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Un Débat de haut niveau à l'Organisation des Nations Unies sur le fossé numérique


Par Sven T. Siefken

On utilise souvent la métaphore de la "construction de passerelles" pour décrire les activités du système des Nations Unies. Le processus de construction le plus récent vise à surmonter le fossé numérique qui sépare les pays en développement des pays développés. Il cherche en même temps à faire des technologies de l'information appropriées un instrument du développement.


Photo ONU

A la fin du Débat de haut niveau du Conseil économique et social des Nations Unies, au début du mois de juillet 2000, les délégués ont approuvé une Déclaration ministérielle qui résume les délibérations de la session de trois jours à New York.

Soulignant les "vastes et nouvelles possibilités de croissance économique et de développement social", le Conseil a affirmé qu'il fallait également surmonter les principaux obstacles à une plus grande participation des pays en développement aux technologies de l'information et de la communication (TIC). La Déclaration, un document exhaustif, identifie ces obstacles : manque d'infrastructures de télécommunication adaptées; insuffisance de la formation et de l'alphabétisation; et manque d'investissements. Mais les délégués ont reconnu que la promotion des technologies de l'information ne peut pas se substituer aux efforts traditionnels visant à encourager le développement et la modernisation; elle doit en fait les compléter et les renforcer.

A part la Déclaration ministérielle, le résultat le plus concret du Débat de haut niveau aura été les premières mesures prises vers la création d'un groupe d'études chargé de veiller à la diffusion des TIC dans le monde. Le Groupe de travail des Nations Unies sur l'informatique — un sous-organisme du Conseil économique et social qui a récemment coordonné la campagne contre le bogue informatique Y2K — a été chargé de préparer le terrain pour ce nouveau groupe d'études. Inspiré par l'idéal d'une gouvernance novatrice, le groupe réunira des participants venus du secteur public, des organisations internationales et non gouvernementales et du secteur privé pour faciliter la diffusion des TIC dans les pays en développement.


La Vice-Secrétaire générale Louise Fréchette et le Président du Conseil économique et social Makarim Wibisono lors du Forum des TIC.

Le Débat de haut niveau fut historique pour plusieurs raisons, a déclaré le Président du Conseil Makarim Wibisono (Indonésie). C'était la première fois que des personnes du niveau des chefs d'Etat participaient à un Débat de haut niveau du Conseil. Plusieurs dirigeants d'institutions internationales avaient également répondu à l'invitation, dont les directeurs de l'Union internationale des télécommunications et de l'Organisation mondiale du commerce. C'était également la première fois que des représentants du secteur privé prenaient part aux délibérations.

Au cours des trois jours du Débat, marqués par des déclarations, des présentations et des discussions de groupe, un consensus général s'est dégagé et on en retrouve l'esprit dans le document final. Olli-Pekka Heinonen, Ministre des transports et des communications de la Finlande, a présenté les principaux défis à relever pour les pays en développement sous la forme des "trois C" : connectivité, capacités et contenu.

Connectivité : Alors qu'on s'attend à ce que les principales agglomérations des pays en développement soient raccordées un jour par le secteur privé, si l'on fournit un cadre réglementaire approprié, les régions pauvres rurales se heurtent à des problèmes plus graves.

La Vice-Secrétaire générale des Nations Unies Louise Fréchette a déclaré que "la pauvreté et les coûts liés à l'établissement des connexions des régions isolées et peu peuplées signifient que l'on ne peut pas compter uniquement sur les forces du marché". Dans ces régions en particulier, a-t-elle dit, connecter les gens, cela ne veut pas dire nécessairement que chaque personne doit avoir dans sa chambre un ordinateur relié au réseau. Conformément à la stratégie élaborée par un Groupe d'experts, le but est d'installer un peu partout des points d'accès à l'usage de la communauté. Connus dans le monde sous des noms différents — télécentres de villages, telecabinas, cyberkiosques, cybercafés —, ils offrent l'accès à Internet à ceux qui ne peuvent s'acheter un ordinateur, ou qui ne disposent pas d'un téléphone ou qui, souvent même, n'ont pas l'électricité chez eux. Dans cette perspective de l'accès de groupe, l'objectif du Groupe d'experts de connecter le monde d'ici à 2004 semble avoir un peu plus de chances de se réaliser.

