaire - et cela pose un risque majeur. C'est un risque que nous ne souhaitons pas prendre. C'est pour cela que nous n'épargnons aucun effort pour rester indépendants des acteurs militaires et notre intervention humanitaire n'est pas forcément vue sous le même angle que l'action militaire.

La coordination humanitaitre est extrêmement importante pour le succès des opérations. A votre avis, y-a-t-il quelque chose que les Nations Unies peuvent faire pour faciliter la coordination avec des organisations comme la vôtre ?

Je pense premièrement qu'il faut faire preuve de réalisme devant ce qu'il est possible d'accomplir. C'est toujours facile de chercher une réponse ou une solution parfaite à un problème ou à une situation. Mais certains problèmes sont tellement complexes qu'il n'existe pas de solutions ou de réponses faciles. Et quelquefois, la seule chose que l'on puisse faire dans ces circonstances, c'est d'illuminer la complexité du problème. Je crois qu'à l'époque actuelle, et il existe bien entendu des exceptions, la question de parvenir à une sorte de système de coordination efficace et accepté par tous est encore à l'état de projet. Pour MSF, il est incontestable qu'en tant qu'ONG (organisation non gouvernementale) nous collaborons avec les institutions des Nations Unies. Nous participons aux réunions de l'ONU, à la fois pour être informé et pour informer, que ce soit à New York ou Genève ou sur le terrain. Il est également incontestable qu'à un nouveau technique, nous avons des relations très, très étroites avec les institutions de l'ONU en termes de procédures de santé, de stratégies de santé en situation d'urgence etc. La coopération entre MSF et les institutions de l'ONU, mais aussi d'autres ONG est donc vigoureuse. Mais le principal problème actuel est posé par la très grande variété des agents de l'ONU et des ONG. En coordonnant les démarches, on cherche habituellement à éviter le double emploi, à assurer une sécurité adéquate et une stratégie d'ensemble cohérente face à une crise donnée. Nous n'avons aucune difficulté à coopérer en vue de diminuer les doubles emplois potentiels et renforcer la cohérence de la démarche d'ensemble, mais pas d'une manière qui entrave notre indépendance et l'impartialité de notre organisation. C'est là une condition à notre action en n'importe quelle sorte de crise. Nous sommes heureux de collaborer aux efforts des institutions de l'ONU, cela est incontestable. Mais je pense que nous devons vraiment étudier la question suivante : sommes-nous prêts à ce que nos actions soient coordonnées par des institutions des Nations Unies ? Et la réponse est non, en ce moment en tout cas.


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