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Vers un partenariat mondial pour le développement:
'Je suis sidéré par la qualité du travail fourni'
Par Noel Sutter, pour la Chronique

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La Biographie
Photo ONU
Jeff Sachs, Conseiller spécial auprès du Secrétaire général de l'ONU et Directeur de l'Earth Institute à Columbia, est actuellement conseiller économique auprès des gouvernements d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine, d'Europe de l'Est et d'États de l'ex-Union soviétique. Économiste de renommée mondiale, il est conseiller et membre de commissions et de conseils d'administration de nombreuses institutions, dont la Banque mondiale, l'Organisation mondiale de la santé et le Congrès des États-Unis.

Lauréat de nombreuses récompenses et d'honneurs, M. Sachs était Directeur du Centre Harvard pour le développement international avant de prendre ses responsabilités dans le cadre des Nations Unies et de l'Earth Institute, où il compte promouvoir son objectif de longue date, à savoir encourager la croissance économique dans les pays en développement tout en développant les services de santé et assurant la préservation de l'environnement.

Les institutions académiques ont mis leur efforts en commun afin de tenter de résoudre les plus grands défis auxquels le monde est confronté, la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). L'Earth Institute, à Columbia University, centre ses travaux sur le bien-être mondial et la durabilité en intégrant la Terre, la vie et les sciences sociales d'une manière novatrice jamais encore égalée. Au cour de ces activités, se dresse un homme, Jeff Sachs.
Noel Sutter a rencontré Jeff Sachs, pour la
Chronique.

Interview
Vous avez déjà accompli tant de choses ! Et maintenant que vous êtes Conseiller spécial de l'ONU et Directeur de l'Earth Institute à Columbia, vous pouvez orienter la recherche dans les domaines de votre choix. Ces opportunités ne sont-elles pas parmi les plus passionnantes que vous n'ayez jamais eues ?
Sans aucun doute. Vous avez vu juste. C'est merveilleux d'associer de telles responsabilités. Je suis heureux de les assumer. Les relations entre elles sont si fortes qu'elles porteront leurs fruits. C'est une aventure passionnante.

Dans la lutte contre la pauvreté dans le monde, quelles sont les réussites qui vous semblent les plus prometteuses ?
La période actuelle est probablement très difficile pour les plus pauvres. À ce titre, il faut évaluer les réussites avec, en toile de fond, une crise très grave. La pandémie du sida est la plus importante de l'histoire moderne. Elle a déjà fait plus de 25 millions de victimes et la communauté internationale n'a pas été à la hauteur de sa tâche. Cependant, il y a eu des réussites. Dans le domaine du développement économique, la Chine, un pays de 1,3 milliard d'habitants, a réalisé des progrès fulgurants. Au cours des dix dernières années, d'importants progrès ont été réalisés en Inde et dans d'autres régions du monde. D'importants succès ont également eu lieu en matière de lutte contre les maladies. Les partenariats destinés à lutter contre la lèpre, l'onchocercose en Afrique et la draconculose ont porté leurs fruits. Mais quand on fait le bilan, les résultats sont préoccupants car l'écart qui existe entre ce que nous pouvons accomplir et ce que nous avons accompli jusque-là est immense. Il nous reste beaucoup à faire et nous n'avons ni le droit ni le temps de nous féliciter des résultats obtenus. Il est temps de s'attaquer sans plus tarder à la réalisation des objectifs que nous nous sommes fixés en tant que communauté mondiale et que nous n'avons pas encore atteints. La volonté politique débute donc avec la réalisation qu'il nous faut appréhender notre avenir de manière plus sérieuse et plus systématique.

Quel est, à votre avis, le problème le plus urgent ?
Comprendre que notre avenir représente un enjeu commun. Si nous continuons d'aborder les problèmes avec " nous " d'un côté et " eux " de l'autre—qu'il s'agisse de l'environnement, de la rareté de l'eau ou du contrôle des maladies—nous ne réussirons jamais. Je pense donc que le problème le plus urgent est de comprendre que nous avons des enjeux communs dans tous ces domaines.

Avec sa capacité à créer du savoir et même à résoudre certains problèmes majeurs dans le monde, l'Earth Institute a besoin d'un mécanisme pour diffuser le savoir et mettre en ouvre ses stratégies. Pensez-vous que les leaders mondiaux donneront suffisamment la priorité au développement et à la durabilité mondiale afin de consacrer les ressources nécessaires pour réaliser le travail?
Je crois qu'il existe un sentiment profond dans ce pays et partout dans le monde que nous devons aborder ces problèmes sans plus tarder. Dans leur vie quotidienne, les gens se rendent compte que le climat change. Parfois les pluies sont inexistantes, parfois elles sont si fortes qu'elles causent des dégâts ou des inondations. Les New-yorkais et les agriculteurs du Sud-Ouest, de part et d'autre de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, font face à des problèmes de sécheresse et de conservation de l'eau. De nouvelles maladies apparaissent et se propagent plus rapidement qu'avant. Il ne fait aucun doute que ceux qui luttent pour survivre en Afrique australe ont conscience de ces changements. Ces changements, les effets des divers facteurs de développement ou le manque d'attention nous appellent à chercher des solutions novatrices pour résoudre ces problèmes.
Le Centre de biosphère 2, situé près de Tucson, en Arizona, est l'un des centres de recherche que supervise Jeff Sachs. C'est dans ce lieu que huit " bionautes " ont tenté l'expérience, au début des années 1990, de vivre pendant deux ans dans une bulle de verre hermétique pour voir comment l'homme pourrait fonctionner dans une colonie sur une autre planète. Chaque centre de recherche de l'Earth Institute a sa propre perspective sur la durabilité. Les scientifiques travaillent dans plusieurs disciplines pour étudier des questions, telles que la toxicité de l'eau et son impact sur la santé, le sida et la durabilité urbaine. En cinq ans, l'Institut est devenu le leader de la recherche concernant les systèmes terrestres et l'application de cette science au profit de l'humanité.

