L'INTERVIEW de Chronique ONU
En quoi consiste votre rôle d'ambassadrice d'ONUSIDA ? Mon travail avec ONUSIDA comprend trois volets : l'éducation, la sensibilisation et la campagne d'information. Au départ, nos activités ont été davantage centrées sur le VIH/sida, ONUSIDA ayant pour principale fonction de sensibiliser les populations dans le monde et de briser le silence car, en 1998, lorsque ONUSIDA m'a nommée ambassadrice itinérante, le sida était une maladie dont on ne parlait pas dans les Caraïbes. Il n'y avait aucune discussion à ce sujet, le mutisme était de mise. Il y a encore de nombreux cas où des personnes séropositives ne divulguent pas leur état. Si elles ont les moyens de se rendre à l'étranger, principalement à Miami et à New York, pour suivre un traitement, elles ne font pas appel à l'aide médicale dans leur pays. Or, maintenant, on commence à parler de cette maladie. En ce qui concerne la campagne d'information, et l'éducation en particulier, j'ai fait pression sur les gouvernements et ONUSIDA m'a fourni maintes occasions lors de nombreux forums pour qu'ils prennent conscience que le VIH/sida est un problème auquel il faut faire face et qui nécessite la mise en place de programmes d'éducation et de soins de la santé. Une fois que vous savez que vous êtes séropositif, quelles mesures faut-il prendre ? Par le biais d'ONUSIDA, je peux faire pression sur les gouvernements. L'éducation est également cruciale pour prévenir la propagation de cette maladie. Au cours de mes activités, même si elles n'ont aucun rapport avec ONUSIDA, j'ai eu, à maintes reprises, l'occasion de fournir un travail d'éducation. Récemment, le Comité du sida de Saint Kitts m'a accueillie quelques jours avant le défilé. J'ai rencontré des lycéens et des lycéennes et nous avons discuté en toute liberté du VIH/sida, ce qui est très rare ici, ce sujet étant tabou. Nombre d'entre nous sommes extrêmement mal à l'aise lorsqu'il s'agit d'aborder les questions sexuelles. L'ONU m'a permis d'instaurer ce genre de dialogue. Selon un résumé analytique de la journée mondiale du sida, en Trinité-et-Tobago, le taux de prévalence est d'un adulte sur cent, les garçons de 15 à 19 ans étant cinq fois plus touchés par la maladie que les filles. Vous avez également déclaré, lors de l'assemblée de la Journée mondiale du sida, que dans les Caraïbes, la vie sociale d'un garçon est différente de celle d'une fille. Comment peut-on toucher les familles pour changer cet état de choses ? C'est une question très difficile. Pour ce qui est de modifier le comportement des hommes, particulièrement les comportements sexuels, une double solution est peut-être envisageable. Comme il existe des campagnes de publicité, que ce soit pour les bières Guiness Stout ou Carib, ou tout autre produit qui cible la clientèle des hommes, il nous faut lancer des campagnes d'information pour éduquer nos populations sur les comportements sexuels, et nous pouvons le faire en faisant appel à nos célébrités masculines musiciens, stars de cricket et de football parce qu'elles semblent avoir un statut à part dans notre société, sauf lorsqu'il s'agit de leurs relations tumultueuses avec les femmes qui font scandale. Il faut, d'une part, que les hommes prennent conscience de la nécessité de modifier leur comportement et, d'autre part, que nous les ciblions par le biais des femmes. La plupart des familles étant monoparentales, ce sont les femmes qui se chargent de l'éducation des garçons. Or, s'appuyant sur des traditions culturelles profondément enracinées dans la société antillaise, elles véhiculent des schémas d'éducation différents pour les garçons et pour les filles. Que pouvons-nous faire pour changer cette situation ? En réunissant ces femmes, en organisant des ateliers. Ce sont elles qui vont à l'église, elles qui poussent les hommes à aller à la messe. C'est donc lorsqu'elles se retrouvent dans des groupes de la paroisse, qu'elles prennent le thé et discutent de choses et d'autres qu'elles parlent de ces questions. Quand l'une des vos amies encourage son jeune fils à sortir et à s'amuser, demandez-lui pourquoi elle n'encourage pas sa fille à faire de la sorte. Si c'est admissible pour les garçons, cela l'est aussi pour les filles. Il faut rappeler aux femmes que lorsque nous encourageons les hommes à avoir un comportement sexuel libre et à ne pas respecter les femmes, quelque part, il y a une mère qui élève son fils et l'encourage à séduire votre fille. Lorsqu'on aura compris le mécanisme, que l'on en parlera, que l'on en discutera, je pense que les choses changeront, mais c'est un problème à deux facettes. Pour cibler les hommes, il est impératif que ceux qui sont les plus en vue dans notre société participent davantage aux campagnes de publicité, aux spots publicitaires à la télé et aux annonces des services publics, etc. Et il faut aussi les sensibiliser sur l'éducation de nos enfants. Il y a deux ans, vous avez créé la Fondation Hibiscus afin de promouvoir la sensibilisation sur le sida. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette fondation, et s'il en existe d'autres en Trinité-et-Tobago ?
