Le virus de lEbola ...
et les défis pour la recherche sur la santé en Afrique
Par Daniel Bausch
Comme dans un mauvais film daction, il semble parfois quun grand nombre de pays africains, victimes de maladies, de catastrophes, de guerres, dépidémies, invitent la misère. Un producteur de films hollywoodien rejetterait même un tel scénario, le jugeant trop invraisemblable.
Mais, malgré tout, il y a lieu despérer. LAfrique dispose de nombreuses ressources, dune grande diversité culturelle, dune tradition de créativité, de persévérance ainsi que de richesses naturelles telles que les minéraux. Dans de nombreux pays africains, jai été particulièrement fasciné par la civilité, le dynamisme et la complexité de la structure sociale ainsi que par le respect des aînés, la solidité de la cellule familiale et le sens du devoir.
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 | Voici la rue principale
de Gulu, en Ouganda. |
Onenchan Jones ma regardé dun air accablé, la peur dans les yeux. Docteur, je suis en train de mourir, ma-t-il dit simplement. Ce nétait pas une déclaration mais un appel. Il parlait dune voix de moribond, faible et lointaine. Étant donné son état, et sachant quil avait vu des amis et des membres de sa famille mourir de la maladie à virus Ebola, je ne mettais pas sa parole en doute. Dans peu de temps, son corps sans vie irait rejoindre les autres. Cest ainsi qua débuté ma première journée à lhôpital régional de Gulu, situé dans le nord de lOuganda.
Une semaine plus tôt, je venais de rentrer dun long voyage en Afrique de lOuest où avait été constatée une poussée de cas liés à une maladie virale connexe. Javais prévu de minstaller à nouveau à Atlanta, où jaspirais à répondre à mes messages électroniques, à écrire mes articles, à me reposer et à faire du sport. Mais un vendredi doctobre, en fin daprès-midi, Pierre Rollin, mon chef de service, est entré, a pris une chaise sur laquelle il sest assis à califourchon et, entourant le dossier de ses bras, signe quil avait quelque chose dimportant à dire, ma dit : Cette maladie qui sévit en Ouganda, cest lEbola. Je viens de recevoir les résultats dAfrique du Sud. Après quelques jours passés à emballer le matériel et à arranger les détails du voyage, une équipe dont je faisais partie, composée de six médecins du Centers for Disease Control and Prevention (CDC), aux États-Unis, partait pour Gulu.
Je dois avouer que, bien quayant passé beaucoup de temps dans les pays en développement au cours des dix dernières années, je nétais pas tout à fait préparé à ce qui mattendait. Javais vu plus de cas de fièvres virales hémorragiques que la majorité des médecins, mais pas encore celle de lÉbola. Mais je me disais que cette maladie devait ressembler aux autres.
Je métais moqué de la littérature publiée à son sujet, qui décrivait les malades se dissolvant, le sang sortant des yeux. Jétais donc préparé, autant que quiconque puisse lêtre dans ce cas, et je pensais quil en était de même pour les autres médecins. Mais cétait avant davoir rencontré Onenchan. Avant tant de bouleversements. Et avant la mort du docteur Lukwiya.
Le docteur Matthew Lukwiya, que ses collègues appelait simplement docteur Matthew, avait placé la barre plus haut sur léchelle de la tragédie. Personne ne pensait quune telle chose pouvait se produire, sauf dans les livres ou dans les films. Étant directeur du service médical de lun des hôpitaux affectés par la poussée de la maladie, il était au cœur du problème à tous les points de vue. Mais sa participation nétait pas que le fait du hasard. Cétait un homme de talent, consciencieux, le premier à avoir assemblé les pièces du puzzle et à se douter que la mort de ses patients était causée par le virus Ebola. Ceux qui lont connu ne tarissent pas déloges à son sujet - un guérisseur, un scientifique, un homme éminent, un ami.
Aux deux tiers de lépidémie, le docteur Matthew est soudain tombé malade. Une semaine plus tard, son nom sajoutait à la liste des victimes de la maladie dÉbola à lhôpital où il travaillait. Nous, les experts, qui étions en Ouganda et avaient vu tant de décès, nous connaissions les ravages que pouvait causer le virus, ainsi que le désordre que lépidémie engendrait. Mais jusquà la mort du docteur Matthew, nous avions réussi à observer le chaos à distance. Nous regardions se dérouler une bataille du haut dune colline lointaine, reconnaissant lhorreur mais ne nous sentant pas personnellement menacés. Le docteur Matthew nétait ni le seul héros, ni le seul membre du personnel médical à mourir, mais sa disparition a tout a changé.
