Inverser la tendance actuelle à la déperdition des ressources environnementales: Les ressources de la mer ne sont pas inépuisables Par Jose Luis Jesus
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L'ONU et les grands instituts de recherche ont lancé un atlas sur Internet (www.oceansatlas.org), qui offre des données constamment mises a jour sur l'état des océans, leur évolution et les menaces à la santé humaine due à la détérioration de l'environnement marin. Photo ONU
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Je me souviens du jour où, il y a vingt ans, les délégations des quatre coins de la planète étaient réunies dans l'une des salles de conférences du siège des Nations Unies à l'occasion de l'adoption de la Convention sur le droit de la mer. Cet événement diplomatique d'une grande importance avait été attendu avec un mélange d'anxiété et d'espoir par tous les participants, conscients des énormes intérêts en jeu et se souvenant des difficultés rencontrées au cours des années lors de longues négociations, parfois frustrantes, qui avaient conduit à sa création. Pour ceux d'entre nous qui assistions à la Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, c'était un jour important, un jour qui resterait gravé dans notre mémoire.
Résultat de nombreuses années de négociations avec la participation de la communauté des nations et des autres partenaires intéressés, la Convention de 1982 est parvenue à établir le régime juridique le plus complet régissant les océans et les mers, " traitant de toutes les affaires relatives au droit de la mer ". Ce régime a été le résultat de nombreux efforts de la communauté des nations durant deux décennies dans la tentative de codifier et de développer le droit de la merefforts qui avaient été amorcés lors de la Conférence de La Haye de 1930 sur la codification du droit international et poursuivis lors des trois Conférences des Nations Unies sur le droit de la mer.
Considérant les nombreux aspects du développement du nouveau droit international ainsi que la codification des règles et des principes existants, la Convention a été finalisée avec une rapidité rarement vue jusque-là. C'est d'autant plus remarquable qu'il y a cinquante ans, le vaste espace océanique, qui occupe les trois-quarts de notre planète, était une zone mal définie dont l'espace et les ressources étaient régies par le principe de liberté des mers.
Les océans, dont les frontières maritimes n'étaient pas alors définies, étaient, pour reprendre les termes de Grotius, " libres et ouverts à tous ", à l'exception des eaux territorialesune zone maritime étroite revendiquée par les États côtiers, qui s'étend généralement à 3 milles marins du littoral. En fait, jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les frontières des États étaient essentiellement des frontières terrestres. Les océans étaient considérés comme trop vastes et leurs ressources inépuisables.
Les intérêts économiques et géopolitiques des États n'étaient pas encore importants au point d'inciter les pays à étendre leurs frontières au vaste espace océanique et à ses ressources, à l'exception du traité portant sur la division des océans, conclu au XVe siècle entre l'Espagne et le Portugal, les puissances maritimes de l'époque, et rapidement remplacé par le concept de liberté des mers développé par Grotius.
Au milieu du XXe siècle, plusieurs États côtiers ont été amenés à changer leur politique. Les développements technologiques, ainsi que les changements économiques et géopolitiques qui s'en sont suivis, ont donné lieu à un processus interminable de revendications unilatérales sur l'espace océanique et ses ressources. Tandis que des États côtiers s'appropriaient unilatéralement différentes zones océaniques, des conflits ont surgi entre les pays à propos des ressources, des zones de chevauchement et de la pollution des océans qui menace les lieux de villégiature et toutes formes de vie côtière. C'est ainsi que les différentes zones océaniques et leurs ressources ont été unilatéralement placées sous la juridiction des États côtiers. La mise en place de réglementations s'est avérée indispensable afin de prévenir les conflits entre les États.
Bien que représentant un progrès important, puisqu'elles traitaient des revendications des États et des activités liées aux océans, les trois Conventions adoptées lors de la Première conférence de l'ONU, qui se sont tenues à Genève en 1958, ne sont pas parvenues à atteindre l'objectif de mettre fin à l'avalanche de revendications unilatérales des États, les nouveaux États indépendants n'ayant pas participé aux négociations. De nombreux pays en développement considéraient que ces Conventions servaient essentiellement les intérêts des puissances maritimes traditionnelles et les intérêts économiques des pays pratiquant la pêche hauturière.
À la fin des années 60, il est devenu clair que, pour établir un ordre juridique pour les océans et promouvoir la stabilité internationale, un effort de négociation renouvelé était nécessaire au niveau mondial afin de couvrir dans une seule Convention toutes les questions ayant trait au droit de la mer. Cet objectif sera atteint en 1982 avec l'adoption de la Convention sur le droit de la mer qui, de par son cadre de base et sa perspective globale, a été reconnue comme le texte fondamental applicable en matière de droit de la mer.
