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De gauche à droite : Brian Urquhart, David Rieff, Shashi Tharoor, William Schulz et Carolyn McAskie. Photo ONU | |
Au cours d'un débat parrainé par le Département de l'information des Nations Unies, quatre membres du panel, expérimentés dans leur domaine d'activités, se sont penchés sur le monde de l'humanitaire. Reconnaissant qu'il était en crise, leurs points de vue ont cependant divergé sur les raisons de cette crise.
Carolyn McAskie, coordinatrice du secours d'urgence, David Rieff, auteur et journaliste, William Schulz, Directeur exécutif d'Amnesty International aux États-Unis et sir Brian Urquhart, auteur et ancien Secrétaire général adjoint de l'ONU pour les affaires politiques spéciales, ont débattu de la question en réfutant les arguments des uns et des autres. Shashi Tharoor, Secrétaire général adjoint pour les communications et l'information, était chargé d'animer le débat consacré au livre de David Rieff intitulé " A bed for the Night: Humanitarianism in Crisis ".
Les quatre intervenants ont partagé l'avis que le monde de l'humanitaire était en crise, mais ont été en désaccord sur les raisons et la responsabilité des personnes concernées, réfutant la thèse de David Rieff selon laquelle l'association de l'intervention humanitaire et des droits de l'homme était une erreur historique. " Ce n'est pas une attaque contre l'action humanitaire ", a déclaré M. Rieff, " mais une allégation que le mariage entre l'action humanitaire et les droits de l'homme, qui est peut-être très important pour les mouvements des droits de l'homme, et peut-être même très pratique pour les gouvernements occidentaux, est une erreur historique ", ajoutant que si l'humanitaire faisait partie d'un projet plus vaste, il trahissait sa propre gravité morale spécifique.
Mme McAskie et M. Schulz ont notamment contesté la critique développée par l'auteur, qu'ils ont jugée être ni constructive ni claire sur les questions concernant l'action humanitaire. " Le propre de la critique est d'être sauvage et pas forcément constructive ", a rétorqué M. Rieff. De son côté, Mme McAskie a trouvé que les arguments de David Rieff avaient une certaine valeur mais a ajouté : " Je ne suis pas sûre qu'il puisse avancer ce genre d'argument sans proposer une alternative de poids. Le point sur lequel je suis en désaccord porte sur la critique des acteurs humanitaires qui travaillent étroitement avec ceux qui cherchent des solutions. "
Pour elle, les communautés humanitaires et celles de développement avec lesquelles elle a travaillé pouvaient être divisées entre les réformateurs et les radicaux. " Le radical est celui qui crée l'environnement dans lequel le réformateur peut changer la société ", a-t-elle dit, complimentant D. Rieff pour ses vues radicales. Il y a " de nombreuses choses " avec lesquelles nous devrions tous être d'accord. Cependant, a-t-elle fait remarquer, " cet appel au retour à une action humanitaire pure, inconditionnelle, dénuée de toute contingence politique, n'est ni réaliste ni efficace. Pour elle, le lien entre le Bureau de l'ONU pour la coordination des affaires humanitaires et le Conseil de sécurité signifiait que le Conseil assumait les conséquences humanitaires de ses actions.
" Tel ne serait pas le cas si les organisations humanitaires ne faisaient pas partie d'un cadre permettant d'apporter une réponse intégrée. Nous ne pouvons pas faire plus sans promouvoir des solutions, et il est nécessaire que les agents humanitaires de l'ONU appellent à l'action politique parallèlement à l'action humanitaire. "
M. Rieff a conclu qu'" une alliance avec le mouvement des droits de l'homme, même avec les motifs les plus éthiques, est vouée à l'échec ". Il a fait valoir qu'il était " illusoire " de concevoir un organe du droit international en l'absence d'une communauté internationale réelle, une communauté de valeurs communes, telle qu'il l'a définie.
" Les droits de l'homme internationaux sont fondés sur la notion d'une communauté internationale et de valeurs partagées par le plus grand nombre de personnes, voire universelles ", a commenté M. Schulz, ajoutant que depuis les cinquante à soixante dernières années, un ensemble commun d'identités et de valeurs émergeait dans le monde. Il a fait remarquer que les États-Unis et la Chine, deux pays aux politiques différentes, avaient des points communs : leur aversion envers la torture; le Danemark et l'Indonésie partageaient un engagement vis-à-vis de la convention sur les enfants tandis que le Japon et l'Angola s'opposaient à l'exécution des criminels de moins de 18 ans.
