Sur le terrain: Un mauvais présage qui savère faux
Par Brennon Jones
La majorité de la presse internationale, habituée à couvrir des événements violents et des massacres, a dû
être quelque peu déçue par les élections de lAssemblée constituante du 30 août qui se sont déroulées sans incidents. Pourtant, ces
élections étaient importantes car, avec ce vote, le Timor oriental, qui avait été détruit il y a deux ans à peine, rejoignait les rangs de la
démocratie. Le taux de participation de 91,3 % a été salué par le Secrétaire général, Kofi Annan, comme un exemple remarquable pour la
communauté mondiale.
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Une Timoraise montrant fièrement sa nouvelle carte délecteur.
Photo OCPI/Thandi Mwape |
Mais outre le niveau de participation, lesprit de tolérance, qui a prévalu tout au long de la campagne électorale, et labsence
totale de violence ont été tout aussi remarquables. Carlos Valenzuela, Responsable des élections pour la Commission électorale indépendante, a résumé
la situation en ces termes : Au cours des 14 élections auxquelles jai travaillé, je nai jamais vu une campagne aussi pacifique et aussi bien organisée.
Pourtant, à lapproche du jour du vote, la peur commençait à se manifester. À Dili, certains commerçants ont même liquidé leurs stocks et
barricadé leurs boutiques. Et, lorsque à la mi-août, les crocodiles de mer ont fait leur apparition sur les plages de Dili pendant leur migration annuelle, un grand nombre de
Timorais, dans leur peur, y ont vu un mauvais présage de conflit imminent - la guerre civile.
Beaucoup craignaient que lancienne milice en faveur de lautonomie, réfugiée au Timor occidental, ne traverse la frontière pour se rendre au Timor oriental afin de
provoquer des troubles et, daprès les organisations non gouvernementales (ONG), que les propos incendiaires et dintimidation tenus par certains partis politiques régionaux
ne mettent le feu aux poudres.
Mais la situation était différente de celle de 1999. La Mission des Nations Unies au Timor oriental (MINUTO) nétait alors pas armée et des militaires et des
policiers indonésiens étaient complices des milices. Kathleen Goncalves, propriétaire dAcait Bistro, a constaté les différences entre ces deux
périodes. À lapproche des dernières élections, la plupart de mes amis étaient inquiets. Mais je leur ai dit quils navaient rien à
craindre, que CivPol et la Force de maintien de la paix étaient désormais organisées.
Elle avait raison. Les quelque 8 000 agents de la paix armés et 1 485 agents de la police civile de lONU (CivPol) assuraient au peuple timorais un sentiment de sécurité
manifeste dans tout le pays. Ils ont été appuyés par un millier de jeunes collègues, dont le nombre ne cessaient daugmenter, faisant partie du Service de police du
Timor oriental et par un bataillon de la Force de défense récemment créé, composé des anciens membres des Forces armées de libération nationale du
Timor oriental. En outre, la Force de maintien de la paix et la CivPol, ainsi que les administrateurs régionaux timorais, ont établi des Comités de sécurité
régionaux dans les 13 communes afin de faire face rapidement, efficacement et de manière coordonnée à une crise ou à des troubles civils. Toutefois, après
lexpérience traumatisante de 1999, un grand nombre de Timorais étaient nerveux et les forces de sécurité de lONU étaient sur le pied de guerre.
Même dans ce climat dinquiétude, les Timorais ont révélé leurs plus grandes qualités : non pas le courage et la détermination dont ils avaient
fait preuve lors des violents affrontement de 1999, ou même leur détermination inébranlable à reconstruire le pays au cours des 24 derniers mois, mais la conviction dont
ils étaient animés. En effet, ils étaient prêts à participer au processus démocratique, pour lequel ils avaient couru tant de risques, et à
défendre ce droit. Ils allaient bientôt élire une Assemblée constituante de 88 membres chargée de rédiger la première Constitution du pays qui
fournirait les bases pour les élections présidentielles, prévues en mai 2002, permettant de faire accéder le pays à lindépendance .
Un grand nombre de partis et de candidats se sont présentés aux élections. Le 15 juillet, premier jour de la campagne officielle, seize partis politiques et cinq candidats
indépendants étaient officiellement inscrits.
Au nombre des partis figuraient le Front révolutionnaire du Timor oriental indépendant (FRETLIN), qui avait le plus de chances de gagner et saccordait une victoire
écrasante, et dautres partis populaires, dont le Parti social démocrate, le Parti démocrate, Klibur Oan Timor Asuwain, lAssociation sociale démocrate timoraise
et lUnion démocrate timoraise. Les autres nétaient pas suffisamment connus, ou disposaient de ressources trop limitées, pour participer à une campagne de cette
ampleur.
