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Pour des marchés plus civilisés


Par Jem Bendell
Auteur de "Terms for Endearment: Business, NGO and Sustainable Development";
actuellement membre de la New Academy Business

En mai, la Fondation Greenpeace félicitait une entreprise pour ses activités forestières dans la forêt vierge amazonienne. Pour la Fondation brésilienne, Greenpeace Precious Woods, la seule opération forestière en Amazonie certifiée par le Forest Stewardship Council (FSC), était la preuve que "l'industrie forestière peut travailler de manière responsable et respectueuse de l'environnement." Les bûcherons et la Fondation partagent le même avis ! Peut-être n'était-ce qu'un rêve de durabilité dont la manifestation était due en grande partie à la crédibilité du système qui supervise les pratiques de gestion de la société forestière en question.

L'environnement commercial est aujourd'hui de plus en plus défini par un kaléidoscope de codes, de systèmes de vérification et de certifications qui, soutenu par l'action des organisations non gouvernementales (ONG), permet de stopper l'hémorragie de gouvernance résultant de la mondialisation. L'action des ONG permet en effet à des entreprises de travailler de manière plus fiable et plus éthique sans perdre des marchés ou des valeurs de partage. Si Greenpeace n'existait pas, il faudrait l'inventer.


Par Bea Meira
Cette "réglementation civile" des commerces mondiaux signifie que gouverner n'est plus laissé aux gouvernement ou à leurs institutions intergouvernementales. La création de nouveaux dispositifs de réglementation civile a été suscitée par la frustration devant l'apparente incapacité des organismes gouvernementaux et intergouvernementaux à mettre en place des mécanismes de réglementation efficaces pour que les entreprises puissent contribuer de manière positive à une société juste et fiable, aux niveaux mondial et local. L'existence même de ces initiatives résulte de l'incapacité des Nations Unies à mettre efficacement en œuvre les principes énoncés dans sa Charte. Quelle est donc la portée des travaux futurs des Nations Unies ? Devraient-elles s'engager dans cette nouvelle ère de gouvernance, et si oui, de quelle manière ?

L'engagement de l'ONU est certes nécessaire. Les entreprises qui satisfont aux critères sociaux et environnementaux significatifs ne sont peut-être plus aussi rares qu'elles ne l'étaient mais il existe toujours trop de laxisme en matière de comportements irresponsables qui restent impunis.

Un autre argument en faveur de l'engagement des Nations Unies est son expérience. Par exemple, l'Organisation a une certaine expérience des partenariats commerciaux pour résoudre les problèmes logistiques en matière d'assistance. Mais, essayer de régler les marchés et ses acteurs pour qu'ils agissent correctement est une autre paire de manche. Lors du Forum de Davos en janvier 1999, le Secrétaire général Kofi Annan a proposé un "Contrat mondial" entre les Nations Unies et le monde des entreprises. Il a demandé aux entreprises d'embrasser et de faire appliquer neuf principes fondamentaux tirés des accords internationaux sur les normes de travail, les droits de l'homme et les pratiques environnementales.

A ce stade, cette initiative se limite au partage d'information et à l'énoncé des principes. Mais elle sera amenée à évoluer, alors que la pression de la société civile et des entreprises pour réduire le fossé en matière de gestion mondiale des affaires est de plus en plus forte, tel que l'ont illustré les événements survenus à Seattle en juin 1999 et lors des manifestations de ce mois contre le Fonds monétaire international. La réponse des Nations Unies est importante, de nombreuses leçons étant à tirer de ses initiatives.

L'exemple de Precious Woods est, malheureusement, peu courant dans le monde des affaires actuel où les industries forestière, minière et d'extraction de minerai sont impliquées dans des pratiques qui détériorent l'environnement en Amazonie et ailleurs. Les Nations Unies pourraient aider la réglementation civile en soutenant l'établissement de normes et les processus d'examen des dispositifs respectifs et en obtenant leur reconnaissance sur la scène internationale telle que l'Organisation mondiale du travail. Etant donné l'importance du commerce mondial pour l'avenir de la planète, une telle action devrait être suivie par d'autres initiatives pour que les dispositifs "mis en place bénévolement" soient une condition préalable au commerce.

