Je considère que mes fonctions de Haut Commissaire sont un défi audacieux que je dois personnellement relever; c'est un défi que nous devons tous relever pour faire en sorte que notre travail dans le domaine des droits de l'homme ait un véritable sens. Un effort collectif n'est pas seulement le meilleur moyen de faire la différence pour ceux qui en ont le plus besoin, c'est, en fait, le seul moyen d'y parvenir. Ce sont ces femmes et ces hommes auxquels j'accorderai toute mon attention pendant mon mandat. Leur dignité sera la mienne. Elle sera aussi la vôtre.
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Détail représentant des camps de concentration, des bombardments et les souffrances atroces causées par les conflits. Le tableau intitulé "La lutte de l'homme pour la paix" a été créé par José Vela Zanetti(République dominicaine) et est exposé au siège de l'ONU à New York. Photo ONU/Lois Conner
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Les droits de l'homme ont pour objectif d'assurer la dignité, l'égalité et la sécurité à tous les êtres humains. Ces trois magnifiques notions sont au cour de notre vision. Elles sont étroitement liées. La dignité, qui reflète à la fois l'autonomie et la responsabilité, concerne l'individu. L'égalité est la pierre angulaire des relations harmonieuses entre les personnes; elle est le fondement de nos systèmes communs d'éthique et de droits, que nous discutions de l'égalité devant la loi ou dans la manière dont les États et les systèmes internationaux mènent leurs affaires. Ni la dignité, ni l'égalité ne peuvent, bien entendu, exister en l'absence d'une sécurité de base.
Ces notions ne sont pas des idéaux et des aspirations impossibles à réaliser. Elles servent de repères de conduite. Les normes, qui donnent à ces notions toute leur dimension, sont le fruit de plus de cinquante ans de travail collectif. Nous avons un cadre pour la sauvegarde des droits de l'homme universels intégré dans la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que d'autres traités fondamentaux relatifs aux droits de l'homme. Ces instruments ont inspiré la création de dispositions dans de nombreuses constitutions et lois nationales et ont conduit à la mise en place d'infrastructures nationales à long terme pour la protection et la promotion des droits de l'homme. S'assurer que ces droits sont accessibles à tous ceux qui en ont le plus besoin les victimes des violations des droits de l'homme est la raison d'être de l'ONU.
C'est le seul point qui justifie notre présence ici, aujourd'hui. Si la Commission des droits de l'homme et le Haut Commissariat ne peuvent pas protéger les faibles, à quoi servent-ils ? La dignité, l'égalité et la sécurité nécessitent des systèmes de justice qui sont à même de maintenir et de soutenir ces valeurs. J'ai donc l'intention de me concentrer sur la justice et sur le respect de la primauté du droit et d'en faire une règle obligatoire. Selon cet important concept, la loi devrait servir à protéger la dignité et la valeur d'un être humain et non pas servir à un État à instaurer une règle arbitraire, commettre des actes de cruauté ou abdiquer ses responsabilités fondamentales envers ses citoyens.
Nous examinerons les violations, qu'elles soient délibérées ou le résultat d'un manque de prise de conscience, de structures ou de ressources. Nous aiderons les États à intégrer et à mettre en ouvre les normes internationales qu'ils ont conçues, et qu'ils ont acceptées, en les encourageant à ratifier les traités, même si ce sont eux qui doivent assumer la responsabilité de soutenir les droits de l'homme. Nous leur demanderons de promouvoir les droits de l'homme dans la société et d'améliorer les systèmes de protection nationaux. Nous travaillerons avec les dirigeants et les responsables, avec les parlements nationaux et les instances judiciaires, avec les commissions des droits de l'homme ainsi qu'avec la société civile. Nous pouvons apporter une aide importante à l'éducation et à la création de capacités, nous pouvons intervenir lorsque cela est nécessaire pour mettre fin aux abus. Mais nous devons à tout prix veiller à ne pas compromettre notre objectif final.
Je voudrais maintenant dire quelques mots sur le terrorisme et sur les mesures prises par les États pour faire face à ce fléau. Même si le terrorisme n'est pas un phénomène nouveau, on ne peut discuter de ce sujet sans commencer par les attaques du 11 septembre 2001. Les victimes ont droit à la justice. Cet événement traumatisant doit être considéré sans équivoque comme l'un des cas les plus révoltants où les droits des innocents ont été bafoués sans pitié. Nous leur devons de réagir avec détermination et rigueur pour mettre fin au fléau du terrorisme. Nous devons également reconnaître que les États ont non seulement un droit mais un devoir de protéger leurs citoyens contre toutes les formes de criminalité internationale. Une attaque brutale et une menace exceptionnelle appellent une réponse exceptionnelle et sans équivoque.
