Une conversation sur les enfants
Il y a un peu plus de onze ans, les dirigeants se sont réunis à New York à
loccasion du Sommet mondial pour les enfants. Espérant que le " dividende de la paix " serait consacré au développement, ils ont déclaré que " le
bien-être des enfants appelle la prise de mesures politiques au plus haut niveau " et se sont engagés à atteindre des objectifs ambitieux. Le 5 avril 2002, au cours dun
entretien avec Russell Taylor de la Chronique, la Directrice exécutive de lUNICEF, Carol Bellamy, a discuté des progrès accomplis et des reculs enregistrés
depuis ainsi que de létablissement dun ordre du jour pour lavenir - investir dans nos enfants - lors de la Session extraordinaire des Nations Unies consacrée aux
enfants (du 8 au 10 mai 2002). |
|
Dans « Nous les enfants », le Secrétaire général, Kofi Annan, a déclaré que « la plupart des objectifs fixés
lors du Sommet mondial nont pas été atteints », non pas parce quils étaient ambitieux ou techniquement trop difficiles à réaliser mais, en grande
partie, à cause du manque dinvestissement. Vous-même avez déclaré que « nous avons échoué à atteindre la plupart des objectifs de survie et
de développement de fin de décennie fixés en 1990 ». À votre avis, que peut accomplir la Session extraordinaire ?
Cette Session est, entre autres, destinée à examiner les progrès et les reculs par rapport au plan daction convenu en 1990, et détablir un ordre du jour pour
lavenir. Le document officiel de la Session extraordinaire - « Nous les enfants » - montre des résultats mitigés. Certains objectifs ont été atteints.
Plus de 60 pays ont réduit dun tiers les taux de mortalité infantile et des enfants de moins de cinq ans. Environ 100 pays ont réduit dun cinquième les taux de
mortalité des enfants de moins de cinq ans. Le plan daction a été pris au sérieux. Les pays ayant bénéficié dun leadership et dun
investissement adéquats ont obtenu des résultats. Autres exemple : la polio est sur le point dêtre éradiquée dans le monde. En 1990, des cas de polio
étaient enregistrés dans 154 pays; en 1999, dans 33 pays seulement; et, en 2000, dans environ 20. La draconculose a également presque disparue. Le nombre denfants
scolarisés na jamais été aussi important. Mais, en Afrique subsaharienne, les indicateurs sont encore très, très bas. Sur les 20 pays dans le monde dont les
taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans sont les plus élevés, 19 se trouvent en Afrique subsaharienne, lautre étant lAfghanistan - et ceci, bien
avant le 11 septembre. À propos des objectifs en matière de mortalité maternelle, peu de choses ont changé. Je crois quon peut donc dire que les résultats
sont mitigés, avec des progrès plus marqués sur le continent américain et en Asie de lEst quen Afrique subsaharienne et en Asie du Sud.
Pourquoi ny a-t-il pas eu plus dactions concrètes ? Une fois de plus, le leadership est nécessaire. La pandémie du VIH/sida, qui a anéanti certains
progrès obtenus ou qui auraient pu lêtre, a aggravé la situation. Les guerres continuent. Les conflits et linstabilité demeurent un obstacle majeur. Et les
guerres sont différentes : de nos jours, les victimes sont en grande partie des civils, et principalement des femmes et des enfants. Dans certains cas, la corruption est aussi un
problème.
Certains progrès en matière daccès à leau salubre ont été enregistrés mais sans être accompagnés dune
amélioration de lassainissement. Cest là que se situe la clé du problème. Certaines régions du monde sont encore privées de laccès
à leau salubre et sans lamélioration de lassainissement, les résultats seront modestes.
De toute évidence, des ressources sont nécessaires. Or, laide au développement a diminué au cours de la décennie. Mais je ne pense pas que ce soit seulement
un problème de ressources. En fait, lors de la Session extraordinaire, la question du financement est lune des questions que nous aborderons. Cest pourquoi elle fait si bien la
liaison entre la Conférence sur le financement du développement (Mexique) et le Sommet du développement durable de Johannesburg (Afrique du Sud). Mais un leadership soutenu est
nécessaire, même dans les pays les plus pauvres, pour dire « nous allons allouer une partie de nos ressources limitées à léducation et à la
santé de base. »
La situation nest pas dramatique, mais elle est décevante. On sattendait à un meilleur bilan au cours de la décennie - cest indiscutable. Mais, on ne peut pas
dire quaucun progrès na été réalisé.
