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À qui appartient la Terre ?

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« Le rêve » de Marc Chagall. ©The Phillips Collection. (Photo d’Edward Owen)

L’échec de la théorie économique comme dispositif de politique publique indique un problème très sérieux. La faillite récente des pêcheries a été causée, en partie, par l’absence de planification, de gestion ainsi que par la libre concurrence, qui s’est soldée par la perte d’un tiers de la source de protéines que les habitants de la planète consomment chaque année. Le monde est confronté à des problèmes comme une pénurie alimentaire croissante, des problèmes d’eau si graves qu’un tiers de la planète souffre de pénurie en eau et a accès à de l’eau polluée. L’économie ne pourra pas, à elle seule, résoudre ces problèmes. Les efforts de privatisation de l’eau ont été mis en avant mais les résultats ont été mitigés. Les conflits ont existé et continuent d’exister et le public risque de perdre une ressource censée être un bien public permanent.

Aux États-Unis, l’effondrement d’Enron, une multinationale de l’énergie, s’est soldé également par l’échec des expériences de privatisation de l’eau. Enron avait implanté une filiale en Californie dans le but de se lancer dans le commerce de l’eau pour la revendre dans les villes. Sous les pressions des écologistes, Enron a dû renoncer à son projet. Cette entreprise a également tenté de pénétrer le secteur de l’eau en Inde et dans d’autres pays. La faillite d’Enron est la plus importante de l’histoire des États-Unis. À La Paz (Bolivie), des entreprises étrangères ont récemment tenté de prendre le contrôle de l’eau potable. Des émeutes ont eu lieu, qui se sont soldées par des pertes en vie humaines, et les entreprises ont renoncé.

L’exemple final ayant trait à la question de l’eau concerne l’attrait de certaines aspirations économiques, qui risque de conduire à une tragédie à l’échelle historique. L’Inde et la Chine cherchent à développer leurs industries. Or, pour alimenter les nouvelles usines en eau, ces deux pays condamnent les terres qui étaient consacrées à la production agricole. D’immenses barrages, qui font l’objet de controverses, sont construits. Ces stratégies ont des conséquences sociales et environnementales graves qui sont ignorées au profit des intérêts économiques. Et ne croyez pas que la Californie, où j’habite, est en meilleure posture. La politique en matière d’eau est si défaillante qu’on laisse les rivières s’assécher. Bien que l’État soit un désert, il existe peu de restrictions concernant le forage de puits d’eau. En conséquence, leur nombre augmente sans cesse et la nappe phréatique diminue dans de nombreux endroits. Ici aussi, la logique du profit l’emporte sur les aspects environnementaux et sociaux.

La pollution de l’air est un autre exemple. Elle est le résultat d’une croissance économique qui ne tient pas compte de la santé de l’environnement ou du droit à l’air pur, qui est une question importante du mandat public. Récemment, un journal scientifique a confirmé que les particules provenant de la combustion du charbon sont cancérigènes et responsables d’autres problèmes de santé chez les êtres humains, en particulier dans les centres urbains. L’article a également confirmé que les particules émises par les moteurs diesel présentaient des risques pour la santé. Et la liste continue.

J’ai décrit la durabilité comme étant un équilibre entre l’efficacité économique, la santé de l’environnement et les considérations sociales pour améliorer la qualité de la vie. La question de l’utilisation des terres est souvent examinée d’un point de vue économique sans tenir compte des considérations sociales. Tout au long de l’histoire, les pauvres, privés de terres, se sont révoltés. Plus d’un empire s’est effondré à la suite de conflits concernant la propriété des terres. Chaque jour, la presse fait état de guerres et de rébellions liées à ce problème.

La question est de savoir comment une nation peut traiter ce conflit. Les efforts de redistribution des terres ont eu des résultats mitigés mais une approche sociale totalement différente a porté ses fruits. En Suède, par exemple, « Le droit de tous » a été une réussite. L’attitude des Suédois vis-à-vis de la propriété est intéressante en ce sens qu’ils ont trouvé une manière innovante d’utiliser des terres publiques et privées. Ce droit, créé par le passé, est actuellement établi par la loi. Chaque citoyen a le droit d’accès à toutes les terres de Suède. Les promeneurs ont libre accès aux vastes fermes et forêts, qu’elles soient privées ou publiques. Les rares panneaux indiquant « Propriété privée. Défense d’entrer » sont généralement réservés aux terrains militaires. Les Suédois ont le sentiment d’être propriétaires de la nation. Ce droit d’accès pour tous leur fait aussi bénéficier d’une épargne fiscale. Actuellement aux États-Unis, l’émission d’obligations à hauteur de millions et de milliards de dollars sera bientôt votée sur l’utilisation des revenus à l’acquisition de terres.

Dans le système suédois, la nécessité de disposer de vastes zones publiques ou de créer de nouveaux parcs est moins sensible, les citoyens peuvent se promener là où ils le souhaitent bien que les terres continuent d’être exploitées par des propriétaires privés pour la production économique, alimentaire ou de produits forestiers. Dans un cadre urbain, chaque parc et chaque espace libre représentent un potentiel de profit important pour un promoteur et le développement de ces espaces fait l’objet d’énormes pressions. Pourtant, les citoyens ont souvent eu le dernier mot.

Les exemples de traditions impliquant les citoyens dans la protection et la défense des terres publiques me semblent particulièrement importants. À Nairobi (Kenya), l’Uhuru Park a été créé après l’indépendance. Puis, un groupe d’investisseurs étrangers a proposé de construire un grand hôtel dans le parc, avec l’appui des responsables politiques. Le public a organisé des manifestations contre la construction de l’hôtel, a fait face aux soldats et à la police, et les investisseurs ont abandonné leur projet.

