El Salvador: le changement de lintérieur
Par Nicole Hertvik, pour la Chronique
| (Photo/UN) |
Dix ans après quun plan de paix mis en place par les Nations Unies a mis fin à douze années de guerre en El Salvador, les violations des droits de lhomme qui sévissaient pendant la guerre ont considérablement diminué.
Alors que la Mission dobservation des Nations Unies au Salvador (ONUSAL) avait réussi à mettre fin aux violations des droits de lhomme motivées par des raisons politiques, une nouvelle menace est née des cendres de la guerre, la violence urbaine, engendrant peur et insécurité dans le pays. Aujourdhui, la criminalité est citée comme étant la première préoccupation de la majorité des Salvadoriens.
Lorsque les casques bleus de lONU se sont rendus dans le pays en 1989, la guerre faisait encore rage. Ancrés dans un système dinégalité sociale et économique, les combats entre les forces gouvernementales et le Front national de libération Farabundo Marti (FNLFM) avaient fait 75 000 victimes et déplacé plus dun million de personnes.
Selon lAccord de Genève conclu en 1990, lun des objectifs centraux du processus de paix était " de garantir le respect total des droits de lhomme ". Pour y parvenir, Javier Pérez de Cuéllar, alors Secrétaire général, a créé la Commission de vérité, qui était autorisée à mener des enquêtes sur les violations des droits de lhomme les plus graves perpétrées pendant la guerre civile. Pendant cette période, lorgane denquête a reçu plus de 22 000 plaintes faisant état dhomicides extrajudiciaires, de torture et de disparitions forcées entre janvier 1980 et juillet 1991. Au total, 90 % des actes de violence documentés ont été commis par larmée, les forces gouvernementales de sécurité et les escadrons de la mort. Lintimidation, les menaces de mort, les exécutions et les disparitions étaient des pratiques courantes utilisées contre les opposants, les militants des droits de lhomme et les rebelles soupçonnés. En outre, le système judiciaire sest avéré " incapable didentifier les coupables et dimposer des sanctions pénales ".
La Commission de vérité nétant pas habilitée à traduire les coupables en justice ou à leur imposer des sanctions, elle faisait seulement des recommandations. Or, les recommandations présentées dans le rapport ont suscité de vives critiques dans le pays. Bon nombre des personnes accusées ont gardé leur poste de haut niveau dans les divers bureaux du gouvernement. Et au plus grand regret des membres de la Commission, le jour où le rapport a été rendu public, le 15 mars 1993, le Président salvadorien, Alfredo Christian Buckard, a accordé lamnistie à toutes les personnes dont le nom était cité dans le rapport.
Malgré ces limitations, la Mission a réussi en grande partie à éradiquer la violence politique. Lors de la parution du rapport, les disparitions forcées, les tortures et les massacres avaient été presque complètement éliminés. Les forces gouvernementales de sécurité avaient été démantelées et une nouvelle force de sécurité avait été formée par lONU.
La violence des bandes en El Salvador
La violence urbaine, manifestation des inégalités économiques et sociales auxquelles sont confrontés les Salvadoriens, est certainement la plus prévalente dans le pays. Le plus grand facteur qui contribue à cette situation est lessor des bandes qui sont nées dans ses zones urbaines après la fin de la guerre civile, lorsque de nombreuses familles qui avaient émigré aux États-Unis ont perdu leur statut de réfugié. Les enfants de ces familles qui ont grandi dans les quartiers pauvres ont appris la violence des bandes comme moyen de survie et dacceptation. En 1992, après le changement de politique du Service de limmigration et de la naturalisation concernant le statut des réfugiés salvadoriens, les familles ont été renvoyées dans leur pays.