Capacités. L'installation du matériel et des logiciels nécessaires ne suffit pas, il faut également développer les moyens de faire fonctionner et d'entretenir les ordinateurs. Pour pouvoir utiliser un ordinateur, il faut savoir lire. Et l'illétrisme reste très répandu dans le monde.

Mais il ne suffit pas de savoir se servir d'un ordinateur, il faut également savoir l'installer et l'entretenir, ce qui exige des compétences spécialisées. Dans ce domaine, même les pays très développés sont quelquefois frappés de pénuries. Dans l'état actuel des techniques, les ordinateurs ont besoin d'être constamment suivis, surtout s'ils ont plusieurs utilisateurs. Pour pallier cette pénurie de compétences qualifiées, le Secrétaire général Kofi Annan a proposé dans son récent Rapport du millénaire la création d'une équipe de bénévoles rompus aux TIC appelée Service des Nations Unies pour les technologies de l'information (UNITeS) [www.unites.org]. Bien que ce programme soit loin d'être suffisant pour résoudre tous les problèmes, il permettra d'exploiter l'énergie de nombreux jeunes gens résolus à s'engager dans les affaires internationales. Dans son discours au Débat de haut niveau, Mme Fréchette a souligné que ces programmes ne devraient pas se limiter à des transferts Nord-Sud. "L'Inde, par exemple, pourrait montrer à bien d'autres pays comment elle réduit son fossé numérique", a-t-elle dit.

Contenu. En l'absence d'un contenu adapté, la connectivité et les capacités ne valent pas grand-chose. Les délégués de nombreux pays soulignent qu'il faut un contenu local sur Internet. Cela fait surgir le problème difficile de la langue : plus de 80 % du contenu d'Internet est en anglais, une langue qu'un quart de la population seulement comprend.

Le contenu local aidera à apaiser les inquiétudes culturelles. S'exprimant au nom du Groupe des 77, Ebitimi Banigo, Ministre de la science et de la technologie du Nigéria, a dit qu'un contenu adéquat est nécessaire pour "préserver la culture des populations locales". Son homologue de Cuba, le Ministre des communications et de la technologie Iganicio Rodriguez Plana, a mis en garde les délégués contre "de nouveaux instruments de colonisation de nos pays". Le développement du contenu local peut aider à préserver et disséminer l'héritage social, linguistique et culturel d'un peuple ou d'une localité", a souligné M. Annan dans son rapport.

L'expérience prouve toutefois que si l'on met du "contenu local" à la disposition des usagers, la propagation d'Internet s'en trouve grandement accélérée. Cela va même quelquefois jusqu'à la mise au point de nouveaux jeux de caractères, comme le jeu de caractères chinois achevé en 1996.

Si l'importance des "trois C" a été reconnue par la majorité des délégués, d'autres questions concernant les stratégies de développement des TIC ont suscité des débats plus âpres. Les délégués africains, en particulier, ont souligné qu'il était important d'inscrire le développement des TIC dans une perspective plus large qui comprenait les problèmes habituels qui existent entre le Nord et le Sud. Dans son discours liminaire, le Président du Mali Alpha Oumar Konaré a dénoncé l'image que la communauté internationale a de son con-tinent. "On ne parle de l'Afrique que pour mentionner les conflits ethniques, les famines et les maladies, on a l'impression qu'il s'agit d'une personne malade, qui souffre et qui n'est maintenue en vie que par l'aide internationale", a-t-il déploré et il a exprimé "l'espoir d'une renaissance de l'Afrique grâce à Internet". D'autres délégués, notamment Anne Konati, du Burkina Faso, ont rappelé que la dette était le "principal handicap" de l'Afrique. Elle a également attiré l'attention des délégués sur la détérioration des termes de l'échange, les fluctuations des cours des matières premières sur les marchés internationaux, et les barrières commerciales tarifaires et non tarifaires, sources de graves difficultés pour les pays africains.

