Chronique | Logo

HÉRITAGE ET LEÇONS


Par Sa Majesté la Reine Noor de Jordanie

Le système des Nations Unies s'embarque dans son deuxième demi-siècle avec un palmarès unique parmi les institutions internationales. A de multiples reprises au cours des 50 dernières années, l'ONU a préservé ses buts essentiels que sont la diminution des conflits entre Etats et l'encouragement à la paix dans le monde, à la sécurité et au progrès. Aujourd'hui, les principes fondateurs des Nations Unies sont encore plus appropriés à la condition humaine qu'ils ne l'étaient en 1945. Cependant, tant le monde que les Nations Unies elles-mêmes ont beaucoup changé au cours des dernières décennies. Il va donc de soi que leur interaction doit évoluer également. Si les Nations Unies comptent rester efficaces au XXIe siècle, elles doivent s'inspirer de leur héritage et des leçons du XXe siècle.

Si les buts de l'ONU restent consistants et valides, le monde dans lequel elle fonctionne a considérablement changé : le modèle d'un monde où cœxistent deux super-puissances a disparu ; on compte près de trois fois plus d'Etats indépendants au sein de ses membres qu'en 1945, et une grande partie d'entre eux affrontent au niveau national des problèmes socio-économiques, écologiques et politiques urgents ; et la plupart des conflits régionaux sont maintenant des conflits locaux qui ne menacent pas immédiatement ou ouvertement la stabilité du monde. Ceci est en partie la preuve des succès de l'ONU en matière de diplomatie préventive, règlement des conflits et maintien de la paix, mais c'est aussi le signe qu'il faut modifier le rôle des Nations Unies.

Tout au long de son histoire, l'ONU a remporté de nombreux succès lorsque ses Etats Membres lui ont donné le mandat et l'autorité nécessaires à l'accomplissement de sa tâche. Au nombre de ces succès figurent la diplomatie mise en œuvre pour prévenir une agression ou rétablir la situation qui prévalait avant une agression, la mise sur pied d'opérations de maintien de la paix qui solidifient des accords négociés entre Etats, le passage pacifique du colonialisme à l'indépendance et la création de mécanismes institutionnels visant à punir les auteurs des crimes les plus odieux, et prévenir ainsi de nouveaux génocides, crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Et c'est dans ce dernier domaine -- la recherche d'une justice internationale -- que l'ONU pourrait apporter sa plus grande contribution.

Dès le début, la Charte de l'ONU prévoyait, dans son Article 7, la création d'une Cour internationale de Justice, où les Etats pourraient résoudre leurs différends en recourant au droit. La plupart des affaires présentées à la Cour étaient toutefois d'une nature juridictionnelle et concernaient les droits des "Etats" et non des "individus". L'adoption par l'Assemblée générale, il y a plus de 50 ans, de la Déclaration universelle des droits de l'homme et des Conventions de Genève a jeté les fondements de ce qu'on allait considérer de plus en plus comme une norme de référence chaque fois que seraient invoqués les "droits des individus", en temps de paix comme en temps de guerre.

La création récente par le Conseil de sécurité de deux tribunaux spéciaux pour les crimes de guerre a permis de faire progresser tout cela : le droit pénal international ne resterait plus un sujet ésotérique, confiné aux enseignements de quelques professeurs de droit, mais serait mis en pratique contre ces personnes qui, en Bosnie-Herzégovine comme au Rwanda, s'étaient conduites de manière tellement barbare que la communaté internationale avait dû intervenir. La création de la Cour pénale internationale, qui va bientôt être opérationnelle et dont le statut a été négocié et adopté sous les auspices de l'Assemblée générale, devrait avoir de profondes conséquences. La Cour sera à la fois permanente et indépendante et, une fois que le statut de Rome sera entré en vigueur, elle aura la possibilité de révolutionner la conduite des affaires humaines, pour l'améliorer : pour empêcher les actes les plus cruels et, ainsi, distinguer le siècle à venir des siècles précédents. Pour cela, il faut que tous les Etats maintiennent leur engagement en faveur du processus que nous appelons le "multilatéralisme" et que les Nations Unies, expression de cet engagement, restent fortes. Les organes pertinents des Nations Unies doivent protéger leur crédibilité en tant qu'instance neutre où tous les pays -- grands et petits, du Nord ou du Sud, aux moyens puissants ou modestes -- peuvent se rencontrer, débattre, présenter leurs cas, faire pression pour qu'on les soutienne et enfin voter pour exprimer la volonté collective de la communauté internationale.

Avec la prolifération d'Etats indépendants, souvent petits, l'existence d'une telle instance n'a jamais été plus importante. Si l'ONU elle-même n'est pas un modèle de justice au sein des nations, elle ne peut de manière réaliste compter encourager l'équité entre les nations, une tâche dont elle se charge de plus en plus fréquemment depuis quelque temps, depuis que la menace d'un conflit mondial est éclipsée par les luttes intestines. Pareillement, les Etats Membres doivent admettre que s'ils comptent sur la protection de l'ONU ou comptent influencer ses décisions, ils doivent obéir à ses résolutions -- même celles avec lesquelles ils ne sont pas d'accord.

