LInterview de la Chronique
Alors que les préparatifs du Sommet mondial du développement durable sont déjà
en cours, Nitin Desai, Secrétaire général de la conférence, a beaucoup à faire. Mais ce nest pas la première fois quil doit faire face à
un tel défi. De 1990 à 1933, il était Secrétaire général adjoint de la Conférence des Nations Unies pour lenvironnement et le
développement (CNUED). Lun des résultats importants de la conférence, lAction 21, sera lun des nombreux sujets qui seront débattus lors du Sommet du
développement durable, qui se tiendra à Johannesburg du 26 août au 4 septembre 2002. Le 17 janvier, M. Desai a rencontré Russell Taylor de la Chronique pour
discuter, entre autres sujets, de lAction 21, du Sommet de Johannesburg et de la Conférence internationale sur le financement du développement de Monterrey. |
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Pourquoi organiser la Conférence internationale sur le financement du développement et le Sommet mondial du développement durable ?
Cela fait déjà un certain temps que la Conférence internationale sur le financement du développement réalise des travaux. Mais elle a pris une plus grande
importance après le Sommet du millénaire parce que, suite à notre engagement à atteindre les objectifs du développement, il nous a fallu traiter de la question des
ressources nécessaires. Et après les attentats du 11 septembre, son rôle dans la recherche dun multilatéralisme fort a également été
renforcé. En fait, ces trois conférences sont, de certaines façons, liées entre elles : à Doha, la Réunion minis-térielle de lOrganisation
mondiale du commerce; à Monterrey, la réunion sur le financement du développement; et à Johannesburg, celle sur le développement durable. Dune certaine
façon, la réunion à Doha a permis dinscrire la question du développement à lordre du jour du commerce mondial. Non pas quelle ny figurait
pas avant mais elle était toujours considérée comme un élément ajouté au système de politique commerciale dont lobjectif essentiel était
celui de la libéralisation du commerce.
Nous devons impérativement accorder une place centrale aux préoccupations des pays en développement. À Monterrey, le développement était une priorité
dans lordre du jour financier mondial. Cette question avait déjà retenu lattention mais la politique financière sest toujours centrée davantage sur les
questions telles que la stabilité, etc. En dautres termes, il nous faut évaluer lefficacité de la politique financière à tous les niveaux - national ou
mondial - en termes de développement, dépargne, dinvestissement, de ressources et de programmes daide au développement, en particulier de la part des Nations
Unies. Et la conférence de Johannesburg aborde justement le développement sous cet angle. En ce sens, les trois conférences sont liées. Leur succès est essentiel
parce que, ensemble, elles constituent une entité qui mettrait la question du développement à lordre du jour de la coopération économique mondiale. Cest
pourquoi cette conférence a lieu à un moment très opportun.
Lun des sujets débattus est la mobilisation des ressources financières, linvestissement national et étranger direct et dautres capitaux privés.
Quest-ce que cela nécessite ?
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BZ/AE Vanoutrive |
Lorsque nous parlons de ressources nationales, la vraie question concerne la mise en place de capacités qui permettent de développer le système financier
au niveau national : les institutions dépargne, les marchés financiers, les institutions qui orientent les investissements dans les zones appropriées et les institutions
qui fournissent aux pauvres un meilleur accès au crédit, par exemple, les institutions de microcrédit. Lordre du jour du développement des ressources nationales
concerne donc dabord le développement du secteur financier et la mise en place de capacités permettant de développer le secteur financier. Mais, portant
particulièrement sur le secteur économique, il comprend aussi la gestion des finances publiques et les questions modernes de la gouvernance.
Une autre question qui fait lobjet dune attention particulière est la création dune convention mondiale sur la corruption car le renforcement de ladministration
fiscale améliore aussi la capacité du secteur public à mobiliser des ressources. Limportance dune telle conférence se manifeste à plusieurs niveaux :
elle permet de mieux comprendre quels sont les éléments dune politique saine au niveau national et, surtout, elle fournit un cadre pour létablissement dun
programme daide destiné à la mise en place de capacités plus efficaces et pour le développement des institutions financières, des marchés financiers,
des institutions dinvestissement et de la gestion fiscale.
