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Document de conférences
Un monde plus sûr et une vie meilleure pour tous


Par Ramesh Thakur et Hans van Ginkel
Université des Nations Unies

Le seuil du nouveau millénaire est également l'ouverture d'une ère nouvelle dans les affaires internationales. Le monde est devenu méconnaissable au cours des 100 dernières années.

Les acteurs sont bien plus nombreux de nos jours et leurs modes d'interaction bien plus complexes. Les centres du pouvoir et de l'influence se déplacent. Les gouvernements et les organisations internationales ne peuvent plus répondre aux exigences et aux aspirations des populations du monde par des initiatives isolées et indépendantes. Sur la scène de plus en plus encombrée où s'élaborent les politiques internationales, les acteurs non étatiques, privés ou publics, se bousculent avec les gouvernements nationaux pour mettre au point et appliquer l'ordre du jour du nouveau siècle. La multitude de ces nouveaux acteurs apporte profondeur et diversité à ce tableau de plus en plus varié de la société civile internationale.

Dans le monde sans couture actuel, les frontières politiques perdent de leur importance, à la fois pour les organisations internationales, dont les droits et devoirs peuvent dépasser les frontières, et pour les Etats Membres, dont les responsabilités au sein de leurs frontières peuvent être examinées par la communauté internationale. C'est un monde qui se caractérise davantage par ses principales cités et agglomérations, leurs centres de puissance économique et financière et leurs réseaux de transports et de communications qui touche le monde entier. Ensemble, elles jettent les bases d'un monde de plus en plus interconnecté et interactif qui se caractérise plus par des échanges et une communication propulsés par la technologie que par des frontières territoriales et la séparation politique.

Dans cette période de transition, les Nations Unies sont le centre des aspirations et des espoirs en un monde où hommes et femmes vivront en paix et en harmonie avec la nature. Plus d'un milliard de personnes qui vivent dans des conditions de pauvreté abjecte n'auront eu ni l'envie ni les moyens de se réjouir de l'arrivée du nouveau millénaire. On ne peut faire disparaître la réalité de l'insécurité humaine simplement parce qu'on le souhaite. Et pourtant, l'idée d'une organisation universelle consacrée à la protection de la paix et à l'encouragement au bien-être — parvenir à ce que tout le monde jouisse d'une vie meilleure dans un monde plus sûr — a survécu à la mort, à la destruction et aux désillusions nées des conflits armés, du génocide, de la pauvreté persistante, de la détérioration de l'environnement et des violences à l'encontre de la dignité humaine au cours du XXe siècle.

Les avantages comparatifs de l'Organisation des Nations Unies sont sa composition à caractère universel, sa légitimité politique, son impartialité administrative, son expertise technique, son pouvoir de mobilisation et le dévouement de son personnel. Ses désavantages comparatifs sont une politisation excessive, la lourdeur de son processus de décision, des mandats impossibles à exécuter, le coût élevé de sa structure, des ressources insuffisantes, sa rigidité bureaucratique et sa timidité institutionnelle. Une grande partie de ces désavantages provient des exigences et intrusions des 188 Etats Membres qui possèdent et contrôlent l'Organisation, mais certains membres renient leur responsabilité en ne lui accordant pas le soutien et les ressources nécessaires.

Les universités sont le marché aux idées. L'Université des Nations Unies (UNU) est au coeur des rapports entre les idées, les organisations internationales et la politique publique internationale. Dans une société et un monde d'information, l'avantage comparatif de l'UNU vient de son identité de gardien et de gérant des réseaux et des coalitions qui s'inspirent de la connaissance et qui lui donnent un mandat et une portée universelle.