Bien que lexistence des bandes organisées remonte au début des années 1970, ces réfugies ont introduit un nouveau style de violence dans lun des pays les plus violents de lAmérique latine. Étrangers dans leur propre pays, ils ont été reçus par la population locale avec peur, suspicion et discrimination. Ayant un accès limité à la formation et à lorientation professionnelle ainsi que peu dopportunités pour améliorer leur vie, ils ont survécu de la seule manière quils connaissaient. Les bandes ont rapidement pris de lexpansion. Selon les rapports de la police, 20 000 jeunes (sur une population de 6,4 millions) font partie de bandes. Ces bandes sont responsables dun nombre dhomicides important dans un pays qui connaît lun des taux dhomicide les plus élevés au monde.
Selon un rapport publié par lInstitut de lOpinion publique à lUniversité dAmérique centrale à San Salvador, la cause première de la violence des bandes est la marginalisation ainsi que la croissance des problèmes économiques et sociaux. Un résident de San Salvador a expliqué que " le gouvernement répond par la violence et la répression, ce qui ne fait qualimenter la colère. Cest un problème sans fin. " Les statistiques vont dans le même sens. Daprès une enquête réalisée par lInstitut auprès danciens et dactuels membres de bandes, la raison première qui amenait à faire partie de bandes était d" avoir un lieu où se rencontrer " (46 %), alors que les inconvénients les plus importants étaient la mort et la prison (46 %). Interrogés sur leurs aspirations, 30 % des jeunes ont répondu " trouver un emploi ", tâche difficile dans un pays où 48 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté.
En El Salvador, la violence chez les jeunes nest pas un phénomène nouveau. Pendant la guerre, on estimait que 80 % des forces gouvernementales et 20 % des recrues du FMLN étaient âgés de moins de 18 ans. Un rapport publié par Child Soldiers, une organisation à but non lucratif, fait état que " la réintégration des anciens enfants soldats na pas entièrement réussi en raison du manque de soutien de la communauté internationale et du manque de suivi au niveau international. " Un rapport de 1999 du Fonds de lONU pour lenfance indique que 61 % des enfants recrutés au FMLN nétaient pas intégrés dans le programme de démobilisation et que seulement 5 % de ceux qui létaient suivaient le programme déducation jusquau bout.
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Malgré certains contretemps, comme un changement plus lent que prévu dans la mise en place du système judiciaire, lONUSAL a quitté El Salvador avec la certitude que les abus des droits de lhomme nétaient pas inhérents au système politique mais constituaient une irrégularité dans un système disposé à se réformer. Or, alors que la violence politique diminuait, une autre forme de violence sest développée. Geoff Thale, qui travaille au Bureau de Washington sur lAmérique latine, a dit : " Bien que les abus des droits de lhomme "classiques", tels que les exécutions et les disparitions, ne soient plus un problème aujourdhui, le pays fait face à de nombreux défis centrés sur les questions économiques et de développement. " Pour lui, la violence urbaine est lun des problèmes les plus urgents. Son point de vue rejoint celui de la Banque mondiale, qui cite la " micro-insécurité ", ou la délinquance dans les villes, comme un problème qui prend des proportions épidémiques.
Un grand nombre dorganisations internationales des droits de lhomme centrent actuellement leurs travaux sur les questions de développement économique, mais les ressources allouées au Salvador ont considérablement diminué depuis la fin de la guerre civile. Dans ce pays où les violations des droits de lhomme, telles que les homicides extrajudiciaires et les disparitions, ont fait la une des journaux pendant des années, le monde semble largement ignorer linsécurité à laquelle le pays est actuellement confronté. Les nouvelles conditions géopolitiques nées de la chute de lUnion soviétique ont mis fin à lintérêt géostratégique dans lissue de la guerre, lorsque les États-Unis étaient le donateur le plus important du Salvador. Plusieurs organisations internationales des droits de lhomme établies aux États-Unis et au Canada ont rapporté que leur programme pour El Salvador avait été entièrement supprimé ou considérablement réduit au cours des cinq dernières années, en raison de contraintes budgétaires et de priorité donnée aux situations problématiques telles que la Colombie et Haïti.
