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Quand on bute sur les pierres angulaires
LORSQUE MONDIALISATION ET NETTOYAGE ETHNIQUE SURVIENNENT SIMULTANÉMENT


Par Duska Anastasijevic

L'Organisation des Nations Unies a remporté des succès indiscutables : attirer l'attention de la communauté internationale sur des problèmes mondiaux qui touchent les plus pauvres et les plus démunis, renforcer sa coopération avec des institutions comme la Banque mondiale pour lutter contre la pauvreté et pour l'éducation. Pourtant, on continue de la juger à l'aune de son mauvais bilan de gardien de la paix dans le monde. Les Nations Unies, ou plus exactement les membres permanents du Conseil de sécurité, refusent obstinément le changement et la nécessité d'une réforme qui permettrait à l'Organisation de trouver une solution à quelques-unes des pires catastrophes humaines, comme celles survenues au Kosovo ou en Sierra Leone. L'ONU reste ce que l'ancien Secrétaire général U Thant appelait un instrument qu'on appelle "en dernier ressort" et qui est accusé ensuite d'être "incapable de résoudre des problèmes déjà jugés insolubles par les gouvernements".

Les Nations Unies ne sont en effet pas organisées sur le modèle d'une société souveraine, qui peut compter sur des ressources financières régulières et substantielles, dotée d'une constitution et d'une armée investies de l'autorité légitime du recours à la force pour la défense de la paix et de l'ordre.

Autrement dit, les Nations Unies n'ont pas la liberté de manœuvre d'un Etat nation et reflètent simplement les intérêts à court terme des Etats Membres, ceux des membres permanents du Conseil de sécurité en particulier. Rien ne permet de penser que cela changera au cours des premières années du nouveau siècle et la réforme des Nations Unies devrait peut-être être axée sur deux problèmes structuraux importants auxquels il faut trouver une solution — les notions de souveraineté et d'impartialité — pour qu'elles puissent lutter contre les maux qu'elles affirment vouloir combattre, car ils sont tous les deux des pierres angulaires des Nations Unies tout en constituant le principal obstacle à ses missions.

Les Nations Unies sont mal équipées pour s'occuper des conflits entre Etats, encore moins des conflits à l'intérieur des Etats.

Ses dispositions suscitent au mieux une certaine confusion lorsque les conflits qui éclatent à l'intérieur des Etats sont éloignés du concept traditionnellement présenté comme "rationnel". Les dynamiques du système international moderne, avec son interdépendance croissante, la modification des perceptions du pouvoir et de la sécurité, et les activités des institutions internationales qui complètent et concurrencent les Etats en tant qu'acteurs, encouragent à penser que l'époque de la souveraineté absolue est révolue. Ce principe a été attaqué et ébranlé par le haut et par le bas, mondialisation et nettoyage ethnique survenant simultanément.

Bien que ce principe ne soit plus sacrosaint, il reste vivace à l'Organisation et la réforme des Nations Unies doit être telle qu'elle lui permettra de gérer les conflits en tenant compte des nouvelles réalités. Si les Etats s'enorgueillissent de leur souveraineté, les Nations Unies se vantent, elles, de leur impartialité. On a pu observer l'incapacité des grandes puissances à s'affranchir des considérations à court terme lors des tragédies humaines survenues en Bosnie-Herzégovine et au Rwanda, parce que les responsables des Nations Unies ont opté pour une voie du milieu. Comme en témoignent les épisodes de Srebrenica et de la Somalie, les Etats Membres doivent être persuadés que le coût de leur intervention ne sera pas supérieur au coût de la neutralité. La notion d'une intervention humanitaire plus partiale est encore considérée comme quasiment blasphématoire; la communauté internationale accomplit toutefois certains progrès. Les Nations Unies devraient continuer à s'inspirer des forces régionales.

Enfin, on a confié aux Nations Unies la tâche difficile de reconstruction des sociétés dévastées du Kosovo et du Timor oriental. Il n'est pas facile de rétablir un certain degré d'ordre et de justice après la cessation des hostilités. C'est un processus minutieux qui consiste à bâtir un régime légitime de normes, d'institutions, d'arrangements capables de maintenir la cohésion d'une société déchirée par la guerre et désamorcer les tensions qui risquent de déclencher à nouveau la violence. Mais les hommes sont à l'origine des tragédies humaines et des guerres tout comme ils sont à l'origine de l'Organisation mondiale. Pourquoi donc "Nous, les peuples", devrions-nous favoriser la capacité des humains à détruire et à faire souffrir et non leur capacité à construire et à réparer ?


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Mme Duska Anastasijevic est journaliste à l'hebdomadaire indépendant Vreme, publié à Belgrade. Chargée de couvrir le Kosovo et les affaires étrangères, elle écrit des rapports publiés par des organisations des droits de l'homme à Belgrade. Elle est la conseillère personnelle du Directeur exécutif du Centre du droit humanitaire de Belgrade.

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