Je doute qu'il y ait un endroit sur la Terre où on ne partage pas ce sentiment. Je crois qu'étant donné l'importance de ces problèmes, nous rechercherons un terrain d'entente commun, nous établirons des relations de coopération et nous créerons également de nouveaux mécanismes institutionnels mondiaux pour les résoudre. C'est là que réside notre capacité à résoudre les problèmes. Je crois également que les Nations Unies joueront un rôle important en la matière. C'est pourquoi je me sens si privilégié d'en faire actuellement partie. C'est de loin le chemin le plus prometteur pour l'humanité que de disposer d'un système des Nations Unies ayant la capacité de réunir les pays du monde entier pour faire face à ces défis.

Qu'en est-il de l'altruisme dans le secteur privé?
Le secteur privé n'est ni fondé sur l'altruisme, ni n'a besoin de l'être dans un monde qui fonctionne bien. Les entreprises privées bien organisées qui sont, avant tout, concernées par leurs résultats, ont compris qu'un monde sain leur est bénéfique à long terme et qu'être de bons citoyens mondiaux devrait faire partie de leur stratégie d'entreprise. Ces entreprises non seulement accordent une grande importance au savoir et à la technologie mais elles en tirent de la fierté. Nombre d'entre elles souhaitent mettre leur savoir et leurs technologies au service de la planète, pas nécessairement sur une base philanthropique ni en cherchant à gagner le moindre centime ou à faire des profits. Beaucoup en sont venues à l'idée de faire don de certaines de leurs technologies afin de faciliter leur transfert vers les pays pauvres ou même de contribuer à la lutte contre les maladies. Même si elles ne sont pas toujours motivées par la philanthropie d'entreprise, elles fournissent néanmoins les médicaments au prix coûtant, plutôt qu'avec un profit. C'est un exemple de bonne citoyenneté d'entreprise. Je crois qu'un grand nombre d'entreprises seront des partenaires responsables, et c'est ce que j'attends d'elles.

Aimeriez-vous ajouter quelque chose pour la Chronique?
Il y a un point que j'aimerai mentionner ici. J'ai le privilège, depuis le début de cette année, d'être Conseiller spécial auprès du Secrétaire général de l'ONU et, à ce titre, j'ai été amené à lire davantage de documents de l'ONU. Je suis sidéré par la qualité du travail. La quantité de rapports est hallucinante. Je n'en citerai que quelques-uns : le récent rapport du CNUED 2002 sur les pays les moins développés, le rapport annuel du PNUE sur l'état de la planète (G-3), le rapport spécial de l'OMS sur les défis dans le domaine de la santé. Tous ces documents sont remarquables. Ils présentent l'analyse la plus sérieuse qui existe actuellement. Le rapport du PNUE, par exemple, est fondé sur la collaboration de mille chercheurs dans le monde et des centaines d'instituts de recherche sont mentionnés à la fin du rapport.

Je sais qu'aux États-Unis, beaucoup n'apprécient pas ou ne comprennent pas la qualité du travail fourni. Il n'est pas rare d'entendre dire : " À quoi sert l'ONU ? Qu'est-ce qu'elle accomplit ? " Je dirai simplement qu'elle fournit les meilleures analyses que l'on puisse trouver sur les défis internationaux. Une part importante du travail que je veux accomplir est d'encourager les gouvernements donateurs ainsi que tous ceux qui s'intéressent à ces questions importantes à lire ces documents. Mis à part la qualité de ces analyses, ces documents montrent, si l'on se donne la peine de les lire, que nous proposons des conceptions et des réponses. Une partie du problème auquel nous sommes confrontés réside dans le fait que certains pays, qui refusent de prendre leurs responsabilités, prétendent qu'aucune conception n'est mise au point ni aucune stratégie élaborée. En ce sens, je suis donc content que tous ces nouveaux collègues produisent ces rapports et j'attends avec impatience de travailler avec leurs auteurs dans le cadre du Projet du millénaire que je vais diriger au cours des trois prochaines années.

Et l'action ? Ne pensez-vous pas qu'à l'heure actuelle, elle est plus nécessaire que les rapports?
C'est exactement ce que je dis. Les rapports sont publiés. Nous disposons d'un savoir important. Mais si personne ne prend la peine de les lire, si on prétend qu'ils n'existent pas et qu'ils ne comportent aucune solution, alors, comme vous le dites, ils ne servent absolument à rien. J'espère que le Projet du millénaire pourra porter à l'attention du public les analyses remarquables dont nous disposons pour faire face à ces défis. Et je pense que cela réussira.

—Noel Sutter est journaliste indépendant et chef d'entreprise.
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