Reconnaissant la nature multiple et interdépendante des intérêts des États en ce qui concerne les océans et leurs ressources et reflétant le concept de solution globale et de choix complexes qui s'est dégagé pendant les négociations, la Convention, avec ses 320 articles et 9 annexes, tente d'offrir une synthèse équilibrée des différents intérêts des États. Elle octroie aux États côtiers des droits souverains sur les ressources biologiques et non biologiquesune revendication importante des pays côtiers en développement pendant les négociations; elle reconnaît le droit d'accès préférentiel aux ressources halieutiques excédentaires, maintient inchangée une zone de haute mer relativement importante afin de répondre aux besoins spécifiques des pays désavantagés et sans littoral et préserve certaines libertés de la haute mer dans les zones sous juridiction pour le bénéfice de tous les États, y compris le droit de navigation, afin de répondre aux préoccupations des puissances maritimes.
La Convention de 1982 couvre un grand éventail d'aspects océanographiques : elle établit, entre autres, des régimes juridiques applicables aux différentes zones maritimes dont jouissent les États côtiers; elle résout, une fois pour toutes, la question des limites des eaux territoriales; elle aborde la protection de l'environnement en milieu marin, la conservation et la gestion des ressources biologiques, les droits de navigation, le régime des fonds marins et la recherche scientifique marine, et établit un système complet de règlement des différends. Même si elle est loin d'être parfaite, la Convention représente le meilleur compromis possible par rapport aux revendications et aux intérêts complexes dans l'histoire de l'élaboration des traités. Lors de son allocution à la cérémonie de signature, le Secrétaire général Javier Pérez de Cuéllar a d'ailleurs affirmé qu'après la Charte des Nations Unies, la Convention était vraisemblablement l'instrument juridique le plus important du XXe siècle.
Les compromis entre les pays et le grand nombre d'aspects couverts dans la Convention expliquent pourquoi elle a été signée par un nombre impressionnant d'États (157) dès le premier jour où elle a été ouverte à la signature, en décembre 1982. Ce vaste soutien a été confirmé par les nombreux États qui sont devenus parties dans une période de temps relativement courte (en février 2002, 138 États l'avaient ratifiée). Son acceptation presque universelle en tant que traité mondial qui réglemente les océans atteste également de son approche équilibrée. Elle a encore été renforcée avec l'adoption de l'Accord d'application de New York, qui faisait état des difficultés de certaines nations industrialisées par rapport au régime international des fonds marins. À ce jour, 30 États côtiers (y compris des signataires) et 26 pays sans littoral n'ont pas ratifié la Convention ou accédé à celle-ci.
Alors que nous célébrons son vingtième anniversaire, nous devons faire le point sur son impact. Il ne fait aucun doute qu'elle a considérablement contribué à apporter la stabilité et l'ordre pour les océans. L'époque des revendications unilatérales et des différends vis-à-vis des questions de souveraineté, qui ont engendré de nombreux conflits entre les États dans les années 60 et 70, semblent être révolue. La pratique des États indique que la Convention constitue un traité de référence à la fois pour les États parties et non parties, en leur fournissant un guide sur les questions ayant trait aux océans et au droit de la mer et en jouant ainsi un rôle stabilisateur dans les relations entre les États.
L'intégration progressive du régime de la Convention dans la législation nationale, qui a eu lieu avant même son entrée en vigueur en novembre 1994, se poursuit.
Et bien qu'il y ait toujours un bon nombre de revendications maritimes excessives liées à des questions spécifiques soulevées par les pays développés et en développement, certains États ont pris des mesures pour rectifier leur législation afin qu'elle s'inscrive dans les limites de la Convention. Il s'agit d'une tendance positive qui ne peut que renforcer son autorité et son caractère universel. Le signe le plus surprenant qui atteste de son universalité est probablement l'appui inattendu qu'elle a reçu d'une grande puissance maritime.
Paradoxalement, bien que poursuivant leurs propres objectifs, les États-Unis ont considérablement contribué à renforcer son application en énonçant leur dissentiment à l'égard des revendications maritimes qu'ils jugeaient excessives. Cela peut sembler étrange, considérant la position négative des États-Unis par rapport à leur propre participation à la Convention, mais c'est pourtant ce qui s'est passé. Même si ce pays n'a ni signé la Convention ni adhéré à celle-cimalgré les changements introduits au régime des fonds marins par l'Accord d'application de New York de 1994 visant essentiellement à supprimer les obstaclesaucun pays n'a jamais défendu la Convention sur le droit de la mer contre les revendications nationales jugées excessives de manière aussi constante que les États-Unis. Cela a contribué à consolider et à stabiliser son régime juridique, s'assurant que la législation nationale est conforme à l'esprit et à la lettre de ce qui est considéré être " le droit international coutumier, tel qu'il est reflété dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 ".
Cependant, la meilleure contribution à cet instrument juridique global le plus utile pour les océans est que chaque État, spécialement un État côtier ayant des intérêts importants et variés à protéger, est partie à part entière à la Convention.
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Le juge Jose Luis Jesus, membre du Tribunal international du droit de la mer, assumera ses fonctions pendant neuf ans jusqu'au 30 septembre 2008. Il était Secrétaire d'État aux affaires étrangères et à la coopération du Cap-Vert (1996-1998) et Ministre des affaires étrangères et des communautés (1998-1999). |
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