Le développement durable nous donne l’occasion de résoudre ces problèmes en concevant un processus élargi qui inclut la santé environnementale, les besoins sociaux et le développement économique. L’équilibre entre ces questions a été la base du lancement du développement durable à Stockholm en 1972. Lors du Sommet de Rio de 1992, un grand nombre d’organisations non gouvernementales (ONG) comme la nôtre, espéraient que les pays industrialisés seraient favorables à l’application de taxes et que les fonds obtenus seraient utilisés pour aider les pays en développement à répondre à leurs besoins dans le domaine de la technologie. Mais, comme à Stockholm, les États-Unis et l’Arabie saoudite, soucieux de protéger leurs intérêts, s’y sont opposés.

Le HCR mène des efforts pour promouvoir l’utilisation de méthodes destinées à économiser l’énergie. La photo montre un four en métal, et un fourneau sans flamme; un panier rempli de paille couvert d’un isolant en aluminium.
Pour moi, l’impact le plus important de l’approche économique concerne le bien-être des personnes. L’histoire suivante illustre mon point de vue sur la question. Il y a quelques années, j’ai réalisé une étude sur la British National Trust - une ONG privée qui s’occupe de la gestion de 200 domaines, 243 ha de terres et 950 km de côtes. Elle a pour principe de préserver les paysages anglais. Son succès est l’œuvre d’un grand nombre de volontaires qui font le plus gros du travail. En quittant le magnifique domaine de Charlecote Park, où Shakespeare avait été arrêté pour avoir tué un cerf, je me suis arrêté à l’entrée pour demander mon chemin à un homme qui réparait un mur en pierre. Il avait soixante-dix ou quatre-vingt ans et portait des vêtements de travail râpés. Je lui ai demandé où se trouvait le village le plus proche et s’il y avait un hôtel. « À 15 km environ, mais je ne suis jamais allé jusque-là, a-t-il répondu. Je ne sais pas s’il y a un hôtel. » Puis, il m’a demandé si la visite m’avait plu. J’ai répondu avec enthousiasme. « C’est un endroit magnifique », a-t-il commenté, ajoutant qu’il était à la retraite et, comme beaucoup dans la région, travaillait ici comme volontaire. Nous contribuons à la préservation du patrimoine futur. » Ce fut le point fort de ma visite, le meilleur souvenir de ma visite des sites de Trust. Je me souviendrai toujours de cette conversation sur le plaisir du bénévolat.

Au bout du compte, le renforcement et la transmission du patrimoine sont les points forts de l’humanité. Cette question ne peut se mesurer en termes d’argent, de profits et de pertes. En fait, nous risquons gros si nous perdons de vue ce qu’est l’humanité, et la logique du profit va dans ce sens. Pour illustrer ce point, je prendrai un exemple. L’entrée de l’Inde sur le marché a donné naissance à des projets de barrages immenses mal planifiés ainsi qu’à l’abandon de terres agricoles pour pouvoir fournir davantage d’eau aux usines. Mais je citerai une réussite prometteuse en matière de développement durable aux Pays-Bas, où la santé de l’environnement et la qualité de la vie vont de pair avec la croissance économique. Le Plan national sur la politique de l’environnement (NEPP) vise à assurer la régénération totale de l’environnement en 35 ans. Des efforts similaires sont menés en Nouvelle-Zélande, à Singapour et dans plusieurs pays scandinaves.

Le NEPP est une réussite pour plusieurs raisons. La plus importante, à mon avis, est qu’il propose un plan écrit comprenant des objectifs. Les entreprises et le gouvernement collaborent à des projets, tandis qu’un troisième acteur, le mouvement écologique, émet des critiques ou recommande ces projets aux médias. La réussite du Plan est due à la participation de centaines de milliers d’industries, pratiquement toutes les entreprises de fabrication en Hollande, qui se sont engagées à assurer la régénération totale de l’environnement. Les efforts à long terme ont permis de doubler les revenus économiques du pays tout en éliminant les problèmes tels que la pollution. (Pour toute information complémentaire sur le NEPP, visitez www.rri.org.)

Depuis le 11 septembre, il est nécessaire que la communauté environnementale internationale se montre moins frileuse. Pour ma part, il me semble important de créer un « Plan vert mondial », fondé sur l’expérience des Pays-Bas ainsi que sur celle d’autres pays. L’ONU est l’institution qui peut fournir le leadership pour inciter les industries et les gouvernements à participer à cet effort international. L’expertise en technologie et en gestion est disponible, et suivre un modèle réussi est une pratique de gestion saine. Un Plan vert mondial, parrainé par l’ONU, pourrait servir de guide au développement durable pour assurer, durant ce siècle, la régénération totale de l’environnement et la croissance économique.

Le Sommet mondial du développement durable a lieu dix ans après le Sommet de la Terre organisé en 1992 à Rio de Janeiro. Les débats et les espoirs étaient alors concentrés sur la régénération de l’environnement que chaque nation pouvait promouvoir. Cependant, durant la décennie passée, les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes. Le déclin de l’environnement se poursuit et la pauvreté augmente.

À cette période critique de l’histoire, seules les Nations Unies peuvent fournir une vision du développement durable comme une alternative à la guerre et une façon de construire la paix. C’est le meilleur investissement que nous pouvons faire pour l’avenir des enfants du monde entier.

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Huey D. Johnson est Président de Resource Renewal Institute, une organisation non gouvernementale qui soutient les stratégies de gestion environnementales novatrices dans le monde. Il est lauréat du Prix Sasakawa pour l’environnement de 2001.

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