Mais ces mesures doivent être prises dans la transparence, elles doivent être limitées dans le temps et respecter sans dérogation les droits fondamentaux formulés dans les normes des droits de l'homme. Elles doivent s'inscrire dans le cadre de la loi. Sans cela, les terroristes finiront par gagner, et nous finirons par perdre, alors que nous n'aurons rien fait pour les empêcher de détruire le fondement même de notre modeste civilisation humaine. Je suis convaincu qu'il est possible de lutter contre cette menace sans mettre en danger les droits de l'homme. La protection des citoyens et le soutien des droits de l'homme ne sont pas incompatibles : au contraire, ils doivent aller de pair si nous voulons poursuivre dans notre voie.
Nous devons également nous pencher sur d'autres questions de sécurité urgentes: les conflits armés, la discrimination, la pauvreté et l'ignorance, pour n'en citer que quelques-unes parmi les plus importantes.
Les droits n'ont aucune valeur, et ne peuvent être garantis, si votre famille meurt de faim ou si vous ne pouvez pas vous protéger ou protéger vos proches contre les maladies évitables et qui se traitent facilement ou si vous ne pouvez pas fournir à vos enfants une éducation de base. C'est un truisme comme de dire que les droits n'ont aucun sens si votre vie est considérée comme sans valeur ou si vous n'avez pas le droit à la parole.
Priver une personne de dignité, c'est l'humilier. Nous devons en être davantage conscients. L'humiliation peut conduire à l'insécurité. C'est un risque inutile qui n'aboutit à rien de positif. Ôter aux gens tout sentiment de respect de soi, que ce soit physiquement ou psychologiquement, que ce soit par omission ou de manière délibérée, leur nier toute reconnaissance en tant qu'individu ou que groupe, ou leur refuser le droit le plus fondamental de vivre dans la sécurité, engendre la perte de confiance, la léthargie, le désespoir et la radicalisation. Dans ce genre de scénarios, et cela se produit bien trop souvent, la vie se résume à une immense colère et des occasions manquées. En d'autres termes, nous devons aborder la sécurité dans son sens le plus large, non seulement dans un cadre explicite de l'indivisibilité des droits et comme une condition exempte de violence et de terreur, mais aussi en reconnaissant notre interconnexion croissante dans un monde globalisé.
Nous devons garantir la sécurité à toutes les personnes du monde entier en protégeant leurs droits à la vie, à leur identité, à la liberté, à la liberté de pensée et d'opinion, leurs droits à la protection contre la torture, l'exil ou la détention arbitraire, leurs droits d'expression, de liberté d'association, de mouvement et de retour dans leur pays, leurs droits au développement, à l'éducation primaire, à un niveau de vie adéquat en matière de santé et de bien-être, en d'autres termes, de leur garantir, à eux et à nous tous aussi, la dignité.
Un grand nombre de violations des droits de l'homme apparaissent invariablement pendant les conflits : non seulement les violations des droits de ceux qui sont directement impliqués mais aussi l'impact indirect, de plus grande ampleur, sur la sécurité, la stabilité et le progrès économique et social. Au cours de ma carrière, j'ai vu des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, privés de leur droits et de leur dignité à cause de conflits. Je suis déterminé à collaborer pour assurer la mise en ouvre du droit humanitaire et aller de l'avant afin de créer et d'améliorer les cadres et les stratégies nécessaires pour protéger les civils pris dans la tourmente.
Nous devons lier plus étroitement les droits de l'homme et les questions humanitaires. La situation des réfugiés et des personnes déplacées dans leur pays ne devrait pas être considérée comme relevant seulement des questions humanitaires. Nous devons fournir, avec un appui et une détermination politique sans faille, des organismes intergouvernementaux ayant des mandats juridiques de surveillance internationale qui sont confiés aux États avec la tâche ultime et obligatoire de garantir le respect du droit international.
