Actualités/Droit Il ne peut y avoir de développement sans droits de l'homme
Par Clarence J. Dias
| Photo/UN |
Les droits de lhomme et le développement sont et devraient toujours être complémentaires. Le développement durable, en particulier, représente une stratégie essentielle permettant de réaliser progressivement les droits de lhomme, notamment le droit à un niveau de vie satisfaisant. Les processus et activités de développement qui portent atteinte aux droits de lhomme (en provoquant par exemple des dommages environnementaux ou des déplacements forcés) constituent " un développement pervers ". Cest pourquoi la Charte des Nations Unies comporte trois objectifs intimement liés : la paix, le développement et les droits de lhomme. Il va de soi quil ne peut y avoir de développement sans paix, et quune violation systématique des droits de lhomme conduit inévitablement à des conflits.
Malgré cette évidence, le développement, tel que pratiqué au cours des quarante dernières années, est devenu, avant la pauvreté, la principale cause de violations des droits de lhomme dans de nombreux pays en développement. Face à cette situation, lAssemblée générale de lONU a adopté, en 1986, une déclaration clé : la Déclaration sur le droit au développement. Depuis lors, à toutes les conférences internationales des années 90, de Rio à Rome, le droit au développement a été réaffirmé comme " un droit universel et inaliénable, partie intégrante des droits humains fondamentaux ".
Cet article examine les rapports entre les droits de lhomme et le développement, et réévalue le rôle de ces droits dans le développement, particulièrement dans le contexte actuel dune mondialisation économique accélérée. Un tel travail simposait, suite à ladoption par le Programme des Nations Unies pour le développement, à la fin de 1998, dune politique dintégration des droits de lhomme au développement durable, et suite également aux efforts fournis lannée dernière par toute la famille de lONU pour appliquer efficacement cette politique.
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Tel quénoncé précédemment, les droits de lhomme et le développement se complètent et sont liés entre eux. Les activités typiques des secteurs traditionnels du développement contribuent à la promotion et à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels tels que le droit au travail, à la santé, à lalimentation, à léducation, à un logement convenable et bien sûr, à la plus précieuse des libertés : ne pas connaître la misère. De plus, les droits civils et politiques tels que la liberté dexpression, dassociation et de réunion garantissent la transparence et la responsabilisation des processus de développement, et sont déterminants pour assurer une participation significative aux processus et activités de développement. Le droit à la vie et à la sécurité personnelle ainsi que celui dêtre libéré de la crainte, de la discrimination et de lexclusion offrent une protection contre ce " développement pervers ", qui enrichit une minorité et appauvrit les masses en même temps quil détruit les communautés et détériore lenvironnement.
La déclaration sur le droit au développement adoptée par lAssemblée générale en 1986 résume, tout en les explicitant, les liens qui unissent droits de lhomme et développement :
- Elle redéfinit le développement et fait de la pleine réalisation des droits de lhomme et des libertés fondamentales sa véritable raison dêtre. Elle le définit comme " un processus global (...) qui vise à améliorer sans cesse le bien-être de lensemble de la population et de tous les individus ". (Préambule)
- Elle réaffirme le droit " de lensemble de la population et de tous les individus [à une] participation active, libre et utile au développement ". (Préambule)
- Elle réitère le droit à une juste répartition des bénéfices du développement et à la non-discrimination dans le développement.
- Elle réaffirme que lindividu est " le sujet central du développement ".
Au fil des ans, le droit au développement a facilité lémergence dun consensus sur les droits de lhomme, au-delà des divergences Nord/Sud et Est/Ouest. Il nest pas étonnant que Mary Robinson, dès son entrée en fonction à titre de Haut-Commissaire aux droits de lhomme à lONU, ait réaffirmé limportance du droit au développement, lors de sa toute première conférence publique, à Oxford.
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Face à la mondialisation accélérée, on ne saurait accorder trop dimportance aux droits de lhomme comme moyen de contrôle sur un développement excessif. Le rythme de cette mondialisation et ses modalités (privatisations aveugles, déréglementation, omniprésence des incitations à consommer) entraînent des problèmes sur plusieurs plans : économique, social, culturel et politique. Il importe, plus que jamais, de revendiquer et de protéger les droits économiques, sociaux, culturels et politiques pour éviter plusieurs maux quentraîne le développement :
- Sur le plan économique, les peuples voient leur souveraineté sur leurs ressources naturelles menacée. Des acteurs influents sur la scène économique internationale comme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, lAccord général sur les tarifs douaniers et le commerce et lOrganisation mondiale du commerce érodent profondément la souveraineté de lÉtat-nation. Ces institutions internationales doivent se conformer rigoureusement aux normes internationales et, en vérité universelles, des droits de lhomme.
- Sur le plan social, nous sommes témoins dune résurgence de la féminisation de la pauvreté et dela violence due au développement à lencontre des femmes. Limportance accordée aux droits des femmes doit donc être renouvellée.
- Sur le plan culturel, nous sommes témoins dune suppression de la diversité culturelle, à laquelle on substitue une culture universelle de type " Coca-cola ", axée sur la consommation; de plus, on assiste à une manipulation éhontée des identités culturelles et au développement de tendances jumelles inquiétantes : la politisation des relations ethniques et " lethnicisation " de la politique, toutes deux cachant souvent des luttes cupides pour les ressources naturelles. Il y a donc urgence croissante à promouvoir et à protéger les droits des minorités face au développement mondialisé et parasitaire.
- Sur le plan politique, la démocratie de façade fausse notre vision des choses. On ne parle plus que de démocratie ouverte sur léconomie de marché. Les élections ont dégénéré en mécanismes utilisés par les forces du capital international pour assurer la réélection de gouvernements inféodés à la libéralisation. La démocratie participative, particulièrement au niveau des gouvernements autonomes locaux, est contraire à la mondialisation. Les modèles de gouvernement chinois ou myanmarien sont cautionnés par des pays prêts à discourir sur les principes et les idéaux démocratiques pourvu quils ne freinent pas les investissements, le commerce et la course au dollar tout-puissant.
- Sur le plan civil, malgré les beaux discours sur les institutions de la société civile, on assiste en réalité à une récupération sans précédent de celles-ci, à la répression des ONG et à de violentes attaques contre les défenseurs des droits de lhomme.
De nos jours, il est plus que jamais essentiel que le développement, y compris le soi-disant développement privatisé, se réalise en pleine conformité avec les droits universels de lhomme. Seulement alors, pourrons-nous protéger le plus précieux de tous ces droits : celui dêtre humains.
Clarence J. Dias est Président de lInternational Centre for Law in Development de New York. Titulaire de diplômes en droit obtenus aux universités de Bombay et de Cornell, il a enseigné au Boston College of Law School. Spécialisé dans le droit au développement et fort dune expérience importante sur les questions dintérêt public, il est actuellement conseiller auprès du Programme de lONU pour le développement pour la mise en œuvre de la politique dintégration des droits de lhomme au développement durable.
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