Cest alors que nous avons compris que la maladie népargnait personne. Je ne voudrais pas que lon pense quavant la mort du docteur Matthew nous étions insouciants et sans crainte. Chaque jour, dès le premier signe dun mal de tête ou de fièvre, tant le corps médical que les villageois venaient nous voir. Docteur, vous devriez me tester, me disaient-ils en tendant leur bras comme si javais une aiguille et une seringue toute prête. Nous nétions pas non plus immunisés contre ces peurs. Expert ou non, personne ne pourra nier que transpirant sous nos blouses, nos gants en plastique, nos tabliers, nos masques, nos lunettes de protection, nous nous demandions si cétait parce quil faisait particulièrement chaud ce jour-là, parce quon était plus fatigué que dhabitude ou, tout simplement, si ce nétait pas un début de fièvre. Nous évitions généralement dy accorder trop dimportance, de noircir le tableau. Mais cétait avant la mort du docteur Matthew.
 | Hôpital régional de Gulu |
Une épidémie dEbola dans une communauté affecte lensemble de la société. Cest un événement qui laisse sa marque : il y a la période avant et la période après. Par la suite, que vous soyez infecté ou non, rien nest plus jamais comme avant, personne ne traverse cette épreuve sans en être profondément affecté. Lagonie des victimes est clairement visible mais les conséquences sont beaucoup plus profondes. Des voisins méfiants, parfois même des membres de la famille, refusent que les convalescents rentrent chez eux, brûlant parfois leurs biens ou leur hutte. Les coutumes africaines traditionnelles, elles aussi, ont changé. On oublie soudainement daccomplir les rites funéraires tels que le lavage du corps. Les réactions sont mitigées. Au début, les membres de la famille résistent au changement. Ensuite, alors que lépidémie se propage, la peur lemporte. Lorsque je travaillais à lhôpital, on ma souvent apporté des lettres comme celle-ci : Ce matin, notre frère est tombé malade. Il est mort avant que nous lamenions à lhôpital, dune maladie inconnue qui ne sest déclarée que la nuit dernière. La famille a quitté la maison. Demandez à léquipe responsable de venir chercher le corps et de lenterrer. Linhumation du défunt, qui a généralement lieu près de la maison, se fait dans des tombes réservées aux victimes de lEbola.
En sept jours, une vie se transforme en une housse mortuaire en plastique blanc.
De retour à Atlanta, lépidémie derrière moi, jai repris les projets que javais laissés en plan, me remettant à jour dans mon travail, récupérant les heures de sommeil et reprenant mes activités physiques. Mais, pour moi aussi, Gulu représente un tournant. Entre les données à analyser et les coups de téléphone à passer, jessaie de mettre un peu dordre dans ma tête. Cest un processus lent, qui ne survient que de manière indirecte, comme lorsquon regarde du coin de lœil une étoile minuscule. Limage ne sest pas complètement formée dans mon esprit mais je pense que cest principalement un rappel simple mais fort de notre mortalité, un message intemporel sur laspect éphémère de la vie, un rappel que nos proches, aussi, sont importants.
Paradoxalement, il est parfois plus difficile de répondre aux questions pragmatiques quaux grandes questions philosophiques, peut-être parce que nous espérons une réponse plus concrète. Jessaie de placer lEbola dans le contexte des énormes problèmes de santé auxquels est confrontée lAfrique. Que cela signifie-t-il? En tant que chercheur et médecin, que puis-je faire?
Et pourtant, lEbola est loin dêtre la plus grande menace pour la santé en Afrique subsaharienne. Comme dans un mauvais film daction, il semble parfois quun grand nombre de pays africains, victimes de maladies, de catastrophes, de guerres, dépidémies, invitent la misère. Un producteur de films hollywoodien rejetterait même un tel scénario, le jugeant trop invraisemblable. Quand lépidémie de fièvre hémorragique dEbola a commencé à diminuer, jai eu enfin un peu plus de temps pour apprendre à connaître mes collègues - ces visages cachés derrière les masques chirurgicaux. Un jour, entre deux patients, une jeune infirmière du nom de Christine ma raconté son histoire - lhistoire de lautre épidémie qui sévit en Afrique. Son père, sa mère et ses frères étaient tous morts du sida. Elle et ses sœurs se sont retrouvées seules, essayant de sen sortir le mieux possible. Elle a relaté ce récit le plus simplement, non pas parce que la situation nétait pas dramatique mais parce que, tragiquement, elle nétait pas inhabituelle.
