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Un ordre du jour complexe
Le rôle de Genève dans les années à venir


Par Vladimir Petrovsky
Directeur général du Bureau des Nations Unies à Genève



A quoi pense-t-on quand on évoque Genève ? À une ville, avec des banques, nichée dans les montagnes, à la ville de Calvin, au chocolat ou aux montres en or. Mais on oublie un fait important : Genève est un centre international de premier plan qui dispose de l'autorité mondiale pour traiter un ordre du jour complexe. Prête à faire face aux défis du XXIe siècle, son rôle aura une incidence sur la vie quotidienne des gens, riches comme pauvres. Je vous invite à découvrir une ville dont la vision est tournée vers l'avenir.

À juste titre, le monde a les yeux rivés sur New York, ville gigantesque de 8 millions d'habitants. La présence, au Siège, des organes principaux de prises de décisions assure sa position dominante dans les relations internationales. En comparaison, Genève, une ville de 400 000 habitants, ne semble pas avoir ce qu'il faut pour se mesurer aux grands, mais il faut se rendre à l'évidence : cette ville entre dans une nouvelle ère. En septembre 2000, le Sommet du millénaire de l'Assemblée générale a placé les préoccupations du Secrétaire général, gérer la mondialisation "avec un visage humain", au premier plan des priorités de l'Organisation et, donc, de l'ordre du jour de Genève.

Genève est depuis plus de 80 ans sur la scène diplomatique. C'est ici même que le prédécesseur des Nations Unies, la Société des Nations, créée à la suite de la tragique "Grande Guerre", s'est installée. La conclusion du traité de Versailles a abouti à la création de la Société en 1919. Le président des États-Unis Woodrow Wilson, figure de proue de la Société, fut parmi les leaders à juger que Genève était la ville appropriée, s'appuyant sur le rôle de la Suisse, qui remonte au XIXe siècle, dans les relations internationales. Ce fut la première "grande expérience" en matière de diplomatie multilatérale et de sécurité collective.

La création des Nations Unies en 1945 fut la deuxième. Tant les succès que les échecs de la Société ont fourni une direction et une base nouvelles à l'Organisation, qui est également née des cendres de la guerre.

Il y a de nombreuses années, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) avait placé Genève sur l'échiquier mondial comme capitale de l'action humanitaire. En tant que responsable de l'application des Conventions de Genève, le CICR surveille avec les États parties le traitement des civils pendant les conflits ainsi que celui des prisonniers de guerre.

À ce jour, Genève est un centre dynamique d'actions humanitaires : l'Office des Nations Unies à Genève (ONUG) compte environ 3 800 employés. Plus 4 200 employés travaillent pour cinq institutions spécialisées et 3 450 employés et diplomates travaillent pour 151 des 189 États Membres de l'ONU. L'ONUG est le deuxième bureau des Nations Unies après le Siège situé à New York, ainsi que le centre de conférences le plus actif au monde. Plus de 600 réunions par mois attirent 25 000 délégués dans la ville. Trois types d'ambassadeurs remplissent leurs fonctions à Genève : ceux affectés à l'ONUG, ceux ayant affaire à la Conférence sur le désarmement et ceux spécialisés dans le commerce international.

Genève est unique. Elle est marquée par une conception qui lui est propre : esprit pratique, projets concrets et conçus pour avoir un grand impact. Sa base opérationnelle est de plus en plus importante. En fait, le Secrétaire de l'Énergie Bill Richardson l'a parfaitement résumé lorsqu'il a dit que Genève était là où l'ONU "se faisait les muscles". L'ONU a décuplé sa capacité d'envoi d'aide humanitaire depuis que le nombre de victimes de conflits et de catastrophes naturelles a augmenté comme jamais auparavant. Lorsque la tragédie survient, les organisations, telles que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, agissent rapidement pour envoyer des acteurs clés et des ressources là elles sont les plus nécessaires. Dans le développement économique, la Conférence de l'ONU sur le commerce et le développement exprime les inquiétudes des pays en développement et, en particulier, les pays les moins avancés, afin de partager les fruits de la mondialisation de la manière la plus équitable possible.