Le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) vous a-t-il également demandé de jouer un rôle actif dans d'autres régions ? Oui. En fait, grâce au FNUAP, j'ai pu me rendre à Genève et rencontrer d'autres ambassadeurs itinérants. Le Fonds encourage ses ambassadeurs itinérants à agir en dehors de leur région. Bien entendu, mes activités sont centrées sur les Caraïbes, parce que c'est le rôle d'un ambassadeur itinérant de sensibiliser les gens à un problème particulier dans la région où il est le plus populaire. Mais bon nombre d'ambassadeurs itinérants du FNUAP sont populaires en dehors de leur pays. Je me suis rendu compte qu'aux États-Unis, chez les gens de couleur en particulier, Wendy Fitzwilliam était un nom familier. Je ne pensais pas que dans un pays qui a tant de célébrités, les Afro-Américains sauraient nécessairement qui je suis. Personnellement, je ne considère pas arriver à la cheville de personnes comme Colby Bryant, Hall Berry ou Vanessa Williams, mais les jeunes Afro-Américains, et même les Américains du Sud, qui sont des fans des défilés, savent qui je suis. Au cours des deux dernières années, j'ai donc eu l'occasion de prendre la parole dans différentes écoles et d'encourager la discussion. Je ne suis pas une conférencière. Au lieu d'aller dans une école et faire un discours, j'organise des discussions là où elles n'avaient probablement jamais eu lieu avant, me servant de mon statut, ici, aux États-Unis. Dans un récent discours, le Premier Ministre de la Trinité-et-Tobago, Basdeo Panday, a dit que les trois femmes couronnées récemment Miss Univers étaient "des modèles exceptionnels pour la jeunesse du monde entier". Quelle influence positive souhaitez-vous avoir sur elle ?
Vous venez de terminer vos études et avez obtenu un diplôme en droit malgré votre calendrier chargé comme Miss Univers. L'une des questions de la campagne Face à face traite de l'importance de l'éducation pour les femmes lorsqu'il s'agit de faire des choix en matière de reproduction. Pouvez-vous expliquer ce point ? C'est vrai. Pourquoi l'éducation est-elle importante ? Pour deux raisons. En premier lieu, le fait de lire, et pas seulement de lire mais de comprendre pleinement ce qu'on lit, vous permet de prendre conscience de beaucoup de choses et donc de faire des choix. Si vous n'avez aucune éducation, cela est impossible. Vous avalez tout et croyez seulement à ce que l'on vous dit. En deuxième lieu, l'éducation permet généralement aux hommes et aux femmes, mais particulièrement aux femmes, de s'assumer sur le plan économique. Si vous mourez de faim et que vous avez deux enfants à nourrir, j'aurais beau vous dire que l'usage d'un préservatif avec vos partenaires sexuels sauvera votre vie et la vie de vos enfants. Si vous savez que votre mari a des relations sexuelles avec six autres femmes, qu'il veut coucher avec vous, sans utiliser aucune protection, et que c'est lui qui nourrit la famille, vous n'y réfléchirez pas à deux fois. L'éducation offre aussi de nombreuses autres opportunités aux femmes sur le plan économique. Cela leur permet de faire les choix qu'elles n'auraient pas nécessairement faits si elles n'étaient pas indépendantes économiquement. Ma mère se plaît à dire que, de nos jours, on divorce pour un rien. Je pense que dans les Caraïbes la société a suffisamment évolué pour qu'on aborde les vraies questions concernant les rapports entre les hommes et les femmes, mais je ne crois pas que nos rapports soient pires que du temps de mes grands-parents simplement ma grand-mère n'avait pas le choix. Elle a dû quitter la maison maternelle pour aller vivre dans la maison de son mari, et elle y est restée toute sa vie. Elle a fini l'école et, à cette époque, finir l'école primaire était chose rare pour la plupart des femmes et, comme beaucoup d'autres femmes, elle n'a pas eu d'autres choix que de rester avec son mari, même si la relation était désastreuse. Maintenant, davantage de femmes peuvent faire des choix et sont en mesure de se poser les vraies questions : "Il est vrai que notre famille tombe en morceaux mais une séparation n'est pas forcément une solution". Nos familles ont été toujours désunies, nous n'en parlions pas, c'est tout. Je ne compte plus les fois où je suis allée à un enterrement d'une personne de la génération de ma grand-mère, ou même de ma mère, où il n'y avait pas cinq à dix demi-frères ou demi-sœurs dont personne n'avait jusqu'alors jamais entendu parler. Ce n'est pas que de nos jours les rapports entre les hommes et les femmes soient différents, mais le fait que les femmes aient accès à l'éducation, qu'elles aient acquis un plus grand pouvoir économique, leur a permis d'être indépendantes et de dire non. Et, maintenant, nous nous demandons comment impliquer les hommes, comment faire pour améliorer les relations. Certes, nous voulons continuer de vivre avec nos partenaires pour l'éternité, non pas parce que nous y sommes forcées, mais parce que nous nous respectons mutuellement. L'objectif de la campagne "Face à face" est de sensibiliser les populations dans le monde sur le fait que les droits de la femme sont des droits de la personne humaine. Dans la région des Caraïbes, quel intérêt les médias ont-ils manifesté à ce sujet ?
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