Pour lONU, les élections représentaient un énorme défi. En octobre 1999, la résolution 1272 du Conseil de sécurité (1999) avait mandaté
lOrganisation pour quelle administre le pays jusquà son indépendance. Elle avait accompli un travail remarquable. Les milices, qui avaient terrorisé le pays en
1999, nétaient plus quun mauvais souvenir grâce, surtout, au travail des casques bleus. Au cours des mois qui avaient suivi la destruction, les secours humanitaires
importants, auxquels avaient participé le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Bureau international de migration, dautres institutions de
lONU ainsi quun grand nombre dONG, avaient permis de rapatrier plus de 185 000 personnes et fourni de la nourriture, des vêtements et un abri à ceux qui étaient
dans le besoin. Dans lensemble, le processus de réconciliation avait réussi, sans quil y ait trop de violence ou de harcèlement contre les réfugiés de
retour dans leur pays. En 2001, la sécurité navait jamais été aussi efficace depuis des décennies. De plus, un service civil de jeunes professionnels
regroupant 9 500 personnes, ainsi que les institutions de base du gouvernement, étaient mis en place. Même si le processus a connu quelques ratés, les changements, qui auraient
pris des générations pour se produire dans dautres pays, étaient survenus au Timor oriental en quelques mois.
Mais cette élection présentait de grands défis pour lAdministration transitoire de lONU au Timor oriental (ATNUTO) qui était chargée dorganiser
les élections tout en administrant le pays. De plus, tout au long du processus, elle devait convaincre les seize partis politiques disparates, les candidats indépendants et les Timorais
de son impartialité.
Ce fut une véritable course dobstacles. Dabord, la campagne pour les enregistrements des actes détat civil et les inscriptions des électeurs. Quelque 500
membres du personnel international et local ont travaillé dans 350 sites dinscription répartis dans le pays. Pendant la saison des pluies, ils ont enregistré 793 000
résidents, dont 425 000 remplissaient les conditions requises pour voter.
Ce sont les Volontaires de lONU qui se sont chargés principalement des inscriptions, rompus au processus de gestion électorale de lONU dans le monde, contrairement à
la majorité de leurs homologues timorais - qui étaient alors novices en la matière. Avec lexpérience du 30 août à leur actif, ils sont maintenant
prêts à organiser les futures élections, y compris lélection présidentielle, qui aura lieu dans quelques mois.
Le processus dinscription ne sest pas déroulé sans problèmes. Les logiciels dinformatique parfois défectueux ont occasionné de longues files
dattente. Un certain nombre de personnes nayant pas été inscrites sur les listes à cause dun problème technique, il a fallu trouver une solution en cours
de route pour leur permettre de voter. Mais les Timorais ont pris les choses avec philosophie, démontrant à quel point ils étaient patients et déterminés à
participer au processus démocratique. Cela sest dailleurs confirmé lors du processus de certification au cours duquel les Timorais ont eu loccasion de vérifier
que leur nom figurait sur les listes et que les données pertinentes étaient correctes. Dans la majorité des pays, les citoyens ont tendance à négliger cette
étape, mais les Timorais, qui se sont présentés en grand nombre, ont établi un record pour tous les pays - prouvant leur détermination à voter lors de cette
élection historique.
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Le Chef de lATNUTO, Sergio Vieira de Mello, lors de la cérémonie où la Commission constituante a fourni les rapports des
débats organisés dans 13 régions, faisant part des éléments que le peuple timorais souhaitait voir intégrés à la Constitution. Celle-ci est en
cours délaboration par lAssemblée constituante, élue le 30 août.
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Puis a eu lieu la campagne de sensibilisation du public. En dautres termes, il sagit du processus au cours duquel les Timorais ont
intégré la démocratie dans leur vie quotidienne.
Ils lassociaient à lexpérience pénible de la démocratie multi partite qui avait vu le jour en 1975 ainsi quaux conflits et à la violence qui
sen étaient suivis. Mais, pour la majorité dentre eux, la démocratie était un nouveau concept. Pour replacer cette question dans son contexte, la Fondation de
lAsie a publié en mai 2001 un rapport indiquant que les Timorais ignoraient totalement en quoi consistait le processus électoral et leur rôle - pour qui et pour quoi ils
devaient voter. Ces informations ont été recueillies bien avant linscription sur les listes électorales et le lancement de la campagne déducation civique.
Toutefois, il a mis en avant limmense défi auquel étaient confrontés lONU et le Comité directeur de léducation civique nationale -
lorganisation cadre, partenaire de lONU et des groupes de la société civile, qui coordonnait tous les efforts déducation civique menés au Timor
oriental.