Le travail réalisé par Genève dans le domaine de l'établissement des normes a amélioré la vie des gens à travers le monde. La création de conditions de travail acceptables, telles que les congés payés et le droit au congé de maladie, est le fruit des efforts de l'Organisation internationale du Travail. L'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle a créé les lois sur les droits d'auteur et sur la protection de la propriété intellectuelle. Quant à l'Organisation mondiale du commerce, une entité qui, de nos jours, élargit et libéralise le commerce mondial, toute introduction semble superflue.

La sécurité humaine sera le leitmotiv des actions de Genève au cours du siècle à venir, qu'il s'agisse du désarmement, des droits humains ou des actions humanitaires. La survie des hommes est la force motrice qui anime la Conférence du désarmement. Tandis que New York regroupe les organes consultatifs sur les questions du désarmement, c'est la Conférence qui se charge de l'élaboration des traités. Loin des feux médiatiques, les accords multilatéraux et bilatéraux créés ont permis de sauver des millions de vies ainsi que l'environnement de dégâts et de risques de contamination dont on a jamais eu vent. La Conférence est l'unique instance de négociation multilatérale de la communauté internationale en matière d'accords sur le désarmement. Tous les États importants militairement sont représentés dans cet organe composé de 66 membres. Au cours de la dernière décennie, elle a conclu deux traités importants de limitation des armements : la Convention sur les armes chimiques en 1992 et le traité d'interdiction complète des essais d'armes nucléaires en 1996.

En 2001, Genève sera l'épicentre des négociations mondiales en matière de maîtrise des armements. Plus précisément, ce sera l'année de la Convention sur les armes biologiques, étant donné que se tiendront la Conférence spéciale, qui adoptera un protocole de vérification à la Conférence sur les armes biologiques, ainsi que la Cinquième Conférence des États parties chargés de l'examen de la Convention. Ces efforts devraient aboutir à l'établissement d'un nouvel organe de surveillance international qui renforcera la confiance dans l'efficacité à interdire la "guerre bactériologique". D'autres négociations, prévues en 2001, concerneront la Convention sur certains armements classiques, ou la Convention sur les armes inhumaines, afin d'en réduire leur utilisation. L'examen de la Convention traitera aussi l'interdiction de déploiement d'armes extrêmement dangereuses dans les guerres.

Genève doit maintenant nouer des liens plus étroits avec les nouveaux acteurs intervenant dans les relations internationales. La diplomatie se joue de nombreuses façons : la diplomatie internationale, par exemple, par la Conférence du désarmement; par le Directeur général lui-même; et par ses initiatives de plus en plus nombreuses visant à multiplier les liens avec les entités régionales. L'ONUG collabore de manière plus étroite avec les organisations régionales intergouvernementales, telles que l'Organisation pour la sécurité en Europe et le Conseil de l'Europe, dans le cadre du processus de consultations informelles tripartites. L'ONUG a aussi renforcé la coopération avec les États indépendants du Commonwealth et l'Organisation de la coopération économique de la mer Noire. Un dialogue est également engagé avec la Ligue des États arabes, l'Organisation de la Conférence islamique et l'Organisation de l'unité africaine.

Depuis que l'ONU renforce ses liens avec la société civile, l'ONUG établit des relations avec d'importants secteurs tels que les parlementaires, en particulier l'Union interparlementaire dont le siège se trouve à Genève, les intellectuels et le monde des affaires. Près de 2 000 organisations non gouvernementales (ONG) ont établi des bureaux dans cette ville ou nommé des représentants à l'ONUG. Les ONG s'occupant des droits de l'homme, par exemple, peuvent faire pression sur les commissions des droits de l'homme à Genève. Tel est le cas du groupe des populations autochtones dans le monde.

Genève est aussi un centre de recueil d'informations et de savoir dans des domaines tels que la bonne gouvernance. Il offre aux gouvernements un dispositif de consultations, véritable outil de développement mis à leur disposition. Trois instituts de recherche et 5 des 17 institutions spécialisées du système de l'ONU sont situés à Genève. À l'avenir, l'Université des Nations Unies (UNU) à Tokyo fera appel à ce groupe d'experts pour ses projets de recherche. En juin 2000, le premier "dialogue dans le domaine de la recherche et de la politique", qui a été coprésidé par le Directeur général de l'ONUG et le Recteur de l'UNU, a vu le jour au Palais des Nations. Cet événement sera désormais annuel.