Il revient aux Nations Unies de protéger la paix internationale et de promouvoir le développement humain. La Charte de l'ONU codifie les meilleurs comportements d'Etat. Les chercheurs ont le devoir de mettre leurs connaissances à la disposition de l'amélioration du sort de l'humanité. L'UNU doit relier le monde des études et celui de l'élaboration des politiques, deux mondes qui normalement ne communiquent pas entre eux. La Conférence du millénaire de janvier 2000, qui s'est déroulée à l'UNU à Tokyo, fut l'une des initiatives visant à remplir ce mandat. La Conférence a été organisée pour présenter de nouvelles idées et de nouveaux schémas de pensée intéressants pour les Nations Unies et, dans un sens plus large, pour trouver une solution aux problèmes de l'humanité. Le but était de présenter toutes les questions importantes pour préparer les débats et les décisions au cours de l'année du millénaire et d'offrir des solutions qui soient créatives, favorables à l'intégration et qui illustrent bien les schémas de pensée latéraux.

L'un des thèmes qui revint fréquemment à la Conférence fut la tension entre le double processus de mondialisation et de déconcentration au niveau local; un autre thème fut la nécessité de forger des partenariats entre différents acteurs, y compris au niveau des personnes, à tous les niveaux de l'organisation sociale; et un troisième fut le caractère d'ensemble et interconnecté d'une grande partie des principaux problèmes actuels qui exigent des mesures de politique urgentes. Les solutions doivent être centrées sur l'individu, dans le cadre d'une sécurité commune qui donne la priorité aux personnes; elles doivent être intégrées et coordonnées et elles doivent être holistiques, capables d'aborder le fond des problèmes tout en trouvant une solution aux symptômes de la souffrance.

La mondialisation fait référence à la fois au processus et au résultat. Les frontières nationales perdent de leur importance face aux mouvements des idées, des informations, des biens, des services, des capitaux, de la main d'oeuvre et des technologies. La vitesse des communications modernes accentue la porosité des frontières alors que le volume des échanges internationaux risque de dépasser les capacités des Etats à les gérer. La mondialisation libère de nombreuses forces productives qui, si elles sont convenablement exploitées, peuvent contribuer à sortir des millions de personnes de la pauvreté, et d'une vie dégradante. Mais elle peut également déchaîner les forces destructives — "société incivile" — que sont le commerce d'armes, le terrorisme, les maladies, la prostitution, le trafic de drogues, la traite des humains, autant de problèmes que les Etats ne peuvent contrôler ou résoudre tout seuls. En même temps, et en fait en partie en réaction contre la mondialisation, les communautés commencent à se réidentifier avec les niveaux de base de l'identité de groupe.

Les solutions au dilemme comprennent la décentralisation et la création de filiales, fondées sur le principe selon lequel l'action et la solution doivent être trouvées là où existent les problèmes. Le gouvernement local, les organisations non gouvernementales (ONG) locales et les acteurs privés locaux doivent participer à toutes les phases de la planification et de la mise en oeuvre. La communauté internationale doit encourager la démocratie en renforçant les capacités locales. La communauté internationale doit encourager la démocratie en renforçant les capacités locales.

Les effets combinés de la mondialisation et de la localisation, sapent la légitimité et l'efficacité des gouvernements nationaux et des organisations intergouvernementales. Les ressources des organisations internationales, dont les Nations Unies, ont diminué en même temps que fléchissait le soutien dont elles bénéficient.

Pendant ce temps, un groupe de nouveaux acteurs de la société civile — ONG, syndicats, églises — exige de prendre part à tous les processus de décision importants. Quelquefois, les pays en développement comptent sur les ONG pour les aider à résoudre leurs problèmes, mais quelquefois les ONG s'en prennent à la situation à l'intérieur des pays en développement — conditions de travail esclavagistes, travail des enfants, négligence en matière d'environnement.

La solution à ces problèmes, dans les domaine de la sécurité, du développement et de l'environnement, se trouve dans la gouvernance mondiale. Le but de la gouvernance mondiale n'est pas d'instaurer un gouvernement mondial mais d'insérer un niveau supplémentaire de prise de décision entre les gouvernements et les organisations internationales qui s'inscrive dans une perspective d'ensemble et non pas seulement dans des manoeuvres sociales à l'emporte-pièce, une perspective multisectorale, démocratique et ouverte aux acteurs de la société civile. Il faut élargir et renforcer la juridiction légale internationale en termes de respect et d'acteurs, en bâtissant des systèmes structurés d'incitations et de mesures décourageantes.