Il serait impossible dénumérer toutes les activités déducation civique menées par les Timorais eux-mêmes, lONU, les ONG,
lÉglise et de nombreuses organisations et fondations internationales. Des sessions de formation ont été périodiquement organisées dans tout le pays par des
organisations de la société civile et des ONG timoraises à lintention des administrateurs associés et des étudiants. Des dialogues et des débats ont eu
lieu aux niveaux sous-régional et local, où les habitants ont examiné les implications des élections dans leur vie, leur communauté et la nouvelle nation. Ces
sessions ont mis laccent sur les solutions qui contribuent à assurer un gouvernement efficace, sur le rôle de la société civile et des partis politiques dans le
processus démocratique. Une formation approfondie et un soutien important ont été fournis aux femmes candidates et à la participation des femmes au processus
électoral. Quelque 200 000 personnes, soit un quart de la population, ont participé aux événements déducation civique.
Le Programme de lONU pour le développement a joué un rôle majeur pour les élections de lAssemblée constituante en accordant 4 millions de dollars pour
soutenir le processus. Les fonds ont été principalement attribués à la coordination des observateurs du scrutin, aux programmes déducation civique et à
la promotion de la participation du public au débat sur la Constitution ainsi quaux autres manifestations traditionnelles mais importantes - concerts, événements sportifs
et théâtre - qui ont permis de sensibiliser les Timorais et de les éduquer sur le processus démocratique, dorganiser des débats sur limportance des
élections ainsi que sur la nécessité dassurer la paix, la tolérance et le respect des droits de lhomme. Selon Finn Reske-Nielson, Directeur du PNUD, la
formation a fait partie intégrante de toutes ces initiatives, et des centaines de Timorais, dont 35 % de femmes, ont acquis de lexpérience tout au long du processus.
Quelques semaines avant les élections, une équipe internationale est venue vérifier les listes électorales. Son dirigeant, le juge sud-africain Johann Kriegler, un
vétéran en matière de campagnes électorales, a fait léloge du peuple timorais. Le niveau général de conscience politique était
remarquable, a-t-il déclaré, notant le haut degré de ferveur nationale qui avait amené la majorité des Timorais à comprende pourquoi ils devaient
sinscrire sur les listes, le but des élections et ce que lAssemblée constituante allait faire.
Rédiger la Constitution fut, bien entendu, la première tâche de lAssemblée et, grâce aux débats de la Commission constitutionnelle, qui ont eu lieu en
juin et en juillet dans le pays, les Timorais ont pu participer à lélaboration de ce document, discuter du processus constitutionnel et exprimer leurs points de vue sur les
éléments qui devraient être intégrés à la Constitution.
Chacun exprimait son opinion sur le choix du nom, de lhymne national, du drapeau et de la langue principale du pays, sur le type déconomie à adopter, limportance des
droits civils et humains et la pleine participation des femmes dans la société et le processus politique. Chaque région a soumis ses rapports à lAssemblée
constituante, une fois élue, espérant quils seront pris en compte lors de lélaboration de la Constitution. Le niveau de participation à ces débats - 38
000 personnes au total, soit près de 10 % de lélectorat - a été impressionnant, reflétant limportance que le processus démocratique
représentait pour les Timorais et leur détermination à participer à la création de leur nouvelle nation.
Pour notre part, le Bureau de linformation et des communications a collaboré étroitement avec les membres de lATNUTO, chargés de linscription, de
léducation civique et des élections, en fournissant des informations essentielles à la nation. La Radio de lATNUTO et la chaîne de télévision
Timor Lorosae, toutes deux remises en service par lATNUTO après 1999, ainsi que lUnité des publications, travaillant à partir de Directives établies sur
lexpérience dautres missions, ont produit de nombreux programmes télévisés et radiophoniques ainsi quun grand nombre de publications spéciales,
dont des milliers de vidéodisques, un tabloïd tiré à 100 000 exemplaires et un grand nombre daffiches et de brochures. Des informations, des interviews et des
programmations daccès direct ont été spécialement créés pour assurer une couverture équitable aux partis politiques et aux candidats
indépendants. Le Bureau de la presse a accueilli plus de 200 journalistes internationaux et, conjointement avec la Commission électorale indépendante, a organisé des
réunions dinformation les jours précédant et suivant le vote.
Pour assurer une couverture médiatique équitable et équilibrée pendant la campagne, le Bureau de linformation a créé un Groupe indépendant de
médiation, chargé de recueillir les plaintes des partis politiques, des candidats et autres personnes concernant la couverture médiatique de lATNUTO. La couverture
dun si grand nombre de partis politiques a mis les ressources du Bureau de linformation et son jeune personnel à dure épreuve. Pourtant, les plaintes reçues ont
été peu nombreuses.
Lune des fonctions importantes du Bureau pendant la campagne fut de dissiper rapidement les rumeurs et la désinformation ainsi que de fournir aux dirigeants politiques et religieux du
Timor, par le biais de la radio, une voie directe de communication avec le peuple timorais.