J'aimerais que les droits de l'homme soient vraiment au cour des accords de paix, de nos efforts à prévenir les conflits et de nos activités de maintien de la paix. Une paix véritable ne sera possible que si les préoccupations les plus fondamentales en matière de justice sont examinées. Combien de fois, notamment récemment, avons-nous ignoré les signes alarmants de violations des droits de l'homme, tirés de notre apathie seulement par les crimes contre l'humanité ? La création de la Cour pénale internationale marque une étape décisive à cet égard et, dans le cadre de mes fonctions, j'apporterai mon appui à la CPI pour l'aider à réaliser ses buts fixés, sans être l'objet de manipulation et sans l'aide d'autres instances judiciaires. Il me paraît évident que ceux qui commettent des génocides, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité doivent être jugés par une cour internationale. Les préoccupations des États, particulièrement de ceux qui mènent la lutte pour la justice, ont été, et peuvent être, satisfaites. J'aimerais aussi que nous soyons mieux équipés pour aider les sociétés qui sortent des conflits et assurer un processus de responsabilité crédible pour les crimes et les violations graves commises durant les conflits. Je sais trop bien, par notre travail au Kosovo et au Timor oriental, combien ces tâches sont onéreuses, mais je sais aussi combien notre soutien est vital et utile.
Souvent, un conflit naît des comportements de discrimination. Nous devons nous pencher sur ses causes fondamentales en promouvant le principe d'égalité. Nous devons renforcer notre travail sur cette base de justice qui est au cour des droits de l'homme. Nous devons prêter une attention particulière à la discrimination raciale, aux droits des minorités, à ceux des populations autochtones domaines qui ont été ignorés depuis trop longtemps aux droits des enfants et à l'égalité entre les sexes.
La question des droits des femmes mérite un examen particulier et elle sera l'une de mes priorités. Mon expérience au Timor oriental (baptisé Timor-Leste), ainsi que dans d'autres pays, m'a appris que, bien trop souvent, ce sont les femmes qui jouent le plus grand rôle dans la promotion de la paix dans les sociétés ravagées par les conflits. En règle générale, elles font preuve de modération et de raison et cherchent à assurer la réconciliation, la stabilité et la démocratie. Tandis que de nombreux efforts ont été menés au cours des dix dernières années pour que les droits des femmes figurent dans l'ordre du jour traitant des droits de l'homme, ils sont encore insuffisants, surtout au niveau national. Le traité de base, La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ratifiée par 170 pays, a une portée importante. Il traite de problèmes de fond et exceptionnellement complexes.
Nous devons accomplir tout cela et même plus et nous veillerons à le faire. Mais seuls, nous ne pourrons y parvenir. Nous devons travailler avec les autres membres de la famille des droits de l'homme et l'agrandir. Je travaillerai avec le Secrétaire général, dont la confiance et le leadership politique sont d'une importance capitale, ainsi qu'en étroite collaboration avec mes collègues du Secrétariat et du système des Nations Unies, avec d'autres organisations intergouvernementales et régionales ainsi qu'avec les médias. Le rôle du monde des affaires sera également d'une grande importance.
Mais je voudrais distinguer deux acteurs : les États et les organisations non gouvernementales (ONG). Nous travaillerons en partenariats avec les États. Je ne le dirai jamais assez : la promotion et la protection des droits dépendent d'eux. Au cours des dernières années, les États ont commencé à réaliser et à accepter le fait que la souveraineté est une responsabilité qui, non seulement assure les droits mais entraîne aussi des devoirs pour ceux qui vivent sous leur juridiction, ainsi que pour l'ensemble de la communauté internationale. Ils ont, pour reprendre les termes d'un récent rapport, la " responsabilité de protéger ". Notre travail sera positif et constructif, assumant que tous les protagonistes sont de bonne foi, particulièrement lorsque des désaccords surviennent.
Nous continuerons de travailler avec les ONG. Mon expérience dans un grand nombre de pays m'a fait apprécier la contribution irremplaçable, au premier plan de nos initiatives, des ONG internationales, régionales et nationales dans l'amélioration du respect des droits, qu'il s'agisse des droits de l'homme, des questions humanitaires ou de développement. Que serions-nous sans leur expertise, leur détermination et leur dévouement ?
Dans son rapport publié le 23 septembre sur la deuxième phase de sa réforme, le Secrétaire général a mis en lumière l'importance de la coopération internationale dans l'assistance fournie aux États pour mettre en place et renforcer les systèmes nationaux de protection et de promotion des droits humains. Il a également mis en relief l'importance que représentait le soutien aux organes des traités ainsi qu'aux procédures spéciales créées par la Commission. Ces différents organes constituent la colonne vertébrale du système des Nations Unies en matière de droits humains et leurs délibérations doivent, sans aucun doute, constituer la base sur laquelle tous les autres développements dans notre domaine doivent invariablement s'appuyer.