Le Secrétaire général Kofi Annan a défini sa vision de l'Organisation comme holistique et centrée sur les personnes, une vision qui reconnaît le lien entre les droits humains, le développement et la paix. Certes, la question des droits humains est à facettes multiples et touche chaque aspect de l'ordre du jour de l'ONU. M. Annan a aussi souligné le besoin de renforcer les stratégies de l'ONU afin de répondre au grand défi humanitaire d'aider les populations civiles pendant les périodes de crise. Les futures stratégies destinées à assurer la sécurité humaine seront principalement centrées sur la prévention.

Dans ce cercle "vertueux" d'actions interdépendantes, Genève joue un rôle crucial. Tandis que New York demeure au premier plan des efforts politiques et diplomatiques ainsi que des opérations de maintien de la paix, Genève apporte non seulement un complément aux mandats de paix et de sécurité mais offre aussi une expertise dans la prévention et la résolution des conflits, l'aide et l'établissement de la paix après les conflits, qui appuie tant les processus politiques que le développement économique. En d'autres termes, Genève complète les actions menées pour prévenir la guerre et les catastrophes naturelles, en mettant à jour les causes profondes.

Le Haut Commissariat aux droits de l'homme a reconnu qu'il était nécessaire d'aller au-delà des travaux de création de normes accomplis au XXe siècle pour s'employer à faire respecter les normes des droits de l'homme partout dans le monde. La consolidation de la paix - actions entreprises à la fin d'un conflit en vue de consolider la paix et prévenir une recrudescence des affrontements — entraîne l'expansion la plus rapide de l'un des domaines du Haut Commissariat : la coopération technique, ou la mise en place de capacités. Il peut s'agir, par exemple, de promouvoir la démocratie en offrant une aide pour superviser les élections, renforcer les institutions nationales en réformant le système judiciaire, en formant la police ou le personnel du système de justice pénal, etc. La présence sur le terrain, la surveillance de l'évolution de la situation et l'offre de conseils sur place représentent d'autres progrès.

Une analyse de la situation des droits de l'homme étant cruciale dans les premiers dispositifs d'alerte rapide, les bureaux implantés sur le terrain peuvent agir au nom de l'ONU afin de recueillir les preuves ou alerter l'opinion mondiale sur les tendances dangereuses constatées. Les violations des droits de l'homme actuelles ne devraient pas ouvrir la voie au nettoyage ethnique de demain.

La mission de l'ONU, qui est de protéger les réfugiés et les populations déplacés dans leur pays, est liée à ces initiatives. Lorsqu'une crise éclate, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), est parmi les premiers organismes à être sur place. La protection peut comprendre les protections physique et juridique, ou l'élaboration de projet de lois nationales et internationales. Les solutions consistent à faciliter le rapatriement volontaire, l'asile ou la réinstallation des réfugiés dans un autre pays. L'UNHCR a consacré de nombreux efforts à promouvoir les normes internationales concernant les traitements humains, à assurer les droits des réfugiés dans les pays d'asile et à les protéger contre le retour forcé dans une situation dangereuse. En 2000, l'UNHCR a aidé 30 millions de personnes en difficulté.

L'ONU doit aussi réagir au plus vite aux catastrophes naturelles d'une grande ampleur. Si les bulletins d'informations semblent catastrophiques, la réalité l'est encore plus — trois fois plus de catastrophes naturelles sont survenues dans les années 90 que dans les années 60. La Stratégie internationale pour la réduction des catastrophes, basée à Genève, doit donc remplir son mandat, "Un monde plus sûr au XXIe siècle". L'Organisation météorologique mondiale est de plus en plus sollicitée pour mettre sur pied des stratégies de prévention en recueillant et en communiquant des informations de pré-alerte sur les conditions atmosphériques dangereuses à l'aide de la technologie des satellites et d'Internet.

