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Les Nations Unies et les défis conceptuels
d'une économie qui se mondialise


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L'Université des Nations Unies pourrait jouer un rôle majeur en approfondissant les connaissances dans ce dessein et en diffusant à l'intention d'une vaste audience des arguments qui méritent réflexion, mais qui arrivent à peine à entrer dans un débat qui est façonné et orienté en grande partie par des informations simplifiées données par les médias.

En ce qui concerne le défi conceptuel mentionné ci-dessus, il existe un certain nombre d'idées concernant des politiques d'ensemble qui servent les objectifs à long terme des institutions de l'ONU et qui pourraient renforcer leur prestige dans le monde.

Encourager la création d'une classe moyenne forte sur les plans économique et politique. Conformément au mandat général de réduction de la pauvreté et de développement de la démocratie assigné à divers organismes des Nations Unies, une priorité frappante semble s'imposer : contribuer à stimuler les conditions qui permettront aux catégories les plus basses de la société de s'élever pour faire partie d'une classe moyenne dotée d'un pouvoir politique important. Mais une telle politique exige le plus souvent des programmes de type keynesien et donc des dépenses gouvernementales beaucoup plus élevées que ce que les théories conventionnelles actuelles considèrent comme responsables dans les rapports entre Etats et marchés. Avant la crise financière asiatique, on se félicitait de la prospérité économique croissante de l'Indonésie parce que la richesse y était distribuée de manière à encourager la croissance de la classe moyenne. Mis à part le fait qu'elle a entraîné une instabilité politique potentiellement désastreuse, la mauvaise gestion de la crise là et ailleurs a repoussé des millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté. La grande faiblesse de ce type d'économies au sein de ce qu'on appelle les Tigres de l'Asie, où les investissements sont réalisés pour la puissance industrielle plutôt que pour le profit, c'est qu'après une période de croissance rapide, un obstacle important surgit lorsque les marchés étrangers ne sont plus capables d'absorber ce que l'appareil de production ainsi dopé fabrique. Au début des périodes de croissance élevée des tigres, les possibilités d'investissement attrayantes dépassent les capitaux disponibles. Mais lorsque le capital disponible s'accroît rapidement, ce système économique mis au point en premier par le Japon se heurte à divers problèmes. Seule une classe moyenne dotée d'un pouvoir d'achat peut permettre de surmonter l'obstacle. Une classe moyenne viable rendra les économies asiatiques moins dépendantes des exportations et donc moins exposées aux vicissitudes extérieures.

Maximiser les conditions de l'autodétermination économique. Tout en reconnaissant l'existence de l'interdépendance économique et ses avantages, des politiques qui assurent un fort degré d'auto-détermination sont en dernière analyse désirables pour des raisons évidentes. La mondialisation a jusqu'à présent considérablement accru la dépendance des entités économiques des pays moins développés envers les intérêts étrangers. Ces pays courent le risque d'être exploités, un risque inné qui provient de l'élargissement du champ d'action des intérêts étrangers. Pour remettre ceci en perspective, il faut oublier les arguments qui font croire que les intérêts économiques étrangers ont de noirs desseins mais, considérer cette exploitation comme la suite logique des processus économiques internationaux.

Pour certains pays aux perspectives économiques prometteuses, le danger existe à long terme de devenir de simples postes de sous-traitance pour des économies politiques plus puissantes. Dans le cadre d'une industrie en développement, cela peut favoriser la croissance et un transfert limité de technologie; cependant l'évolution des infrastructures qui l'accompagne peut, à long terme, bénéficier davantage aux investisseurs étrangers qu'à l'économie nationale. Les institutions des Nations Unies pourraient contribuer à rendre populaire la notion d'autodétermination et à en faire une cause désirable.

Répondre aux défis que pose la puissance des entreprises internationales à l'indépendance politique des Etats. Un nombre important de sociétés transnationales sont devenues des empires dont la puissance financière dépasse celle des Etats Membres des Nations Unies de taille moyenne. Il n'y a que l'ONU qui puisse leur rappeler les problèmes que leur puissance peut poser, en termes de distorsion sociale et d'effondrement économique; un programme continu qui soulignerait leur responsabilités pourrait avoir des effets très positifs.

Renverser la tendance à minimiser l'importance de l'Etat. Dans l'imagination économique néo-libérale, l'erreur fatale consiste à croire que l'Etat et le marché ne peuvent exister qu'en s'opposant l'un à l'autre -- là où il y a plus d'activité économique organisée par l'Etat, le marché est moins présent et vice-versa. Il faut très vite corriger cette erreur. Dans le souci d'atténuer les conséquences sociales négatives de la mondialisation et de contribuer à prévenir de nouvelles crises financières, nous devons reconnaître qu'il est impossible de séparer l'économie de toutes les autres institutions et du rôle important que joue l'Etat; il faut nous préoccuper des perspectives à long terme de la démocratie dans des Etats dont l'efficacité et la détermination sont entravées par des bureaucraties d'entreprises au pouvoir grandissant et qui ne rendent de comptes à quasiment personne. La notion très répandue selon laquelle des marchés complètement libres encouragent la démocratie est une vantardise idéologique qui ne s'appuie sur aucune expérience historique.

L'Etat représente la seule protection possible du citoyen. L'on peut lui parler, négocier avec lui et, en cas de besoin, le traîner en justice. Sans lui, nous serions soumis aux caprices, aux manies et aux préjugés de communautés sociales ou à des intérêts économiques puissants mais sans responsabilité. Que ses partisans en soient conscients ou non, le programme néolibéral de mondialisation vise à séparer l'économie de la réalité politique et sociale. Son utopie mondiale ne peut exister que dans un royaume d'où sont absentes les exigences régionales sociales et politiques, et dans l'illusion que des projets humains peuvent être indépendants, "ahistoriques" et apolitiques. Mais le monde dans son ensemble ne peut être commandé par les marchés parce que les marchés doivent toujours reposer sur des garanties juridiques et morales qui empêchent leur destruction par les tendances extrémistes qui leur sont inhérentes et que ces fondements n'existent pas au niveau mondial.

Comme un Etat mondial n'est pas concevable, l'Etat-nation est le seul à pouvoir offrir des garanties. Et sans Etat-nation, bien sûr, il n'y aurait pas de Nations Unies.



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