Les catastrophes
Ce que les Nations Unies et leurs organisations peuvent faire
Par Ben Wisner Comble de l'ironie, ce fut pendant la décennie consacrée à la prévention des catastrophes naturelles (1990-1999) que les pertes humaines et économiques furent les plus dramatiques. En Asie du Sud, aux Philippines, en Amérique centrale, dans les Cara•bes et aux États-Unis, les ouragans et les cyclones ont fait de nombreuses victimes. L'Europe, la Chine, le Venezuela et les États-Unis ont connu des inondations sans précédent. En Turquie, au Japon, en Chine et aux États-Unis, les tremblements de terre ont coûté de nombreuses vies et des milliards de dollars. Et alors que cette décennie, marquée par une activité scientifique et des débats intenses, touchait à sa fin, une autre catastrophe est survenue : un séisme en Amérique centrale le 18e depuis 1990. Nous connaissons les faits : plus de 700 morts, 2 000 personnes portées disparues, des milliers d'habitations détruites, deux cinquièmes de la capacité hospitalière détruits, un cinquième des bâtiments scolaires inutilisables.
Or, ces pertes tragiques auraient pu être évitées. Ce n'est pas notre destinée que d'être enseveli sous un éboulement provoqué par un séisme. Les tremblements de terre se produisent. Mais l'action et l'inaction des hommes sont à l'origine des catastrophes qui s'ensuivent. À Santa Teda, située dans la banlieue de San Salvador, capitale de l'El Salvador, 400 maisons du quartier de La Colinas, où résidaient des familles à revenu moyen, ont été ensevelies sous le glissement d'un terrain situé juste au-dessus. Ce n'était pas un "acte divin".
Que dans les villes indiennes, seulement 10 % des structures à plusieurs étages soient construites selon les normes de construction parasismique, n'est pas un "un acte divin". Ce n'est pas le tremblement de terre qui a été meurtrier, ce sont les immeubles. En El Salvador et dans l'État du Gujerat, la population rurale affamée, à la recherche de travail, s'est installée dans les villes, dans des logements de fortune construits dans des régions séismiques à haut risque, avec peu de ressources ou d'initiatives pour rendre leur habitation plus sûre, sur des terres qu'ils ne possèdent pas. De plus, la classe moyenne cherche à s'installer dans les quartiers périphériques des grandes villes en pleine expansion. Pour répondre aux besoins, les promoteurs vont vite en besogne, souvent au détriment des normes de construction. C'est précisément dans ces lieux où les glissements de terrain ont enseveli des centaines de personnes et où les nouveaux immeubles construits pour les travailleurs habitant à Ahmedabad se sont effondrés. Lors des deux derniers tremblements de terre, soit les hôpitaux se sont effondrés et tué patients et personnel hospitalier, comme dans la ville de Bhuj, dans l'État du Gujerat, soit ils étaient trop endommagés pour fonctionner. Le principal laboratoire médical de la capitale est inutilisable parce que les flacons contenant les produits nécessaires pour effectuer les tests médicaux n'étaient pas fixés sur les étagères à l'aide de simples systèmes de retenue. Au total, 40 % des établissements de santé en El Salvador ont subi des dégâts importants. On sait pourtant comment protéger les structures et les éléments non structurels des établissements de santé. Qu'ont fait les Nations Unies et leurs organisations ? De nombreuses institutions au sein des Nations Unies se sont jointes à d'autres organisations scientifiques et humanitaires internationales, comités nationaux, organisations non gouvernementales et groupes de citoyens dans le cadre de la Décennie internationale de la prévention des catastrophes naturelles (1990-1999). Premier point important : selon le Centre sur l'épidémiologie des catastrophes, situé à Bruxelles, pendant cette période, les coûts combinés des catastrophes dans le monde se sont élevés à 741 millions de dollars pour 589 000 vies humaines. Depuis 1994, le nombre de victimes ne cesse d'augmenter chaque année. Et ce sont les chiffres officiels. Le nombre réel pourrait être bien plus important. Autre point : cette période a connu un échange de connaissances scientifiques soutenu et intensif. Les informations qui ont été générées, approfondies, débattues, systématisées et partagées étaient suffisantes pour prévenir la perte en vies humaines lors du glissement de terrain à Las Colinas. Utilisées à bon escient, elles auraient pu permettre de réduire, de manière considérable, le nombre de victimes dans le Gujerat, et de protéger les infrastructures importantes, telles que les écoles et les hôpitaux. Dans le cadre de la Décennie, l'Organisation panaméricaine de la santé (OPS) a déjà constitué un vaste recueil de conseils détaillés pour assurer la protection des hôpitaux. Il a vu le jour suite à l'effondrement de deux grands hôpitaux à Mexico, en 1985, dont l'un d'eux était la principale maternité de la ville. Le monde se souvient des images des quelques "bébés miracle" qui ont été dégagés des énormes dalles de béton. Trois volumes de directives, en espagnol et en portugais, sont disponibles gratuitement auprès de l'OPS. Pourquoi, alors, n'avoir pas mis à profit ces informations en El Salvador et, grâce aux efforts de l'Organisation mondiale de la santé, ne pas les avoir appliquées à l'hôpital civil de Bhuj ?
