La lutte contre les armes biologiques
Par Michael Crowley
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Bombes aériennes R400 détruites
contenant des agents chimiques/biologiques. (Photo UNSCOM) |
Les tragiques événements du 11 septembre, conjugués à la propagation et la mystification de la maladie du charbon, ont considérablement inquiété la communauté internationale sur les risques dune guerre biologique, particulièrement sur les risques de terrorisme biologique. Les tentatives de la communauté de renforcer linterdiction des armes biologiques, en négociant un Protocole de vérification juridiquement contraignant à la Convention sur les armes biologiques de 1972 - Convention sur linterdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction - ont échoué lorsque les États-Unis ont rejeté le projet de texte, lors de la réunion de négociation du Groupe ad hoc en juillet 2001. Cet échec a été accentué par la demande des États-Unis de dissoudre le Groupe, lors de la Conférence dexamen de la Cinquième Conférence sur les armes biologiques en 2001.
La position des États-Unis, fondée sur leurs préoccupations concernant la sécurité nationale, les droits de la propriété intellectuelle des entreprises et leur caractère exécutoire, a laissé un vide dangereux dans le régime international de contrôle. Que peut-on donc faire pour empêcher la prolifération et lutilisation des armes biologiques ? Quel rôle lONU peut-elle jouer dans la lutte contre les armes biologiques ? En discutant des initiatives, il est important dexaminer les domaines où il serait possible dinclure lAdministration américaine dans les discussions et de sinspirer des éléments de ses propositions, de les élargir et de les internationaliser.
Étant donné lenjeu, la menace des armes biologiques devrait être lun sujet de priorité de lONU au cours des années à venir. Comme la dit le Secrétaire général à lAssemblée générale : « Il est difficile dimaginer comment les événements du 11 septembre auraient pu être pires. Pourtant, tout le monde sait quune seule attaque nucléaire ou biologique aurait pu tuer des millions de personnes. »
Cet article explique pourquoi le rôle de lONU en matière de contrôle des armes biologiques devrait être renforcé dans quatre domaines spécifiques : le soutien à la Convention sur le contrôle des armes biologiques et lhabilitation à la faire respecter; la criminalisation des violations de la Convention; la surveillance des maladies et laide humanitaire; et une meilleure vérification du respect de la Convention.
Le renforcement de la Convention par la création dinstitutions de soutien, dont le rôle serait de promouvoir le respect de la Convention, est une question qui a été maintes fois soulevée par les États parties, plus récemment lors de la Conférence dexamen de 2001 ajournée. LONU, en particulier son Département des affaires de désarmement, pourrait jouer un rôle fondamental par la mise en place de telles structures. Ces institutions auxiliaires provisoires1 pourraient comprendre un comité de surveillance représentatif créé et mandaté par la Conférence dexamen et soutenu par des groupes consultatifs dexperts chargés des questions scientifiques et juridiques, et un secrétariat réduit. Ces organes seraient « provisoires », car la limite de leur mandat initial serait fixée à 2006, lorsque la Sixième Conférence dexamen pourrait lamender ou le renouveler; et « de soutien » parce quils apporteraient leur appui au fonctionnement de la Convention au nom de tous les États parties. Ils donneraient un point central à la Convention et apporteraient une attention soutenue pendant les cinq ans qui séparent les Conférences dexamen. Parmi les rôles possibles dun comité de surveillance provisoire et dun secrétariat, figurent :
- la surveillance de lapplication de la Convention, en particulier, assurer le suivi de la Déclaration finale et des décisions de la Conférence dexamen, ainsi que lassistance aux États parties pour quils les respectent;
- la surveillance des mesures de confiance en matière déchanges dinformations, politiquement contraignantes, décidées pour la première fois par la Deuxième Conférence dexamen de 1987, et lassistance aux États pour quils les respectent;
- lamélioration de la diffusion des informations, telles que la documentation de la Conférence dexamen, la liste des États parties, les mesures de confiance en matière déchange dinformations, etc., et
- la promotion de ladhésion universelle à la Convention et lencouragement de ladhésion des États qui ne seraient pas encore parties à la Convention.
La diffusion dinformations pourrait conduire à la mise en place de meilleures pratiques dans la législation nationale en interdisant la fabrication et la mise au point des armes biologiques. De telles convergences pourraient, à leur tour, faciliter la mise en place de contrôles internationaux. Bien que les mesures de confiance soient des engagements politiquement contraignants, elles nont été que partiellement mises en œuvre.