Pour ce qui est de linvestissement privé étranger, un grand nombre de questions sont en cours de discussion. La question essentielle est de déterminer le type de cadre au
niveau national qui permettrait dattirer linvestissement étranger. Par exemple, déterminer les mesures à prendre afin de réduire la perception du risque
économique qui compromet les progrès dans ce domaine. Il faut également renforcer les capacités afin daider les pays à mobiliser linvestissement
étranger. Toutes ces initiatives ont pour objectif dessayer de réduire le manque dinformation sur un pays ainsi que sur son potentiel et de renforcer les systèmes
juridiques et dinvestissement. Le système de lONU sy emploie, particulièrement les entités comme le CNUCED [Conférence des Nations Unies sur le commerce
et le développement].
Le commerce international est également une question qui a été abordée. À votre avis, quelles sont les mesures que la Conférence de Monterrey
préconisera pour encourager la croissance économique et éradiquer la pauvreté ?
Il ne sagit pas dune conférence sur le contenu du développement mais sur le financement du développement. Il est donc clair quen plus des ressources en fonction
du marché et des ressources nationales, un grand nombre de discussions porteront sur les ressources financières à des conditions favorables, laide publique au
développement (APD) et la dette. Peut-on réellement inverser la tendance à la baisse de laide au développement destinée aux pays pauvres ? Et, bien sûr,
il y a la question de la dette. Nous continuons bien entendu de souscrire à linitiative en faveur de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE). Mais nous discutons
aussi de ce que nous appelons un accord géré de la dette de lÉtat, qui chercherait à sassurer que les préoccupations des pays
débiteurs sont davantage prises en considération dans les accords entre débiteur et créditeur, entre les créditeurs publics et privés, etc. Toutes ces
questions seront soumises à la discussion et beaucoup dépenderont de la manière dont le processus évoluera.
Pour ce qui est du commerce, les discussions porteront essentiellement sur la voie du développement qui sera adoptée à Doha. La Conférence de Monterrey aura pour
tâche dexaminer les liens dans le cadre de lordre jour portant sur le commerce et le financement. Cette conférence ne traitera pas des négociations commerciales. Ce
sera, en fait, une conférence sur le financement.
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Photo ONU |
Vous avez mentionné linitiative PPTE - Que se dégagera-t-il de cette Conférence qui permettra daider ces pays ?
Au fond, il sagit de mettre en œuvre cette initiative. Elle fait déjà lobjet de discussions mais le fonds daffectation nécessite des ressources
supplémentaires. Nous devons évaluer le rythme de la mise en œuvre, le nombre de pays qui seront couverts et la durée. Lobjectif numéro un est la mise en
œuvre de linitiative PPTE. En ce qui con-cerne les créanciers bilatéraux, un grand nombre de mesures ont été prises pour annuler les créances, etc. Ces
fonds ont également fait lobjet de discussions. Lordre du jour concernant la dette est vaste, beaucoup plus vaste que les points que je viens de soulever. Je nen ai
cité que quelques-uns.
Nombreux sont ceux, particulièrement dans le monde occidental, qui se demandent à quoi sert largent et sil y en a encore à distribuer. À votre avis, quelle
va être la réaction de ces pays développés lorsquils seront appelés à partager ce fardeau encore plus quils ne lont fait par le passé
?
Je dirais quà cet égard la question essentielle est de convaincre les gens que largent sera employé pour réaliser les objectifs fixés lors du Sommet du
millénaire. Comment pouvons-nous assurer lefficacité de laide ? Comment pouvons-nous lier de manière efficace laide et les objectifs qui ont été
acceptés par tous ? Je ne crois pas que les gens soient opposés à aider les autres. Ce quils souhaitent, cest être sûrs quils aident les pays qui
ont besoin dassistance. La surveillance de la performance et lefficacité de laide sont des questions qui figurent dans lordre du jour.