Actuellement, lONU maintient plusieurs programmes en El Salvador. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le Haut-Commissariat aux droits de lhomme participent à des projets destinés à renforcer les institutions locales afin de faire face aux maux sociaux. Au cours des dernières années, le PNUD a travaillé en étroite collaboration avec lOmbudsman des droits de lhomme en El Salvador, un organe créé conformément à laccord de paix, pour établir des projets de sécurité publique. Les deux institutions de lONU centrent leurs efforts pour que lOmbudsman soit en mesure de traiter la violence domestique et policière. Le Haut-Commissariat a récemment mis en place une formation sur les droits de lhomme destinée aux juges, aux avocats et aux agents de police. LONU poursuit actuellement ses activités dans le pays alors que le mandat de lONUSAL a pris fin depuis longtemps. Quand les membres de la Mission font le bilan de leur travail, ils ont des points de vue mitigés sur leur succès. Beaucoup conviennent que les causes premières du conflit - la pauvreté et les inégalités - demeurent intactes malgré les efforts. Maria Maldonado, ancienne Directrice adjointe de la Division des Amériques et de lEurope du Département des affaires politiques de lONU (DPA), reconnaît que la violence na pas disparu mais considère le changement de la violence publique en violence privée comme un pas en avant vers le retrait de la violence et des abus du vocabulaire des comportements pénalisés dans le pays.
Un grand nombre de participants considèrent lexpérience de lONUSAL, la première mission de lONU à déployer tant defforts pour consolider la paix après un conflit, comme une étape dont il faut tirer les leçons. " Cela nous a permis dagir différemment au Guatemala et en Bosnie ", a renchéri Mme Maldonado, faisant allusion aux deux missions suivantes de maintien de la paix de lONU. Les leçons tirées " nous ont permis de mener les autres avec une plus grande defficacité. " La plupart reconnaissent que la leçon la plus importante est dinclure les institutions locales aux étapes initiales dune mission.
Martha Doggett, également de la Division des Amériques et de lEurope, partage cet avis. Pour elle, la Mission est une réussite, sa seule critique étant léchec à mettre en place plus tôt les institutions locales. " Plus je moccupe de ces questions, plus je suis convaincue que, dès le début, nous devons chercher à écourter le plus possible notre mission ", a expliqué Mme Doggett, soulignant la nécessité pour les institutions locales de mener à bien les changements après le départ de lorgane dassistance. " Sur les questions des droits de lhomme, nous aurions pu, dès le début, faire davantage pour mettre en place les capacités institutionnelles en El Salvador ", a-t-elle ajouté.
Selon Reed Brody, chef de lONUSAL de 1994 à 1995, la mise en place des institutions démocratiques en El Salvador est devenue une priorité pendant le processus de paix et de mise en œuvre.
Une grande partie de ses efforts ont été centrés sur le renforcement de lOmbudsman et la formation des organisations non gouvernementales locales " pour quils soient une force de vigilance dans le pays alors que celui-ci sengageait dans une situation daprès guerre. "
À lorigine de la guerre civile et de la violence urbaine, cependant, se trouve le même problème dinégalité économique. Denise Cook, qui travaille à la division de la décolonisation de la DPA, a une vue plus pessimiste que ses homologues. " Les causes premières et les inégalités de la guerre sont encore présentes aujourdhui ", a-t-elle souligné. Susan Burgerman, qui travaille à lInstitut de lAmérique latine et ibérique à Columbia University, inscrit la question dans un contexte plus large. " Certes, lONU na pas réformé lélite politique. Mais instaurer un changement social fondamental nétait pas la raison pour laquelle elle avait été envoyée. Cela reste à faire. "
Tant à lintérieur quà lextérieur du pays, on commence à prendre conscience des problèmes auxquels est confronté le pays. Les Salvadoriens font des efforts pour effectuer le changement de lintérieur. En attendant que des réformes économiques drastiques permettant au Salvador de résoudre ses problèmes soient mises en place, la communauté internationale devrait appliquer les leçons de lONUSAL et soutenir, dans la mesure de ses capacités, la mise en place des institutions locales.
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