Peu nombreux sont les États parties qui nont jamais failli à leurs engagements2, malgré la mise en place depuis 1992 de méthodes détablissement de rapports simplifiées pour le programme des mesures de confiance et lappel de chaque Conférence dexamen à y adhérer. Le Département aux affaires de désarmement, qui détient les exemplaires de toutes les mesures de confiance soumises par les États, est idéal pour agir comme facilitateur et organe de soutien en vue dencourager les États à établir des rapports.
De même, malgré les nombreux appels effectués lors des Conférences dexamen consécutives, seulement 144 pays (environ 75 %) sont parties à la Convention. Parmi les États non-parties, 18 lont signée mais ne lont pas ratifiée, alors que 30 autres ne lont toujours pas signée. Tandis que certains États, spécialement au Moyen-Orient, ont été réticents à adhérer à la Convention pour des raisons de sécurité régionale, le manque de ressources ou de volonté politique ont été les obstacles majeurs pour un grand nombre dentre eux. La ratification ou ladhésion pourraient donc être facilitées par un comité de surveillance et un secrétariat dotés des ressources juridiques requises. Ces organes pourraient, de même, aider et amener les États qui font encore preuve de réserves concernant le Protocole de Genève de 1925 interdisant lutilisation darmes chimiques et biologiques au cours dune guerre, telles que le maintien dun « droit » dutiliser des armes biologiques en guise de représailles, à les retirer.
Lors des préparatifs de la Conférence dexamen de la Convention, le Président George Bush a appelé les États parties à « adopter une loi pénale nationale contre lutilisation des armes biologiques interdites, en renforçant les conditions dextradition ». Bien quune telle criminalisation soit une initiative importante, elle ne suffirait pas. Car comme il est peu probable que tous les États adoptent une législation pénale appropriée, les zones où les utilisateurs darmes biologiques pourraient trouver refuge continueraient dexister. De plus, il y a un risque que les différences dans la formulation de cette législation entraînent des incohérences entre les juridictions nationales. Il faudrait donc une criminalisation universelle de lutilisation des armes biologiques en considérant ces activités comme des crimes internationaux.
Un projet de traité en vue de créer une telle législation a, en effet, été élaboré par le Programme Sussex de Harvard, en consultation avec un groupe international dautorités juridiques3. Y serait considéré comme délit le fait quune personne - y compris les responsables et les dirigeants gouvernementaux, les fournisseurs commerciaux, les experts en armes et les terroristes - commande, dirige ou aide, en toute connaissance de cause, la mise au point, la fabrication, lacquisition ou lutilisation darmes biologiques ou chimiques. Toute personne, quelle que soit sa nationalité, qui commettrait ces actions interdites encourrait le risque de poursuites ou dextradition au cas où cette personne se trouverait dans un État qui soutient la proposition de convention. Ces individus seraient considérés comme hostes humani generis (ennemis de toute lhumanité). La mise au point dune législation pénale internationale qui tiendrait les personnes responsables créerait de nouvelles contraintes. La norme contre lutilisation dagents biologiques à des fins hostiles serait renforcée; la capacité de dissuasion serait améliorée vis-à-vis des auteurs potentiels de délits, officiels et non officiels; et la coopération internationale en vue de mettre fin aux activités interdites serait facilitée.
De toute évidence, les organes juridiques de lONU aurait un rôle crucial à jouer dans la création dun tel traité. Il est donc important que ses organes pertinents examinent le projet de traité élaboré par le programme Sussex et donnent suite à la mise en place dun processus visant à créer un instrument juridique afin que les violations de la Convention soient reconnues comme un crime international.
Se préparer à la guerre biologique ou au bioterrorisme sapparente davantage à faire face à des maladies infectieuses émergentes quà se préparer à des attaques chimiques ou nucléaires. Une défense appropriée contre une attaque potentielle par des acteurs nationaux ou non nationaux au moyen darmes biologiques, couverte ou ouverte, doit être fondée sur une surveillance accrue des maladies et une meilleure réponse à celles-ci. Dans le cas dune attaque biologique, les « premières personnes à intervenir » devraient être les médecins, les médecins biologistes et les autres employés de soins de santé, la vitesse de la réponse dépendant de leur capacité à détecter lapparition inhabituelle dune maladie.