Cela ne se fera pas sans problèmes. Premièrement, tous les dispositifs n'ont pas les mêmes normes de transparence et de responsabilité que le FSC. Certaines critiques justifiées ont été formulées concernant d'autres dispositifs qui, contrairement au FSC, ne sont pas démocratiquement responsables devant les personnes ayant une participation dans le secteur d'activités visé et qui sont dominés par les représentants occidentaux.

Deuxièmement, il existe une quantité de dispositifs, certains meilleurs que les autres. Les Nations Unies pourraient donc établir de meilleures pratiques dans ce domaine, y compris déterminer la structure organisationnelle adéquate à un organe de normes et d'homologations internationales non gouvernementales crédible. Cela amènerait à créer un organisme d'homologation de l'ONU qui pourrait aussi aider à promouvoir le regroupement des dispositifs.

Les systèmes comme le FSC ont en commun un certain nombre d'approches innovatrices qui pourraient être répétées. Ils utilisent un système d'homologation où les entreprises paient les frais de contrôle, limitant ainsi la nécessité de réunir des fonds extérieurs. Les vérificateurs faisant eux-mêmes l'objet d'un contrôle par un organisme chargé d'établir les normes, l'intégrité du processus est maintenue. Dans un monde où les recettes fiscales et les fonds sont limités, c'est une voie pratique qui permet aux Nations Unies d'aller de l'avant.

Ce nouvel ordre du jour des Nations Unies présentera des défis. Il devra faire face aux nouveaux ennemis ainsi qu'à ceux de longue date et trouver de nouveaux alliés, parce que la concentration croissante de richesse et de pouvoir dont disposent les entreprises mondiales non démocratiques, qui assument une responsabilité minimale auprès des gouvernements et des individus, s'oppose aux principes et objectifs des Nations Unies visant à promouvoir la dignité humaine et la capacité d'autonomie. Au cours des dernières années, nous avons vu les valeurs de profit, de marchés ouverts et de libre-échange prendre une importance extrême dans le système des politiques mondiales. Il faudrait plutôt un système de gouvernance qui reflète les valeurs des Nations Unies — droits de l'homme, paix, protection de l'environnement, droits du travail, santé, etc. Elles pourront parfois aller de pair avec les intérêts de l'entreprise, mais il serait naïf d'ignorer qu'elles seront parfois aussi en conflit. Les Nations Unies auront besoin du soutien de la société civile pour répondre à ce défi.

Ce soutien ne leur sera accordé que si les Nations Unies maintiennent leur crédibilité. Le soutien de Greenpeace à une entreprise forestière en Amazonie illustre la manière dont la crédibilité d'une entreprise auprès des parties intéressées est essentielle dans son rôle de faire du développement durable équitable une réalité. C'est aussi une leçon pour l'ONU. L'Organisation doit participer de manière innovatrice à améliorer et à réglementer les comportements des entreprises mais cela doit se faire d'une manière transparente et responsable. Il faut empêcher que des initiatives comme le Contrat mondial ne deviennent que de la parlote et éviter que les entreprises utilisent leur relation avec les Nations Unies pour défendre leur performance. Il faudrait en même temps veiller à ce que les groupes de la société civile et les gouvernements aient autant de poids que le monde des affaires dans le développement des nouvelles initiatives de réglementation. En bref, les Nations Unies doivent sauvegarder leur image, leur mission et leur crédibilité. Pour emprunter le discours commercial : les problèmes de trésorerie aussi importants soient-ils ne devraient pas entraîner le risque de nuire à la valeur de sa marque unique. L'ironie serait que si cela se produisait, non seulement cela ne conviendrait pas à la société civile mais cela pourrait tout aussi bien importuner les entreprises.

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