L'importance accordée à la question des TIC est quelque chose de nouveau aux Nations Unies, mais, comme dans la plus grande partie des pays développés de nos jours, la question des TIC y est devenue un sujet omniprésent ces derniers mois. On a fréquemment vu au cours de la réunion de New York, les orateurs en train de brandir un petit livre bleu. Ce livre, qui venait tout juste de paraître, est le rapport du Groupe d'experts des TIC et il énumère des propositions originales et ambitieuses, en particulier un plan visant à relier le monde entier à Internet d'ici à 2004. Un rapport de mai 2000 du Secrétaire général au Conseil économique et social avait résumé les positions de l'Organisation sur le "rôle des technologies de l'information dans une société à forte intensité de connaissances" et présentait des stratégies ambitieuses. Au-delà de ces documents, les expériences des TIC vécues par divers pays et divers acteurs, constituèrent les meilleures préparations au Débat de haut niveau. L'échange de ces expériences au niveau international était un des objectifs de la conférence.

Pour revenir au leitmotiv non officiel du Débat, "surmonter le clivage numérique", il est peut-être juste de rappeler que les ponts ont besoin d'une fondation stable à leurs deux extrémités. C'est dire, comme le rappelait Anne Kristin Sydnes, Ministre norvégien du développement international que "les TIC ne sont pas une baguette magique. C'est un instrument qui ne nous permettra pas d'éviter de prendre les décisions politiques qui s'imposent".

Les technologies de l'information dans l'économie mondiale actuelle

A la fin du Débat de haut niveau, le 7 juillet, le Conseil économique et social a adopté sans vote une Déclaration ministérielle sur les technologies de l'information. Dans cette Déclaration, intitulée "Développement et coopération internationale au XXIe siècle : le rôle des technologies de l'information dans le cadre d'une économie mondiale à forte intensité de connaissances", les ministres et chefs de délégation affirment que : u Les technologies de l'information et de la communication (TIC) ont un rôle central à jouer pour la création de l'économie mondiale à forte intensité de connaissances qui est en train de prendre corps et peuvent contribuer de manière importante à stimuler la croissance et à promouvoir un développement durable. u La majorité de la population mondiale continue de vivre dans la pauvreté et restera à l'écart de la révolution de l'information si l'on n'ouvre pas plus largement l'accès aux TIC.

  • Tous les membres de la communauté internationale devraient coopérer pour remédier au "clivage numérique" et encourager les possibilités qu'offre l'informatique".
  • Le manque d'infrastructure, d'éducation, de moyens de renforcer les capacités, d'investissements et de connectivité constitue le principal obstacle à la participation d'un grand nombre d'habitants des pays en développement aux TIC.
  • La promotion des TIC doit compléter et consolider — et non pas remplacer — les efforts visant à assurer le développement et la modernisation des secteurs de base de l'économie.
  • Il est nécessaire de mettre sur pied des stratégies et des partenariats novateurs, tels que la connectivité des communautés et des investissements du secteur privé, pour assurer l'accès de tous aux TIC.
  • L'éducation, qu'il s'agisse de l'instructrion de base ou des connaissances informatiques, doit être au cœur de toute stratégie en matière de TIC.
  • Le développement du contenu local sur Internet encouragera la diversité culturelle du "cyberespace" et son utilisation.
  • Les TIC aideront les petites et moyennes entreprises à participer aux marchés internationaux et accélèreront la croissance économique.
  • Les forces du marché — si fondamentales soient-elles — ne suffiront pas à elles toutes seules à mettre les TIC au service du développement.
  • Des actions cohérentes et consistantes sont nécessaires aux niveaux national et local pour faire des TCI un instrument efficace au service des programmes de développement.
  • Les pays développés devraient partager avec les pays en développement et en transition l'expérience qu'ils ont acquise dans la promotion et la création des secteurs mettant en jeu les TIC de façon à éviter les mêmes erreurs.
  • Un cadre juridique et réglementaire transparent et cohérent pourrait encourager le développement des TIC.
  • Les Nations Unies, et le Conseil économique et social en particulier, peuvent jouer un rôle essentiel en promouvant le caractère synergétique et la cohérence de toutes les initiatives.
  • Il est nécessaire de forger des partenariats plus solides au sein de la communauté des donateurs et entre donateurs et bénéficiaires.
  • Les Nations Unies devraient créer un groupe de travail sur les TIC, suite à une proposition du Groupe d'experts.
On peut se procurer le texte complet de la Déclaration ministérielle sur Internet à l'adresse suivante : www.un.org/esa/coordination/ecosoc/itforum/



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