Pourtant, M. Rieff a rétorqué que comparer son concept de " communauté internationale illusoire " et celui d'une communauté d'individus partageant des valeurs et des normes communes, équivalait à comparer des pommes et des oranges. " Je parle des sociétés fragmentées les plus défavorisées au monde ", alors que M. Schulz parle des " communautés les plus favorisées ", a-t-il dit.
Si, comme l'a fait observer M. Tharoor, les intervenants avaient " réfuté sans ménagement les idées avancées par M. Rieff ", sir Brian s'est montré plus nuancé. Il a rappelé que pendant la guerre froide, le Secrétariat de l'ONU avait dû trouver des façons de contourner les obstacles " ridicules " créés par la guerre.
" Il est certain que pendant la guerre froide, le travail humanitaire, si on voulait qu'il fût international, devait être neutre, et je dois dire que les activités étaient très limitées ", a-t-il dit, ajoutant que c'était " une grave erreur de rejeter le système international ou même la communauté internationale ".
Complimentant D. Rieff sur son livre, sir Brian a dit que la communauté internationale était encore au début du processus humanitaire, tout comme il avait fallu 500 à 600 ans pour construire le concept de démocratie, qui n'était d'ailleurs pas parfait non plus. " Je m'étonne que vous disiez que le lien entre l'action humanitaire et les droits de l'homme, le maintien de la paix, la consolidation de la paix, les politiques des gouvernements, etc. ne peut qu'être désastreux ", a-t-il commenté. " Je ne suis pas sûr que les acteurs humanitaires seraient très efficaces s'ils ouvraient seuls. "
" Mon argument n'est pas de dénigrer les droits de l'homme ", a répondu D. Rieff, ajoutant qu'il était en faveur du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui travaillait dans le cadre du statu quo. Il a maintenu que le point essentiel des trois membres du panel était " qu'en ce qui concerne les institutions internationales, nous sommes peut-être au début d'un long processus et que, dans deux cent ans, dans un ordre mondial fondé sur des valeurs et une communauté internationales véritables, cela pourrait être le cas. Je ne prétends pas que c'est faux. Mon argument est que... en ce moment précis... s'impliquer dans l'établissement de normes, défendre les droits de l'homme, me semble être une erreur ", a-t-il dit.
" J'explique les raisons pour lesquelles un plus grand nombre d'ONG devraient suivre l'exemple du CICR, limiter très précisément leur champ d'activités et se rendre compte que leur action est contrainte. "
Lorsque le débat a été ouvert au public, Sadako Ogata, ancien Haut Commissaire pour les réfugiés (HCR) a dit : " Le travail humanitaire devrait être jugé davantage sur ce qui est fait au lieu de ce qui est dit. Vous ne pouvez pas être un acteur humanitaire si vous êtes loin des victimes. " Pour répondre à la critique de D. Rieff portant sur l'humanitarisme centré sur l'ONU, elle a dit que le HCR ne pouvait pas être une opération purement humanitaire parce que son mandat comprenait la protection des réfugiés et leur assistance.
" Cela est un peu différent de la Croix-Rouge qui travaillait par phases ", a déclaré Mme Ogata. " Mais le HCR ne peut pas, comme la Croix-Rouge, faire les mêmes choses pendant 10 à 20 ans. " Par exemple, elle a dû s'adresser au Pentagone et au Conseil de sécurité pour résoudre la situation dans laquelle le personnel humanitaire de l'ONU se trouvait, et c'était un combat qu'ils comprendraient, a-t-elle conclu.
Le débat s'est déroulé avant le lancement par l'ONU, en novembre dernier, du Processus des appels consolidés de près de 3 milliards de dollars destinés à répondre aux besoins humanitaires de 50 millions de personnes. L'Assemblée générale de l'ONU a créé l'instrument du Processus des appels il y a dix ans afin d'élaborer une stratégie humanitaire commune et de maximiser les ressources, à savoir, l'assistance alimentaire pour les pauvres, l'assistance médicale pour les malades et la fourniture d'abris aux personnes déplacées.
Besoins en appels consolidés pour 2003 par pays concerné (en millions de dollars)
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