Le système international monétaire, financier et des changes est un autre domaine qui nécessite des réformes. Les systèmes qui ont été
créés au siècle passé peuvent-ils véritablement répondre aux besoins de ce siècle ?
Jaimerais souligner le fait que la Conférence a fait appel à la collaboration des institutions Bretton Woods, de lOrganisation mondiale du commerce (OMC), dautres
institutions financières et du secteur privé. Ce nétait pas une conférence traditionnelle. Lidée est venue des États Membres de lONU. Les
institutions Bretton Woods, lOMC, les autres organisations ainsi que les ministres des Finances ont apporté une participation active. En fait, de nombreuses manières, cette
Conférence a une base politique plus vaste que la plupart des conférences. Pour répondre à la question spécifique que vous mavez posée, je dirais que
le fonctionnement des institutions ne dépend pas de la période où elles ont été établies. La Banque mondiale a évolué. On oublie quau
début ses activités étaient centrées en Europe. Ce nest que dans les années 50 quelle a apporté son aide aux pays en développement en
Asie, en Afrique et en Amérique latine. Laide publique au développement et les autres nouvelles méthodes ont également évolué, telles que le
financement compensatoire dans le secteur des exportations dans les années 60 ou les droits de prélèvement spéciaux dans les années 70. Linitiative PPTE, un
dispositif récemment mis en place, a également marqué une étape décisive. Je pense donc que la question quil faut poser nest pas de savoir quand les
institutions ont été établies mais de savoir si les décisions que nous prenons aujourdhui reflètent la réalité actuelle ? Comment pouvons-nous
accroître la participation des pays en développement au processus de prise de décision ? Cette Conférence reflète en partie le désir de créer un forum
où les pays en développement seront investis dune plus grande responsabilité et auront voix au chapitre.
M. Annan a dit récemment que les progrès réalisés en vue datteindre les objectifs dAction 21 se sont ralentis plus que prévu et que certaines
conditions ont empiré par rapport à il y a dix ans. Quen pensez-vous ?
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Photo ONU
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Action 21 traite du développement, de la protection de lenvironnement et de légalité sociale. À cet égard, il est vrai que nous
navons pas constaté dimportantes améliorations dans aucun de ces domaines. Pourtant, on est de plus en plus conscient des liens qui existent entre eux. Certains
développements institutionnels ont été réalisés aux niveaux national et mondial et la législation sur lenvironnement a été
renforcée à tous les niveaux. Mais il reste beaucoup à faire pour mettre en évidence les trois dimensions - le développement économique, la protection de
lenvironnement et légalité sociale - en termes de création de programmes pratiques à chaque niveau. Certes, des succès individuels au niveau de la
communauté ou dun projet particulier ont été enregistrés mais il nous faut maintenant réaliser ces projets à grande échelle, intégrer ces
dimensions au niveau local et les développer.
Je pense que, dans le passé, Action 21 a été ralentie parce quil sagissait de quelque chose de complètement nouveau. Son objectif était de lier les
domaines de la politique, des projets et des programmes qui sont normalement traités séparément. Lune des raisons de la lenteur de la mise en œuvre tient au fait que
nous navions pas suffisamment mis au point la manière dont les programmes très ambitieux décrits dans Action 21 se traduiraient dans chaque domaine en termes de politiques
et de projets. Maintenant que les principes et les politiques énoncés dans Action 21 ont été fixés, il faut passer aux programmes daide, à
létablissement dobjectifs clairs et aux engagements. Deuxième point : la déception concernant la disponibilité des ressources financières. Le fait est
que, depuis 1992, laide publique au développement a baissé; lannée 1992, où a eu lieu la première Conférence, a été
lannée record. On se rend compte aussi que les domaines de la science, de la recherche et du développement nont pas bénéficié de ressources
suffisantes. Qua-t-il été fait pour améliorer laccès aux technologies et leur diffusion ? En gros, je dirais que les dimensions opérationnelles,
financières et technologiques ont été des obstacles au progrès.
Vous avez participé à la définition du concept de développement durable. De quoi sagit-il au juste ?