Au cours des cinq dernières années, la Décennie s'est spécialement penchée sur l'éducation du public, et au cours des trois dernières années, elle a mis sur pied un projet global, appelé RADIUS, afin de prévenir les risques de tremblement de terre. Neuf villes pilotes y ont participé, en plus de 84 autres villes associées. Ces initiatives ont été particulièrement fructueuses à Tijuana (Mexique) et à Izmir (Turquie) grâce à un soutien important de l'administration et de nombreuses universités locales ainsi que de groupes d'experts. Le projet a permis d'élaborer des mesures peu coûteuses pour prévenir les dégâts et les pertes dans les villes à la suite de tremblements de terre et de créer un plan d'action afin de réduire ces pertes. Tijuana est pratiquement de la même taille que San Salvador, les deux villes ne sont pas séparées par une trop grande distance et, de plus, leurs habitants parlent la même langue. Alors, pourquoi les méthodes mises au point par RADIUS à Tijuana n'ont-elles pas été appliquées à San Salvador ? Parce que, d'une part, la guerre civile a fait rage dans le pays jusqu'en 1992. Depuis la fin de la guerre, les organisations de l'ONU ont participé activement au processus de redressement d'après-guerre et à la mise en place d'instances administratives, législatives et judiciaires civiles qui sont nécessaires au maintien de la paix et à la gouvernance. C'est à ces organisations que revient la responsabilité de mettre en pratique les connaissances existantes afin de réduire les effets des tremblements de terre et d'autres phénomènes dévastateurs tels que l'ouragan Mitch (1998). Après cette tragédie, El Salvador était dans une position idéale pour prendre les mesures drastiques qui s'imposaient pour se préparer à faire face non seulement au prochain ouragan mais aussi aux prochains séisme, éruption volcanique ou phénomènes causés par El Ni–o.
Si les connaissances, les institutions et le financement étaient disponibles, que manquait-il donc en El Salvador, en Inde et dans d'autres régions du monde où les catastrophes ne cessent de causer des pertes en vies humaines ? Ceci étant dit, quelles autres actions les Nations Unites et leurs organisations pourraient-elles préconiser ? Jusqu'à présent, les organismes de l'ONU ont fourni trois choses : les connaissances techniques, le soutien à la mise en place d'institutions et l'aide financière par des subventions et des prêts. Bien que nécessaires, elles ne suffisent pas à initier les changements de comportement des nations face aux catastrophes. Il manque un impératif moral qui pourrait mobiliser la volonté politique locale. C'est lorsque le monde dans son ensemble accepte des normes de responsabilité établies par les États Nations pour leurs citoyens sous la forme de traités, de conventions et d'autres accords que la force morale est la plus forte. Pourquoi, alors, ne pas élaborer un traité international qui engagerait les gouvernements du monde à appliquer les solutions peu coûteuses basées sur les connaissances disponibles afin de prévenir de telles pertes tragiques ? Il existe des réseaux de scientifiques et d'ingénieurs qui pourraient se charger de la définition technique de ces normes. Ils ont été, en partie, créés par la DIPCN 10 ans d'échanges scientifiques mandatés par les Nations Unies. Cependant, les résultats sont incomplets. Certes, l'échange de connaissances scientifiques a été important mais encore faudrait-il que les connaissances soient appliquées ! Un tel effort exigerait que des milliers d'experts développent des pratiques minimales et peu coûteuses en vue de prévenir d'autres tragédies. Il faudrait qu'ils consultent des avocats, des législateurs et des spécialistes en la matière pour déterminer la faŤon de faire appliquer ces normes de base. Le plus difficile du travail réside dans les détails, mais les détails ne sont-ils pas le pain quotidien des scientifiques et des avocats ?
Le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEEC) a rassemblé des milliers de scientifiques dont les travaux ont débouché sur un processus d'élaboration d'un traité qui a abouti à l'Accord de Kyoto sur les émissions de gaz à effet de serre. Les Nations Unies ne pourraient-elles pas créer un groupe intergouvernemental similaire pour les catastrophes naturelles qui rassemblerait, de la même manière, des experts en la matière en vue d'élaborer un traité ? Vu la variété de connaissances et d'expertises en jeu, il est nécessaire de créer un tel organisme. Aucune des organisations spécialisées existantes de l'ONU, telles que l'UNESCO, le Programme de l'ONU pour le développement, l'Organisation mondiale de la santé et l'Organisation météorologique mondiale, ne couvre toutes les connaissances requises. C'est pourquoi le GIECC a été créé. L'étude des effets du réchauffement climatique nécessite une variété de connaissances dans des domaines divers, tels que la santé publique, l'économie, l'agriculture, l'océanographie, en plus de l'expertise en matière de climat mondial et régional.
La prévention des catastrophes doit se faire à tous les niveaux, des habitants aux instances gouvernementales. La sécurité absolue n'est pas un droit de l'homme. Mais la sécurité contre les pertes évitables, les blessures et la mort le sont. La Déclaration universelle des droits de l'homme n'a aucun sens si les êtres humains, qui sont censés jouir de ces droits, peuvent perdre la vie à cause de la négligence des gouvernements à faire appliquer leurs propres normes de construction. Pour en savoir plus, consulter le site www.anglia.ac.uk/geography/radix.
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