De plus, les souffrances causées par le paludisme et la tuberculose sont si courantes que, généralement, les gens nen parlent même pas.
Il semble que, pour vivre vieux en Afrique subsaharienne, il faille jeter le gant. Seules une bonne constitution, et peut-être aussi beaucoup de chance, vous assurent la longévité. Les enfants, qui ne meurent plus de maladies infantiles, font maintenant face à de nouvelles menaces, le sida, lEbola, les guerres et les accidents de la route. Trop souvent, si vous échappez à un malheur, nous succomberez au suivant. Un jour, le docteur Matthew, qui avait été enlevé par lArmée de résistance du Seigneur, un groupe de rebelles qui sévit dans le nord de lOuganda, fut retenu quelques jours puis libéré. Il avait alors survécu mais le virus Ebola ne la pas épargné.
De bien des façons, la situation à Gulu semble illustrer le bouleversement biologique, social et politique que connaît la plus grande partie du continent africain. Face à ce chaos apparent, les étrangers tendent à déclarer forfait et se tournent vers dautres sujets comme leuro ou louverture de nouveaux marchés en Chine. Et la frustration est compréhensible, car il ny a pas de réponses faciles.
Lorsquune épidémie aussi mortelle que lEbola se déclare, des ressources sont mobilisées et de nombreuses organisations se rendent sur place pour aider à surmonter la crise. Mais, après leur départ, tout revient comme avant. Pour faire face à un épidémie de cette ampleur, il est relativement aisé dobtenir des engagements financiers à court terme. Or, il faudrait pouvoir mettre en place une infrastructure de santé publique qui permette véritablement de comprendre lépidémiologie de ces maladies, et donc de les prévenir. Des recherches à long terme sur lorigine de ces maladies, sur la manière dont elles se transmettent, auraient beaucoup plus dimpact sur la santé que la réponse durgence que nous apportons lors dune épidémie. Il ne sagit pas de privilégier lune par rapport à lautre, mais il est clair que sil y avait plus de recherches, les réponses durgence seraient moins nombreuses.
 | Augustine Goba, au Centre de recherche
IRBAG/CDC sur la fièvre de Lassa,
à NZérékoré, en Guinée |
Pourquoi la recherche scientifique à long terme nest-elle pas développée dans les pays en développement?
Cest une question fondamentale et philosophique qui remonte à un débat qui date de la fin du XVIIIe siècle : les États-Unis dAmérique devraient-ils être une nation isolationniste ou une nation interventionniste? La mondialisation étant le mot à la mode, on peut dire que linterventionnisme la emporté. Mais, alors que nous lavons acceptée du point de vue économique, nous navons pas poursuivi de véritable engagement en matière de santé à léchelle mondiale. On nous demande plutôt de revenir à une sorte disolationnisme dans le domaine des sciences biologiques, les gouvernements dun grand nombre de pays industrialisés préférant consacrer leur budget aux problèmes de santé considérés dintérêt national. Mais, contrairement aux nations, les agents pathogènes ne connaissent pas de frontières. En matière de santé et de maladies, les intérêts, national et international, sont étroitement liés. Les exemples de cette relation sont multiples : lapparition, en 1999, du premier cas dencéphalite à virus West Nile aux États-Unis, le transport à Chicago dun patient de lAfrique de lOuest souffrant de fièvre de Lassa, la protection contre la menace de la guerre biologique. Il existe une multitude darguments démontrant quun engagement à létranger renforcerait la stabilité économique et politique et améliorerait la santé publique. Mais même si lon nen tient pas compte, faut-il donc quune nation riche ait des raisons pour sengager à collaborer avec une nation pauvre?
Si, dans de nombreux instituts africains, les chercheurs sont actuellement désœuvrés, ce nest pas par laxisme.
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