Quattendez-vous des pays donateurs, ainsi que des pays en développement, lors cette Session extraordinaire ?
|
Photo ONU
|
Je pense que ceux qui ont les moyens ont la responsabilité daider ceux qui en sont dépourvus. Les pays donateurs doivent réaliser que leur statut
leur confère une responsabilité mondiale. Mais ce nest pas seulement une question de transfert dargent des pays riches aux pays pauvres. Les pays pauvres doivent, eux aussi,
faire des choix pour investir dans leurs enfants. Ils ne peuvent pas démissionner en disant « nous, les pauvres, on ne peut rien faire ». Regardez le Malawi - cest
certainement un pays pauvre mais des mesures nécessaires ont été prises pour améliorer léducation des filles; au Bangladesh, aussi. Il ne suffit donc pas de
dire : « Si nous avions plus dargent » ou « des ressources sont nécessaires ». Cest aussi une question de choix.
Pourquoi faut-il financer le développement ? Parce que nous voulons réduire la pauvreté. Qui sont les pauvres dans le monde ? La majorité sont des femmes et les enfants.
Si lon veut financer le développement, et de manière durable, lun des domaines clés où il est possible datteindre la durabilité et obtenir un
rendement des investissements important est linvestissement dans les enfants et les services de base. Nous comptons donc sur le leadership des pays en développement comme des pays
développés.
Quels sont les principaux défis auxquels les jeunes sont confrontés aujourdhui ?
En lisant le document de conclusion, qui a été approuvé à 80 %, vous remarquerez quil se base sur ce quil reste à faire - certaines des questions
essentielles en matière de santé et déducation - et quil place lordre du jour au-delà des questions de survie. Il doit inclure ces questions car, sans
elles, rien dautre ne compte. Mais il fixe certains objectifs dans le domaine du VIH/sida fondés sur les accords de la Conférence sur le sida. La question du VIH/sida doit
être abordée car la moitié des nouveaux cas sont des enfants et des adolescents. Deuxièmement, il tient compte du développement de la petite enfance. Et,
troisièmement, il aborde certaines questions concernant lexploitation et la protection - le travail des enfants, les enfants soldats, les enfants touchés par les conflits, le
trafic denfants - en plus des questions de santé de base et de léducation.
Les enfants dans les conflits armés et lexploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales sont des questions qui ont été récemment débattues
lors de deux réunions.
De nos jours, les guerres sont différentes. Au XXe siècle, les victimes de guerre étaient essentiellement des soldats. Mais à la fin du XXe siècle, le conflit a,
malheureusement, « évolué ». Les guerres internes sont de plus en plus nombreuses et elles ont un impact dévastateur aussi important, si ce nest plus, sur les
services et les activités dans un pays, et sur le nombre de victimes parmi la population civile - en majorité des enfants et des femmes. Et pas seulement des enfants soldats mais des
enfants touchés par la guerre, qui ont perdu leurs parents ou qui ont été séparés deux, des enfants qui risquent dêtre tués. Le fait est
que, même sils sont avec leurs parents - généralement avec leur mère -, ils sont contraints de quitter leur communauté pour sinstaller dans des pays
voisins, ou sont déplacés à lintérieur de leur pays. Les systèmes de base seffondrent. Les enfants ne reçoivent plus déducation, et
ce parfois pendant des années. Il faut que nous essayions de mettre en place un système déducation, même sil nest pas officiel. Il y a donc de multiples
implications : la prolifération des mines; lutilisation des enfants comme soldats, comme esclaves sexuels ou comme messagers, etc. Cet impact de plus en plus important sur les enfants
doit être pris en compte dans le document de conclusion.
Comme la guerre, lexploitation sexuelle na pas commencé il y a dix ans, mais je crois quil y a une prise de conscience croissante sur ce sujet - suite à la
Conférence de Stockholm, il y a cinq ans et au suivi de la Conférence, qui sest tenue à Yokahama, à la fin de lannée dernière. On commence
à constater une plus grande prise de conscience du public. Cest un point positif qui mérite dêtre mentionné.
En quoi consiste le Mouvement mondial pour les enfants et la campagne Dites oui pour les enfants ?
|
Photo ONU |
Chacun peut apporter sa contribution - pour les enfants et avec eux. Ces sessions extraordinaires sont, au fond, des réunions gouvernementales où les États
et les gouvernements ont le rôle principal mais ne sont pas les seuls acteurs. Lidée dun Mouvement mondial est que la construction dun monde digne des enfants
nécessite la participation dun grand nombre dacteurs.
