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Les Nations Unies et les défis conceptuels
d'une économie qui se mondialise


Par Karel van Wolferen

Netsuke: animaux qui constituent les signes du Zodiaque chinois, avec, au centre, un dragon manju en ivoire, emblème de l'an 2000. Photo offerte par Sotheby de New York.
Le terme de mondialisation est généralement utilisé pour décrire une réalité visible ainsi que pour justifier un programme politique. D'une part, il évoque la disparition progressive de nombreuses limites aux pratiques internationales en matière de commerce et d'investissements, qui s'explique par l'élargissement considérable du champ d'action des êtres humains qu'ont permis les dernières technologies de communication et de traitement de données, et le processus qui en résulte d'une intégration économique au niveau mondial partielle mais rapide. D'autre part, la mondialisation évoque une mission politique qui cherche à modifier les relations entre les Etats et les grandes organisations d'entreprises. Pour les gouvernements et les communautés, la mondialisation est donc un processus en cours que rien ne peut arrêter et qui les laisse sans options politiques, ainsi qu'un phénomène qu'ils doivent faciliter par des programmes de dérèglementation, de libéralisation des échanges et de privatisation. Parce que ces deux notions sont incorrectement reliées dans de nombreuses analyses qui alimentent le discours politique, la vraie nature du programme politique tend à être obscurcie par cette nécessité ou inévitabilité économiques supposées.

Divers organismes des Nations Unies occupent une position idéale leur permettant de contribuer à la mise en place d'un meilleur système conceptuel dans le cadre duquel on pourra comprendre les phénomènes qui accompagnent la mondialisation:

  • Les Nations Unies sont uniques en ce qu'elles sont la seule organisation mondiale à ne pas être contrôlée par un pays particulier et la seule qui permette à tous les pays de participer aux discussions actuelles concernant les problèmes communs. La réalisation d'un développement économique mondial et à long terme figure en tête de la liste de ces questions, avec la sécurité et la protection de l'environnement.
  • A la différence d'autres organisations internationales telles que l'Organisation de la coopération et du développement économiques, l'Organisation du commerce international et le Fonds monétaire international, les organismes de l'ONU responsables du développement ou de l'éducation ne sont pas soupçonnés de représenter des intérêts économiques particuliers ou d'en être entachés.
  • Nombre d'organismes des Nations Unies sont fondamentalement déterminés à encourager les études dans leurs domaines de compétences, une attitude nécessaire pour un projet concernant une amélioration conceptuelle.
  • Diverses institutions de l'ONU sont bien placées pour contribuer à un tel projet parce qu'elles ont une expérience concrète d'une multitude d'environnements sociaux et politiques, et une vaste mémoire institutionnelle.
  • Grâce aux voies de communication établies à tous les coins de la planète, les Nations Unies peuvent être un formidable instrument de diffusion des connaissances.

Les crises économiques et autres événements survenus à la fin des années 90 ont entraîné la naissance de deux consensus généraux, qui sont en train d'évoluer, sur les suppositions erronnées concernant la mondialisation. La conviction selon laquelle une déréglementation poussée finirait par profiter à tout le monde a été sévèrement ébranlée. Comme le disait le Secrétaire général Kofi Annan, la marée montante, pour reprendre la métaphore couramment utilisée pour l'élargissement considérable des marchés, ne soulève pas forcément tous les bateaux; elle a plutôt soulevé les yachts. M. James Wolfensohn, de la Banque mondiale, a estimé qu'"au niveau des gens", le système de l'économie mondiale ne fonctionnait pas. Nombre d'observateurs ont concédé que la mondialisation enrichit une minorité au détriment de la majorité et que ses promesses d'un développement économique équitable n'ont été tenues nulle part.

Un autre argument important, qui est en train d'évoluer, est que la démarche qui consiste à appliquer la même analyse et les mêmes solutions aux problèmes économiques est au mieux élémentaire du point vue intellectuel et au pire responsable de catastrophes dans les pays dont l'économie est perturbée. Le principal défi conceptuel pour les institutions de l'ONU vient du fait que l'on ne voit pas de remède généralement accepté pour l'une ou l'autre de ces deux erreurs. Deux secteurs méritent notre attention:

Il convient d'abord d'enquêter et de s'interroger sur la question de savoir où il faut établir la limite entre un type (et degré) de libéralisation des marchés qui sera stimulateur et un type qui aura des effets négatifs sur le développement socio-économique recherché sur le marché intérieur. Il existe par exemple de bonnes raisons de conclure que l'influx d'une vaste quantité de capitaux étrangers dans certains pays a non seulement accru la richesse des classes propriétaires mais a également stimulé le développement économique même s'il ne l'a pas fait partout. Il est également incontestable que la déréglementation des systèmes financiers locaux a profondément affecté certains pays lorsque des événements imprévus et incontrôlables ont déclenché une fuite de capitaux.

Il serait probablement utile dans ce contexte d'insister sur la nette différence entre les investisseurs étrangers traditionnels qui souhaitent participer au développement de certaines industries et les spéculateurs qui, tels des hordes d'antilopes, se ruent hors des marchés émergents à la moindre provocation. Plusieurs institutions de l'ONU sont bien placées pour contribuer à l'élaboration de mises en garde réalistes dans ce qui a été, jusqu'à présent, une discussion internationale simpliste et relativement stérile sur les avantages de marchés déréglementés. Les principaux arguments à l'encontre des opposants qui manifestaient contre la réunion de l'OMC à Seattle fin 1999 rappelaient la manière dont on s'est servi des arguments avancés pour justifier l'arrangement international économique du libre-échange, relativement bien compris et relativement avantageux, pour demander une libéralisation qui a déchaîné des forces économiques tout à fait différentes et mal comprises.

Les partisans de la mission politique de la mondialisation ont effectué un saut mental entre l'évidence qu'un flux transfrontières relativement libre de marchandises avait grandement bénéficié aux pays participant au système de libre-échange international et la conclusion qu'une circulation aussi libre des capitaux accroîtrait encore ces avantages et que les pays participants à un système industriel mondial étaient obligés d'accorder des droits généraux aux investisseurs étrangers. D'importantes différences existent entre ces deux types de commerce, même si elles ont été en grande partie négligées:

  • La somme d'argent concernée par les échanges de capitaux est des milliers de fois supérieure à la valeur totale des échanges de biens et de services;
  • Les capitaux se déplacent quasiment instantanément là où ils peuvent aller, une fois qu'une décision commerciale a été prise; sous un régime de libéralisation, ils ne sont pas entravés par des limitations physiques ou sociales;
  • Les effets d'interdépendance entre le commerce des devises et de nombreux instruments financiers et leurs dérivatifs relativement nouveaux ne sont que vaguement compris, s'ils sont compris du tout;
  • La spéculation, à distinguer des investissements conventionnels faits dans des projets prometteurs, tend à être le moteur de la plupart des décisions concernant les échanges de capitaux, surtout lorsque sont ciblés les marchés émergents du monde non occidental.



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Le Professeur Karel van Wolferen est le Directeur de l'Institut de comparaison des institutions politiques et économiques d'Amsterdam. Il fut le correspondant du quotidien NRC Handelsblad, et couvrit dans ce cadre plusieurs pays d'Asie. Il est l'auteur de "L'énigme du pouvoir japonais" et de plusieurs ouvrages en japonais sur des sujets politiques et économiques. Cet article est extrait d'une étude qu'il a présentée à la Conférence de l'UNU à Tokyo.

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