Nous devons également aborder le problème des ONG qui ne sont pas élues, évoluent sans responsabilité et ne sont pas représentatives. Elles peuvent être tout aussi peu démocratiques que les gouvernements et les organisations qu'elles critiquent, et représenter des intérêts uniques et partisans. La plupart des gouvernements des pays industrialisés sont des organisations à buts multiples qui tentent de représenter l'intérêt public en respectant le choix des électeurs. Dans de nombreux pays en développement, les sociétés s'efforcent de bâtir des gouvernements nationaux équilibrés, condition sine qua non d'une gouvernance efficace : une bonne gouvernance est impossible sans un gouvernement efficace.

Il faut mettre sur pied des partenariats entre gouvernements, ONG, organisations de la société civile et individus. Certains pays commencent à faire intervenir davantage les citoyens dans le processus de prise de décision par le biais de mécanismes de choix bien conçus, tels que les référenda. Nous allons certainement assister à une augmentation du nombre des réseaux et coalitions construits autour d'une question spécifique. L'ONU dispose de la légitimité morale, de la crédibilité politique et de l'impartialité administrative nécessaires pour rapprocher et réconcilier les intérêts concurrents liés au processus et au résultat de la mondialisation. La sécurité humaine peut être le concept global qui rassemble les quatre thèmes de la Conférence de l'UNU sur le millénaire — sécurité, développement, environnement et gouvernance — en un cadre de travail cohérent. Voilà qui contribuerait à donner une signification concrète aux premiers mots de la Charte des Nations Unies, "Nous, les peuples".


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Le Secrétaire général adjoint van Ginkel est le Recteur de l'Université des Nations Unies à Tokyo. Le Professeur Thakur en est le vice-recteur (paix et gouvernance).



COMBLER LE FOSSÉ EN MATIÈRE DE SOINS

Lors de l'euphorie initiale qui accueillit la mondialisation, nombreux étaient ceux qui prédisaient une augmentation générale des niveaux de vie. La réalité a été tout autre — l'écart entre les nations riches et pauvres, de même qu'entre les plus riches et les plus pauvres au sein des nations, s'est creusé.

Les participants au premier Forum mondial sur le développement humain, qui a eu lieu à l'automne dernier, ont affirmé que les soins destinés aux enfants et les soins de santé avaient souffert de la précipitation avec laquelle on avait cherché à ouvrir les frontières et maximiser les bénéfices. Les soins, en eux-mêmes, ne sont pas suffisamment lucratifs. L'Ambassadeur Anwarul Karim Chowdhury (Bangladesh), qui fut le président de la 21e session extraordinaire de l'Assemblée générale sur la population et le développement, a cité l'expérience de son propre pays, affirmant qu'il "avait toujours donné la priorité au développement au niveau de base, créant ainsi non seulement davantage d'emplois mais offrant aussi des soins de santé et l'éducation aux pauvres. Des politiques de développement bien équilibrées peuvent tirer parti des avantages de la mondialisation sans obliger les travailleurs à compromettre leur qualité de vie".

Le dixième Rapport sur le développement humain (RDH) avance une solution qui repose sur trois éléments : des politiques de protection et de promotion du développement humain plus énergiques; une plus grande coopération internationale sur les problèmes qui ne peuvent être résolus par les pays tout seuls; et la participation des communautés, des organisations non gouvernementales et des corporations, ainsi que des nations, à la protection et à la promotion du développement humain.

Il faudra certainement beaucoup de planification et encore davantage de volonté politique pour veiller à ce qu'on ne sacrifie pas le développement humain et les demandes de l'humanité sur l'autel du progrès économique à l'ère de la mondialisation. La satisfaction est peut-être difficile à mesurer, mais le RDH représente, au moins, une tentative de jauger le progrès humain. Et une saine concurrence entre voisins peut les inciter à vouloir monter plus haut dans le classement de l'indice et permettre finalement de combler le fossé en matière de soins.

—Sumana Raychaudhuri

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