Que lorigine dune épidémie soit intentionnelle (terrorisme ou guerre biologique), accidentelle ou naturelle, une réponse de la santé publique sera nécessaire pour détecter et la contenir. En outre, une telle capacité sera bénéfique pour la population-hôte, quil sagisse dune attaque biologique ou non. Cest un point crucial sur lequel la communauté internationale reconnaît de plus en plus la nécessité de mener des actions concertées. LONU et ses institutions spécialisées, en particulier lOrganisation mondiale de la santé (OMS), en collaboration avec les États parties à la Convention, ont un rôle vital à jouer dans la lutte contre les armes biologiques dans le cadre de la prévention des maladies. Alors que des initiatives importantes ont été entreprises, spécialement par lOMS4, la préparation, la coordination et les ressources, aux niveaux national et international, pourraient être considérablement améliorées, spécialement dans la mise en place et la coordination de la surveillance, des mesures de sensibilisation et de la prévention des maladies au niveau international ainsi que dans la fourniture dune aide humanitaire.
En premier lieu, jusquà présent, les institutions de lONU nont pas suffisamment exploité leur rôle de coordination pour aider les États parties à renforcer les programmes de surveillance des maladies infectieuses nationaux et locaux et lamélioration des capacités de notification rapide, de surveillance, de contrôle, de protection et dintervention. Une telle coordination pourrait comprendre léchange de scientifiques et dexperts afin daméliorer la capacité des États parties à soutenir leurs programmes de surveillance et leur fonctionnement, ainsi que la coordination et laccès aux données de base sur les maladies infectieuses.
En deuxième lieu, les institutions peuvent jouer un rôle vital en répondant aux attaques biologiques. LOMS, par exemple, pourrait coordonner lenvoi dune assistance médicale rapide, alors que lOrganisation pour lalimentation et lagriculture de lONU pourrait apporter son appui au Bureau international des épizooties [Organisation mondiale pour la santé animale] si lattaque était dirigée contre des cibles végétales ou animales au lieu de cibles humaines. En outre, lorsque les ressources locales seraient insuffisantes pour répondre aux besoins humanitaires, le Bureau de coordination des affaires humanitaires de lONU pourrait être appelé à intervenir.
Le dernier domaine où lONU a un rôle essentiel à jouer est celui de la coordination et de lexpression des mécanismes permettant le respect de la Convention. La première activité, et lune qui a porté ses fruits dans le passé, est la diplomatie internationale. LAssemblée générale, le Conseil de sécurité et le Secrétaire général ont joué un rôle crucial à encourager ladhésion des États à la Convention, au Protocole de Genève et aux normes générales dinterdiction des armes biologiques. Lorsque les engagements ne sont pas tenus, le corps diplomatique de lONU a un rôle vital à jouer en recherchant à obtenir le consentement mutuel de toutes les parties. Ces efforts diplomatiques cependant ne réussissent pas toujours. Il faudra alors faire appel à un mécanisme denquête efficace afin de déterminer si la Convention et linterdiction générale des armes biologiques sont respectées. Ces points figuraient dans le projet de Déclaration final de la Conférence dexamen de 2000, qui déclarait : « La Conférence invite les États parties à considérer la création dun mécanisme dadhésion par tous les États parties dans le cadre de la Convention afin de mener des enquêtes sur les violations présumées de la Convention. »
Bien que les États-Unis rejettent actuellement de nouvelles négociations sur un Protocole de vérification de la Conférence juridiquement contraignant, ils ont appelé à la mise en place de mécanismes dadhésion volontaire ainsi quà létablissement denquêtes internationales sur les épidémies de maladies suspectes et/ou des incidents présumés impliquant des armes biologiques. Par cette proposition, les parties seraient contraintes daccepter les inspecteurs internationaux, lorsque le Secrétaire général jugerait nécessaire quune inspection ait lieu. Or, en vertu de larticle VI de la Convention, un mécanisme établissant un système denquête du Conseil de sécurité existe déjà mais il na jamais été utilisé.
Considérant les inquiétudes concernant la recherche et la mise au point darmes biologiques par certains États, nous devons nous demander pourquoi lArticle VI na jamais été invoqué ? Pourquoi, par exemple, les États-Unis ont-ils refusé dinvoquer lArticle VI contre les six nations accusées de détenir des armes biologiques lors de la Conférence dexamen ? Lune des raisons réside dans le fait que le Conseil de sécurité et, par extension, le Secrétariat, semblent considérablement limités dans leurs actions par des considérations géopolitiques et par la nécessité dobtenir un consensus du Conseil.
