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Le commerce mondial des produits agricoles
Un progrès ou un recul ?

Par Stefan Tangermann
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Le commerce des denrées alimentaires et des produits agricoles est vital et le sera encore plus au cours de ce nouveau siècle. Il est essentiel pour les populations qui dépendent des exportations, dont un certain nombre de pays en développement où une forte augmentation de la demande est prévue pour les importations de produits agricoles, alors que l’augmentation de la consommation intérieure dépasse le potentiel de production. Le commerce des produits agricoles est vital du point de vue économique pour les agriculteurs des pays exportateurs qui cherchent à vendre leurs produits sur les marchés internationaux afin de leur assurer des moyens d’existence fiables. C’est le cas d’un grand nombre de pays en développement. De manière moins évidente, ce commerce est également vital du point de vue économique pour les pays qui ont la capacité de produire la plupart des denrées alimentaires et des matières premières dont ils ont besoin, mais qui préfèrent se concentrer sur d’autres secteurs où ils ont un avantage concurrentiel, tout en important des produits à des prix inférieurs aux coûts s’ils les produisaient dans leur pays.

Alors qu’à l’aube du nouveau siècle, tout le monde s’accorde pour dire que le commerce des produits agricoles est vital, les barrières commerciales dans ce secteur sont encore nombreuses. Contrairement aux efforts considérables accomplis au cours de ces dernières années pour libéraliser l’industrie de transformation, le commerce des produits agricoles est toujours fortement affecté par les politiques gouvernementales. Nombreux sont les pays qui maintiennent des tarifs douaniers élevés dans leurs marchés agricoles, ce qui bloque souvent les importations. S’il est vrai que certains pays développés ont des tarifs douaniers particulièrement élevés, certains pays en développement ne facilitent pas non plus l’entrée des marchandises et des produits sur leurs marchés. Dans certains cas, les gouvernements dépensent d’importantes sommes d’argent pour pousser leurs exportations de produits agricoles sur les marchés mondiaux en accordant des subventions à l’exportation ou un soutien interne. Ce phénomène ne se produit pratiquement que dans les pays développés.

Dans d’autres cas, la production agricole des pays concernés est maintenue artificiellement à un niveau élevé, bien au-delà de la production compétitive.

En conséquence, dans d’autres parties du monde, un grand nombre d’agriculteurs ne peuvent utiliser tout leur potentiel productif. Certains gouvernements de pays en développement adoptent des mesures qui freinent l’exportation, ce qui fait baisser les prix des produits agricoles dans le pays et démotive les agriculteurs. Dans ce cas, les pays concernés sous-utilisent leurs ressources et leurs opportunités d’emplois. Alors que ces gouvernements estiment que leurs actions sont justifiées, de nombreuses analyses économiques ont clairement démontré que ces barrières commerciales ont causé une perte du bien-être économique dans ces pays et dans le monde. La plupart des politiques qui altèrent le commerce des produits agricoles sont motivées par des objectifs sociaux, en particulier des préoccupations concernant la répartition des revenus.

La protection des marchés, par le biais des tarifs douaniers et des subventions à l’exportation, vise à maintenir les revenus et les emplois des producteurs agricoles. L’objectif des pays dont les politiques gouvernementales maintiennent les prix intérieurs au-dessous de ceux pratiqués à l’échelle internationale, est généralement de fournir des denrées alimentaires bon marché aux consommateurs pauvres de leur pays ou d’augmenter les revenus du gouvernement en imposant des taxes à l’exportation. D’autres objectifs sont également poursuivis mais, dans la plupart des cas, ils sont secondaires et servent souvent plus de justifications que d’objectifs politiques. Dans le domaine de l’alimentation et de l’agriculture, des efforts devraient être réalisés pour atteindre les objectifs sociaux. Cependant, les interférences commerciales ont un rapport lointain avec une approche optimale de la politique et impliquent de nombreux coûts supplémentaires, à la fois pour l’économie nationale et pour les autres pays. Il existe d’autres moyens beaucoup plus directs et plus efficaces pour réaliser les objectifs sociaux. Par exemple, les paiements de revenus directs peuvent aider les producteurs agricoles plus efficacement que le soutien des prix, et sans les implications négatives pour le commerce et le bien-être économique du pays. De même, cibler l’aide vers les consommateurs pauvres est plus efficace que maintenir les prix des denrées alimentaires bas, ce qui a pour effet de démotiver les agriculteurs.

C’est pour cela qu’un nombre croissant de pays sont d’avis qu’il faut réformer les politiques agricoles mondiales. Alors que certains pays ont déjà amorcé unilatéralement le processus de réforme agricole, un progrès considérable a été accompli au niveau international avec les négociations d’Uruguay de l’Accord général sur les tarifs douaniers et sur le commerce (1986-1994). Un nouvel accord sur l’agriculture a été conclu, par lequel tous les pays ont accepté de limiter leurs politiques agricoles, s’engageant à réduire les tarifs douaniers, les subventions à l’exportation et le soutien à l’agriculture. Par l’établissement de règles entièrement nouvelles et opérationnelles, l’Accord a marqué un tournant décisif dans le commerce mondial des produits agricoles. Il a remis le secteur agricole sur la voie de la libéralisation du commerce, créant les conditions qui permettront aux forces du marché de jouer un rôle plus important que les politiques gouvernementales dans le secteur agricole mondial. Cependant, les engagements de réduction ont été suscités par l’important niveau de protection et de soutien qui était en place à la veille des négociations d’Uruguay.

Les années qui ont suivi n’ont donc pas été marquées par un changement fondamental des politiques actuelles et des flux commerciaux. Ses négociateurs en avaient conscience et ont été suffisamment avisés pour inscrire dans l’Accord l’engagement d’organiser un suivi. Et, de fait, ces négociations ont été entamées au début de ce siècle. Nul ne sait encore quels en seront les résultats, mais il est rassurant de noter qu’aucun pays ne remet en question la nécessité de ces nouvelles négociations agricoles, ni ne rechigne à prendre des engagements de réduction supplémentaires.

Le nouveau siècle a donc débuté sur une note positive. Avec un peu d’optimisme, on peut prévoir un mouvement continu vers un meilleur fonctionnement des forces du marché dans l’agriculture mondiale. En même temps, d’autres problèmes persistent et sont de plus en plus mis au jour. Celui de l’insécurité alimentaire dans un grand nombre de pays en développement est loin d’être résolu. Par contre, dans les sociétés riches, la qualité des denrées alimentaires, la protection des animaux et les effets des technologies modernes sur l’environnement suscitent de plus en plus d’inquiétudes. En réponse à ces questions, l’ordre du jour des négociations commerciales agricoles continuera de changer au cours de ce siècle. Dans les décennies à venir, il est possible que les questions relatives à la protection et au soutien agricoles seront de moins en moins pertinentes et que les questions relatives à l’insécurité alimentaire et aux inquiétudes des consommateurs domineront le débat. En d’autres termes, le commerce mondial des produits agricoles restera un sujet de priorité de l’ordre du jour.

Stefan Tangermann est Professeur d’économie agricole à l’Institut d’économie agricole de l’université de Göttingen (Allemagne) et membre de l’Académie des sciences. Il a également été Président du Comité du Conseil scientifique et membre du Conseil scientifique de la République fédérale allemande.



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