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Vivre à l’ère du génome

Par Arturo Falaschi

La recherche biologique est un élément important des activités du CIGGB. Cette image, montrant une section de protistes, fait partie de l'exposition spéciale de 1999, Les épidémies ! Le monde des maladies infectieuses, présentée à l'American Museum of Natural History.

Il est indiscutable que la fin du séquençage du génome humain et, dans un avenir proche, du génome de nombreux autres organismes, a changé les perspectives de la recherche biologique au point que les biologistes définissent la période actuelle comme étant “ post-génomique ”, ce qui marque la nécessité d’une nouvelle approche de l’étude des organismes vivants. Pour comprendre cette transition, il faut rappeler qu’au cours des deux à trois dernières décennies, les travaux des chercheurs biologiques et médicaux ont été menés en vue de recenser le ou les gènes responsables d’une fonction biologique donnée (ou d’une maladie, pour la plupart des pathologies humaines), de les isoler et de déterminer la séquence ADN contenant les informations relatives à ces gènes. De nos jours, le chercheur dont les travaux sont centrés sur une fonction de l’organisme humain ou d’un autre organisme, qu’il s’agisse de bactéries, de plantes ou d’animaux pour lesquels la séquence du génome est déjà disponible ou le sera dans un avenir proche, dispose de toutes les informations nécessaires concernant la séquence complète de l’ADN.

La publicité excessive faite par les médias sur la fin du séquençage du génome humain qui, en fait, n’est pas entièrement terminé, étant donné qu’un certain nombre d’incertitudes existent toujours, a amené le public à penser qu’on était sur le point de comprendre en détail le fonctionnement (et les dysfonctionnements) de l’organisme humain. Or, la réalité est beaucoup plus nuancée. Pour faire le point sur la question, le Centre international pour le génie génétique et la biotechnologie (CIGGB) a organisé en octobre 2001 un symposium scientifique, réunissant quelques-uns des biologistes les plus compétents de la communauté scientifique mondiale, afin d’examiner “ la biologie de la période post-génomique ”.

Mis à part l’intérêt purement scientifique, le symposium revêtait également un caractère pratique, à savoir orienter le programme scientifique du CIGGB dans un avenir proche. Organisation internationale autonome composée de 46 pays membres, le Centre, qui a été initialement créé sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), a pour mandat de promouvoir la recherche et la formation en génie génétique et en biotechnologie dans les pays en développement. À la fin des années 1970, l’ONUDI, de plus en plus consciente que les progrès de la biologie et du génie moléculaire offraient des outils potentiels sans précédent permettant de réduire ou de résoudre les problèmes les plus urgents des pays en développement, tels que la santé, la nutrition et la pauvreté, a créé le CIGGB, considérant que les productions industrielles fondées sur la biotechnologie ont une valeur ajoutée élevée, qu’elles exigent un investissement de capitaux minimum, un minimum d’énergie ou de matières brutes et dépendent essentiellement de la disponibilité de scientifiques et de techniciens dûment formés.

Le Centre international comprend deux unités avec laboratoire : l’une installée à Trieste (Italie) et l’autre à New Delhi (Inde), auxquelles s’ajoute un réseau de 32 centres affiliés correspondant au nombre de pays membres.

Le support financier des deux unités créées en 1987 a été, en grande partie, fourni par les gouvernements des deux pays hôtes qui continuent d’ailleurs à le fournir. Quelques années plus tard, le Centre comptait environ 200 chercheurs, répartis de manière équitable, plus de 100 publications scientifiques par an révisées par des pairs et un programme de bourse pour les centres affiliés subventionnant près de 50 projets de recherche.

La direction générale du Centre est établie à Trieste (Italie), développant la tradition de cette ville en matière de coopération internationale scientifique qui a débuté au début des années 1960 avec la création du Centre international de physique théorique (issu de l’Agence internationale de l’énergie atomique et fondé par Abdus Salam, lauréat pakistanais du prix Nobel, aujourd’hui disparu et s’est poursuivie avec l’Académie des sciences des pays du tiers monde sous les auspices du CIGGB et du Centre international de science et de la haute technologie (sous les auspices de l’ONUDI).

Le nouveau paysage scientifique, tel qu’il est apparu lors du symposium, peut paraître paradoxal : comment un organisme aussi complexe que l’organisme humain peut-il être codé par des gènes dont le nombre minimal est probablement de 30 000 et le nombre maximal 60 000, soit seulement cinq à dix fois supérieur au nombre de gènes contenus dans un micro-organisme unicellulaire tel que la levure ? La solution de ce paradoxe montre les complexités et les difficultés auxquelles font face les biologistes de nos jours. En fait, même si on peut recenser les “ gènes ” dans le génome, c’est-à-dire le codage des séquences d’une protéine - avec un certain degré d’incertitude, comme je l’ai mentionné précédemment - nous sommes encore loin de connaître le nombre de protéines actuellement présentes dans une cellule, encore moins dans l’organisme.

Cette déclaration peut paraître surprenante. Je m’explique. Les protéines sont des molécules polymériques faites de chaînes linéaires de nombreux monomères appelés acides aminés - il en existe vingt sortes différentes, alors que les longues chaînes d’ADN les codant sont des polymères composés de monomères, appelés bases, de quatre sortes différentes. Les protéines sont les effecteurs de toutes les réactions et interactions qui caractérisent les organismes vivants.