Des préoccupations similaires ont également été formulées dans le contexte de laction de la Commission spéciale de lONU (UNSCOM), établie en 1991 après la guerre entre lIraq et le Koweït, avec lobjectif déliminer les armes de destruction massive et les missiles balistiques iraquiens. LUNSCOM a été un succès malgré lobstruction et les dérobades répétées de lIraq mais son action a été freinée par deux facteurs. Premièrement, des questions ont été soulevées par lIraq et dautres États sur limpartialité de la Commission, accusant ses membres dêtre des espions au service des États-Unis. Deuxièmement, alors que son mandat et sa capacité daction avaient été accordés par le Conseil de sécurité de lONU, le consensus sétait effrité au cours des neuf années suivantes au point que le Conseil navait pas réussi à obtenir un accord sur les actions à mener.
Malheureusement, la proposition des États-Unis concernant un régime denquête établi par le Secrétaire général risque de souffrir des mêmes problèmes. Il est donc nécessaire de mettre en place un système de surveillance et de vérification du respect de la Convention qui soit réellement indépendant, soit au sein du système de lONU, soit en sinspirant des négociations sur le Protocole.
À lavenir, il se pourrait que la communauté internationale soit confrontée à une situation où un État partie tente, de manière délibérée et soutenue, de mettre au point et de conserver des armes biologiques en violation directe avec ses engagements en vertu de la Convention. Une telle situation regrettable serait un test important à la fois de lapproche multilatérale du contrôle des armes biologiques et du rôle de lONU. Confrontée à ces défis, il serait crucial que la communauté internationale concentre ses efforts par le biais des Nations Unies. Malgré la construction difficile dun consensus quune telle approche impliquerait, cela assurerait la légitimité morale et juridique nécessaire pour mener une action prolongée contre un autre État partie. Comme la dit Kofi Annan dans son rapport du Millénaire, lONU demeure « la seule institution mondiale dont la légitimité et la compétence découlent de sa composition universelle ». À cet égard, elle doit demeurer au centre de tous les efforts visant à mettre en œuvre linterdiction des armes biologiques.
Notes:
1
Voir Nicholas Sims, « Nurturing the BWC: Agenda For The Fifth Review Conference and Beyond », CBW Conventions Bulletin, n°.53, Septembre 2001; Disarmament Diplomacy, n° 58, juin 2001; « Interim supportive institutions for the Biological Weapons Convention », présenté au 14e atelier du groupe détude de Pugwash sur la mise en œuvre des Conventions chimiques et biologiques, 18 novembre 2000.
2 Une étude a révélé quen 1996, seulement 75 des États parties à la Convention avaient satisfaits, même une seule fois, aux conditions depuis 1987, et 11 seulement avaient soumis des déclarations annuelles comme convenu. Voir Marie Isabelle Chevrier, « Doubts About Confidence: The potential limits of Confidence-Building Measures for the Biological Weapons Convention »; in Amy Smithson (ed) Biological Weapons Proliferation: Reasons for Concern, Courses of Action, Stimson Centre Report, n° 24, 1998.
3
Voir Matthew Meselson, « Averting the exploitation of biotechnology », Harvard-Sussex Program, (http://www.fas.org/bwc/papers/junemesel.htm); and « Strengthening the Biological Weapons Convention », CBW Conventions Bulletin n° 42, décembre 1998 (http://www.fas.harvard.edu). International Criminal Law and Sanctions to Reinforce the BWC, CBW Conventions Bulletin n° 54, décembre 2001.
4 LOMS, par exemple, tente daméliorer la situation en lançant des initiatives telles que le réseau Global Outbreak and Response Network. Établi en avril 2000, il offre des liens à 72 réseaux existants dans le monde, dont un grand nombre sont équipés pour diagnostiquer des agents inhabituels et traiter les pathogènes dangereux.
Links:
British American Security Information Council
CBW Conventions Bulletin
Programme Sussex de Harvard
Michael Crowley est Analyste du commerce des armes au British American Security Information Council (BASIC). Auparavant, il a travaillé à Amnesty International pendant douze ans et a écrit de nombreux articles sur le contrôle des armes, la sécurité et les droits de lhomme.
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