Un consensus tout aussi important mais plus récent né de l'expérience de l'ONU est la conviction que la paix et la sécurité entre les nations sont mieux assurées lorsqu'on veille à satisfaire les besoins de base et la dignité de leurs peuples. Grâce à une remarquable série de conférences internationales sur des questions telles que la population, le développement social, les droits des femmes et des enfants, l'eau et l'environnement, entre autres sujets, les Nations Unies ont défini des normes mondiales en matière de droits et besoins humains fondamentaux. Encouragée par ce consensus, l'ONU a élargi son champ d'intervention à un certain nombre de secteurs variés et a créé de nouvelles institutions dans des domaines tels que l'environnement, le logement, l'emploi, la gouvernance, les droits de l'homme, l'éducation, l'égalité des sexes et la santé.

Ce sont là des leçons importantes, mais l'élargissement du champ d'action de l'ONU ne pourra pas se prolonger indéfiniment, compte tenu de ses contraintes financières et des limites de ses capacités de gestion. Au XXIe siècle, donc, les Nations Unies doivent faire des choix fondamentaux pour trouver la formule qui leur permettra le mieux de relever les défis mondiaux. En décidant de la façon dont elle opèrera dans le monde au siècle nouveau, l'ONU devrait poursuivre cette lente transition qu'elle effectue depuis plus de deux décennies, et il est probable qu'elle le fera. Elle restera une instance unique pour la prévention et la solution pacifiques des conflits et lancera des opérations de maintien ou d'instauration de la paix en cas de besoin, tout en mettant au point les techniques les plus efficaces de leur mise en œuvre.

Cependant, à long terme, la contribution la plus utile de l'ONU à la paix et à la stabilité dans le monde à long terme pourrait bien consister à promouvoir, à l'intérieur des pays, cet environnement qui favorise le progrès et minimise les disparités et les conflits, à savoir la démocratie, les droits de l'homme et une éducation de qualité pour tous. Le Secrétaire général Kofi Annan a exprimé cette idée de manière particulièrement éloquente récemment lorsqu'il écrivait que "la gestion non violente des conflits est l'essence même de la démocratie" (Le Monde en l'an 2000, The Economist, Londres, 1999, page 77). Et pour aller encore plus loin sur cette voie, nous pourrions ajouter que la démocratie -- pour les êtres humains et pour les nations -- est au cœur même du mandat de l'ONU. Elle étaye le consensus mondial sur les normes qui régissent les droits et les besoins fondamentaux ; elle se fonde sur le principe selon lequel le progrès socio-économique, l'intégrité nationale, la stabilité régionale et la paix mondiale doivent reposer sur la dignité de chaque être humain. Une condition sine qua non pour parvenir à ce but -- la bonne gouvernance démocratique -- est l'élément à long terme le plus efficace pour la prospérité et le plus puissant des antidotes au conflit. Munie de l'autorité que lui confère le consensus international, l'ONU a déja commencé d'axer ses activités sur l'établissement de la paix en veillant à la progression de la bonne gouvernance et du respect des droits fondamentaux de l'homme, plutôt qu'en intervenant dans des zones de conflit actif. Et en ayant recours à la démocratie et à la concorde, plutôt qu'au conflit, dans leur propre système au niveau mondial, les Nations Unies peuvent devenir un modèle actif du type de gouvernance et de respect des droits de l'individu qu'elles espèrent voir chez leurs Etats Membres. La prévention des conflits, par le biais de la démocratie et de l'équité, est la voie de l'avenir pour les Nations Unies au XXIe siècle.

Vos réactions


Accueil
Dans ce numéro
Archives
Abonnez-vous
Vos réactions



Sa Majesté
la Reine Noor de Jordanie



"Les plus graves menaces à la paix aujourd'hui ne proviennent pas de rivalités nucléaires, d'idéologies mondiales prédatrices ou de conflits régionaux chroniques. Neuf conflits sur dix sont locaux ou internes ; la plupart sont alimentés par les disparités ou une forme quelconque de discrimination politique ou d'exclusion. Les Nations Unies doivent donc redoubler d'efforts pour faire naître chez ceux qui en ont le plus besoin un sentiment de justice, l'impression d'être protégés et l'espoir. L'institution se retrouve maintenant dans des situations complexes où son mandat traditionnel de promotion de la paix dans le monde et d'encouragement à la dignité humaine l'oblige à prendre une mesure radicale, l'intervention dans les affaires internes d'un pays. La question pour la communauté internationale devient donc : quelle autorité a-t-elle pour mener une telle intervention ? La réponse doit être que, contrairement aux récentes affirmations de ses détracteurs, l'ONU n'est pas une force indépendante, qui imposerait son propre ordre du jour à des nations souveraines, mais le reflet de la volonté collective de ses Etats Membres".

Accueil || Dans ce numéro || Archives || Abonnez-vous || Vos réactions

Créez un signet pour le site de la Chronique: http://www.un.org/french/pubs/chronique
Et vous pouvez adresser un courrier électronique: unchronicle@un.org
Site de la Chronique en anglais: http://www.un.org/Pubs/chronicle


Chronique ONU: Copyright © 1997-2000 Nations Unies.
Tous droits réservés pour tous pays.
Les articles de ce numéro peuvent être reproduits dans un but éducatif.
Cependant aucune partie ne peut en être reproduite dans un but commercial
sans l'autorisation expresse par écrit du Secrétaire du Conseil des publications,
Bureau L-382C, Nations Unies, New York, NY 10017, Etats-Unis d'Amérique.