La séquence des acides aminés d’une protéine quelconque, constituée d’acides aminés de longueurs variables allant de quelques centaines à quelques milliers, est codée dans une séquence de base sur l’ADN (chaque acide aminé étant spécifié par trois bases subséquentes).

Pour passer de la séquence de bases présente sur l’ADN à celle des acides aminés d’une protéine donnée, la cellule utilise un intermédiaire court constitué de quatre bases similaires à celles de l’ADN appelé ARN. Cette molécule “ messagère ” copie la séquence du gène mais est immédiatement soumise, dans les organismes complexes tels que l’organisme humain (à l’opposé des bactéries) à un processus d’épissage qui élimine des parties de la séquence pour obtenir une molécule d’ARN “ mature ” contenant les informations pour une séquence donnée des acides aminés. Cet épissage peut se produire sur la même molécule d’ARN de façons différentes, qui peut donc coder plusieurs protéines différentes, sans que l’on sache exactement combien. En outre, une protéine donnée peut être divisée en plusieurs fragments, chacun ayant une fonction et des propriétés différentes.

Et ce n’est pas tout. Chaque protéine peut subir un nombre de modifications chimiques consistant à l’ajout, dans des positions spécifiques, de résidus chimiques tels que l’addition d’un sucre, d’un groupement acétyle, méthyle et d’autres encore, chacun conférant à la protéine des propriétés physico-chimiques et fonctionnelles. Tel qu’indiqué précédemment, le nombre de protéines différentes qui peuvent être produites dans une cellule est donc nettement supérieur au nombre de gènes, et nous sommes loin d’en connaître le nombre exact.

Il existe un autre élément de complexité très important dû au fait que, particulièrement dans les organismes multicellulaires complexes tels que l’organisme humain, les protéines ne fonctionnent pas en tant que molécules uniques mais principalement comme des complexes de protéines constitués de la combinaison, par l’intermédiaire de liaisons chimiques faibles, de molécules différentes; la même protéine peut donc faire partie de complexes de protéines différents et avoir des fonctions tout à fait différentes. Il est donc clair que la complexité d’un organisme vivant n’est pas une fonction linéaire de la taille du génome ou du nombre de gènes associé, mais plutôt une fonction exponentielle de ce nombre.

Quels sont donc, de nos jours, les défis auxquels les biologistes sont confrontés lorsqu’ils essaient de dresser un tableau complet du développement et des fonctions d’un organisme vivant ? En premier lieu, déterminer la structure tri-dimensionsionnelle d’une protéine donnée ou d’un complexe de protéines d’une cellule et relier cette structure de manière univoque à la fonction qu’elle accomplit. Tel que je l’ai indiqué précédemment, il semble évident que cela représente une tâche importante qui mobilisera les travaux de milliers de laboratoires dans le monde pendant de nombreuses décennies.

L’étude sur la manière dont les nouvelles fonctions et propriétés émergent de ce réseau complexe dynamique d’interactions et de feed-back causés par les molécules d’un organisme vivant nécessitera également des travaux de longue haleine.

Cette tâche nécessitera, entre autres, l’exploitation de technologies récemment mises au point, qui permettent l’analyse simultanée de la présence et de la quantité de nombreux RNA différents ou de molécules protéiques, offrant un grand nombre d’informations souvent difficiles à interpréter et à intégrer.

L’étude des organismes d’animaux de laboratoire (spécialement les souris) présentant des mutations spécifiques, introduites par les scientifiques dans des parties spécifiques du génome, sera extrêmement cruciale pour associer les fonctions ou les dysfonctions biologiques complexes à des gènes spécifiques. Enfin, il ne fait aucun doute que ces précieuses informations contribueront au progrès et permettront de guérir des maladies, entre autres par l’application d’approches de thérapie génétique, et d’obtenir de nouveaux organismes améliorés pour l’agriculture et la sélection des plantes et des animaux.

Le CIGGB relèvera ce défi. Les chercheurs, qui travaillent dans les deux unités ainsi que dans le réseau des centres affiliés, s’efforceront de demeurer au premier plan de la recherche scientifique, comme c’est le cas aujourd’hui, tel que l’atteste la qualité des articles présentés dans les publications scientifiques revues par des pairs. Deux nouvelles initiatives seront également mises en place avec l’aide de fonds extérieurs pour l’étude de la sécurité des organismes génétiquement modifiés dans le domaine de l’agriculture et de la production d’animaux modèles destinés à l’étude des maladies humaines. Au cours de l’année à venir, nous prévoyons de lancer, en collaboration avec le gouvernement indien, l’expérimentation sur le terrain d’un vaccin contre le paludisme. Avec ces tâches et les autres activités du Centre, l’initiative lancée en 1987 afin d’orienter les progrès de la recherche biologique de pointe vers le développement pacifique de tous les pays du monde se poursuivra et sera sûrement renforcée.


Liens:
International Centre for Genetic Engineering and Biotechnology (ICGEB)


Arturo Falaschi est Directeur général du CIGGB et membre du Conseil exécutif du Conseil de la recherche nationale italienne. Il a été Président du Conseil de scientifiques du programme scientifique sur la frontière humaine et, de 1966 à 1979, a été professeur de biologie moléculaire à l’université de Pavie (Italie).

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