On peut voir le développement durable de différentes manières. Je vais tenter de lexpliquer le plus clairement possible. Je décrirais ce processus comme la gestion
des biens appliquée directement au développement. Comme dans un ménage ou dans une entreprise, vous espérez pouvoir subvenir à vos besoins quotidiens sans
compromettre votre capital. Quand vous habitez dans une maison, vous ne voulez pas quelle se dégrade. Si vous avez un jardin, vous ne voulez pas quil soit plein de mauvaises
herbes. Vous avez donc la responsabilité de consommer ce dont vous avez besoin sans porter préjudice à vos biens. Dans le domaine du développement durable, nous appliquons
la gestion des actifs à un niveau plus large. Elle devrait sappliquer non seulement à la maison, mais à une région ou à un pays. Il existe cependant une
dimension spécifique qui ne concerne généralement pas la maison : à qui profite cette consommation ? Comment est-elle distribuée dans le monde ? Lorsquon
parle de développement durable, il ne suffit pas de parler de laugmentation de la production. Il faut également se demander si cette augmentation entraîne une
perte des ressources ou des problèmes de lenvironnement à long terme que les générations futures devront résoudre ou encore se demander si elle entraîne
des risques pour les générations actuelles et futures. Comment la consommation est-elle distribuée ?
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Cest, au fond, un processus et non un état de fait. On ne peut pas dire que ce développement est réalisé de manière durable. Il
décrit un processus plus quune situation. Je pourrais vous donner des définitions formelles mais elles nont pas lieu dans ce contexte. Pour mieux le décrire, je vais
vous donner un exemple.
Dans mon pays (lInde), beaucoup se servent du bois de chauffage pour faire la cuisine. Comme il nexiste aucune ventilation, les femmes inhalent cette fumée et souffrent de maladies
des bronches. En fait, on estime que la quantité de fumée inhalée est équivalente à deux paquets de cigarettes par jour. En plus des problèmes de
déboisement causés par cette pollution et du fait que ce moyen nest pas une source dénergie efficace pour une population croissante, de plus en plus prospère,
cest également un problème de santé grave. Si je parvenais à inventer un moyen de fournir à ces populations et à leurs familles une cuisinière
mieux conçue ou qui utilise une forme dénergie moins nocive, je pourrais, en même temps, traiter un problème environnemental (le déboisement), un
problème de développement (répondre aux besoins dénergie) et un problème social (la santé des femmes).
Cest le principe même de lintégration. Il pourrait être décrit comme un programme de développement durable. Cet exemple est probablement plus parlant que
toutes les définitions. Dans le passé, on avait tendance à traiter ces facteurs séparément. On traitait le programme relatif à lénergie en
termes de réponse aux besoins en énergie, le programme relatif au déboisement en termes de sauvegarde des forêts, le programme concernant la santé des femmes
étant un programme considéré à part. Nous avons besoin de synergies. Dans cet exemple, une action entreprise pour répondre aux besoins de la santé des femmes
a un effet très positif sur le développement, dune part parce quelle répond aux besoins en énergie et, dautre part, parce quelle permet de sauver
les forêts.
Vous avez participé au Sommet de Rio et, précédemment, à la Commission de Brundtland. Quel est votre point de vue personnel quant à lavenir ?
Êtes-vous optimiste ?
Il nous faut changer radicalement la manière dont nous travaillons à chaque niveau - aux niveaux du foyer, de lentreprise, du gouvernement ou des organisations internationales. Ce
nest pas dix ou vingt ans de développement quil faut changer mais plusieurs siècles. Cela prendra du temps. Le vrai test est de savoir si nous sommes engagés dans la
bonne voie. À bien des égards, nous avons accompli de nombreuses réussites. La plus grande est sans doute que personne ne met en cause lintégration de ces trois
questions. En ce sens, le développement durable sinscrit dans un mouvement de réflexion. Notre défi consiste maintenant à lexprimer en termes pratiques. Je
suis optimiste. Nous avons, sans aucun doute, accompli des progrès par rapport à la situation où nous nous trouvions lorsque nous élaborions le rapport de Brundtland au
milieu des années 80.
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