J'ai également l'intention de mettre l'accent sur notre capacité à faire connaître notre message. Les droits de l'homme ne sont pas simplement des sujets de discussion dans des assemblées telles que celle-ci. Les droits de l'homme appartiennent à tous. Nous devons ancrer cette rhétorique dans la réalité. En dépit des efforts considérables déployés durant ces dernières années, le rythme de travail des nombreuses structures du système de protection internationale des droits de l'homme est très mal connu de l'opinion publique. Et cela se vérifie au niveau des cibles à atteindre, à savoir les systèmes et les individus qui violent les droits, et ceux qui voient leurs droits violés. Récemment, il m'a été rappelé, de manière fort éloquente, que les droits humains universels devraient être connus non seulement par les meilleurs étudiants des meilleures universités et par les élites mais aussi par les enfants des régions les plus pauvres et les plus reculées du monde. Nous avons besoin de trouver des solutions innovatrices pour renforcer l'impact de notre travail et assurer qu'il est mieux soutenu par le public.
La Commission joue un rôle central dans le système onusien de promotion et de protection des droits de l'homme. En tant qu'une des plus anciennes institutions intergouvernementales du système des Nations Unies, elle a énormément ouvré pour définir le contenu des normes internationales des droits humains et pour assurer leur promotion ainsi que leur protection. Mais cela est insuffisant et encore très loin du compte. La Commission reste une enceinte internationale vitale pour discuter de la question des droits de l'homme. En particulier, elle garde le rôle de rédacteur des instruments internationaux des droits de l'homme, comme l'a démontré cette année l'adoption du Protocole facultatif à la Convention contre la torture, ainsi que la décision de commencer à rédiger un Protocole facultatif au Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels l'année prochaine. Le fonctionnement effectif de la Commission est donc un sujet de préoccupation légitime pour l'ensemble de ses participants et, plus encore, pour tous ceux qui comptent sur elle, consciemment ou non, afin de protéger leurs droits humains, alors qu'elle continue de promouvoir l'indivisibilité des droits de l'homme en portant une plus grande attention aux droits économiques, sociaux et culturels. Nous soutiendrons ce processus cet impératif logique dans la mesure de mes capacités et de celles de mon Bureau.
Nous nous attacherons à réaliser le droit au développement de sorte que chacun puisse participer à ces droits systémiques, y contribuer et en jouir, de même que nous collaborerons avec vous pour assurer les droits civils et politiques.
Un autre aspect du travail de la Commission consistera à équilibrer son rôle dans la protection et la promotion des droits de l'homme. Son rôle dans la protection est l'une de ses fonctions fondamentales et exige des résultats mesurables. L'importance et l'efficacité de ce travail sont mis en évidence par l'ampleur et la sophistication de son système de procédures spéciales. Cependant, la protection va de pair avec la promotion et nous devons être prêts à répondre aux demandes des États membres pour leur fournir des conseils, en particulier à la suite des délibérations des organes des droits de l'homme, tant qu'elles ne se substituent pas à l'amélioration de la situation domestique. De même, la Commission doit assumer ses responsabilités et être prête à dénoncer les abus quel que soit le lieu où ils sont commis.
Ce que je dis n'a rien de nouveau. Je ne fais que réaffirmer une évidence : les droits de l'homme sont au cour de la vision que nous avons de l'humanité ainsi que de la politique, au sens grec : un ordre social pour tous. Ils sont au cour de l'image que nous voulons avoir de nous-mêmes et de l'idéal que nous nous efforçons d'atteindre : nous ne devrions pas, et ne devons pas, nous détourner de l'idéalisme. Quelle que soit notre culture, nous sommes animés du même désir, celui d'améliorer le bien individuel et le bien commun. Nous codifions souvent cette aspiration idéale dans nos lois nationales, de même que dans nos lois internationales. C'est cette vision des droits de l'homme, le prisme fondamental et le mieux compris au travers duquel nous voyons notre propre humanité, qui guide tous nos travaux.
En d'autres termes, nous savons où nous allons. Maintenant, nous devrions tous partager les mêmes points de vue. Quant aux désaccords, nous devons les examiner dans ce cadre. Par la discussion, nous atteindrons un certain point, par l'action, nous irons plus loin. Je serai un partenaire déterminé et honnête dans la poursuite de ce but. Je ne prends pas à la légère ce privilège que m'ont donné le Secrétaire général et l'Assemblée générale. Et je n'oublie pas les défenseurs des droits de l'homme, particulièrement au niveau national : vous trouverez en moi un ami et un allié prêt à agir pour protéger vos droits. Je suis animé d'un enthousiasme que rien ne peut altérer. Nous sommes, une fois de plus, à la croisée des chemins : nous en tirerons le meilleur parti et n'aurons aucun regret. À moins de viser l'impossible, nous risquons de nous complaire dans la médiocrité. |