L'Organisation mondiale de la santé poursuivra ses remarquables travaux en offrant des soins de la santé à tous. La poliomyélite et la lèpre disparaîtront de la liste des maladies qui nous menacent.

Comme elle l'avait fait avec la variole dans les années 70, l'OMS devrait pouvoir trouver le moyen de guérir l'une des maladies les plus dévastatrices qui frappe toutes les couches de la population mondiale : le sida.

Ce sera peut-être l'essor des technologies de l'information (IT) et de l'Internet qui permettra à Genève d'imposer sa position dans le monde. L'un des phénomènes les plus importants du XXe siècle est l'impact qu'ont eu les ordinateurs et les technologies de l'information sur notre vie, notre travail et sur les jeux. Cette révolution informatique a changé radicalement notre manière de penser et nos attentes. Les communications interactives nous permettent de couvrir de vastes distances et de contrôler les aspects de nos vies qui étaient auparavant contrôlés par des institutions telles que les gouvernements, les corporations et les médias. Ces changements seront encore plus importants au cours de ce siècle et l'Union internationale de télécommunications (IUT) continuera de jouer un rôle novateur et d'aider à combler le fossé numérique entre le Nord et le Sud.

Tous les quatre ans, l'UIT organise à Genève le salon "Telecom", le plus grand salon au monde de la technologie de pointe. Telecom 99 a réuni des milliers d'experts des technologies de l'information, dont Bill Gates. L'événement a connu un tel succès que les hôtels ont affiché complets, et certains cadres ont dû faire le trajet chaque jour à partir de lieux aussi éloignés que Londres. Télécom 2003 sera donc consacré aux technologies de pointe; en fait, la présence de l'UIT à Genève est si importante que de nombreuses entreprises de technologies de l'information s'y sont implantées. Il ne serait pas improbable qu'un jour une future Silicon Valley borde le fameux lac.

Je voudrais conclure mon tour d'horizon par les observations suivantes : Genève est prête à répondre aux défis du siècle nouveau; en tant que source de savoir, lieu d'innovation et point névralgique de la promotion de tous les aspects de la sécurité humaine, elle aura une influence profonde.



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L'ONUG se prépare pour le nouveau millénaire

Le quatre-vingtième anniversaire de la nomination de Genève comme siège de la Société des Nations, commémoré en avril 1999, a donné l'occasion de juger le rôle de l'Office des Nations Unies à Genève (ONUG) dans le contexte d'une perspective historique. Genève continue de fournir un cadre aux États Membres de l'ONU pour de nombreux aspects de leurs relations, se concentrant sur une approche tridimensionnelle en matière de maintien de la paix, de prévention des crises et de leur gestion.

Le rôle de Genève comme centre de savoir-faire et d'expertise a été réaffirmé. Au total, 105 chefs d'État et de gouvernement, ministres et dignitaires de haut niveau ont visité l'ONUG qui a conservé son importance dans le domaine de la diplomatie multilatérale. En ce qui concerne les opérations, elle a consolidé ses activités dans cinq grands domaines : la promotion des droits de l'homme et l'aide humanitaire; le commerce et le développement; la science et la technologie; la recherche et la formation; le désarmement. La prévention des catastrophes et des risques est un nouveau domaine d'activités. De par ces caractéristiques, Genève a consolidé sa position comme partie intégrante du système de l'ONU.

Malgré ses contraintes budgétaires, l'ONUG continue de renforcer ses activités en améliorant ses services et ses programmes. Les technologies de l'information sont devenues un élément clé des services communs et une priorité des activités de l'ONUG, y compris le Système à disque optique (SDO), qui est le centre de documentation le plus important de l'ONU et, du point de vue des technologies de l'information, l'un des plus grands atouts de l'Organisation. À Genève, le SDO contient plus de 100 000 documents. L'ONUG prévoit de renforcer sa capacité en technologies de l'information en développant des liens Internet entre les missions diplomatiques, les organisations internationales et les institutions spécialisées. Grâce à ces améliorations, l'ONUG est parfaitement apte à faire face aux situations complexes et continue d'être au premier plan en matière de diplomatie préventive et de consolidation de la paix.

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