Il faut bien commencer quelque part. On ne peut pas arriver et dire « Bonjour, le mouvement mondial ! ». Il faut que la Session soit perçue non seulement comme une réunion
de trois jours avec des leaders, ou comme un forum denfants, mais aussi comme une occasion de mobiliser et dinterpeller la communauté mondiale sur ces questions : voilà ce
que nous avons fait, mais aussi ce que nous navons pas fait, et poursuivre nos activités. La Session extraordinaire est donc une occasion de sassocier aux acteurs de la
société civile, tels que Sauver les enfants. Une autres ONG, Deux mondes, collabore avec des pédiatres et des chefs religieux afin de donner un nouvel élan à ses
activités. Il y a aussi la campagne Dites oui pour les enfants, qui soumettra les opinions du public aux dirigeants mondiaux. Plus de 50 millions de personnes ont pris le temps de
répondre à lappel. Cest un chiffre impressionnant. Cette campagne a été un outil dorganisation remarquable dans les pays, et les enfants y ont activement
participé. Sur les dix points que chaque personne devait sélectionner, « Éduquer tous les enfants » est arrivé en tête.
Vous avez mentionné la réunion de Monterrey sur le financement du développement et la prochaine réunion sur le développement durable qui se tiendra à
Johannesburg. Où se situe la Session extraordinaire par rapport à elles ?
Certains pensent que les deux premières abordent les questions complexes et difficiles et que nous nous chargeons des sujets plus faciles. Mais je répondrai que la Session
extraordinaire - même si elle devait se dérouler lannée dernière - est indiscutablement le trait dunion entre la Conférence de Monterrey et celle de
Johannesburg. Pourquoi le financement du développement durable et les fonds sont-ils importants ? Ce sont des tentatives qui visent à créer un environnement et une
économie plus prospères. Et on ne pourra pas y parvenir tant quon ninvestira pas dans les ressources humaines. Pas à lexclusion du reste, mais nous savons, par
les résultats détudes et avec un minimum de bon sens, que lun des domaines où il est possible dobtenir le meilleur rendement des investissements est celui des
services de base. Par exemple, il est clair quune fille qui bénéficie dune éducation même de base a plus de chances datteindre lâge adulte en
bonne santé que celle qui nen bénéfice pas. Elle a plus de chances davoir des enfants en bonne santé; il est peu probable quils mourront avant
lâge de cinq ans, et la vie économique de sa propre famille sera probablement plus stable. Si lon devait choisir un visage pour illustrer le financement du
développement et du développement durable, ce serait celui des enfants.
Avant dêtre Directrice exécutive de lUNICEF, vous avez assumé des fonctions officielles aux États-Unis et dans le secteur privé, à la fois aux
niveaux local et national. En quoi et comment les objectifs diffèrent-ils dans un cadre international ?
En fait, je crois que la différence se situe davantage au niveau du secteur public/secteur privé, que celui du secteur local/international. Jai été
conseillère juridique dentreprise et spécialiste des services de banques dinvestissement, et jai travaillé également dans le secteur public. Dans le
secteur des affaires, votre tâche est de créer de la richesse ou de faire fructifier largent des actionnaires. Mais dans le secteur public, que ce soit le secteur public aux
États-Unis ou le secteur international, il ne sagit pas tant de générer de la richesse ou des revenus que de fixer des objectifs précis. Si vous êtes le
Commissaire du service de voirie à New York, vous avez la responsabilité dassurer le ramassage des ordures en temps voulu, dune manière relativement efficace, de
sorte de ne pas troubler le sommeil des gens à trois heures du matin.
Les organisations opérationnelles de lONU sont, et je le dis dune manière pas du tout péjorative, des entreprises. Notre tâche est de mener à bien nos
activités. Selon laccord passé avec nos homologues, il nous faut mettre en place des meilleurs systèmes de santé, améliorer la capacité
dimmunisation dans un pays, secourir les personnes qui ont été victimes dune catastrophe naturelle en leur fournissant au moins de leau potable ou donner aux enfants
laccès à une éducation de base. Nous ne passons pas notre temps à « faire des discours », nous sommes censés accomplir des choses.
Javais lhabitude de faire la distinction entre le travail de législateur, que jai été, et le travail exécutif au sein du gouvernement. En tant que
législateur, vous êtes censés voter des lois, mais aussi de faire des interventions pour les expliquer. Du côté exécutif, on attend seulement de vous de mener
à bien votre travail. Encore une fois, que vous soyez Commissaire de police, Secrétaire de la Défense, Secrétaire au logement, Directeur des corps des volontaires de la
paix, ce que jai également été, ou Directeur de lUNICEF, la tâche de notre équipe est de produire des résultats. Nous commettons des erreurs, et
notre performance peut varier dune fois à lautre, mais ce qui devrait compter avant tout, cest la performance.
Liens:
UNICEF: Session extraordinaire consacrée aux enfants
|