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Une confédération de confédérations
RATIONALISÉE ET TRANSPARENTE


Par Louk Box

Si les Nations Unies restent simplement une confédération d'Etats, elles risquent de devenir obsolètes; si elles deviennent une confédération de confédérations qui fait intervenir la société civile mondiale, elles pourront peut-être relever les défis grâce à cette légitimité renforcée. Selon le dictionnaire, une confédération est une "ligue ou une association pour un soutien mutuel ou une action commune". La confédération fait référence à l'union que crée une telle ligue. Bien que ce concept concerne le plus souvent les Etats, il s'applique également aux associations autonomes, comme les syndicats par exemple. Il repose pour l'essentiel sur l'autonomie du membre et l'alliance organisée pour l'intérêt général. Les syndicats sont des organismes autonomes dans la société civile; on suppose que les Etats sont autonomes dans les relations internationales. Les syndicats et les Etats peuvent bâtir des confédérations à l'échelle mondiale.

La question mérite d'être posée : les organisations autonomes de la société civile pourraient-elles s'associer aux Etats "pour un soutien mutuel ou une action commune" ? Ou pour aller encore plus loin : les confédérations d'organisations de la société civile pourraient-elles s'associer avec une confédération d'Etats ? La question semble théorique, mais j'espère montrer que ce genre de questions affecte directement les Nations Unies et leur légitimité.

Les mots sont parés d'une signification qui varient en fonction du contexte historique. Le mot "confédéré" évoquera ainsi pour un Américain les Etats du Sud lors de la guerre civile, drame historique de l'Amérique du Nord. Pour un Hollandais, il évoquera peut-être l'Age d'Or de la République hollandaise, lorsque les Provinces Unies se sont battues pour obtenir leur indépendance. Essayons d'aller au-delà de ces significations. Une confédération permet à ses membres de transférer progressivement des responsabilités spécifiques à un organe commun. La souveraineté d'Etat est préservée puisque la confédération se fonde sur le principe même d'autonomie. Les Nations Unies suivent cet exemple dans la mesure où les Etats n'abandonnent pas leur pouvoir ou leur souveraineté, ils la mettent en commun. La Cour internationale de Justice de La Haye illustre ce point : elle ne peut donner un verdict que dans les affaires que les deux parties à un conflit sont disposées à lui soumettre.

Il n'y a pas que les Etats qui bâtissent des confédérations, les organisations de la société civile le font aussi. Le sport est organisé dans des ligues, que l'on peut considérer comme des "associations pour une action commune". Les intérêts publics à l'échelle mondiale sont de plus en plus souvent servis par des confédérations mondiales.

La société civile, ou le réseau d'associations d'intérêt public, se mondialise, tout comme le font les marchés. Les marchés sont les échanges structurés des intérêts privés. Leur fonctionnement a toujours été régi par des valeurs enracinées dans la société civile et approuvées par les Etats. Les fondateurs des Nations Unies ont reconnu ce rôle dans la définition de l'intérêt public. Ils ont accordé une certaine place à la représentation non étatique sous la forme d'organisations non gouvernementales (ONG), associées à l'ONU depuis sa fondation.

Les Nations Unies se retrouvent maintenant face à une pléthore d'ONG. Elles ne savent pas comment traiter avec elles. Quel devrait être le critère d'admission ? Les groupes en faveur du droit à l'avortement devraient-ils être admis ? "Non" réplique le Congrès des Etats-Unis. La National Rifle Association (NRA, le lobby des armes à feu aux Etats-Unis) devrait-elle être autorisée à plaider sa cause ? "Non", répondent d'autres parlementaires. La représentation des groupes d'intérêt public non étatiques est donc d'une brûlante actualité.

Comment peut-on résoudre la question ? Il n'existe pas de solution simple, mais peut-être peut-on fournir une indication. La première question à laquelle il faut apporter une réponse est la suivante : des groupes d'Etats peuvent-ils traiter avec des acteurs non étatiques, tels que des groupes d'intérêt public par exemple ? La réponse est oui, parce que cela fait quelque temps qu'ils le font.

Prenons l'Organisation internationale du Travail (OIT) par exemple, qui fête son 80e anniversaire cette année. Elle associe des Etats, des syndicats et des organisations patronales.

La seconde question est celle-ci : quels sont les changements qu'il faut mettre en place au sein du système des Nations Unies au sens large pour institutionnaliser une telle interaction ? Je répondrais pour ma part qu'il en faut remarquablement peu, quoique certains fussent radicaux. J'en citerai quatre seulement, sur le modèle de l'OIT, dont la valeur a été prouvée:

  • ramener les tâches des organisations sectorielles aux domaines spécifiques de l'intérêt public mondial (dans les domaines de la santé, l'éducation, l'alimentation et le travail, etc);
  • ramener les fonctions de ces organisations aux questions d'expertise, d'établissement des normes et d'arbitrage (éviter les nombreuses tâches d'exécution et de développement qu'elles ont assumées);
  • diminuer le nombre d'acteurs non étatiques avec lesquels traiter en leur demandant de former des confédérations mondiales qui sont légitimées par une composition autonome multinationale (éviter l'ONG qui se compose d'une seule personne ou d'une seule nation);
  • améliorer l'échange d'informations au sein des réseaux mondiaux associant les membres (comme cela se passe par exemple au portail OneWorld.Net, qui offre déjà l'accès à un million de documents sur la coopération internationale et la justice mondiale).
La troisième question pourrait être la suivante : qui financera tout cela ? Je ne pense pas que ce seront les Etats. Les Etats les plus puissants ont un bilan par habitant plutôt mauvais : les petits Etats européens sont en tête de liste. Les Etats-Unis sont surtout connus pour les critiques qu'adresse leur Congrès aux Nations Unies, mais d'autres pays tels que la Chine ou la Russie ne font guère mieux. Les puissants se cramponnent à leur pouvoir.

Le moment est donc venu de trouver d'autres formes de financement. Si la représentation implique l'obligation, on peut demander à la société civile d'apporter sa contribution. D'autres arrangements seraient préférables, tels que l'instauration d'une taxe minime sur les transferts des capitaux spéculatifs. Toutefois, tant que certains groupes s'y opposent, on ferait tout aussi bien d'écarter cette option pour l'instant. Pourquoi ne pas commencer par accueillir ces groupes dans un dialogue ouvert avec d'autres qui peuvent déclarer avec une certaine légitimité qu'ils représentent un intérêt public mondial ? Si cela a marché à l'OIT, je ne vois pas pourquoi cela ne marcherait pas ailleurs.

J'ai idée que les Nations Unies en seraient améliorées, qu'elles deviendraient une instance rationalisée, plus ouverte. Rationalisée, comme les Etats riches semblent le souhaiter.

Et plus ouverte, comme le souhaitent les groupes d'intérêt public. Une confédération de confédérations aiderait à progresser sur cette voie.





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Louk Box dirige le Centre européen de gestion des politiques du développement de Maastricht (Pays-Bas).


"La société civile, ou le réseau d'associations d'intérêt public, se mondialise tout comme le font les marchés. Les marchés sont les échanges structurés des intérêts privés. Leur fonctionnement a toujours été régi par des valeurs enracinées dans la société civile et approuvées par les Etats. Les fondateurs des Nations Unies ont reconnu ce rôle dans la définition de l'intérêt public. Ils ont accordé de la place à la représentation non étatique sous la forme d'organisations non gouvernementales (ONG) associées à l'ONU depuis sa création."


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