Il était spécialement important de faire face aux craintes de nouvelles violences politiques. Lexpérience de 1975, qui sétait terminée dans un bain de
sang, ainsi que les événements survenus il y avait à peine deux ans, où des tactiques violentes et meurtrières avaient été utilisées à
des fins politiques, étaient encore très présents dans les esprits. Beaucoup craignaient que lhistoire ne se répète. Le Bureau de linformation a donc
mené une campagne médiatique appelant à la tolérance et à la fin de la violence, particulièrement la violence politique, avec le mes-sage Le moment est venu
de construire, pas de détruire.
Mais linitiative la plus importante contre la violence politique fut celle que les partis politiques ont prise eux-mêmes, encouragés par lATNUTO. Le 8 juillet, les partis
politiques, lÉglise timoraise et les dirigeants politiques, sous lœil vigilant de 10 000 Timorais, ont signé un Pacte dunité nationale.
Lévêque Carlos Ximenes Belo, qui présidait la cérémonie de signature, a donné le ton : Depuis 24 ans, le pays est en proie aux larmes et aux
souffrances [] nous devons nous promettre de ne jamais plus avoir recours à la violence. LAdministrateur de transition de lONU, Sergio Vieira de Mello, sest exprimé
de manière encore plus succincte : Il est temps que les partis politiques se battent avec des idées et non avec des machettes.
Par ce Pacte, les partis politiques sengageaient à adhérer strictement au principe de non-violence tout au long de la campagne électorale et à accepter sans
conditions les résultats de la consultation populaire organisée il y a deux ans. Ne combattez pas, respectez-vous les uns les autres, a imploré Xanana Gusmão. Je veux la
garantie de tous les partis que nul ne mourra pendant cette campagne ! Puis, il sest montré plus ferme, déclarant quil refuserait de se présenter aux
élections présidentielles si la violence politique se manifestait pendant la campagne. Le Pacte sest avéré un engagement important. Il semblait quune nation
toute entière sétait engagée à lhonorer.
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Une femme, de retour à Kupang, la capitale du Timor oriental. Suite au référendum sur le Timor oriental du 30 août, beaucoup
se sont retrouvés à la rue après que leurs maisons avaient été détruites par les milices opposées à lindépendance.
Photo HCR/M. Kobayashi
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Le jour des élections, la Commission électorale indépendante a dépêché une petite armée de personnes pour
surveiller les élections, dont 250 Agents électoraux internationaux, 65 Agents électoraux régionaux adjoints du Timor oriental et 4 996 agents électoraux du Timor
oriental répartis dans 250 centres de vote, représentant un total de 770 isoloirs. Certains, ayant parcouru des kilomètres en pleine nuit pour être les premiers, ont
dû attendre patiemment leur tour dans des files dattente interminables. Mais la fierté de pouvoir voter et le bonheur de ne pas subir des intimidations semblaient
lemporter.
Quand les votes ont été décomptés, la victoire du FRETLIN avec 57,3 % des voix ne fut une surprise pour personne. Il obtenait 43 sièges nationaux, plus 12 des 13
sièges régionaux à la nouvelle Assemblée. Il avait cependant gagné moins de sièges que prévu, donnant aux autres parties un peu plus de poids dans la
nouvelle Assemblée : 23 sièges, soit 27 % des membres de lAssemblée constituante étaient des femmes.
Chose surprenante, la préparation à ces élections a été un succès. Il semble ironique quaprès les élections du 30 août au Timor
oriental et les tragiques attaques du 11 septembre à New York, cette petite nation, un ground zéro il y a tout juste deux ans, soit peut-être la nation démocratique la
plus sûre, la plus pacifique dans le monde. Une fois de plus, le Timor oriental a défié ceux qui doutaient de sa maturité politique et de ses convictions
démocratiques, leur prouvant quils avaient tort, a déclaré M. Veira de Mello. Il a résumé la tâche réalisée par les Timorais comme
étant un processus électoral convaincant et historique que de nombreux pays démocratiques pourraient envier.
Lorsque jai rapporté ces propos à Emanuel Braz, un journaliste et collègue timorais, il a arboré un air de fierté, laissant éclater sa joie, puis il a
rapidement baissé la tête. Tu sais, ma-t-il dit, jen ai presque les larmes aux yeux. Quant à moi, je pensais à la lettre que mavait envoyée Mike
Hiestand, un journaliste du quotidien américain USA Today, établi à Sydney, après une brève visite lannée dernière au Timor oriental.
Cest un pays dont on devrait applaudir les prouesses. Ce sont des gens qui ne baissent pas les bras.
Rien nest plus vrai !
Brennon Jones est Chef de lUnité des publications, Bureau de linformation et des communications de lATNUTO, depuis
février 2000.
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